Ouf !!
J'avais décidé de ne pas me prendre la tête ce soir, de me reposer de mes deux semaines d'efforts de création intenses, mais quand je vois un sujet comme celui-là, je me SENS obligé de RÉAGIR !
Mais ça tombe bien, on a commencé cette semaine justement nos cours de sciences de la communication, et ça correspond pile à ce que tu dis.
Bon, j'ai conscience que, face à philosophe comme toi, Rom', je ne vais RIEN t'apprendre, peut-être apporter une vision un peu différente qui apportera de l'eau à ton moulin, tout au plus, mais je n'espère guère mieux...
Enfin, allons-y donc tout de même, avec un certain enthousiasme
( et même un enthousiasme certain, dirais-je ! ^^ )
Alors...
Sens (Romaric Briand) a écrit :(...)
Quels sont les deux conditions essentielles pour que naisse l'univers de Sens ? Mais egalement de toute partie de jeu de rôle classique. Il doit y avoir au moins un Joueur et un Maitre de Jeu. Les voici nos deux divinités.
Le monde est réductible à celui qui le génère, qui le décrit. C'est le rôle de celui que nous nommons le maître du Jeu : SENS. La première divinité celle qui sert de décor, de contexte pour que s'épanouisse la deuxième. Il est tous les faits enveloppant l'autre Dieu.
Pourtant le monde de Sens n'existe pas sans l'intervention d'un miracle. ce miracle est la volonté de celui qui le pénètre : le joueur, LE CELLULIS, la deuxième divinité. Il n'y a pas de spectacle sans spectateur. Il est à noté que Wittgenstein assure l'indépendance de ce "JE" vis-à-vis du monde.
(...)
Mais le monde a-t-il une volonté ? Oui. il en possède une. Celle de celui qui l'interprète. Autrement dit, celle de ce JE majuscule. Celle des hommes qui le découvrent et y vivent. Il n'y a qu'une seule volonté dans le Monde et la volonté du monde est celle de celui qui l'interprète. Si le Monde est bon c'est "Je" qui le sent comme tel. Si le monde est beau c'est le "JE" qui le sent comme tel. Le Monde est d'une total neutralité sans ce "JE" de la volonté pour lui donner un sens et le borner.
Le Monde est une chose objective et neutre. La volonté de "JE" en est une autre, subjective et engagée. Chacun cherche la divinité de l'autre. La volonté est prêtée au monde tandis que le monde est prêté à la volonté. Il se court l'un après l'autre, se combattent et s'admirent. Ils sont les dieux.
(...)
Mais l'on constate alors que la place faite au Maitre de Jeu n'est plus celle attribué par le jeu de rôle classique en général. Quelque chose a changé. Le monde est neutre et le MJ doit l'être, à son image, pour être un bon MJ de Sens.
Pourtant les MJ désirent naturellement jouer, ils ne veulent pas s'isoler du jeu. Ils aimeraient bien découvrir les choses qu'ils ont inventé pour sentir l'effet que cela fait de découvrir ses propres idées ! ILs en sont si fiers. Alors ils dirigent par frustration. Ils pensent à la place des joueurs par envie et jalousie.
ET le joueur que fait-il ? il veut découvrir le Monde et, jaloux du MJ, cherche à le construire à sa place. Il voudrait bien avoir créé ce scénario. Les humains veulent façonner le monde à leur image. Tous les hommes aussi critiques soient ils à l'égard du monde auraient bien voulu l'inventer.
Sens tend à jouer.
Le joueur tend à donner du Sens.
(...)
Mais si l'un gagne l'autre alors il est détruit ou devient l'autre. Ce jeu est infini. Cette idée vous permettra d'avoit une lecture éclairé du premier paragraphe de la page 64 de "Sens Renaissance : le soulevement de Terre". Il s'agit d'une boucle évidemment. Car la fin de Sens est sa Renaissance d'où le nom du premier ouvrage.
