[edit violent : j’ai enlevé du jargon qui était parfaitement inutile. Pour ceux qui devraient faire la liaison avec l’ancienne version : concertif → directif et symphonique → partagé]
Merci à tous les deux.
Plus de contexteAvant de vous répondre, il me semble utile de préciser quelle est (ma vision de) mon approche de maîtrise « classique » :
- création d'un monde voulu riche et cohérent, d'abord des généralités qui sont étoffées au fur et à mesure ;
- le monde et les personnages m'inspirent pour créer des histoires/intrigues/trames personnalisées... si nécessaire ;
- provocation des joueurs/personnages avec des éléments qui nécessitent une réaction ;
- en général, j'ai un fil narratif principal que je lance au début de la campagne, ensuite les joueurs sont le moteur des choses et nous entrons dans un cercle vertueux ;
- si possible en entremêlant les trames ;
- ne jamais, jamais faire de railroading, toujours laisser les joueurs partir dans leur propre direction, et les suivre, quitte à tout adapter autour d'eux ; au pire, s'il y a une trame prévue ou qui me semble probable, ce qui est rare, elle est balisée (indiquée), rien de plus, libre aux joueurs de la suivre ou non (en tous cas c'est ce que j'essaye de faire, ce que je crois que je fais et l'on ne m'a jamais détrompé) ;
- cette liberté engendre parfois des problèmes de rythme, de partie qui s'enlisent ou tournent en rond ; en général je parviens à redonner une impulsion avant que le rythme ne retombe trop, mais je n'ai jamais vraiment analysé comment je procède. Ca ne fonctionne pas toujours et j'essaie d'adopter un montage plus agressif, mais les joueurs résistent par inertie.
De même, il me semble utile de préciser pourquoi je suis intéressé par un plus grand partage des droits sur la fiction entre les joueurs, quels sont les éléments qui m'attirent dans cette approche :
- moins de préparation pour le meneur,
- plus de surprises pour le meneur,
- plus de surprise immédiates pour tout le monde, plus de créativité, moins de répétitions potentielles dans le style d'invention,
- plus égalitaire, démocratique (là on est plus dans l'idéologie),
- plus de liberté pour les joueurs
- un accès plus rapide, plus direct, à ce qui intéresse directement les joueurs,
- plus grande responsabilisation des joueurs par rapport à la qualité de la partie, au plaisir de chacun.
Par contre, certains points me semblent négatifs – le revers de la médaille sans doute – mais peut-être sont-ils mineurs, imaginaires ou mitigeables ?
- moins d'immersion dans les personnages, dans le monde, une part au moins de l'esprit des joueurs doit être dans l'histoire,
- plus grande difficulté à obtenir une cohérence et une continuité vraie et profonde,
- moins de surprise / découvertes / trames menées sur le long terme,
- moins d'intrigues et de contexte bien préparés, profonds, cohérents,
- un accès trop rapide à ce qui intéresse les joueurs, perte de l'anticipation, de la patiente construction, on accède au but aux dépens du chemin,
- le meneur risque de devenir « moins qu'un joueur » : pas de personnage propre, droit à la narration prioritaire pour les joueurs (vu que chacun orientera la narration autour des personnages), ...
- risque de partir sur chaque piste tentante sans prendre le temps de la réfléchir, de la mûrir,
- risque de déstructuration globale de l'histoire, chacun partant dans sa direction, avec ou sans la complicité des autres (avec : les personnages se séparent, on se retrouve avec une table avec 1 joueur tournant et les autres sont mj – c'est certainement intéressant, mais ce n'est pas ce que je recherche ici ; sans : sans doute un pugilat pour avoir le focus et un désextuplement de personnalité pour le meneur, pendant ce temps, les autres s'ennuient).
Ces points supposés que je juge négatifs me font rechercher un système qui permet les deux approches.
Hybridation et modesNous arrivons au plat de résistance : l'aspect hybride du système, qui lui permet(trait) de fonctionner dans les deux modes. Ou plus exactement : dans un continuum dont les extrêmes seraient ces deux modes. Comme je vais devoir souvent parler de ces deux pôles, autant les nommer.
