Mais au juste, quand est-ce que le verbe fut?
Publié : 16 Mars 2008, 19:13
Lors de mon séjour en Finlande, Eero nous a proposé un jeu qui serait adapté au fait que nous jouerions tous dans une langue étrangère: Primitive, jeu préhistorique où une des règles fondamentales est que les personnages n'ont pas encore découvert la parole. On s'exprime donc par grognements et en montrant des objets du doigt (que l'on dessine au fur et à mesure de la partie).
L'idée fondamentale pour que ceci marche, c'est que les joueurs adoptent une posture d'acteur en évitant le plus possible les discussions entre joueurs. En effet, il serait autrement possible de communiquer en dehors du personnage, ce qui réduit beaucoup l'intérêt de l'expérience d'une société pré-verbale.
De ce fait, nous jouions avec un système de résolution de tâches. C'est-à-dire que nous lancions des dés pour un peu tout et n'importe quoi, juste pour voir si l'action réussissait et sans informer sur la portée que visait notre acte. On est aux antipodes des enjeux de Dogs in the Vineyard et même de la négociation façon Polaris.
Ainsi, au fur et à mesure nous voyions ce qui était possible dans ce monde.
Nous jouions des membres d'une tribu qui avait découvert la construction de "bateaux" (attention, technologie primitive) et au fur et à mesure de la partie, nous avons inventé des radeaux plus sophistiqués.
Cette évolution du monde fictif se basait sur deux facteurs: les jets de dés, qui nous apprenaient ce dont étaient capables nos personnages, et la communication entre joueurs via notre jeu d'acteur (absolument hilarant, bien que frustrant pour moi à la longue).
Nous avons également rencontré une tribu étrangère qui désirait enterrer son chef mort sur notre île (notre tribu était la gardienne d'un cimetière néandertal se situant justement sur cette île). Beaucoup de gesticulations, de cris et de pointages de doigts pour se faire comprendre (bien sûr, c'était souvent fortement modulé par la conception qu'Eero avait de ses PNJ, mais parfois nous étions pas foutus de nous comprendre entre joueurs alors que Julien, Jérôme et moi sommes amis depuis plus de 10 ans).
Ceci a donc donné un rythme assez lent à la partie: pas question de lancer un dé pour savoir si "je réussis à me faire comprendre par l'étrangère", chaque information y passait à coup de dé, établissant de même de manière très détaillée les connaissances des personnages et les possibilités offertes par le monde de jeu.
J'ai vraiment eu l'impression de découvrir le monde d'une manière très intime, fine et pragmatique. C'était intéressant.
En revanche, je ne crois pas un seul moment à la prémisse: avec notre intelligence (c'est une règle du jeu que de considérer une intelligence équivalente entre homme des cavernes et homme moderne) il est impossible de ne pas avoir de langue.
L'homme est suffisamment malin pour associer un son particulier à un objet, voire à une action, surtout si on insiste lourdement. Même un chien peut comprendre quelques "mots".
D'ailleurs, après ce qui équivalait à une journée dans la fiction, nos personnages avaient déjà établi une dizaine de "signes" (mélange entre geste et cris) pour coder des éléments importants de leur environnement. Or je ne vois pas en quoi ce jour était plus spécial qu'un autre et cela signifierait donc que notre tribu était sensé disposer d'un vocabulaire de plusieurs milliers de mots (le chef/chamane joué par Julien ayant la soixantaine).
Ce que je trouverais intéressant en revanche, c'est de pouvoir dépenser une ressource pour établir qu'en fait la tribu avait déjà un mot pour un certain objet depuis longtemps en évoquant un souvenir spécifique. Ce qui deviendrait pour moi l'élément central dans un tel jeu, ce ne serait pas de découvrir comment ça fait de vivre sans langue, mais comment une langue peut naître en fonction de l'environnement et de l'histoire d'une tribu.
