Je crois que c'est le bon moment parce que de nouveaux venus nous rejoignent et que cette réflexion est importante pour comprendre l'utilisation que l'on peut faire de silentdrift. Je devine également que beaucoup de rôlistes lisent silentdrift sans oser y écrire de rapports, et c'est dommage pour nous comme pour eux ! Je voudrais vous parler de ce que les rapports de partie ont pu m'apporter et comment, selon moi, ils pourront également vous être utiles !
Entendons-nous bien : quand je parle ici de rapports de partie, je veux dire que celui qui l'écrit décrit autant la fiction (que s'est-il passé dans l'histoire?) que les interactions entre les joueurs (que s'est-il passé autour de la table de jeu? vous m'entendrez souvent en parler comme la « dynamique sociale »).
Ces réflexions sont inspirées de discussions avec Christoph, Fred et Romaric, de lectures diverses et de mon expérience personnelle (environ une vingtaine de rapports de partie à ce jour). Je n'en réclame pas la paternité, mais je suis incapable de retrouver qui a dit quoi et où.
Je vous invite très fortement à vous exprimer également sur ce que vous retirez des rapports de partie et de vos conseils en conséquence.
Donc : à quoi peuvent servir d'écrire des rapports de partie ?
Je crois qu'il y a trois utilisations possibles des rapports de partie:
- présenter un jeu terminé (le sien ou celui d'un autre)
- tester un jeu en développement (le sien ou celui d'un autre)
- entamer une réflexion approfondie sur le jeu de rôle
Présenter un jeu terminé
Je crois que je ne le dirais jamais assez: présenter un jeu à travers un rapport de partie est la manière la plus honnête et la plus complète de faire l'éloge ou la critique d'un jeu. Tous simplement parce qu'en présentant à la fois la fiction et la dynamique sociale comme elles se sont concrètement réalisées, vous présentez ce que le jeu peut réellement permettre. L'impression que vos lecteurs auront à la lecture de votre rapport de partie sera bien plus fidèle que tous les blabla publicitaires sur l'« univers » et le « roleplay » que l'on trouve trop souvent pour vanter les mérites d'un jeu. Bien sûr, il est toujours possible de tricher et d'arranger les choses (dans un sens comme dans l'autre), mais la vérité finit toujours par se décanter, en particulier à travers les questions des autres.
Avec le temps, ces rapports deviennent une base de données qui permet aux nouveaux venus de découvrir ces jeux sans avoir à les acheter immédiatement, ce qui est précieux (d'où l'importance de faire attention à ce que tout le monde puisse comprendre le message, même sans le contexte
Un exemple-type, en ce qui me concerne, est ce rapport de S/Lay w/Me où j'ai présenté un jeu que j'ai découvert et que j'aime beaucoup. Ce rapport récent de Perfect Unrevised par Daniel (que je remercie) est également dans cet ordre d'idées.
Au-delà de présenter un jeu, un tel rapport de partie permet de se présenter soi-même, comme le proposent les règles du forum. Cela permet aux lecteurs de comprendre ce que l'auteur du rapport aime comme jeux et ce qu'il recherche dans son expérience ludique. Là aussi, c'est une bien meilleure présentation que le simple prénom et la liste des jdr auxquels on a joué, parce que ça oblige à présenter sa pratique de jeu concrète.
Le rapport de partie de D&D par Yvos entre tout à fait dans cette catégorie.
Ecrire un rapport de partie sur un jeu terminé à également des avantages pour vous, en tant qu'auteur du rapport.
D'abord il vous permet de prendre du recul sur l'expérience que vous avez vécu. D'une part parce qu'en l'écrivant vous êtes obligé de revenir dessus après y avoir joué, de mettre ce qui s'est passé en mots et d'en laisser une trace durable (ce qui vous permet de vous y replonger quelques temps plus tard). D'autre part parce que vous exposez votre expérience au regard et aux questions des autres, qu'ils soient également participants de la partie ou extérieurs. Dans les deux cas, cela vous force sortir de vos impressions et à fournir des explications pour les événements fictionnels et réels. C'est essentiel.
