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Réflexion sur le potentiel artistique du JDR

Message Publié : 07 Sep 2007, 17:31
par Frédéric
Ce texte a été écrit dans la lignée des interrogations posées dans le thread "Une nouvelle orientation pour le JDR".


Ce n'est pas le support qui fait l'art.
Je m'explique : Un livre n'est pas forcément de l'art, une musique n'est pas forcément de l'art. Idem pour un film ou une peinture.

Je suis d'accord avec toi, Nonène, quand tu dis que l'art fait déjà une bonne partie de ce que Sens veut développer dans le JDR. Maintenant, la question est : entend-t-on la même chose par "art" ?

On définit l'art par plusieurs nécessités (cf. Emmanuel Anati, préhistorien de l'art) :
l’externation (exigence de sortir de soi-même des idées, des images ou des sentiments), la communication (exigence de transmettre son savoir à un autre) et la vérification (exigence de clarifier son propre savoir).
source : http://presse.ffspeleo.fr/article.php3?id_article=257

Ce qui implique un lien émotionnel, transactionnel et intellectuel.

Le JDR peut posséder ces trois nécessités. Par vérification, on peut comprendre "positionner son travail par rapport à son époque et aux oeuvres nous ayant précédées : Par exemple Francis Bacon se proclame de la filiation de Picasso.

Ensuite, au sein des activités créatrices, on distingue l'art de l'artisanat et du divertissement par le principe "d'autonomie".
Il y a deux activités gratuites et autonomes parmi les activités humaines : l'art et le jeu.
Ce qui signifie que ces activités n'ont d'autre but qu'elles-mêmes. Bien sur, on peut être payé en tant qu'artiste. Mais ce n'est qu'une reconnaissance de la qualité de ses oeuvres qui passe par des considérations fondamentalement différentes des autres activités humaines : on ne fixe pas la valeur d'une oeuvre d'art à la préciosité des matériaux employés pour la réaliser. On ne juge pas non plus sa valeur au temps et au travail passé dessus. L'oeuvre d'art est jugée par sa simple valeur artistique immanente et par sa cohérence fond/forme.

Depuis les années 60 environ, on considère que l'art est plus le processus de création que l'oeuvre finie et nombre d'artistes ont une pratique extrêmement ludique. C'est une façon de raprocher l'art de la vie. Et en rapprochant l'art de la vie, on la rapproche du jeu.

Seulement, il ne suffit pas de jouer pour faire de l'art. Pourquoi, car il faut que ce jeu respecte les 3 nécessités d'Anati. Principalement la vérification. Car il est aisé d'envisager un jeu usant d'externation et de communication. Le cadavre exquis, si cher aux surréalistes serait un tel jeu.
La vérification est la reconnaissance de la valeur intellectuelle de l'oeuvre.

Enfin, dernier point, une oeuvre d'art est, selon Hegel "de l'infini dans du fini" (cf. le post de CXZman dans le thread "Le JDR est-il un art ?") On pourrait traduire l'infini et le fini par concept et matière.

Ainsi, si vous me dites : "Independance Day est une oeuvre d'art".
Je réponds : non, Independance Day est une oeuvre distractive à but lucrative. Elle est hétéronome et donc ce n'est pas de l'art.

SI vous me dites "Les crabouillage de mon fils sont une oeuvre d'art"
Je réponds : non, il ne vérifie pas son savoir.

SI vous me dites : "mes rêves sont une oeuvre d'art"
Je réponds : non, car il n'ont aucun encrage dans le monde matériel.

Si vous me dites : "les phrases de Ben ne sont pas de l'art"
Je réponds : si, car ils procèdent d'externation, communication et vérification. Car il s'agit d'oeuvres autonomes (faites pour elles-mêmes) et de concept dans la matière.


Maintenant, denrier truc important. AUjourd'hui on ne chercher plus à circonscrire ce qui est de l'art et ce qui n'en est pas, mais à déceler "quand il y a art" : quand le processus de création englobe les nécessités et définitions ci-dessus.

J'espère que je suis suffisamment explicite, n'hésitez pas à me demander d'étayer.


Concernant le JDR, je dirai que la seule difficulté pour pouvoir y introduire l'art, c'est que si on considère bien que c'est une partie de JDR qui constitue le JDR et non le bouquin écrit, y introduire de l'art dépend des personnes y jouant, de leurs attentes et de la façon dont elles vont jouer.