Bref, tout cela pour dire que je crois bien avoir participé à une démarche dont Romaric me semble être un grand fan: l'exploration de la logique à travers les mondes fictifs.
Frédéric, ceci est donc la partie dont il me semble qu'on pourrait tirer quelques vagues enseignements pour ton récent projet.
L'idée fondamentale pour que ceci marche, c'est que les joueurs adoptent une posture d'acteur en évitant le plus possible les discussions entre joueurs. En effet, il serait autrement possible de communiquer en dehors du personnage, ce qui réduit beaucoup l'intérêt de l'expérience d'une société pré-verbale.
De ce fait, nous jouions avec un système de résolution de tâches. C'est-à-dire que nous lancions des dés pour un peu tout et n'importe quoi, juste pour voir si l'action réussissait et sans informer sur la portée que visait notre acte. On est aux antipodes des enjeux de Dogs in the Vineyard et même de la négociation façon Polaris.
Ainsi, au fur et à mesure nous voyions ce qui était possible dans ce monde.
Nous jouions des membres d'une tribu qui avait découvert la construction de "bateaux" (attention, technologie primitive) et au fur et à mesure de la partie, nous avons inventé des radeaux plus sophistiqués.
Cette évolution du monde fictif se basait sur deux facteurs: les jets de dés, qui nous apprenaient ce dont étaient capables nos personnages, et la communication entre joueurs via notre jeu d'acteur (absolument hilarant, bien que frustrant pour moi à la longue).
Nous avons également rencontré une tribu étrangère qui désirait enterrer son chef mort sur notre île (notre tribu était la gardienne d'un cimetière néandertal se situant justement sur cette île). Beaucoup de gesticulations, de cris et de pointages de doigts pour se faire comprendre (bien sûr, c'était souvent fortement modulé par la conception qu'Eero avait de ses PNJ, mais parfois nous étions pas foutus de nous comprendre entre joueurs alors que Julien, Jérôme et moi sommes amis depuis plus de 10 ans).
Ceci a donc donné un rythme assez lent à la partie: pas question de lancer un dé pour savoir si "je réussis à me faire comprendre par l'étrangère", chaque information y passait à coup de dé, établissant de même de manière très détaillée les connaissances des personnages et les possibilités offertes par le monde de jeu.
J'ai vraiment eu l'impression de découvrir le monde d'une manière très intime, fine et pragmatique. C'était intéressant.
En revanche, je ne crois pas un seul moment à la prémisse: avec notre intelligence (c'est une règle du jeu que de considérer une intelligence équivalente entre homme des cavernes et homme moderne) il est impossible de ne pas avoir de langue.
L'homme est suffisamment malin pour associer un son particulier à un objet, voire à une action, surtout si on insiste lourdement. Même un chien peut comprendre quelques "mots".
D'ailleurs, après ce qui équivalait à une journée dans la fiction, nos personnages avaient déjà établi une dizaine de "signes" (mélange entre geste et cris) pour coder des éléments importants de leur environnement. Or je ne vois pas en quoi ce jour était plus spécial qu'un autre et cela signifierait donc que notre tribu était sensé disposer d'un vocabulaire de plusieurs milliers de mots (le chef/chamane joué par Julien ayant la soixantaine).
Ce que je trouverais intéressant en revanche, c'est de pouvoir dépenser une ressource pour établir qu'en fait la tribu avait déjà un mot pour un certain objet depuis longtemps en évoquant un souvenir spécifique. Ce qui deviendrait pour moi l'élément central dans un tel jeu, ce ne serait pas de découvrir comment ça fait de vivre sans langue, mais comment une langue peut naître en fonction de l'environnement et de l'histoire d'une tribu.
Bref, tout cela pour dire que je crois bien avoir participé à une démarche dont Romaric me semble être un grand fan: l'exploration de la logique à travers les mondes fictifs.
Frédéric, ceci est donc la partie dont il me semble qu'on pourrait tirer quelques vagues enseignements pour ton récent projet.