Fairy Tales
C'est le jeu de Flavie, elle a choisi les mots-clés "sépia" et "grésillement" avec la contrainte: "le contrôle d'un personnage-joueur n'est pas limité à un seul joueur".
Première impression
Voilà un jeu qui a été inspiré par les mots-clés! En plus ça s'inspire de la structure de
Dirty Secrets, ça peut être très intéressant! La fixation sur le monde des poubelles m'a un peu perturbé, ce n'est pas ce que j'aurais choisi pour illustrer le jeu.
Est-ce jouable tel quel?
L'établissement de l'univers du jeu se fait en commençant la partie, en trois étapes: type de société de fées, la plus haute forme de pouvoir, type d'univers. Ca me semble un poil trop formalisé: comment savoir à l'avance quelles choses seront vraiment importantes dans un jeu aussi improvisé? Il est bon de parler de ces points, mais je pense que c'est surfait de les noter, ça donne un poids trop fort.
Ensuite on établit les personnages. Un des personnages ne sera joué que par un seul joueur, c'est le conteur (le héros de l'histoire, façon investigateur), les autres seront partagés par les joueurs restant. Il faut au moins créer l'incarnation de l'autorité féerique, et maximum trois personnages de plus.
La situation de départ est toujours la suivante: plusieurs fées commencent à "grésiller", ce qui signifie qu'une d'entre elles est devenue trop humaine et qu'il faut lui infliger la punition du "sépia", avant que les humains ne découvrent la société féerique, attirés par la merveilleuse musique (le grésillement).
La visée est assez claire et les outils donnés semblent adéquat pour aborder ce jeu.
Est-ce que le système soutient l'activité ludique?
La partie se structure en diverses scènes: la première révèle le problème du grésillement et ensuite les joueurs choisiront des scènes de différents types pour révéler petit à petit les origines du problème ainsi que ses conséquences.
A la fin de la première scène et ensuite de chaque paragraphe (ensemble d'au moins une scène), il s'agit d'inscrire le nom du personnage qui s'est révélé être le plus suspect aux yeux des joueurs (y.c. le conteur) sur une grille sur laquelle se déplace un marqueur. Ceci se décide à la majorité, départagée par un feuille-ciseau-caillou (chifoumi) si nécessaire.
Le partage entre les joueurs des différents personnages impliqués dans la scène est clairement établi, mais on manque d'information pour savoir qui a autorité sur les autres éléments de la fiction au-delà du cadrage de la scène (ce rôle tourne). Par exemple, est-ce que je peux révéler qu'un personnage absent de la scène jusque là est retrouvé mort par le personnage qui vient de m'être attribué? Normalement, c'est le joueur assis à ma gauche qui joue le personnage suivant, mais là il est mort... qui est-ce qui décide de cela? Chifoumi entre celui qui est pas d'accord (seulement le joueur qui se serait vu attribuer le personnage ou n'importe qui autour de la table?) et moi?
Le paragraphe: Après avoir joué la situation initiale, cette notion recouvre un ensemble de scènes (entre une et trois scènes d'investigation plus une fois maximum pour les autres). Un joueur non-conteur est désigné "maître" du paragraphe (drôle de nom, pourquoi pas chapitre?), c'est lui qui cadre une première scène de son choix, puis celles choisies par le groupe (à départager au chifoumi si nécessaire). D'après ce que je comprends, un paragraphe est terminé quand tout le monde est d'accord, ou quand il n'y a plus de scène possible à jouer (ce qui arrive automatiquement si quelqu'un demande un type de scène déjà joué dans le paragraphe et qu'elle lui est octroyée).
Les six types de scène sont:
- Violence
- Humanité
- Investigation
- Destruction
- Féerie
- Révélation
A part la scène d'investigation, chaque scène apporte (peut-être) une augmentation de score à un des personnages impliqués dans la scène.
Chose dont la raison m'échappe, le joueur du conteur tient forcément les rennes dans la scène de destruction. Pourquoi cette exception à la règle?
Plusieurs scènes (féerie par exemple) sont présentées comme si elles permettaient de mettre en avant son personnage. Or, seul le conteur a un personnage attitré, est-ce donc le seul qui peut demander une telle scène? Si oui, qui est-ce qui cadre cette scène?
Pour la scène de révélation, comment fait-on pour résoudre un chifoumi à plus que deux personnes (je suis peut-être inculte, j'admets volontiers)? Il n'est pas non plus clair comment on peut décider du contenu de la révélation (dans
Dirty Secrets, il y a deux personnages qui sont choisis et un type de relation est défini entre les deux, et c'est l'investigateur qui concrétise, ici on sait juste comment choisir un des personnages, sans plus).
Caractéristiques des personnages: Les personnages jugés importants se voient attribué un score de Féerie (commence à 12 pour le conteur, à 1d20 pour les autres) et un de Perversion (0 pour le conteur, 1d8 pour les autres). La différence Féerie-Perversion est le Grésillement (moins que 12 et votre fée grésille!) Le conteur doit impérativement avoir un nom, un statut social et une indication de ce qu'il défend dans l'univers féerique. On peut également définir quelques attraits et défauts, ce qui permet d'établir le champ des pouvoirs magiques du personnage par exemple (l'intérêt de ce point de règle me semble limité, pour les mêmes raisons que la feuille d'univers; de plus aucune autre règle n'en dépend.) Il n'est pas clair si les personnages-clés autres que le conteur sont autant détaillés. A priori, je le ferais aussi.