( pour la première intervention )
Je trouve, pour ma part, le cas de figure de la confrontation plus intéressante que celle, idéale, du MJ neutre et du joueur subjectif, parce qu'il met en lumière le concept de
double bind tel que développé par BATESON, un disciple de WIENER
( connu pour avoir inventé le modèle théorique de la cybernétique, qu'il définit comme l' "approche statistique de la théorie de la communication" - mais je trouve que le considérer uniquement comme l'inventeur de ce domaine est très réducteur, et je pense que le personnage doit te plaire, Rom' : à l'origine, et avant d'être un statisticien, c'était un philosophe de la logique. ) ; donc, cette théorie de Bateson explique l'origine de la schizophrénie comme le seul "remède"psychique spontané au "double bind", qui consiste en une double injonction paradoxale ( pour avoir un très bon exemple de "double bind", lisez "
Astérix chez les Corses" - avec le Corse, sa soeur, et le légionnaire, le Corse interdisant successivement au Romain de s'intéresser à sa soeur, puis de s'en désintéresser... ^^ )
La "double bind", c'est par exemple, quand un père exige de son fils qu'il l'aime, le respecte et l'écoute, mais qui exige que son gosse lui fiche la paix quand il lit son journal, et ce phénomène pousserait l'enfant à trouver refuge dans une fuite du réel par la schizophrénie.
Or c'est exactement le même schéma que tu proposes en parlant des MD et des joueurs qui veulent chacun avoir le rôle de l'autre.
Au départ, le joueur demande au MD de lui faire jouer (donc de créer, puis de mener ) un scénar. Mais s'il souhaite vraiment s'accaparer le pouvoir qui est celui du MD, il exige alors de lui de le laisser mener la partie à sa place..!
De même, le MD qui demande à un joueur de profiter de son scénariova en fait vouloir jouer à travers lui, en fait il profite de son joueur pour jouer lui-même à travers la gestion de l'aventure ( notamment les PNJ, mais pas seulement, ..!) donc, il demande en réalité au joueur de "le faire jouer", lui-même !
Et voilà une double - "double bind" !
...Les rôlistes seraient-ils des schizophrènes ? Les journalistes béotiens des années '90 auraient-ils eu raison de proclamer que le jeu de rôle rend fou ?
( suspens de fin d'épisode... Vous saurez tout dans le prochain ! lol ! )
Voilà, je m'arrête ici, et je laisse de côté, pour le moment, le modèle systémique de rétroaction, que je développerais plus tard, car il s'insère aussi très bien dans le sujet...
Sens (Romaric Briand) a écrit :(...) OU le MJ jugeant que ses joueurs sont devenus inutiles écrira des romans et ne maitrisera plus de JDR.
Une catastrophe. Voilà ce que j'en pense.
Je rebondis, là dessus, car je ne suis pas d'accord avec toi. D'abord, paraphrasant Théophile Gauthier, (cf. ma signature ! ) je dis que le paradis,c'est un roman au coin du feu !
De plus (!!) en reprenant ton modèle d'une double divinité, on peut parfaitement appliquer au roman le même processus créateur :
le roman est le monde créé par l'auteur,
MAIS il ne peut continuer à exister que s'il est lu !! Il a donc besoin que le lecteur le "recrée" en le lisant !! C'est d'ailleurs particulièrement appréciable à l'aune des études sur les "manières de lire" : personne n'interprètera de la même façon un même texte : on ne s'imaginera pas les voix pareilles d'un lecteur à l'autre, on ne s'imaginera pas le physique des personnage, ou les décors, de la même façon, etc... Ces interprétations sont conditionnés par le vécu du lecteur ! Par exemple, en lisant "
Les Machines à Illusions" de P.K. Dick, j'imagine le trajet de la jeune fille rejoignant le résistant d'après la route qui mène chez mes grands-parents, ce qui est un processus éminemment intime, vous autres, en lisant le même roman, imagineriez une toute autre route.
Il y a donc bien un processus de "recréation" et de "
perception subjective" du lecteur, par rapport au dieu-monde, neutre, écrit et figé..!
on touche par ailleurs au domaine des
représentations, domaine auquel je vais revenir... Quelques lignes plus bas.
A vous les studios...
