par CXZman » 05 Nov 2006, 06:12
Je propose une autre piste qui n'est pas tant que ça éloignée de ce que tu sembles viser.
J'ai vu les deux tiers de ce que tu cites (tiens bah d'ailleurs je te conseilles le cinéma de Mamoru Oshii ("Ghost in the Shell" (film 1), "Patlabor" (film 1) et peut-être, pourquoi pas, "Avalon") et celui de Tarkovski ("Stalker" ou "Solaris"), et je ne vois qu'un seul point commun dans tout ça :
La place prépondérante du paysage.
C'est rassurant déjà :) ça colle bien avec l'idée de contemplation.
Le paysage a ça de particulier que c'est l'une des seules choses à laquelle l'Homme reconnait un (presque) unique intérêt contemplatif, comme quoi le paysage aurait pour seule raison d'être que d'être regardé, apprécié ... contemplé.
Et dans cette approche du paysage, en aucun cas on ne se limite à la notion de "paysage" en tant qu'étendue de terre, nature, visuel ... ça va plus loin. On touche au concept artistique de "paysage", qui va plus loin que le paysage simplement "visuel" (exemple : la carte postale) mais qui va aussi jusqu'au paysage musical, sonore (exemple : sons d'ambiance, enregistrements sans commentaires), paysage animé (exemple : captures, documentaires, rushs, prises de vue), paysage d'idée ou littéraire (exemple : ce qui nous apparait lors d'une lecture, l'imaginaire dans lequel on évolue) et donc pour finir, le paysage fantastique ou imaginaire, pour lequel je n'ai pas besoin de vous filer d'exemple.
ci-dessus, ce n'est pas une classification, c'est une énumération qui me sert à vous expliquer où je veux en venir.
Les choses en commun avec tous ces paysages c'est :
- il s'agit d'une COMPOSITION (les choses arrangées, on travaille vers la beauté, on prépare et on réalise un paysage) ce qui sous tend dans le cas d'un paysage naturel que "c'est la nature" qui l'a composé (ce qui est une idée un peu fumeuse, mais passons).
- on vise directement et sans détour l'EXPÉRIENCE ESTHÉTIQUE (c'est à dire une expérience qui se ferait par ET POUR les sens), et donc si possible le beau (qui serait la parfaite et sublime expérience esthétique).
- on s'installe d'abord dans une TRANQUILITÉ nécessaire à l'apréciation et à la contemplation, de sorte à ce tout l'esprit soit motivé par l'expérience esthétique.
- on se donne de l'ESPACE pour contempler. C'est une notion d'échelle (et elle est très importante : même le plus beau tableau rétinien, s'il est peint sur un timbre poste, il aura moins d'impact que reproduit en 10 mètres sur 5. Les opéras de Mozart, s'ils sont diffusés à 2 dB, ils n'iront pas aussi loin dans les profondeurs de vos sens que s'ils sont diffusés à 96 dB) mais c'est aussi une simple notion d'espace vitale, de place pour respirer, pour se poser. En ce sens ça rejoint le besoin de tranquilité.
On a ici le grossier cahier des charges que le système de jeu doit remplir.
Ce jeu doit permettre de faire vivre aux joueurs une Expérience esthétique au travers d'une Composition qui est soutenue par la présence d'une certaine Tranquilité et qui creuse une sensation d'Espace, qui approfondit les choses.