Parfois, comme dans la scène de destruction, on parle du score de Grésillement de la table. Je ne vois pas comment le calculer.
Fin de la partie: Quand le marqueur sur la grille des suspects ne peut plus se déplacer sur une case vide, alors le conteur détermine au hasard le coupable parmi les suspects présents sur la grille et c'est la fin de la partie. Une partie peut se terminer très rapidement si les joueurs coincent le marqueur dans un coin. En même temps, il est très difficile d'imprimer sa volonté à ce déplacement de marqueur, vu que c'est simplement chaque joueur qui le déplace à son tour. Ici, un élément stratégique permettant aux joueurs de se battre pour le contrôle du marqueur aurait été intéressant, justement pour acquérir un certain contrôle sur le rythme de la partie. Bon, à tester, ce n'est peut-être qu'une idée que j'importe de
DS.
Bref, le conteur raconte le pourquoi du comment concernant ce traître. Il s'agit ensuite de raconter la cause de la déchéance de cette fée bannie et statuer sur sa punition. Chaque joueur décide ce qu'il fait... hmmm, mais comme seul le conteur a un personnage attitré, qu'est-ce que cela signifie? Si un joueur veut absolument infliger le sépia et un autre absolument pas, chifoumi?
Pourquoi le conteur, qui a déjà le personnage le plus important de l'histoire (enfin, d'après les règles) a-t-il également le droit de décider de l'avenir du monde? Au juste, pourquoi préciser l'avenir au-delà des actions à court terme des personnages-clés suite à la révélation finale?
Je ne vois pas bien le rôle du chapitre "épilogue" dans le texte, mais bon, c'est un premier jet.
Résoudre les oppositions se fait donc au chifoumi. Je trouve ça un peu fade à vrai dire. J'aurais bien aimé quelque chose, qui, même si c'est aussi aléatoire que la méthode de
DS ou autre jeux de rôle à dés, me permette de faire peser un engagement particulièrement fort pour une scène (à
My Life with Master, je peux jouer le désespoir par exemple). Ou alors, que le fait d'employer le système rythme la narration (
DS,
Dogs in the Vineyard). Là c'est simplement: il se passe ça, on n'est pas d'accord, on regarde qui obtient le dernier mot. Alors que ça pourrait devenir: il se passe ça, on n'est pas d'accord, mais il se passe encore ça, et... ça, tiens prends CA! ah bon ça suffit, tu obtiens le dernier mot.
Réflexions diverses
Une fée grésille d'autant plus que son score de Grésillement est faible... c'est contre-intuitif, mais pas du tout grave. Ultra-pinaillage pour du jeu brut de décoffrage.
J'aurais bien aimé plus d'indications quant à l'impact des scores. Par exemple, une scène de destruction est d'autant plus violente que les scores de Grésillement sont bas. Mais comment juger? Une échelle d'où découle le nombre de morts ou que sais-je serait bien utile. On ne sait pas non plus si ce sont les humains ou les fées qui doivent encaisser et comment on décide du cours d'une bataille.
Le nombre de personnages clés n'est pas limité en cours de partie. Ça peut diluer l'effet de la grille s'il y a trop de suspects. D'ailleurs, un personnage suspecté se voit-il automatiquement décrit par des scores si ce n'est pas encore le cas?
Le rôle du conteur est à clarifier: personnage central ET pseudo-MJ en un, ça laisse peu de choses aux autres.
J'ai un mauvais sentiment par rapport aux valeurs chiffrées, mais c'est quasiment obligé pour un jeu brut de décoffrage. Je pense qu'il faudra ajuster les caractéristiques et les gains au fur et à mesure.
Rien de ce que je viens d'écrire n'empêche de faire une partie test.
Ce jeu soutient-il une démarche créative?
Carrément! Et ça sent le narrativisme à plein nez, où il s'agit de s'exprimer sur une prémisse bien vicieuse. En effet, si je remplace les fées par un gouvernement fasciste et ses sujets, la traître par une sorte de résistante ou pire, un bouc émissaire, et la guerre avec les humains comme une lutte avec une autre nation (qui a dit quête d'espace vital?), la prémisse devient évidente. Je ne dis pas qu'il faut faire ce remplacement, le côté métaphorique permet de traiter d'un même sujet de fond avec plus de liberté (en particulier, les préjugés qu'on pourrait avoir sur un officier nazi ne sont pas les mêmes que ceux qu'on pourrait avoir sur un chevalier de la cour invisible, et justement, je pense que c'est plus fort de juger pendant la partie qu'avant.)
J'aimerais bien des précisions en ce qui concerne qui a le droit de dire quoi à quel moment et comment on peut décider des "épilogues" des différents personnages, car ça a un impact direct sur ma capacité à m'exprimer sur le thème.
Conclusion
Si tu fais un peu le ménage dans ce texte selon les différentes suggestions que je t'ai données au cours de cette critique, Flavie, je m'arrange pour le tester. Ça me parle.
J'aime aussi l'ironie dans le fait que le suspect inculpé n'est pas forcément la fée avec le plus bas score de Grésillement! C'est finalement juste le conteur ou la cour qui décide que c'est la coupable. Ah, ça fait réfléchir ça! Un bel exemple où le système ne modélise pas forcément une réalité partiale, mais bien un jugement de valeur.
Je réponds volontiers aux questions par e-mail ou via de futurs sujets de développement et de test!