Sens (Romaric Briand) a écrit :ibid P.102 :
"Les frontières de mon langage signifie les frontières de mon monde."Y a-t-il vraiment besoin de commentaire pour cette citation de Wittgenstein ? Dans Sens, le Monde est le verbe du MJ ou le verbe de Sens. Il est clair que les frontières de son langage sont les frontières de l'espace imaginaire possible. Autrement dit, les limites de l'espace imaginaire
possible sont les limites du langage du maître de jeu.
Si un MJ ne connait pas le mot "bielle", par exemple, il est impossible qu'un de ses PNJ emploie le mot. Il est impossible qu'un PJ trouve une bielle.
De même si le MJ ignore le sens du mot "bielle" même si les joueurs trouve une "bielle" elle sera autre chose qu'une bielle réelle. Le mot ne désignera plus la même chose et donc la bielle (entant que pièce d'un moteur) n'existera pas.
(...)
Cela dit ce point a été développé sur ce forum dans un autre post. Celui-ci
La réification :
http://www.silentdrift.net/forum/viewtopic.php?t=1430&highlight=r%E9ificationLa réification est le mécanisme permettant de construire un monde en construisant de nouveaux concepts généraux et donc à terme de nouveau objets particuliers.
Maintenant la question reste entière : la science ne construirait-elle pas, par le biais de modèles théoriques et par le biais de concepts les objets qu'elle prétend observer ? Le monde réel est-il construit ? Est-ce l'humain qui créer le monde, par l'acquisition de nouveau mots ?
J'ai ma petite idée sur le sujet. La différence entre la théocratie cellulaire et Hynios première c'est la réponse donnée à cette question. Le réalisme scientifique de la Cellule contre l'idéalisme d'Hynios.
La Cellule est un groupe réaliste au sens où pour eux le monde est réel. ils découvrent et ne créent rien. Ils expliquent ce qu'ils observent. Ils incarnent l'esprit de la science.
Pour Hynios la science de la Cellule est une théocratie. (Les vainqueurs écrivent l'histoire. Cela vous permet d'envisager le scénar de Blue Sky d'une autre manière) C'est une théocratie car pour Hynios la science est une Religion, rien de plus. Elle n'explique pas plus le monde que les anciens dieux de l'antiquité. Les prévisions qu'elle peut faire sortir de son chapeau sont ici car la science les y a mises. 1+1 = 2 car en vertu du sens que l'on donne à "1" à "+" et à "2" "1+1=2" est vraie. Autrement dit il est naturel que nous puissions prévoir des eclipses puisque nous avons définit le terme d'éclipse. C'est à peu près l'idée. Le monde n'est prévisible que parce que c'est nous qui l'avons construit. C'est cela la Cellule. des hommes construisent un monde et se font passer pour des dieux en prédisant le futur... cela ne vous rappelle rien ? C'est mon ambition, l'ambition de Sens, L'Immersion Totale ! De quoi vous faire peur ?
Je vous laisse avec cette phrase de Wittgenstein (ibid) P. 136:
"Nous ne pouvons prévoir que ce que nous construisons nous mêmes."Il est peut être temps que l'homme prenne en main son Destin. On entend sauvent dans les manifs "Tout ce qu'ils ont ils l'ont volé". Ne laissez pas les autres vous construire à votre place !
Vous avais-je déjà dit que malgré mes convictions chrétiennes, j'étais un hérétique ? Eh bien je vous le prouve : j'aime en effet le discous de Rom' sur ce deuxième point !
Toujours en science des communications, on vient cette semaine d'apprendre que l'une des écoles de la
conception systémique, l'école de PALO-ALTO, a élaboré un modèle théorique selon lequel la réalité échappe aux perceptions, car elle est sans cesse reconstruite par notre psychê, c'est la théorie constructiviste.
Elle affirme que l'esprit humain :
- n'est pas le miroir de la réalité.
- construis sa propre représentation, c'est-à-dire sa propre réalitéselon ses finalités inconscientes.
- impose inconsciemment sa réalité aux autres ; les contraint à réagir de telle façon ( toujours de manière inconsciente )
- est une remise en cause fondamentale du concept de vérité
Petite traduction : nous ne percevons pas le monde, nous l'interprétons et le reconstruisons selon nos
représentations issues de nos finalités inconscientes.
Bon, je ne pense pas t'avoir appris grand'chose, encore une fois, mais voilà mes deux sous. ;)