Dans la série des "états d'âme de Fred", voici un petit regard en arrière sur ma vie rôliste :
Je vais parler du sentiment de pureté perdu.
Qu'entends-je par là ? Simplement, qu'il y a une différence fondamentale entre mes premières parties de JDR et les dernières : je suis devenu blasé.
Je vais donc explorer mes parties de JDR "classique" qui m'ont marqué et ce qui les démarquaient des autres.
Mes premières parties de JDR, je les ai jouées à l'âge de 9 ans avec mon frangin comme MJ. Il a toujours été doué pour instiller des ambiances.
Nous avons joué pendant des années à L'œil noir, JRTM, Rolemaster, D&D, Terres de Légendes, puis Cthulhu, des jeux maison un peu plus tardivement, dont une partie de Motorball (cf. Gunnm) mémorable, une partie où l'on jouait un groupe de rock dans NY dans les années 90, façon Wayne's world, avec un soupçon de sérieux... Bref, beaucoup de parties mémorables avec leur lot de clash, d'incompréhensions entre joueurs et MJ, mais rien pour entacher notre envie de jouer.
La partie façon Wayne's World est restée gravée dans ma mémoire (je devais avoir 14/15 ans) : je jouais le chanteur du groupe de rock. La partie commence avec un concert où l'on obtient autant de succès critiques que d'échecs, résultat : prestation moyenne, c'est pas cette fois qu'on signera avec une maison de disques. Mon petit frère jouait le batteur du groupe et deux amis jouaient la bassiste et la guitariste. J'avais fait des dessins pour chaque membre du groupe.
On se déplaçait dans un van rose avec une tache bleue sur la portière parce que j'avais essayé de le repeindre, mais la flemme m'a gagnée, j'ai fini par laisser tomber.
Nous regardions une émission consacrée au Rock sur le câble. L'animateur s'appelait Ted the Stud, il était très maigre avec des cheveux longs et gras et les oreilles décollées.
Des voitures aux vitres teintées (des maffieux) nous prenaient en chasse dans les rues de NY, nous nous sommes cachés dans un cinema où se trouvait Léon (oui oui, le personnage du film de Luc Besson) nous lui avons demandé de nous débarrasser de nos poursuivants, ce qui nous a infligé une grosse dette que nous ne pouvions payer...
Sur la CB, on capte un message qu'on n'aurait pas dû : des malfaiteurs cherchent à cambrioler la banque centrale de New York ! Ni une ni deux, on se rend sur le lieu à l'heure du rendez-vous.
Là, on voit des voitures avec des mecs louches. On décide de brancher nos instruments sur la batterie de la fourgonnette et de balancer la sauce. Les malfaiteurs paniqués se barrent en vitesse.
La police arrive rapidement et cherche à nous coffrer pour tapage nocturne, mais soudain, John Mac Lane apparaît sur un brancard et explique aux agents de police que nous avons sauvé la banque centrale... Oh gloire !
AU final on a découvert que les maffieux qui nous poursuivaient étaient envoyés par le père de la bassiste du groupe qui voulait retrouver sa fille.
Richissime, il a épongé notre dette envers Léon...
Dans mes premières parties, je pleurais quand mon PJ mourrais, je flippais comme un malade quand il y avait un danger et je m'engueulais avec mon frangin quand il était injuste et partial.
Aujourd'hui, dans mes parties (non-indies, je tiens à le préciser, quitte à ce qu'on rouvre le débat du JDR "dysfonctionnel") aujourd'hui, je souris, je fais bcp d'efforts, je stresse un peu et au lieu de m'engueuler avec le MJ, je digresse et je prends mon mal en patience.
Vers l'âge de 13 ans, je jouais de façon quasi hebdomadaire avec des potes de collège.
Je n'ai aucun souvenir d'une partie de cette époque. Peut être est-ce dû à un phénomène d'amnésie due à l'adolescence ou je ne sais quoi, mais j'ai une grande difficulté à me rappeler du contenu des fictions.
On a joué à Vampire, Starwars, D&D, In Nomine Satanis/Magna Veritas, Berlin XVIII, Shadowrun, Project Twilight... Je suis à peine foutu de vous dire de quoi parle ces jeux (si je n'y ai pas rejoué avec d'autres tables).
Et c'est à cette époque que j'ai digressé le plus, au point que mes copains me trouvaient relou et hésitaient à m'inviter aux nouvelles parties.
Mais je pense qu'en fait rien ne m'aidait à m'impliquer dans les histoires, je sentais qu'on attendait quelque chose de moi par moments, mais que l'histoire filait sans moi.
Certains joueurs s'éclataient dès qu'il y avait de la baston, fantasmaient sur les armes... c'étaient de bons potes, mais bon, c'était pas ma cup of tea, cette façon de jouer.
J'ai commencé à devenir MJ vers 16 ans en initiant mes amis du lycée. J'ai enchaîné les erreurs de scénarisation, les mauvais choix de techniques de MJ, à tel point que mes parties réussies (où tout le monde a pris plaisir et en a témoigné) se comptent sur mes deux doigts comme dirait feu Michaël Jackson.
