Voici où j'en suis aujourd'hui dans mon stade de la compréhension de cette théorie de Ron Edwards (cf. The Forge pour l'origine, mais bon courage pour rafistoler les 4-5 ans de discussions :P)
A savoir que ceci ne constitue qu'un aspect de la vision d'Edwards, qui n'est actuellement plus son soucis principal.
Une traduction du premier article d'Edwards (System does matter) est consultable sur MJ-Ezine.
Surtout, ceci est-ce que moi j'en dis. Je suis le seul responsable des malentendus, mauvaises formulations, présentations brumeuses qui peuvent parsemer cette présentation (et comme elle sort plutôt brut de décoffrage ...)
Principes de base
Je suis intimement convaincu que le jeu de rôle est un loisir extrêment vaste, tellement vaste qu'il peut répondre à plusieurs désirs créatifs (conscients ou non).
Il est également de ma conviction qu'il est très vraisemblable que si un groupe ne se focalise pas sur une voie créative qu'il apparaisse des dissonances.
Finalement un jeu soutient, de par ses règles (au sens large, qui comprend donc même le background), une certaine approche au jeu. Je pense qu'il est nécessaire d'être clair, cohérent et rigoureux sur l'approche que son jeu va soutenir, pour ne pas obtenir des choses contradictoires (AD&D 2e édition qqn? Le but du jeu est de monter de niveau en tappant des monstres, mais les elfes ne pouvaient pas dépasser le niveau 15 pour des raisons de "roleplay"... euh on m'explique?)
C'est là que certains adhèrent et d'autres pas.
Pour ma part, la visée universelle à laquelle prétendent bon nombre de jeux est pure foutaise, vanité et manque de cohérence. Parfaitement.
Pourquoi est-ce que dans le JdR on accepte qu'un jeu permette de "tout faire" (c'est-à-dire toujours un peu la même chose de façon peu convaincante) alors qu'au cinéma on hue un film qui a un thématique trop légère, une photographie médiocre, etc?
Moi ça me gonfle, mais je reconnais que je viens de le décrire de façon très subjective. Donc ceux qui pensent que je suis à côté de la plaque s'arrêtent ici ou alors s'arment d'indulgence ;)
Proposition créative
Si l'on va plus loin dans cette idée, les gens de la Forge ont mis en évidence trois grandes familles d'approches créatives (mais attention, ceci ne couvre pas 9tout de ce qu'on peut rechercher dans un jeu! il y a un tas d'autres choses qui peuvent intéresser les gens: l'aspect social, le côté technique, etc.
Les trois familles de propositions créatives sont (les termes sont malheureux à mon sens, mais je ne vais pas tout réinventer et me lancer dans un débat sémantique):
Narrativisme
Le joueur participe dans le but d'exprimer des idées, des thèmes à travers son personnage et les autres éléments imaginaires du jeu. Ceci se fait en jouant, selon le contexte imaginaire du jeu au moment même où se pose un dilemme, une décision devant être prise.
Un jeu soutenant cette approche donnera aux joueurs les outils nécessaires pour s'exprimer.
Exemple:
La loyauté d'un paladin va-t-elle tenir jusqu'au bout ou va-t-il tout laisser tomber à un certain moment? Si oui pourquoi? Qu'est-ce que le joueur trouve plus intéressant?
Ludisme
Le joueur recherche le défi tactique, où ses choix judicieux quant à l'emploi des règles, du monde du jeu, etc. lui permettront de mettre son son habileté ludique. C'est à mon avis l'attitude la plus proche du jeu de plateau.
Exemple:
Le personnage est un guerrier maniant la hache, au sommet d'une colline, prêt à affronter ses ennemis en contre-bas. A côté de lui se trouve un chariot. Le joueur malin pourrait décider de précipiter le chariot sur ses adversaires pour un avantage supplémentaire avant de les finir au corps-à-corps.
Simulationnisme
(Ca c'est le plus compliqué à expliquer, tout en étant quelque part le plus familier. Je vais essayer, mais ça risque d'être branlant.)
L'idée centrale ici est de mettre au premier plan l'exploration d'un contexte imaginaire (alors que dans les deux autres c'est plutôt un moyen, certes important, mais pas une finalité).
Le joueur va faire appel à ses connaissances sur le monde, sur son personnage, sur le genre, l'ambiance, etc. pour formuler des choix cohérents, dans l'esprit du jeu. En quelques sortes, il va se restreindre dans le but de participer à la construction d'une réalité imaginaire solide et appréciable de tout le groupe.
Les joueurs se donnent le droit de rêver collectivement selon une entente plus ou moins bonne.
Je n'arrive pas à donner d'exemple concret, mais c'est en général de ça que parlent la plupart des gens qui font du jdr.
Mon exemple du Ludisme est problématique. En effet, il est impossible de décider à un niveau ponctuel quelle est vraiment la proposition créative d'un groupe (pour autant que celle-ci soit unie). De telles décisions tactiques ont lieu dans toutes les parties.