Je vais donc appeler le pôle ou le meneur de jeu dirige l'histoire, décide de et fournit l'essentiel des informations sur le monde
mode/pôle directif et le pôle où tous les joueurs partagent ce rôle
pôle/mode partagé.
Si vous avez d'autres propositions plus simples ou plus évocatrices, que ce soit pour la discussion ou pour les règles, je suis preneur. Je passe beaucoup de temps à la recherche du mot juste, en particulier pour les mots qui seront utilisés dans les règles. C'est important pour moi.
Mon but est d'aboutir à un seul ensemble de règle, cohérent. Pas d'avoir deux systèmes entre lesquels on bascule brusquement, mais un glissement progressif, réglable. Ceci dans le but :
- de gentiment piéger mes joueurs en opérant une transition graduelle,
- de me permettre, au début, de décrire sans soucis d'interférence destructrice, de poser les bases cohérentes du monde, jusqu'à avoir fourni assez d'information pour que les autres puissent bâtir dessus solidement, sans risquer de bloquer les éléments que j'ai envie d'introduire en jeu (j'estime que c'est un de mes privilège de créateur et de meneur de jeu, le salaire que je gagne par mes efforts)
- à ce propos, je compte lier l'évolution des possibilités du système de jeu à des évolutions dans la fiction. Les premiers personnages joués seront de jeunes nobles envoyés à l'école pour apprendre ce qu'il doivent savoir du monde. Cela me permettra de faire découvrir le monde simultanément aux joueurs et aux personnages, et d'augmenter l'influence des joueurs sur le monde en parallèle avec celle de leur personnages.
- d'expérimenter progressivement, de nous éduquer peu à peu à cette démarche, sans devoir effectuer soudain un grand saut,
- de garder en permanence la possibilité de revenir vers un jeu classique sans devoir changer le système
- de nous laisser, si nous le souhaitons, la possibilité de jouer un scénario soigneusement préparé par le meneur, à tout moment
- et, en particulier, de pouvoir mêler une trame narrative de fond (en particulier, mais pas uniquement : découverte des origines de la société) construite sur le long terme tout en permettant que le reste du jeu soit sensiblement plus ouvert aux apports des joueurs.
(Frédéric, il me semble que nous avons pas mal de points communs dans nos envies. La lecture de ton fil « hybridation maximale » m'a rassuré et m'a décidé à partager ma démarche ici. Au vu de comment cela s'engage, c'était une très bonne idée. ^_^)
Quelques limites de la démarche telle que je la conçois actuellement :
- Il y a un meneur de jeu, avec certaines prérogatives, une répartition asymétrique des rôles.
- La capacité des autres joueurs à influencer la fiction restera limitée, encadrée par les règles. Entre autre parce que je ne vois pas comment changer du tout au tout. (Mais sans doute aussi parce que j'ai du mal à lâcher prise, surtout sur un jeu/système/monde de ma conception.)
Cet idéal est-il atteignable ?
Je vais devoir me devancer quelque peu par rapport à ce que j'avais prévu, mais voici dans les grandes lignes comment je compte procéder. Il y a encore beaucoup de point à définir, approfondir, vérifier, mais j'ai une vision d'ensemble du système.
Résolution des conflitsUne seule mécanique de résolution est envisagée. Elle est invoquée en cas de conflit significatif (« en cas de doute », en quelque sorte). Ces conflits sont gérés à relativement petite échelle (je dois préciser ce point, mais je manque d'expérience). Il faudra au minimum que la partie demanderesse définisse son enjeu. Pour le moment, je pense que la partie défenderesse ne devrait pas déterminer de contre-enjeu, ce qui serait plutôt l'objet d'un second conflit (là aussi je dois creuser la question). Une fois le conflit défini, on fait appel aux dés, qui vont fournir un résultat et une marge de réussite (ce n'est pas exactement la bonne notion, mais ça fera l'affaire pour la description courante).
Le résultat défini qui tranche l'
issue du conflit : réussit ou raté, enjeu rencontré ou non. Celui qui obtient le meilleur résultat tranche et profite de l'ensemble de sa marge de réussite. Les moins bons résultats subissent la décision du vainqueur et perdent une partie de leur marge de réussite.