Ensuite, le rapport de partie vous permet d'explorer le fonctionnement d'un jeu, surtout si c'est un jeu dont vous n'êtes pas l'auteur. Ce recul que vous prenez vous permet de comprendre intimement comment les règles influent les comportements des joueurs (ce qui est à la base de la démarche forgienne). C'est très important à comprendre à la fois si vous êtes purement joueur (vous comprenez mieux les mécanisme du jeu et vous pouvez mieux les utiliser) et si vous êtes créateur de jeu (cela vous permet de comprendre la cohérence intime du jeu et donc de créer de nouveau mécanismes dans la même veine).
C'est pour ça que j'ai souvent des « crises » de test où je fais deux ou trois rapports de partie à la suite pour entrer dans la cohérence d'un jeu qui me plaît (principalement Prosopopée, Innommable et, récemment, Psychodrame). Le rapport de partie de Jonathan sur Zombie Cinéma est, je pense, un bon exemple de démarche pour mieux comprendre le jeu, avec l'aide des autres membres du forum.
Tester un jeu en développement
Bon, cette partie me semble la plus évidente : lorsque vous testez un jeu en développement et que vous essayez de le faire avancer, il n'existe pas de meilleur moyen que de rapporter l'expérience de jeu et la fiction créées par les règles, pour pouvoir ensuite en débattre.
L'honnêteté, le recul et le regard des autres sont, comme précédemment, des conséquences très positives du point précédent, mais en plus il y a la possibilité pour les autres de faire des propositions pour améliorer le jeu. Ils peuvent faire part de leur expérience et de leur point de vue, ils peuvent faire part de leur connaissance d'autres jeux (les créations déjà en cours ou terminées, les mécaniques innovantes...), ils peuvent orienter vers des réflexions extérieures au jdr (sociologie, psychologie...) ou vers des textes théoriques, ils peuvent faire part de leur expérience et éviter de nouveaux ratés. Ils disposent de temps pour lire (d'autant que l'auteur peut tout exposer en détail), pour réfléchir et rechercher leurs références.
Mais ils ne peuvent faire tout ceci que parce qu'ils comprennent pleinement le contexte et la réalisation concrète de la partie, ce qui est très difficile à l'oral et impossible si on ne discute pas d'un exemple concret de partie.
Je crois que c'est de très loin la meilleure manière de donner et de recevoir des conseils. Chaque fois que j'ai voulu exposer des situations à l'oral, mon interlocuteur y a beaucoup perdu (hein, Fred !).
Un bon exemple est ce rapport de partie de Monostatos, où Christoph est parvenu à me faire sentir que quelque chose clochait dans mon jeu, et qui m'a permis de me remettre en cause en profondeur.
Tester le jeu d'un autre membre du forum, c'est aussi lui donner envie de tester ton jeu. Ca ne crée évidemment aucune obligation, mais les mécaniques sociales de don et contre-don sont essentielles: si tu veux que les autres testent ton jeu, teste d'abord les leurs ! Et puis ça favorise l'échange et ça donne envie de se rencontrer.
D'ailleurs à ce propos, je pense qu'il est pertinent ici d'apporter quelques conseils sur la manière d'aider quelqu'un d'autre lorsqu'on teste son jeu et qu'on en fait un rapport de partie. Comment faire pour que le rapport de partie serve bien l'auteur ? J'ai donné quelques consignes de base pour mon propres jeu ici, mais je voudrais les compléter par une règle que je trouve essentielle (et qui n'est bien entendu que mon point de vue):
Ne créez pas le jeu de l'auteur à sa place. Faites sincèrement l'effort de comprendre la vision de l'auteur, ce qu'il a voulu faire et pourquoi il en est arrivé là. C'est dans le même esprit que la lecture charitable, appliquée à la création de jeu: si l'auteur a fait quelque chose, c'est pour de bonnes raisons, parce qu'il est intelligent ; il faut comprendre pourquoi il a fait ces choix.
