La discussion est partie de la très controversée partie de Sens mort que Romaric a fait jouer chez Christoph. Mon personnage avait quelque peu cassé la partie. Vous trouverez le détail de ce rapport de partie et mes réflexions ici : viewtopic.php?f=26&t=1899&start=15
Je ne veux pas entrer ici dans le détail des critiques que j'ai formulé concernant le système d'immersion de Sens. Ce débat doit être fait dans le forum privé de ce jeu. Par contre, j'aimerais lancer la question de manière plus générale ici.
Pour commencer, voici quelques morceaux choisis de la discussion et rapport de partie du forum de Sens :
Finalement, c'est l'essence même de ton jeu qui a été problématique : l'immersion à tout prix. Cette immersion, du moins comme tu l'entends, interdit le jeu HJ et les digressions. Mais pour moi, cet aspect est essentiel dans un jeu, ça permet deux choses :
- Créer un lien avec les autres joueurs (MJ compris), trouver la cohésion du groupe et le contrat social qui permet la création de groupe.
- Prendre du plaisir en utilisant l'humour et intégrant ma propre fantaisie sans que ça est un impact sur le récit.
Tu étais enfermé dans tes critères d'immersion. La preuve est que tu n'as pas trouvé d'autre idée que de me remettre à l'ordre EJ. Pour ma part, j'étais coupé du lien HJ avec les autres joueurs pour touver le contrat social nécessaire pour moi pour comprendre les envies des autres. Au début de la partie, j'avais un peu digressé HJ et je l'ai payé cash en points d'immersion. Ma réaction a donc été, si on m'interdit de digresser et céconner HJ, le seul moyen que j'ai est de le faire EJ. C'est ton système qui m'a poussé à faire ce que j'ai fait.
Pour te prendre un exemple, à ma dernière partie de JdR (Innomable, les chèvres diaboliques), j'avais tout autant l'impression d'être immergé (peut-être même plus) que dans la partie de la baleine céleste. Pourtant, il y avait de nombreuses digressions et autre. Le récit en lui-même est resté très sérieux avec des problématiques intéressantes sur la Suisse et son identité. Les digressions servent à trouver une cohérence sociale dans la création du récit. L'immersion dans le JdR n'est pas uniquement le récit en lui-même mais également dans toute l'ambiance qu'il y a autour. L'immersion c'est aussi le lien social HJ qui se crée.
Exemple : Christoph raconte qu'une chèvre mange le drapeau suisse d'un autre PJ. Je dis en rigolant : "ça doit être la chèvre de l'UDC (partie nationaliste suisse qui avaient pour les dernières élections pour mascotte une chèvre)". Aucune réaction des autres joueurs... je comprends donc que soit ils n'ont pas les mêmes références soit cet utilisation de ce symbole ne correspond pas à leurs envies. J'en apprends donc plus sur les envies ou le cadre de références que je peux utiliser dans le jeu.
Les "digressions" (selon ton point de vue que j'ai décelé lors de la baleine astrale, j'avais été sanctionné plusieurs fois en pts d'immersion pour ce genre de remarques) dans le jeu ont été nombreuses mais pour moi ça participe à l'immersion tout autant.
J'en suis arrivé à poser la question suivante à Romaric :
Est-ce que être immergé dans le jeu signifie être immergé dans le récit ?
Vous aurez compris que pour moi la réponse est "non".
En réalité, je ne me suis jamais posé la question de l'immersion avant d'avoir été lancé sur ce sujet sur le forum de Sens. Mais dans Sens, l'immersion est le moteur même du jeu. C'est incontournable et ça m'a poussé à réfléchir à la question. Je vais donc poursuivre ici dans ma lancée avec d'autres rapports de partie.
Jusqu'à présent, vous avez des récits d'expérience de 2 jeux : Sens et Innomable. Je vais compléter avec d'autres expériences dans des jeux d'auteurs du forum (Psychodrame et Romance érotique) et des jeux plus classics (Agone et DD). Il y aura également d'autres jeux indies (S/Lay w/Me de Ron Edwards et Zombie cinéma)
Il y aura des exemples où je suis MJ, d'autres où je suis joueur ; parfois l'Immersion est réussie, d'autres fois non.
Pour moi, l'immersion est une sorte de bulle. Quelques chose d'indéfinissable et qui est propre à chaque partie, une création que crée les joueurs afin de pouvoir jouer, créer un récit. C'est quelque chose de magique. Peut-être qu'il y a 3 types de bulles d'Immersion (LNS) mais ce n'est pas ici la question.
Pour prendre le genre de bulles d'Immersion les plus simples, pour commencer, je vais prendre l'exemple de parties à 2.
Tout d'abord, une fameuse partie de Psychodrame avec Christoph. (Vous avez un rapport de partie complet ici : viewtopic.php?f=3&t=1579&hilit=psychodrame)
Que s'est il passé, pour moi, cette partie était un exemple d'Immersion. J'étais à fond dans le récit et dans le personnage. Tous deux étaient très sérieux : je jouais une sorte de grain de fasciste et le récit portait sur un sujet assez sérieux sur la résistance.