Ces trois familles se repèrent véritablement à plus grande échelle. En général, on le voit assez bien lors de la phase de "récompense". J'aime pas utiliser ce mot, mais bon.
AD&D hardcore donne de l'xp aux joueurs qui ont bien négocié les défis tactiques. Par ce geste, on montre que c'est ça l'aspect important et les joueurs vont être incités à jouer dans ce sens (si tout se passe bien, c'est eux qui l'ont voulu ainsi bien sûr). Ou encore, un joueur qui réussit un bon coup sera félicité (récompense au niveau "social"), ce qui est toujours une motivation.
Mes règles alternatives pour Larmes de Rouille permettent (moyennant quelques conditions) au joueur de poser la situation initiale d'une nouvelle scène (grande liberté de lieu, de temps, de pnj en présence, etc.) pour bien mettre en avant l'éveil empathique de son robot. (C'est le but même du jeu et je tente de donner aux joueurs des moyens pour exprimer leur idée de comment cet éveil se ferait).
Pour le simulationnisme, c'est assez délicat. Je crois que cela se passe beaucoup au niveau des joueurs, qui apprécient quand ils arrivent à un partage idéal de la vision de ce que devrait être leur partie. Je peine à mieux identifier le cycle de récompense (d'ailleurs, c'est un point faible de la théorie GNS).
Ne pas oublier que ces familles caractérisent des séquences de jeu, et pas vraiment ceux qui y participent (bien que chacun peut avoir des préférences).
Il existe des groupes pour lesquels l'on passe allégrement de l'un à l'autre, ou encore où l'on arrive pas vraiment à distinguer de proposition créative précise. Si ça se passe bien, pas de problème, ces familles ne seront pas vraiment d'une grande utilité.
Et bien sûr il existe des groupes où règnent la mésentente. Là, si ce n'est pas un problème entre les joueurs, il y a peut-être moyen de redresser le tir en identifiant une approche qui plairait à tous. Peut-être pas.
Interactions avec les autres aspects du jeu
D'après mon expérience, ce qui semble embêter les gens, c'est que les adhérents de la théorie GNS proposent que ces trois propositions créatives ont un fort risque d'avoir des interférence destructives.
Voici un exemple caricaturé où l'on pourrait assister à un conflit:
L'on joue dans l'univers de Star Wars. Michel joue un Jedi tout ce qu'il y a de plus classique et tente au mieux de rendre l'esprit de l'univers. Il connaît parfaitement le code de l'honneur de l'ordre de son perso, etc.
Gérard joue une jeune rébelle animée d'une haine féroce envers un Sith qu'elle désir faire souffrir dans atrocement avant de le tuer.
Michel a une préférence pour les approches rigoureuses et cohérentes. Selon l'univers de Star Wars, il est particulièrement approprié que ce soit son personnage qui confronte et anéantisse le Sith. D'ailleus, c'est le seul qui a l'habileté requise pour espérer atteindre ce but.
Gérard s'en fiche de la cohérence de l'univers de Star Wars. Ce qu'il veut montrer, c'est qu'une personne animée d'une haine passionnée peut se dépasser au-delà de tout ce que l'on pourrait imaginer. Dans son optique, il est crucial que ce soit son personnage qui anéantisse le Jedi.
Ici, on a deux prétentions basées sur des raisonnements et des aspirations bien différentes. Ca peut devenir chaud.
Maintenant, prenons un système de jeu à la SaWo et rendons les choses crédibles. Le Jedi aurait des caracs et des compétences vastement supérieures à la jeune rebelle, et similaires au Sith. Les probabilités sont donc grandes que ce soit lui qui vainque du Sith.
Prenons le système de The Pool. Il suffit que Gérard obtienne un malheureux 1 parmis ses dés avec l'intention "d'anéantir le jedi" pour que cela s'accomplisse. Il utilisera pour cela son trait "vengeance contre le Sith", misera un maximum de dés de sa réserve et obtiendra certainement une probabilité semblable à celui du Jedi qui ferait la même action avec le trait "maîtrise du sabre laser".
Pis encore, le MJ peut octroyer comme bon lui semble entre 1 et 3 dés à une action. S'il veut voir la rebelle réussir son coup, hop, 3 dés. S'il n'a pas trop envie de voir le Jedi y parvenir, ben il se contentera du dé obligatoire.
Bien sûr, ces exemples sont simplifiés à outrance. Néanmoins, sur une partie entière, ce genre de choix qui sous-tend toute la séance se fera sentir.
Et j'espère avoir montré du coup en quoi le système est important donner de la crédibilité à une certaine approche.
Ce qui est important c'est l'effet du système, pas son utilisation. On peut avoir des systèmes simulationnistes assez simples, sans dés. On peut avoir des systèmes narrativistes très fouillés, pleins de subtilités, mélangeant une idée de pari et de lancer de dé pour résoudre une action.
A priori, un mécanisme n'a d'affiliation à aucune des trois familles.
Ce qu'il ne faut pas confondre c'est le fait d'apprécier certains mécanismes de jeu et la proposition créative.