Les copains ont tenté quelques parties en tant que MJ, pas folichonnes non plus. Mais les quelques parties réussies ont donné au groupe un engouement pour le JDR. On a cherché pendant longtemps ce qui avait fait le succès des rares parties réussies, il m'a fallu presque 10 ans pour mettre des mots dessus : espaces de créativité.
La première partie que je leur ai faite jouer était un jeu med-fan maison.
Nico découvrait le JDR
Florent aussi, mais pour lui c'était de la grosse connerie et il s'apprêtait à se faire chier (après cette partie, il a commencé à créer son propre JDR)
Vu avait déjà un certain nombre de parties à son actif avec mon frangin comme MJ, il a participé à la partie Wayne's World-like.
Les 3 PJ se retrouvaient par des intérêts plus ou moins personnels à rechercher une charrette transportant des marchandises et qui aurait été détournée par des brigands.
En chemin, quelques épreuves.
Puis arrivés au repère des brigands, établi dans une caverne au bord d'une rivière, les joueurs ont élaboré une tactique, ils ont enfumé la caverne, l'archer s'est planqué dans un arbre et a canardé ceux qui sortaient, les autres les cueillaient à la sortie.
Gros succès, révélation pour les néophytes. On a ensuite joué un bon nombre de parties.
Mais aucune n'a jamais été à la hauteur de celle-ci.
Pourquoi ? Je les ai trop scénarisées. Je cherchais à produire des effets de surprise, d'angoisse etc. je cherchais à susciter en eux des émotions, comme un cinéaste avec ses spectateurs. Résultat, des parties trop linéaires, des enjeux inaccessibles, des scènes qui ne devaient surtout pas être déviées pour ne pas saboter le coup de théâtre prévu etc.
Une série de fiascos.
En fait, c'est quand les joueurs avaient une prise sur la fiction qu'ils s'éclataient. L'ambiance etc. c'était subsidiaire.
Ensuite, je suis arrivé aux beaux arts de Poitiers et là, j'ai décidé d'initier mes camarades et pour certains, amis, au JDR. J'ai réussi à conquérir certains, il y a eu des parties malencontreuses, quand on ne sent pas un joueur, il faut refuser sa participation, je crois... C'est ce que me dit l'expérience.
Pareil, les parties linéaires ont eu bcp moins de succès que les parties "bac à sable". Pour ainsi dire, les parties improvisées fonctionnaient souvent mieux que les parties préparées. Ça corrobore ce que je disais plus haut : les parties improvisées ou trop vite préparées faisaient que je me reposais sur les joueurs pour ne pas avoir trop à inventer. Résultat, je leur donnais des situations ouvertes, où je verrai bien ce que ça donne en fonction de leurs choix.
Je me souviens notamment d'une partie, dont j'ai écris le scénar en 5 minutes aux toilettes avant de jouer.
Un vrai succès, les joueurs se sentaient libres dans leurs faits et gestes et je m'appliquais à intégrer leurs conséquences à l'histoire. C'était excellent.
J'ai alors rarement été joueur. La possibilité s'est de nouveau offerte à moi il y a 3 ans, alors que je menais la campagne d'Harry Potter, j'en avais marre de me farcir tout le boulot, j'avais besoin de MJs pour pouvoir jouer à mon tour !
J'ai répondu à une annonce sur Casus et j'ai commencé à jouer avec ma table pictavienne.
Sur deux ans, il y a eu d'excellents moments. Mais trop rares pour m'inciter à poursuivre.
Je pense notamment à un partie de Thoan, plutôt intéressante, dans laquelle les découvertes sur l'univers s'enchaînaient.
À un moment, on devait s'entretenir avec un mystérieux sage qui s'est avéré être un aigle géant doué de parole... et alors ?
J'ai esquissé un sourire. Ça ne m'a pas vraiment affecté, alors qu'un autre joueur a manifesté à voix haute sa surprise.
Et sur la totalité de nos parties, je dois admettre que je me suis senti blasé. Les surprises ne m'affectaient que lorsqu'elles étaient vraiment de taille et je dois dire que c'était rare.
Une fois, mon pote Fred (un des initiés des beaux arts) a mené pour la première fois de sa vie une partie de JDR, il a choisi Biohazard : Resident Evil RPG, écrit par Yno.
C'était une partie excellente. Simple, mais extrêmement vivante.
Membres du S.T.A.R.S., équipe d'investigation spéciale, on enquête sur un laboratoire pharmaceutique, si je me souviens bien. Nous étions deux joueurs. Nous commençons par tenter d'atteindre la rivière non loin du laboratoire pour faire des prélèvements d'eau.
En chemin, dans la forêt locale, on trouve une dépouille de cerf que les corbeaux finissent de vider.
De temps en temps, des bruits de broussaille qui bougent à une certaine distance de nous se font entendre...
L'angoisse monte.
On prélève un peu d'eau et sur le chemin du retour, les bruits sont de plus en plus proches.
