J'avais envie d'écrire un rapport de partie concernant ce sujet particulier :
Mes potes de JDR me considèrent comme un gros sadique pervers du fait que nos interrogatoires tournent souvent à des expériences de torture assez "imaginatives" dirons nous...
Je vous décris la situation :
Un membre d'un gang que nous avons capturé et confondu est enfermé dans une belle salle de torture avec des instruments gentiment préparés par le geôlier (déjà, le MJ me tend le bâton pour se faire battre).
On commence l'interrogatoire doucement : "alors, qui est à l'origine de ce kidnapping ? Pour qui bosses-tu ?" etc.
Le prisonnier se fout de nous, nous crache à la figure etc.
Alors mon personnage étant un colosse de la campagne, un peu rustre parfois, lui envoie des coups de poing bien sentis.
Le prisonnier de répondre : Vous pourrez faire ce que vous voudrez, je ne parlerai pas...
Donc, je suis passé au tisonnier, j'ai contemplé avec une certaine emphase les différents instruments... mais j'ai été stoppé après mes impulsions de placer un tisonier chauffé au rouge entre les orteils et celui d'arracher les ongles de sa main... par les autres joueurs, trouvant cela abject et inutile.
Inutile, ça l'était en effet. Mais je pense qu'après que les tentatives d'extorcation d'information en douceur fussent balayées d'une ou deux répliques du MJ, j'ai déployé mon imagination dans ce qui me semblait efficace de façon crédible. Pour ma défense, si j'avais pensé que la discussion pouvait aboutir, je ne me serais jamais tourné vers les tisonniers. Mais quand j'ai compris que les tisonniers ne servaient pas plus, j'ai abandonné l'idée d'obtenir quelque chose des PNJs interrogés.
J'ai même lu sur un forum un MJ qui disait que l'une de ses (mauvaises ?) habitudes en tant que MJ, c'était que ses PNJ ne parlaient jamais durant les interrogatoires. En discutant avec mon frangin, il m'a raconté qu'un de ses potes MJ se débrouillait toujours pour suicider ses PNJ avant qu'ils ne parlent "trop"...
Quelle est donc cette malédiction des joueurs qui fait qu'ils ne parviennent jamais à obtenir d'informations ? Objectivement, quelques coups de poing devraient faire parler un homme lambda vous ne pensez pas ? Après, pour un James Bond super entraîné, je ne dis pas...
L'interrogatoire a tourné au chantage, car le prisonnier étant dépendant à une puissante et terrible drogue, on a trouvé ce moyen pour le faire parler lui promettre de lui en donner s'il nous contentait. On a donc résolu le conflit de façon tactique, comme pour forcer une porte blindée.
Bien entendu, à cause d'une malédiction liée à son gang, le prisonnier est mort dans d'atroces souffrances après nous en avoir dit un peu (grâce à la drogue) mais pas trop (manquerait plus qu'il nous dise des choses importantes).
Le problème évident à mes yeux, c'est que le système de résolution de cette scène était entièrement dévolu à l'arbitraire du MJ :
Je juge que les joueurs ont de bonnes idées, je tend à leur donner accès aux informations ; ils merdent, je bloque cet accès.
Sauf que :
1- Il n'y a aucune transparence dans cette façon de fonctionner, donc nous ne savons à aucun moment quel est l'avancement du conflit. Ce qui fait que le MJ peut nous mener autant en bateau qu'il veut et que quand on commence à avoir des doutes sur l'impact de nos actions et décisions sur la fiction, on en arrive à être frustrés.
2- L'avancement du conflit n'étant pas mécanique, mais soumis à un jugement global, je pourrai mutiler de façon ignoble un homme lambda pendant des heures, qu'il pourrait ne pas nous révéler ce qu'il sait, si le MJ juge qu'on ne lui a pas donné ce qu'il attendait.
Or, je pense qu'il y a un truc indispensable en JDR, c'est l'effet de simulation que l'on obtient lorsque les enjeux des personnages se rapportent à des enjeux pour les joueurs :
Par exemple :
- Enjeu du personnage : potentialité de mort
- Enjeu du joueur : risque de perdre son personnage, de ne plus pouvoir jouer avec.
Ca marche plutôt bien, c'est comme un personnage de série, s'il meurt, il se perd et on le perd. C'est presque de l'échelle 1/1.
C'est systémique, si le joueur n'a pas la sanction de perdre quelque chose lorsque le personnage en perd une, alors il ne pourra pas considérer d'enjeu autour de cela.
Et c'est ce qui fait défaut à la gestion des conflits sociaux par le roleplay :
Les enjeux de mon personnage ne me seront jamais accessibles (sauf bien sur pour ce qui à trait immédiatement à l'intrigue de la partie).
Par exemple, on peut torturer mon personnage autant qu'on veut, si ses points de vie ou si sa volonté (ou santé mentale) ne sont pas affectés par cette torture, quelle raison ais-je de céder à la torture ?
Pareil, si l'on essaye de me persuader de quelque chose, bien que pour mon personnage de fiction, la persuasion pourrait fonctionner en regard de tout ce qui psychologiquement est plus ou moins conscient, c'est impossible que cela m'affecte en tant que joueur.
Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas d'enjeu pour le joueur ! Ses propres mécanismes psychologiques ne sont pas impliqués dans l'échange fictionnel. Il ne risque pas de se prendre la honte ou d'être discrédité, ou de fondre en larmes, car généralement, son seul enjeu est de "gagner" l'échange.
Et là je vous renvoie à ce rapport de partie :
Entre joueur et personnage
Le joueur J tente de nous convaincre qu'il est normal et n'a rien fait de mal, mais les autres joueurs ont des indices leur laissant penser le contraire. Quid du sentiment d'amitié ? De la confiance que les personnages ont instauré entre eux et qui n'est pas censée se déliter en deux minutes après des mois de compagnonnage ? Le conflit aurait pu durer des heures et des jours sans qu'aucun d'entre nous ne cède.
D'où des comportements souvent inhumains.
Avez-vous déjà tenté de créer une histoire d'amour entre deux personnages (PNJ et PJ) rien que par du roleplay ? il arrive souvent que le joueur n'en ait rien à faire (sauf s'il est à l'origine de l'histoire d'amour) et que la séduction ne soit qu'un échange formel.
Bien sur, le "bon joueur" et le "bon MJ" devraient prendre en compte tout ce qui devrait pouvoir influencer ou faire changer d'avis. Mais comment juger de cela sur des données fictionnelles "froides" ?
Comment décider - pour le MJ - que réciter la bible émeuvra tel personnage et pas tel autre ? (Sans tomber dans un choix préalable hyperscénarisé d'une unique solution pour parvenir à faire parler tel PNJ).
Comment savoir que telle réplique qui paraît maladroite ne toucherait pas quelqu'un en réalité ?
Ce jugement ne peut se faire efficacement sans une mécanique de sanction et de récompense. Il faut créer chez le joueur un enjeu ludique qui s'accorde avec l'enjeu fictionnel qui anime son personnage.
- Cela ne veut pas dire qu'il faille s'en remettre à un jet de dés.
- Cela ne veut pas dire non plus qu'il ne faut pas de roleplay, bien au contraire.
Je pense que l'idéal est d'articuler les choix d'arguments, de narration, l'intensité du roleplay et la potentialité de réussite ou d'échec.
Bien entendu, cela ne tient que si vous voulez que vos parties donnent une place de qualité aux échanges sociaux.
Qu'en pensez-vous ?