Et là, je raconte pas la complexité du truc. Néanmoins, je pense que les démarches de type GNS doivent permettre à ceux qui le voudraient réellement d'y parvenir. Cela signifie, par exemple, ne pas hésiter à sacrifier le plaisir ludique pour mettre plus de richesse dans "l'oeuvre". Pour moi, la meilleure façon de voir le potentiel artistique du JDR serait de comparer un blockbuster hollywoodien (ce à quoi s'apparentent la majorité des parties de JDR actuelles) et un film d'auteur (de Jim Jarmush, David Lynch, Lars Von Trier pour ne citer qu'eux). Si vos parties ressemblent à un film de l'un de ces auteurs, alors appelez-moi ! ;)

Donc, plutôt que Matrix, dans lequel on observe assez facilement la "corruption" hétéronome dans la nécessité de créer du spectaculaire pour attirer un maximum de public et faire un maximum d'entrée en salle, je vous propose des films à forte réflexion métaphysique comme Dead Man de Jim Jarmush, Dogville de Lars Von Trier ou Mulholland drive de David Lynch...

Ce qui rend les choses plus simple dans un film, c'est bien entendu le fait que l'oeuvre est finie. Elle est donc proposée au public sans que celui-ci ne doive lui donner sa valeur artistique.

Cependant, Orson Welles disait :
"Je veux donner aux spectateurs une ébauche de scène. Si vous leur en dites trop, ils n'y apporteront rien d'eux-mêmes. Proposez-leur juste une suggestion, et vous les ferez travailler avec vous. C'est ce qui donne son sens au théâtre : quand il devient un acte social."

C'est en effet dans les zones de flou et dans les ellipses, qu'un spectateur s'approprie un film. Je crois que le travail à faire sur le JDR pour qu'il atteingne ces sphères là relève de cette phrase de Welles.

Message Publié : 09 Sep 2007, 19:51
par Christoph
J'aime bien cette description en trois nécessités de l'art, ça me donne un outil pour mieux en parler!

L'as-tu déjà utilisé dans la conception d'un de tes jeux ou en cours de partie?

J'aurais tendance à faire la mauvaise langue et dire que au final, je m'en fous si je fais de l'art ou pas. je veux m'impliquer dans des questionnements humains et y répondre. Je veux démontrer ma maîtrise tactique. Je veux rêver un monde et ses habitants.
N'ayant pas de publique au sens classique du terme, ne m'inscrivant pas dans une communauté artistique ouvertement déclarée en tant que telle et se comportant en fonction de cela, et ne laissant pas derrière moi un artefact pour la postérité... je n'ai pas besoin de savoir si je fais de l'art ou pas.

Mais comme la théorie d'Edwards, il se peut que cette description me permette d'adopter une nouvelle vision du jeu de rôle et de raffiner ma création et ma pratique du jeu de rôle.

J'ai juste l'impression que l'art est un concept à un niveau bien plus abstrait que ce dont parle Edwards.

Message Publié : 09 Sep 2007, 20:11
par Frédéric
Mais comme la théorie d'Edwards, il se peut que cette description me permette d'adopter une nouvelle vision du jeu de rôle et de raffiner ma création et ma pratique du jeu de rôle.


C'est tout à fait ce qui m'intéresse dans ce rapprochement.
A vrai dire, j'étais frustré de ne pas pouvoir jouer des choses plus complexes en JDR que "tuer des monstres" ou "baratiner quelqu'un". Je me demandais comment faire passer certaines oeuvres cinématographiques "art et essai" en JDR.

Et bien entendu, le rapprochement que je fais avec la théorie de Ron Edwards vient simplement du fait que je sais maintenant qu'il est possible d'obtenir des choses plus humaines en JDR : par exemple, Dogs in the Vineyard est totalement bâti sur la question du péché et de la violence et met les joueur face à ces problématiques. Pour moi on est en plein dans un JDR "artistique", et cela est d'autant plus vrai que ces réflexions sont clairement imprimées dans la forme, ce qui à mon sens manque à la plupart des JDR.

Psychodrame est pour moi une tentative d'aller dans ce sens. J'ai du mal à lier méthodiquement mon travail à la définition ci-dessus, car je fonctionne beaucoup par intuition.
Pour moi, l'important est de tenter de permettre aux joueurs d'éprouver des émotions plus humaines, plus profondes, plus inhabituelles que celles que l'on a l'habitude d'expérimenter.

Pour moi, une oeuvre narrative artistique est une oeuvre qui m'apporte quelque chose, qui me dérange, me chamboule, m'interroge, ouvre mon esprit. J'avoue avoir eu très rarement l'occasion d'éprouver ce genre de choses durant des parties de JDR.

Je réduirais ma vision de l'art à ça sans aucune pédanterie ni élitisme. J'aime être surpris, j'aime être chamboulé, je veux faire des JDR qui produisent cet effet (bon, pas que, mais ça, c'est un objectif général).

Donc, je suis d'accord avec toi, Christoph, il ne faut pas prendre l'art comme un prétexte, pour moi c'est un outil, une référence.