Frédéric (Démiurge) a écrit :
Donc, la question que je me suis posée il y a longtemps et que j'ai oubliée me revient désormais :
- Détailler un monde en profondeur avant la partie a-t-il des avantages réel pour les joueurs ?
- Ne pas détailler le monde si le jeu possède des techniques et des propositions qui pallient efficacement, comme Polaris, comporte-t-il des inconvénients ? (quelle qu'en soit la nature)
J'ai pris deux extrêmes et deux parties que j'ai aimées volontairement. Gardons bien à l'esprit que tout un dégradé de déclinaisons est possible entre ces deux manières de jouer, il peut y avoir toutes formes de mélanges. Je parle donc de ces deux exemples que je donne, gardez-le bien à l'esprit.
Bon, je vois une piste de réflexion en 4 points. Je nomme A l'exemple de Thoan et B l'exemple de Polaris.
1. La forme de l'histoire
A - La poursuite de l'objectif donné.
Je dirais qu'on est dans une forme de récit proche de l'épopée : une quête parfois un peu chaotique, dû aux décisions imprévues des joueurs, mais souvent les scènes s'imbriquent les unes dans les autres, beaucoup n'ont pour nécessité que de permettre à des scènes ultérieures de prendre tout leur sens (c'est le principe du coup de théâtre).
Je remarque que dans ce type de parties, les moments où les PJ jouent individuellement sont de peu d'intérêt pour les autres joueurs.
Les objectifs principaux des PJ sont rarement libres, du fait que le MJ ait besoin d'un consensus derrière son scénario. On oscille fréquemment entre la mission et la nécessité (survie, risque de perte importante...).
Je pense que les drames sont difficiles à jouer au cœur de l'histoire des PJ avec cette configuration, car il faudrait que le scénario du MJ l'engendre. Les objectifs intimes des PJ n'ont que peu d'intérêt s'ils sont consensuels et prévus à l'avance par le MJ. S'ils surviennent en marge de l'intrigue principale, ils seront de second plan.
On voit souvent le "hahaha, je vous ai bien eus", se pointer dans ces parties, ainsi que la contemplation passive.
B - Les électrons libres.
Un cadre est posé afin d'aider les personnages à suivre leur voie. Mais je pense que de cette manière toutes sortes d'histoires sont jouables. Y compris les quêtes de type épopée. Mais le drame centré sur les PJ devient possible également, puisque les joueurs décident d'eux-mêmes des objectifs de leurs personnages et que ceux-ci seront centraux dans l'histoire. Ainsi, une histoire d'amour, une amitié brisée etc. fonctionneront bien avec de larges potentialités narratives.
Il est possible qu'une scène soit une exploration d'une thématique et amène des choix tellement riches, qu'elle se suffirait presque pour valider l'intérêt d'une partie, sans artifices narratifs tels que le coup de théâtre (ou twist).
2. La forme du monde
A - Un monde authentique borné
Un monde créé à l'avance donne à son créateur tout le temps pour réfléchir et remodeler chaque élément. Ça permet donc de construire des choses complexes et originales qu'on pourra donner à découvrir aux joueurs pendant la partie. C'est une création exogène (extérieure à la partie) en quelque sorte : on assure en amont, de manière millimétrée, la qualité et la cohérence de ce que vont découvrir les joueurs.
La crédibilité de ce qui n'est pas prévu à l'avance sera jugée par le MJ.
B - Des mondes possibles issus tout droit de l'imaginaire collectif
Ici, c'est par rebond des propositions des uns et des autres que l'univers prend forme au fil de la partie. Ce sont les techniques du jeu qui vont stimuler les joueurs par des techniques de récompense, de responsabilités, de propriétés et une préparation ciblée avant la partie (fiches de PJ, bases de l'univers...). La crédibilité des propositions sera soumise au jugement du groupe. On leur donnera parfois des outils pour refuser ou ne pas donner d'importance à ce qui n'est pas jugé à la hauteur.
La qualité de ce que vont découvrir les joueurs est donc fluctuante d'un table à l'autre, mais ce sera le fruit de plusieurs esprits en ébullition au moment de la partie. Donnant gsouvent des choses plus oniriques, fantasques, débridées. Faisant souvent appel au principe de justification a posteriori pour donner une cohérence au tout. La malléabilité de la fiction le permet.
- Mais, amazones contre cheval de Troie, aigle géant qui parle contre géant de glace... si les créateurs d'un univers de JDR se contentent de recycler le produit de l'imaginaire collectif, ils ne nous offrent finalement pas de choses plus surprenantes que si on le créait au pied levé. J'ai le sentiment après 22 ans de JDR d'avoir vu des choses plus originales et surprenantes dans des parties de type B que dans des parties de type A, bien que certaines parties de type A aient eu occasionnellement leur lot de choses superbes.
3. L'articulation des prises de parole
A - Vous vous positionnez dans ma fiction.
Il existe beaucoup de faux choix dans ce type de parties, par exemple : "l'homme vous tend un parchemin, que faites vous ?"
Si les joueurs le prennent, ils ont fait ce que le scénario attendait d'eux. S'ils ne le prennent pas, il faudra que l'indice qu'il contient arrive à leurs oreilles d'une manière ou d'une autre. Ils n'ont fait que repousser l'échéance. La convention à certaines tables veut que les joueurs aillent dans le sens du scénario.