Qu'est-ce que ça veut dire, concrètement ?
D'une part, avant de bricoler les règles, il est important de les tester comme elles sont. Une fois que la vision de l'auteur pour son jeu sera plus claire, il sera toujours temps de les transformer et d'en proposer une version à votre place (discutez-en avec lui, ça vous sera mutuellement profitable ; je l'ai fait avant un test hasardeux comme celui de Psychodrame à la sauce Mascarade).
D'autre part, ne critiquez pas trop vite les choix de l'auteur, en essayant de lui imposer votre point de vue, surtout sur la base d'une ou deux parties alors que l'auteur travaille dessus depuis des années. Votre idée peut sembler bonne ou valable sur le moment, mais ne vous y accrochez pas trop si l'auteur s'y refuse. Si votre idée est vraiment bonne, il finira par s'en rendre compte lui-même (ça m'est souvent arrivé...).
La vision de l'auteur sur son propre jeu ainsi que sa connaissance de la cohérence profonde des règles peuvent être très difficiles à appréhender véritablement, même après avoir testé encore et encore son jeu. Soyez prudents et prenez votre temps.
Je vous mets en garde contre tout ça, parce que j'ai commis ces erreurs plusieurs fois avec des jeux comme Innommable (dans le premier cas) et Prosopopée (dans le second cas).
Entamer une réflexion approfondie sur le jeu de rôle
Pourquoi tant de discussions de forums rôlistes sur des questions théoriques tournent-elles au conflit ou en eau de boudin ? Parce que ceux qui échangent n'ont pas d'expérience de jeu commune et ne parlent donc pas de la même chose: conflit de vocabulaire. Au contraire, le rapport de partie permet d'être concret et de rester attaché à la pratique. Pas de discussion théorique en l'air: on a l'exemple direct sous les yeux.
J'ai déjà parlé du recul que permet le rapport de partie, mais au-delà de ça, il permet de progresser dans le temps, à la manière d'expériences scientifiques successives (surtout si vous développez un jeu): « telle règle, tel concept n'a pas marché dans telle partie précédente, voilà ce que j'ai tenté désormais et voilà les résultats ». Comme il y a une trace précédente, on peut s'y référer et donc mesurer le progrès.
Savoir que l'on va écrire un rapport de partie, c'est aussi faire plus attention à la partie elle-même. Je me suis souvent rendu compte que j'étais beaucoup plus attentif et alerte lorsque je sais que je vais écrire un rapport de partie après. Il augmente notre perception de la partie.
Enfin, le rapport de partie pousse à faire attention à la dynamique sociale qui existe entre les participants et qui fait le vrai sel d'une partie de jdr. C'est extrêmement sain de se débarrasser d'un point de vue individualiste concentré sur le comportement des individus et de faire attention à ce qui se crée entre eux. C'est un très bon exercice mental et ça aide à combattre les clichés dominants sur les comportements humains: les individus seraient purement égoïstes, tout le monde triche, l'improvisation est difficile, la création au pied-lever est de moins bonne qualité que la préparation, les individus ne sont pas capables de suivre les règles d'eux-mêmes, il faut quelqu'un pour diriger tout ça...
En conclusion, j'aimerais vous encourager (dans le plein sens du terme!) à écrire vos rapports de partie. Je sais que c'est long et difficile, mais n'oubliez pas que vous n'êtes pas obligés de décrire toute la partie (il suffit d'une scène bien choisie) et qu'avec le temps, on apprend à aller de plus en plus vite (ça ne me prend que deux heures aujourd'hui). Et comme j'ai voulu vous le montrer, les bénéfices pour votre pratique du jeu de rôle seront immenses !
Courage et au boulot, les rapports de parties payent bien !
[Edit le lendemain de la publication: quelques tournures de phrases maladroites corrigées pour plus de clareté]