Avant de trouver directement des solutions de fonctino de jeu, on peut s'attarder un moment sur les ptits trucs de nos collègues créateurs dans tous les autres arts :
- les ralentis : au cinoche, les ralentis servent à proposer une scène donnée en paysage aux cinéphiles. D'ordinaire, l'image animée tend à soutenir un rythme, en général soutenu (pour que le cinéphile ne s'emmerde pas), mais parfosi, il faut placer dans ce rythme une pause, un moment choisi, où le temps va ralentir, où le plan va être composée avec délectation, où on va donner en spectacle la moindre vibration lumineuse sur la pellicule. Le phénomène de ralenti pose très efficacement la notion de Tranquilité : en faisant un contraste efficace entre l'action qui précèdait et le temps ralenti, le son grave, l'animation molle, on soulage la lecture du film pour inciter le spectateur au repos. Et puis on prend son temps pour regarder (puisque d'un seul coup, suivre l'action à l'écran ou analyser l'intrigue devient HYPER facile :) vu le tend que ça prend à l'image pour que l'action se termine) et on se rend naturellement compte que les choses sont très belles si on nous les montre en tant que belles choses et qu'on même aprécier la giclure de sang qui sort de la bouche de ce boxeur qu'on voit en train de se prendre un crochet au ralentit. La notino d'espace vient du fait qu'on a la sensation de mieux percevoir le temps, de mieux gérer tout le champ de vision. Il vient aussi parfois de plans audacieux (je pense au bullet time de Matrix avec ses plans au ralentit ROTATIFs) qui montrent le paysage sous différents aspects afin de complèter l'expérience esthétique.
- le plan général/large (ou panorama, vulgairement) : au cinoche toujours, plan impersonnel qui place généralement au moins un homme à une échelle minuscule dans le cadre, écrasé par l'immensité du reste. Le fait de placer un homme en tout petit génère automatiquement de l'Espace. Le fait qu'on soit "loin" de la scène aussi, mais surtout, implicitement, l'action à l'écran sera moins ostensible, parce qu'en règle génrale les choses dans ces plans-là se passent en arrière plan, au loin, au tout petit à l'image, ce qui fait que ça n'attire pas l'oeil, ça se contente de participer au paysage.
Là, l'idée de composition est primordiale, parce que rien qu'avec le cadrage, on doit jouer avec le décor déjà en place pour composer l'image qu'on filme et proposer une expérience esthétique passionnante au spectateur.
- l'ambiance sonore : complèter les sens a tendance à améliorer l'expérience esthétique. Plus que jamais, ce jeu devrait inciter à l'utilisation de son, mais pas comme fond sonore pour agrémenter les voix des joueurs ... non. Comme scéance d'écoute !
À l'opéra, on vient contempler un paysage musical. On est confortablement assis dans un siège de velour, dans le silence précédant la pièce (Tranquilité), avec une accoustique fidèle et ample dûe à la salle et au volume des caisses de résonnance (Espace), on assiste à une Composition (bah là c'est le vrai terme utilisé en musique :) pas besoin d'en rajouter), de quoi composer un formidable paysage. Étant donné l'objectif du jeu, à savoir la contemplation, on doit être en droit de pousser les joueurs à casser la narration pour écouter ensemble une musique ou une chanson qui va faire fructifier leur imagination et les pousser à voyager dans le paysage musical.
- fermer les yeux : c'est un truc à double effet kiss cool. Non seulement il encourage la tranquilité, mais en plus il permet de couper au cerveau la distraction permanente causée par le sens de la vue. En effet, si au cinoche vaut mieux ouvrir les yeux, vu la nature même du spectacle, dans un JdR, on pourrait souvent les fermer sans que ça gêne, au contraire. En musique c'est souvent utilisé, plus rarement en sculpture pour sentir au toucher le volume qu'on travaille.
- plus de symbole, moins de descriptif : l'avantage d'une description bête et méchante, c'est l'exaustivité. L'inconvénient c'est la stérilité esthétique d'une telle description. Une représentation plus symbollique, moins réaliste, moins analytique, aura tendance à évoquer les choses par leur essence et non seulement par leur définition du dictionnaire. Sur une symbollique, on peut raccrocher du sentiment, parce que les ponts entre différents symboles voisins sont faciles à tracer, constructifs et créatifs.
Bon, il y a sûrement d'autres fonctions à trouver, mais là je suis crevé (j'écris ça à 4h46).
Compte tenu de tout ça, on peut déjà poser une ébauche de système :
Un système qui offrirait le droit aux joueurs de réclamer une sorte d'arrêt sur l'image lors d'une action, ce qui inciterait le(s) narrateur(s) à essayer de composer un paysage sur la base de l'action actuelle afin que les joueurs passent au traves d'une expérience esthétique la plus poussée possible.