Le MJ est responsable de la cohérence, de révéler le monde, l'intrigue, de jouer les PNJ, de mettre l'ambiance, de rythmer la partie, de contrôler l'adversité et de gérer le système de règles. C'est donc le responsable de la partie, aussi on attend de lui qu'il ait choisi ou écrit un univers et un scénario qui soient bons.
Les joueurs décrivent la façon dont ils surmontent les obstacles et cherchent les indices. Ils se contentent généralement de leurs intentions et de ce qui leur appartient : actes, pensées et paroles de leurs PJ, leur équipement dans une certaine mesure, parfois, ils décident qu'il y a un arbre au bord du sentier, même si le MJ ne l'a pas dit avant. Mais si le MJ veut qu'il n'y en ait pas, il n'y en aura pas.
Tous les joueurs s'en réfèrent donc en permanence au MJ pour déterminer ce qui est possible et ce qui ne l'est pas.
L'avantage, c'est que les joueurs n'ont pas ou peu de technique à gérer et ils se sentent en posture d'acteur, donc dans une immersion subjective, à la première personne.
Le Mj en tant que garant de la qualité de la partie joue le rôle de l'autorité, de l'arbitre etc. Donc, un MJ soucieux du plaisir de ses joueurs et ayant acquis des techniques pour les satisfaire garantira une bonne partie pour les joueurs qui aiment prendre part à une histoire qu'on leur a pré-mâché et où leurs choix sont moins importants que le bon déroulement de l'histoire qu'on leur a préparée.
Un des grands intérêts de ce type de parties, c'est qu'un MJ peut créer une histoire et la faire vivre à ses joueurs. Il y a une vraie excitation entre ces deux moments.
De même, pour les joueurs, recomposer le puzzle de l'intrigue que l'on sait prévue à l'avance a quelque chose d'exaltant.
B - La fiction est a tout le monde.
Tout le monde est créatif à des degrés différents selon la verve ou selon la timidité et selon les responsabilités données à chacun selon les phases de jeu. Par exemple, à Polaris, celui qui se trouve en face du joueur jouant son chevalier joue le fourvoyé, donc l'adversité. Cette focalisation différenciée génère une dynamique narrative. Le fait de différencier les rôles permet d'assurer les fondamentaux d'une fiction : objectifs, obstacles (adversité), contexte, personnages principaux et secondaires etc.
Les joueurs qui aiment que leurs choix et créativité ait un rôle central dans le déroulement de l'histoire tendront à apprécier cette liberté. C'est l'incertitude de la réaction des autres joueurs à vos choix qui amènera la dimension "ludique".
Le plaisir créatif n'en est pas des moindres en JDR. Je vois parfois des joueurs dire après une partie très créative qu'il voit mal comment prendre à nouveau du plaisir après dans une partie de type A. Mais ce n'est pas le cas de tout le monde, loin s'en faut.
4. La résistance
La résistance, c'est le fait que le joueur ne puisse pas obtenir et faire tout ce qu'il veut. Sans ce principe fondamental, peu de chance d'obtenir de l'immersion, car la résistance rend possible la création d'un parallèlisme entre l'incertitude de réussite du personnage et celle du joueur.
A - Le MJ décide
Dans ce type de pratique, on aura tendance à mettre à l'épreuve le joueur pour toute action incertaine.
Dans le monde réel, ne serait ce que taper une phrase au clavier est difficile à faire sans coquille. La résistance est partout. Je veux lancer une balle à un ami pour jouer, je risque de l'envoyer dans le ruisseau à côté.
Dans les parties de type A, comme le MJ est responsable de la crédibilité, c'est lui qui décide du résultat de chaque action en regard du résultat au dé. Parfois il décidera en jugeant de la narration ou du roleplay du joueur. Par exemple si le prisonnier révèlera ou non qui est son chef. Il y a aussi les actions à "rebond" :
Admettons que je veuille rompre la lance de mon adversaire pour l'impressionner. Dans une partie du type A, je vais lancer un dé pour vérifier si je casse la lance. Mais si je réussis, le MJ peut très bien décider que l'adversaire n'est pas impressionné pour autant, d'autant plus si la force de caractère de ce PNJ est précisée dans le scénario.
B - Peu importe tant que ça fait avancer l'histoire
Cette logique là acceptera la réussite de toute action crédible tant qu'il n'y a pas un enjeu pour l'histoire.
Les joueurs pourront même dire : "je frappe le démon de mon épée et le décapite", tant que personne ne s'y oppose.
Grande liberté narrative signifie également qu'on ne met pas à l'épreuve chaque action, même complexe. On ne met à l'épreuve que ce qui est central pour l'histoire.
Dans Prosopopée ce qui est important pour l'histoire est symbolisé par les dés de problème sur le cercle des couleurs. Dans Polaris, c'est le fourvoyé qui décide de lancer un conflit, par exemple. Dans Zombie CInema, c'est un autre joueur qui déclenchera un conflit qu'on résoudra en lançant les dés.
Comment peut-on savoir si un personnage est balèze aux échecs ? On s'en fout, si on veut qu'il le soit il le sera (on peut statuer simplement si ça contredit ou si ça va dans le même sens qu'un élément de description du personnage), sauf si sa victoire ou défaite a une importance pour l'histoire.
Généralement les mécaniques de résolution permettent également de déduire des conséquences qui permettent de relancer l'histoire.
Christoph a écrit :
D'autre part, qu'est-ce que ça donne quand tu joues régulièrement avec les mêmes personnes? Je suppose que les propositions incongrues se raréfient à mesure que les joueurs apprennent à se connaître et à maîtriser cette technique.
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