J'empoigne mon arme et dis à ma collègue de me couvrir. J'avance vers le lieu d'où provient le son, là, un doberman décharné galope vers moi... je tente de m'accrocher à une branche pour me hisser, mais il est plus rapide et me lacère la jambe, je suis projeté au sol, la bête se jette de nouveau sur moi, je pointe mon flingue et lui mets une balle en pleine tête...
On court, on arrive jusqu'à notre voiture qui a été cabossée comme si un truc énorme lui était rentré dedans avec frénésie un nombre incalculable de fois... elle est inutilisable.
On accède au portail du laboratoire, on entre, d'autres chiens se précipitent vers nous. On referme le portail manuellement, mais il se bloque et ne veut pas se fermer, il ne se verrouillera que si le courant est remis. L'un de nous shoote les chiens zombies pendant que l'autre tente de rétablir le courant. On n'y arrive pas, les chiens défoncent le portail, nous battons en retraite dans la cabine du contrôleur à l'entrée du parking, les chiens défoncent la porte, on vide une partie de nos chargeurs sur eux et c'est dans la cabine qu'on parvient à verrouiller le portail...
On était dans le stress de trouver des solutions (qui n'existaient sans doute pas toutes préalablement vue la taille du scénario de Fred : 1 ou 2 pages), ça fonctionnait super bien.
Je suis aujourd'hui convaincu que le JDR est un médium formellement faible : les images produites seront toujours moins puissantes que celles d'un film ou d'un bouquin (surtout si elles offrent peu de possibilités aux joueurs de se les approprier). Pourquoi ? Parce que les livres et les films sont faits majoritairement par des bons : quel MJ est au niveau de Orson Welles, Terry Gilliam ou Stanley Kubrick ?
Bien sûr, je choisis les films que je vais voir, autant dire qu'il y a des réalisateurs que j'évite. Dois-je être aussi sélectif avec mes MJ ? Malheureusement, il n'y en a pas tant que ça à portée.
De plus, la part d'improvisation en JDR empêche les MJ de préparer leurs parties autant qu'un écrivain son livre.
Ce que je pense, c'est que la véritable forme du JDR est son système. C'est cela qui apporte de la potentialité, des espaces de créativité et c'est ce qui permet au joueur de s'approprier la fiction et de s'impliquer dedans. C'est grâce à cela qu'un JDR contrebalance sa pauvreté formelle et développe autre chose de plus puissant que dans les autres médiums. Je parle de système en tant que : la manière dont les joueurs (MJ inclus) prennent leurs décisions pendant la partie. Les techniques du MJ font donc partie de ce système dont je parle.
Je rencontre beaucoup de rôlistes qui ne veulent qu'être MJ, car en tant que joueurs, ils ne s'amusent plus. Est-ce la marque de besoin d'espaces de créativité ?
Autre chose, la plupart des scénars de JDR sont fondés autour d'artifices narratifs : principalement le coup de théâtre (cf. le thread "Hahaha, je vous ai bien eus"), mais... le coup de théâtre ne garantit pas d'espaces de créativité, voire il tend à s'opposer à ce que les joueurs prennent de slibertés dans l'histoire pour fonctionner, puisqu'il doit découler d'une autre scène et souvent d'un détail anodin qui justifie la surprise.
Bon, j'arrive à mettre des coups de théâtre dans mes parties sans scléroser mes joueurs, mais quand le scénar complet est bâti là-dessus ? Quand ce sont les détails qui s'assemblent pour former une révélation ?
Et puis, les coups de théâtre, on finit par les voir venir après 20 ans de JDR et d'ingurgitation obsessionnelle d'histoires.
Pourquoi donc s'attacher à quelque chose qui s'estompe avec le temps ? C'est cela qui m'a blasé en grande partie ! La pureté est définitivement partie.
Quand l'histoire dépend de moi, j'en suis responsable, autant que les autres joueurs, sa qualité dépend de tous. C'est de ce genre de système que je veux parler !
Enfin, ce qui a failli être le drame de ma vie rôliste, c'est que les parties de JDR que je jouais ressemblaient de moins en moins aux fictions que j'affectionnais : les films de Wong Kar Wai, Lars Von Trier, Spike Jonze, le cinéma asiatique contemplatif etc.
C'est pourquoi, j'ai créé Psychodrame, Prosopopée et Démiurges, pour explorer un champ qui me semblait vierge. Car ce sont ces fictions que je veux rencontrer en JDR, celles qui me font vibrer ! Et longtemps, j'employais de très mauvaises méthodes pour arriver à cela (donc, j'étais insatisfait de mes tentatives). C'est en mettant en place des espaces de créativité et en créant mes jeux autour d'eux que j'y suis parvenu.
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Voilà comment mon parcours qui m'a conduit à devenir blasé m'a amené à considérer l'importance des espaces de créativité en JDR.
Autant dire que leur présence me redonne généralement goût au JDR, leur absence me plonge dans l'ennui.
Discutons-en si cela vous interpelle.