Par contre hors-jeu, Christoph et moi n'arrêtions pas de digresser et de rire sur notre création : un SS qui revient tout le temps parce que dans les téléfilms français, il est difficile de trouver un acteur allemand qui sache bien le français, ça a été une franche rigolade. Par contre, nous n'étions plus totalement dans le récit ou dans la peau de notre personnage dans ces moments-là. Je me demande si de l'extérieur on aurait pu remarquer que nous jouions un Drame : une ambiance détendue voir frivole HJ, une ambiance tendue et dramatique dans le récit.
Comment est-ce possible ? Et bien pour moi, c'est assez simple. L'immersion ne se mesure pas dans l'immersion dans le récit mais dans l'immersion dans le jeu. Et le jeu comprends le HJ.
Autre exemple, toujours avec Christoph, Une partie de S/Lay w/Me (c'est un jeu à deux qui permet de vivre des aventures à la Conan). Là aussi, plein de digressions HJ, j'ai sorti mes bouquins de Conan (on jouait chez moi) et je lui ai expliqué certaines choses que j'avais bien aimé et je lui ai montré les illustrations de femmes à poil.
Bien entendu, cette partie n'était pas hautement dramatique comme ci-dessus mais les digressions sont évidente et n'ont en aucun cas posé problème dans l'immersion. J'ai vraiment vécu des aventures durant cet après-midi.
Je pense également que ces digressions ont apporté beaucoup au récit montrant à Christoph ce que j'attendais des récits. Mais croyez moi, ce n'était en aucun cas volontaire de ma part, je voulais parler de Conan et ce que j'avais lu... en aucun cas des parties de S/Lay w/Me.
Pour sortir un peu de ces jeux dont l'immersion ne devait pas poser de problème, je vais parler d'un autre jeu qui se joue également à deux et où l'immersion est loin d'être un acquis : Romance érotique.
Alors s'il y a un jeu qui sort souvent des rails du récis, c'est bien lui. A quasiment toutes les parties avec ma copine, il y a un moment où les caresses éclipsent totalement le récit : gages qui vont un peu plus loin qu'autorisé ou baisers langoureux. Et puis tout à coup, le gage se termine, on retourne dans le récit, on se remémore où on en était et on continue quasiment comme si rien ne s'était passé. Mais je dis bien quasiment car le récit en lui même change, il gagne en érotisme et en intensité car la tension s'est renforcée.
Bien entendu, ça ne fonctionne pas toujours et je vais vous donner un autre exemple d'une partie de Romance érotique où l'immersion a volé en éclat. Ma copine n'avait pas vraiment envie de jouer à Romance érotique, elle voulait se passer du JdR pour passer à l'acte. Alors tout de suite, c'est partie dans le non-respect des limites des règles (gages non-respectés), elle faisait le maximum pour que le récit soit court (éviter les détails). Elle m'a même persuadé de sauter la deuxième partie du jeu. Au début de la partie, l'immersion était présente (même si c'était pas très intense) mais tout à coup, la bulle d'immersion a explosé : c'était plus possible de jouer. J'ai tiré le jeu jusqu'au bout malgré tout, car le jeu était encore en test, mais c'était ridicule.
Il est évident que l'immersion est plus facile dans une partie à deux car dès qu'une dynamique est instauré entre les joueurs, il n'y a jamais personne qui peut être mise de côté. Passons alors à des parties avec plus de deux joueurs.
Autre exemple où l'immersion à foiré, c'était assez récurent à l'époque quand on jouait à Donjon et Dragon. Christoph était MJ et je jouais en prêtre barbare. En principe en début de partie, j'étais assez bien immergé et je prenais mon pied. Mais arrivait forcément le moment où deux joueurs de la table digressaient. Soit sur la vitesse d'une flèche quand le vent vient de face, soit sur un échange de connaissance approfondi sur les plans de l'univers dans lequel on jouait. Bien que ces digressions HJ restaient en lien avec la partie, elle détruisaient l'immersion et par la même occasion le jeu. J'ai été dégouté de DD en partie pour ça.
Dans ce cas-là, le fait que quelqu'un brise l'immersion à détruit le jeu
Mais il arrive que le fait que quelqu'un brise l'immersion sans faire capoter la partie. Je vais prendre l'exemple de ma dernière partie d'Agone en temps que joueur. Je crois que dès le début de la partie, je n'ai pas réussit à m'immerger (d'autres préoccupations, cadre rigide du jeu, connaissance très très poussé du BG). Au début, je faisais réellement des efforts pour rester dans la partie. J'ai fait des poèmes pour donner du relief à mes sorts, je jouais mon personnage. C'était complètement une façade... en réalité dans ma tête j'étais complètement hors de l'immersion. Je pensais à autre chose, écoutais d'une oreille... En un mot, je jouais (théâtralement) mon immersion. Mais au bout d'un moment, j'ai profité du fait que mon personnage avaient choisi une voie différente des autres joueurs pour me tirer. J'ai justifié de manière RP, pourquoi je n'étais pas obligé de rester à la table et je me suis tiré ("Si ça bouge de mon côté, appelez moi"). Les joueurs restant ont continués à jouer tout en restant immergé et ils ont eu beaucoup de plaisir.