Pendant un moment, le temps de jeu ne compte plus, on ne regarde plus les fiches de perso, on écoute, on imagine, on complète, on dessine la scène avec des mots ... etc
Un système qui prévoit dans l'organisation d'une partie la place et le temps qu'il faut pour des expériences esthétiques dédiées à la contemplation, par exemple des pauses musicales, des pauses gustatives.
ATTENTION, ne pas tomber dans le trip déguisement, musique de fond, décor. Il ne s'agit pas de mettre de l'ambiance, il s'agit de proposer un spectacle. Dans le cas des pauses gustatives, il s'agit de déguster un plat pour en découvrir tous les aspects, pour bien exploiter tout le goût qu'on peut en tirer. L'idée c'est pas juste de faire la pause dîner avec un thème pour amuser la gâterie.
Un système qui propose une manière de les gérer ou carrément des solutions de jeu toute prête pour faire des "voyages". Il y aura fatalement des moments de jeu où les PJs vont voyager. Plutôt que de zapper ces passages importants pour la narration et l'approfondissement d'un univers, il faut réussir à les mettre à profit pour l'expérience esthétique globale de la partie. Ici, l'idée c'est de fonctionner comme le font les cinéastes ou comme on le trouve dans de la musique moderne (par opposition à la musique classique), je parle des solos, des bridges, qui marquent des passages où le court normal des choses est altéré pour passer à quelque chose de plus spectaculaire, de plus expressif. Quand on arrête de chanter (Tranquilité :) ) pour improviser un riff de guitare, on se met à faire un paysage. L'improvisation et le changement des accords guidés par le soliste (ou l'inverse) prend la forme d'un voyage (Espace) et se met à composer sur les gammes à travers le rythme. Et ça, ça marche.
Au cinoche, je pense aux plans de Mononoke pendant qu'Ashitaka voyage de son village jusqu'aux terres éloignées où se passera le reste de l'histoire. Miyasaki use et réuse le plan général, mais surtout, et on le remarque peu parce que ça passe comme une lettre à la poste, c'est un mometn du film où le bvolume des musiques est plus haut, où les musiques sont arrangées avec un orchestre plus complet et où elle prend une place plus importante. C'est ce que je disais plus haut : des musiques qui seront là pour être écoutées et par pour qu'on entende un fond sonore agréable.
Bon le problème, c'est qu'au cinoche il y a un mariage entre le son et l'image, or sur table, il y a du son (musique) et du son (narrateur qui parle) ... et ça fait conflit.
Donc l'idée ici ce serait que le narrateur se documente pour distribuer des images, imprimées, dessinées, photographiées, et que les joueurs se passent les images alors qu'ils écoutent une musique dans le but de marier ces images et cette bande sonore pour obtenir une expérience esthétique plus poussée.
Tous ces trucs, il faut pas avoir peur de les signaler dans les RdB aussi sèchement que des conseils de masterisation, voire sous la forme de règle d'or ("Vous DEVEZ amener des musiques pour faire des scéances d'écoute !!").
Une manière de forcer l'écoute est de forcer les joueurs et le MJ à créer et définir leur personnage par la sélection et la diffusion d'une musique.
Exemple : mon personnage c'est "To live is to die" de Metallica, ce PNJ c'est plutôt "Ice girl" d'Émilie Simon.
Avec cette approche, on doit imaginer un personnage et son comportement uniquement en se référant à une musique ce qui ne peut passer QUE par de la symbollique (et par de la contemplation).
Par la suite, pour faire évoluer le personnage, on pourra lui ajouter d'autres musiques jusqu'à constituer une banque sonore de ce qu'est le personnage.
... bon je parviens plus à taper au clavier comme il faut, je jète l'éponge pour ce soir.
Z'en dites quoi ?
"Donne à manger à l'âne, il te fera des pets"