Au niveau de cette mécanique de résolution, le meneur fixe le mode à chaque conflit et en informe les joueurs. (Ce n'est pas tout, voir plus bas l'esquisse de l'économie.)
En mode directif, la marge de réussite fourni un avantage au personnage (ou au joueur, s'il a fixé un enjeu à l'encontre de son personnage ou s'il a lui-même tranché qu'il échouait — les marges de réussites ne se retournent pas contre le joueur), décidé par le meneur (qui peut être informé par des règles de simulation).
En mode partagé, la marge de réussite permet au joueur de préciser un nombre proportionnel d'éléments dans la fiction liées de près ou de loin au conflit.
Exemple : « Tiens, qu'est-ce que mon personnage sait sur ce clan ? »,. Enjeu « je veux connaître ce clan ». Succès du jet, décide d'avoir rencontré son enjeu, marge de réussite de 3. En mode directif, le meneur précise 4 points importants sur le clan (1 pour la réussite, 1 pour chaque dé misé). En mode partagé, c'est le joueur qui précise les 4 points.
Si le conflit concernait un duel à l'arbalète et si le joueur désirait humilier son adversaire, avec les mêmes données chiffrées que précédemment : en mode directif le meneur pourrait se servir de la marge pour estimer la précision du tir, par exemple « tu cloues sa main droite sur le bois de son arbalète et lui tranche un tendon. Elle ne pourra sans doute plus se servir de sa main pendant quelques mois » ; en mode partagé, le joueur pourra déterminer 3 éléments de son choix en plus de la réussite (ou de l'échec) : « l'impact de mon carreaux dévie son tir, il blesse la passagère d'une chaise à porteurs, qui se trouve être sa future belle mère » (bien entendu le meneur pourrait également se montrer plus créatif que dans cet exemple caricatural).
Avec cette mécanique, le meneur peut donner (ou reprendre) de l'influence au joueur sur le monde, leur donner un rôle plus actif dans la fiction.
Le plus simple serait de fixer le mode du conflit de manière binaire : directif ou partagé. En théorie il pourrait être intéressant de le fixer de manière plus souple : « directif 2 » : le meneur se réserve deux éléments, les suivants sont pour le joueur. (Idéalement pour moi à indiquer par un acte du meneur plutôt qu'uniquement par une parole.) Peut-être est-ce trop compliqué.
Il pourrait également y avoir des règles qui déterminent le mode selon la situation, mais pour le moment je n'en imagine pas.
Introduction progressiveJe peux également introduire ce mécanisme de choix de mode comme une « règle avancée » (ce vocable, tu vois, il semble vraiment ressurgir d'outre-tombe). Commencer par quelques jets partagés sur des éléments classiquement dévolus aux joueurs (par exemple : leur clan d'origine), puis étendre progressivement la fréquence et la porté de ces jets (par exemple : sont-ils préparés à une situation, ont ont-ils un équipement, posé une question avant de s'engager dans la situation courante). Comme rien ne change au niveau des gestes mécaniques, je crois que la transition peut être très souple.
ÉconomieJe ne sais pas encore s'il y aura une ou plusieurs économies en jeu. Il y aura au minimum un système de points, appelons les temporairement
deniers, que l'on pourra noter
X (notation historique du denier, qui valait 10 (X) As. Je n'avais pas cela en tête quand j'ai écrit « points de X », ni ne le savais quand j'ai pensé aux deniers, c'est seulement une jolie coïncidence ^_^). Les deniers servent à alimenter les jets de résolution. On en gagne ou en perds avec divers comportement, incitant classique. J'ignore encore s'il faut les lier avec l'évolution des personnages.
Je compte faire varier l'économie en cours de jeu : varier les montants gagnés ou payés selon les actions des joueurs. Ce qui me permettra d'une part d'ajuster le tir, de faire des tests sans devoir « modifier le système », puisque la variation fait partie du système. Même en cours de partie, si par exemple je désire soudainement changer l'ambiance. (« Profiter du défaut d'un personnage : +3 X » sur le tableau des cours en milieu de partie, cela pourrait être intéressant ; faire passer « donner une conséquence négative grave » de 10X à 5X pourrait être intéressant également) Dans le style économie de marché, je peux faire monter les prix si la demande est forte (si j'estime que l'on utilise trop une option par rapport à l'équilibre que je recherche) ou les baisser dans le cas contraire.