Je vais rebondir sur Agone pour raconter cette fois-ci une partie particulière où l'immersion était réussie. C'était une partie à Carcassonne d'un scénario que je jouais pour la 2ème fois en 4 jours et il y aura une 3ème fois. (J'ai fais un rapport sur ces 3 parties ici : viewtopic.php?f=19&t=1775&hilit=Carcassonne)
Cette partie s'est déroulé avec une spécificité notoire : il y avait une spectatrice. Elle avait déjà joué le scénario 2 jours avant. Au début ça m'a perturbé (je ne voyais pas l'intérêt d'être spectateur en JdR) et j'avais peur que cela casse l'ambiance (l'immersion ?). En réalité, la spectatrice a réussi à entrer dans la bulle d'immersion de la partie. J'ai souvent digresser ouvertement avec elle sur les différences entre la partie présente et précédente. Elle riait beaucoup autour de la table et réagissait "physiquement" (en opposition avec "oralement") à toutes les décisions des joueurs. Elle parlait aussi avec les joueurs en leur disant ce qu'elle trouvait sympa et différent par rapport à la partie précédente. Bien entendu, elle n'avait aucune influence directe sur le récit mais je suis persuadé qu'elle a eu une influence importante sur l'immersion globale des joueurs.
Je vais terminer cette longue liste d'exemples par mon expérience de JdR formatif en classe, en l'occurrence Zombie Cinéma. Je ne jouais pas, mais c'est l'avis d'une personne extérieure à la bulle d'immersion. Quand j'ai fait la première séance de JdR formatif (rapport de partie ici : viewtopic.php?f=3&t=19109, je pouvais remarquer quand le jeu démarrait vraiment en remarquant cette bulle si particulière. Les joueurs jouaient vraiment lorsque cette bulle a pu se créer. Je n'ai rien de concret pour étoffer cette constatation mais plus je réfléchis plus j'ai l'impression que cette bulle est une réalité physique. Des remarques du genre : "M., pourquoi vous venez, on joue." me font penser que l'immersion est au coeur de tout JdR. Ce n'est pas une réalité que l'on définit mais c'est une réalité qui se construit en groupe tout comme le récit. C'est fait de HJ, de EJ, de sérieux, de rigolade.
Finalement, n'est-ce pas cette immersion qui rend le JdR si opaque vu de l'extérieur ? Le récit du JdR en temps que tel (je ne parle pas de réécriture sous forme de rapport de partie ou autre) n'existe et n'a de sens que pour la bulle d'immersion qui l'entoure et pour les joueurs qui l'ont créé et qui y restent. C'est à cette frontière quasiment physique auquel on se confronte lorsque l'on essaye d'assister à une partie de JdR de manière extérieure. C'est pour ça qu'il est difficile de savoir ce qu'est le JdR sans y avoir joué.
Je ne vais pas prolonger (même si j'en ai envie) sur des exemples de Prosopopée qui intègre clairement avec ses DR (qu'est d'autre que la récompense d'avoir favorisé l'immersion des autres joueurs ?) de manière démocratique.
Il y a donc du HJ qui crée l'immersion mais il y a aussi du HJ (voir même du EJ si l'on reprend ma partie de Sens mort et la deuxième partie de Romance érotique) qui tue l'immersion. De quoi cela peut-il dépendre ? Pour moi, c'est assez clair, ça dépend des limites de la bulle d'Immersion qui est elle-même définie par l'ensemble des joueurs confondus (MJ, joueurs, spectateur ou autre). Sans oublier une part importante liée aux parasitages (j'en parle longuement ici : viewtopic.php?f=3&t=1832&hilit=parasitage)
L'immersion touche beaucoup de domaines mis à part la réflexion sur le parasitage (qui à mon avis, s'il est domestiqué, peut servir l'immersion comme à Romance érotique mais peut clairement poser problème s'il n'est pas pris en compte) :
- Il y a le LNS (qui est également créé par le groupe par décision non volontaire)
- Il y a la motivation (qui peut favoriser l'immersion mais qui n'est pas l'arme absolue car il est possible de "jouer" l'immersion sans y adhérer. cf. ma dernière partie d'Agone. J'en parle plus longuement ici : viewtopic.php?f=27&t=1851)
Après longue réflexion, je me rends compte que j'ai écris un pavé. Je vais donc m'arrêter ici en expliquant ce que j'attends de vous, 2 solutions :
- Vous pouvez donner votre avis et débattre librement mais uniquement en se basant sur une (ou plusieurs) propre expérience de partie (pas besoin qu'il soit long).
- Vous pouvez réagir, poser des questions en vous basant sur l'un des rapports de partie que j'ai donné.
J'aimerais bien connaitre l'avis de Romaric sur le sujet.