Bonjour, j'ouvre ce sujet comme il me l'a été demandé sur le topic de DitV pour parler de la double-maîtrise. Le compte-rendu que je vous propose se déroule dans l'univers de Vampire : le Requiem, plus précisément dans le dark age de la gamme qui se passe à Rome pendant l'antiquité.
But : faire une campagne politique, faire en sorte que l'immersion des joueurs soit maximale, utiliser les techniques de double-maîtrise pour y parvenir.
Contrat social : tous les joueurs ont été prévenus que la campagne serait pimentée en trahison et que leur personnage pouvait mourir à tout moment ; pour contre-balancer, création de "Maison", si le personnage meurt, un autre personnage de la Maison le remplace.
Structures : 2 MJ, 6 joueurs répartis en 2 groupe de 3 PJ par partie. Une séance pour chaque groupe par semaine (donc 2 séances pour les MJ par semaine) en plus des parties d'introduction solo. Deux séances regroupant tous les joueurs pendant la campagne (une au milieu, une à la fin). La campagne s'étale sur 7 parties par joueurs + 1 partie d'introduction solo.
Interludes : entre chaque partie, les joueurs peuvent agir en interlude. La plupart des manigances et des préparations des trahisons se sont faites en interlude.
Constructions de l'histoire : construction sur deux arcs principaux, un sur le soulèvement de la plèbe (conflits sociaux) durant les premières heures de la République romaine et un autre sur les origines de Rome avec un anneau recherché par la plupart des PJ. A ces deux arcs primaires, plusieurs arcs secondaires s'entremêlaient et pour finir, pour chaque groupe, une partie one-shot pendant la campagne pour faire baisser la pression.
Bilan : au terme de cette campagne, les joueurs se sont vraiment pris au jeu, à tel point que s'en est devenu même trop envahissant pour certains d'entre eux. Le fait qu'ils soient répartis en groupe de 3 joueurs et que ces groupes changeaient d'une partie sur l'autre a atténué l'effet "club des 5". Les interludes ont permis aux joueurs de jouer secrètement accentuant le chacun pour soi. Deux joueurs ont trouvé la mort durant la campagne, parmi eux, un brillant Général ayant réussi à renverser la République et jetant les bases d'un ordre nouveau.
Les joueurs se sont affrontés ce qui a contribué fortement à l'effet d'immersion. Ils ont pleinement ressenti ce que leur personnage ressentait.
Au niveau de la double-maîtrise : je commence par enfoncer des portes ouvertes, avoir deux MJ permet de gérer des campagnes plus importantes. Je n'aurai pas pu faire cette campagne à moi tout seul. Lors de la conception, parler avec une autre personne permet d'avoir des idées très riches. Avec un rythme de deux parties par semaine, avoir deux MJ permet de se répartir le travail en deux, donc une charge moindre. En jeu, la double-maîtrise permet de souffler aussi et de se reposer sur quelqu'un d'autre.
J'en viens maintenant aux techniques ; elles découlent de la préparation. Préparer sa partie permettra aux deux MJ d'être coordonnés. C'est cette coordination qui va durablement impacter le joueur. Il s'agira d'écrire un peu comme au théâtre et de se mettre en scène.
_ phase de description : les MJ en jeu peuvent décrire un lieu/objet/situation/etc en alternant la parole un paragraphe sur deux au moyen d'un code couleur (rouge pour toi, bleu pour moi). Ca rend les descriptions moins monolithique et l'exposé plus vivant.
_ phase de PNJ : un des MJ va jouer le PNJ tandis que l'autre MJ va s'occuper de courtes phrases de descriptions ou de didascalies, toujours au moyen d'un code couleur. Avec ce procédé, les PNJ deviennent plus vivants.
Voici l'exemple d'une scène qui a marqué mes joueurs. Le PNJ qu'ils rencontrent peut lire et s'exprimer à travers les pensées. Pendant cette scène, je me suis déplacé derrière eux tandis que l'autre MJ restait devant. Lorsque je devais parler, je le faisais en chuchotant pour donner l'impression que le PNJ s'adressait à eux par télépathie.
En rouge c'est le MJ face à eux à voix haute, en bleu c'est moi en chuchotant, en vert c'est nous deux en même temps (chuchoté et parlé) et en noir c'est moi à voix haute (pour la description).
"Tout d'abord, avant toute réponse, laissez-moi me présenter, je suis Tiberius Tacitus de la gens des Marcii. Les gens qui me connaissent savent que je n'aime pas trop parler de moi. Pourtant, face à des Sénateurs si illustre, je me dois d'être clair.
Des images d'une Rome très ancienne vous parviennent alors qu'il se met à vous parler. Le Forum Romanum n'est pas encore construit et sert encore de cimetière. Ma filiation remonte à l'époque de Ancus Marcus, quatrième Roi de Rome et à un siècle de prospérité exemplaire. Un Sabin, tout comme moi. Et pourtant, malgré les apports de ma famille à Rome, les portes de la magistrature me restent fermées ... Ma puissance n'est pas à redémontrer, ni celles de certains de mes amis par rapport à certains miséreux que vous abritez encore au Sénex. Il est des Patriciens si désargentés qu'ils pourraient être des Plébéiens ... et inversement. Cette situation est horripilante et votre groupe et vous, nous faites beaucoup de tort."
Ce passage a considérablement marquer les esprits. Les joueurs y étaient et ressentaient que leurs cerveaux étaient triturés par le PNJ. Ces techniques d'alternance de parole, quand elles sont bien préparées contribuent à immerger les joueurs.
En fin de campagne, les buts ont été pleinement accomplis et la double-maîtrise est allée au delà de ce que j'espérai. J'ai rempilé pour une deuxième campagne (trois morts dans des conflits politiques). L'inconvénient évident et la grande demande en préparation. Néanmoins, elle vaut le coup quand on voit la tête des joueurs se décomposer en face de nous, et penser qu'ils sont pleinement entrés dans le jeu.
J'espère vous avoir donné envie de tester au moins une fois ces techniques, juste pour voir le rendu qu'elles peuvent donner.