Au début je prévois des incitants dans la ligne de « exposer une faiblesse », « sacrifier un autre », … Ensuite on pourrait avoir « ajouter un bon élément de fiction », « bon roleplay », .... Puis se diriger vers « demander une scène », « clôturer une scène », …Et l'on pourrait terminer le cycle par « Transformer un conflit directif en conflit partagé : 3X », histoire de bien achever le meneur.
Les deniers pourront aussi s'échanger entre joueurs : accepter un denier pour permettre à un joueur « adverse » d'activer un trait désavantageux (ou contrer en payant soi-même un denier pour éviter d'exposer sa faiblesse), paris (je te donne nX si ton personnage fait cela, si tu réalises tel type d'action, si tu utilises tel moyen, expose telle faiblesse)(?).
Ils serviront également aux joueurs à peser dans des conflits dont leurs personnages ne sont pas partie, et éventuellement à voler une part de narration aux autres. (Meneur compris ?)
Je ne sais pas encore dans quelle mesure le meneur devrait être un participant à l'économie. Dans un mode purement directif (« règles de bases », hahaha quel beau mensonge), probablement pas ; en mode partagé (« règles avancées ») cela pourrait être intéressant, mais je n'ai pas encore d'opinion là dessus. Cette intégration pourrait être faite au niveau du meneur lui-même, et/ou au niveau des PNJ, c'est un point qu'il me faut vraiment réfléchir.
Conclusions (forcément provisoires)Avec ce type de conception, j'espère pouvoir faire dériver discrètement notre pratique, pouvoir introduire sans heurt et inciter une démarche créative plus partagée. Les faits d'une part que les règles ne soient pas modifiées en tant que telles, mais seulement réglées un peu différemment, et que, d'autre part, les mécanismes de base que j'envisage soient très proches des jeux de rôles traditionnels, m'encouragent à croire que je pourrais avec succès les faire essayer, adopter à ma table, sans trop de difficulté ni de vente ni de compréhension.
Peut-être pensez-vous que je mets le doigt dans l’œil ? C'est très possible, c'est justement pour cela que je vous consulte.
Coda : par rapport aux jeux conseillésJ'ai encore une importante pile de lecture, de référence à explorer. Il y a suffisamment de jeux intéressant pour que je ne me mette jamais à écrire ce jeu ci. Donc je me dois de sélectionner.
The Pool, que je connais (de lecture et d'essai solitaire) depuis quelques années, ne me tente pas. C'est certainement là une question de goût personnel. Je n'ai pas de plaisir à manipuler ce système. (J'ai aussi l'impression que j'aurais du mal à le faire passer auprès des autres joueurs.) Surtout, il n'offre pas les possibilités d'ajustement du mode en cours de route que je recherche.
Polaris, aaaah, Polaris ! J'ai passé plus d'un an à agacer les autres joueurs pour que l'on essaye ce jeu. Mais, hélas… « C'est en anglais… L'univers est trop bizarre (rien qu'à lire la première page)… Elles sont où les règles ? C'est quoi ces phrases ? Mais si c'est pour inventer sans règles, pourquoi ne pas inventer librement, pourquoi se contraindre ? On ne peut jouer que cela comme perso ? Un jeu de rôle avec une fin ? On perd obligatoirement ? Pas de meneur ?Mais si on tourne comme cela, on ne peut pas jouer les personnages du groupe ensemble ? Pourquoi essayer ton truc que l'on s'amuse déjà bien comme cela ? On va perdre son temps, on n'en a déjà pas beaucoup pour jouer, je préférerais continuer à faire X. » J'aurais pourtant bien voulu. Oh que oui.
Innommable, je vais jeter un coup d’œil là dessus. Remarque en passant pour Christoph, au cas où il l'ignorerait : Unspeakable est aussi (ou déjà?) le nom d'un mini-supplément d'horreur lovercraftienne pour Inspecters.
En plein questionnement, en pleine digestion, je décante.