Fragments retrouvés
Publié : 08 Nov 2011, 18:52
Derrière l'Histoire officielle et autorisé de Fidridane, que nous sert la propagande malouine, il y a l'histoire dissonante et boiteuse, censurée par un régime autoritaire adorant la Vérité mais refusant toute sagesse vivante.
Voici un enregistrement sonore d'un fragment des conférences de Myphos Quadria qui fut effacé et qui tomba dans l'oubli. Je l'ai obtenu grâce à un Quadria de Création à qui j'ai promis l'anonymat. Si je parviens à en obtenir d'autres, je vous les ferai parvenir (si toute fois la police baronienne ne m'a pas exécuté sommairement d'ici-là).
Visiblement, l'enregistrement s'est fait à la fin de la première conférence de Myphos, du 10 janvier 559CSH ; l'intervenante n'était alors pas encore au courant des conférences suivantes.
/Début de l'enregistrement/
MYPHOS
Mais comme toujours, "I might be wrong..."
UNE VOIX venue de l'assistance
Evidemment que tu te trompes !
Remous parmi le public, exclamations indignées. Une personne monte sur l'estrade et arrache le micro à Myphos.
INTERVENANTE
Puisqu'il n'est ici de place que pour la philosophie autorisée, conquérons la parole ! Je suis Psilocybine, philo-punk, bienvenue dans ma poésie !
LA SALLE
Dehors ! Qu'on fasse taire cette hallucinée ! Mademoiselle, respectez le droit de parole !
Myphos reste silencieux parmi les huées scandalisées et les ricanements pontifiants. La voix de l'intervenante au micro parvient à les couvrir.
PSILOCYBINE
Quadria, je n'avais rien à redire à tes développements jusque là. Ta philosophie m'est indifférente tant qu'elle restait ce qu'elle devait être: un abri rassurant pour ceux qui ont peur de la poésie, un temple-bunker étroit où brûle le feu de la Vérité Simple, Limpide et Etriquée.
Mais tu viens de te trahir ! Tu crois toujours en dieu, Myphos et cela corrompt toute ta philosophie ! Tu viens de le dire pour te citer: « Le monde n'est que l'ombre projetée de la réalité logique et formelle » ; je ne peux pas croire que tu crois à une réalité supérieure méprisant ainsi la réalité humaine, concrète ! Tu dis: « Que ce serait-il passé si nous n'avions pas vu le jour ? Rien. Cet espace logique serait identique. » Ah bon ? Myphos tu es allé là où tu n'es pas né et tu l'as vérifié ? Ne te rends-tu pas compte que le logique n'est que le produit de ce que nous sommes, nous êtres humains, et qu'elle ne peut prétendre se débarrasser de nous ou nous surplomber ? Qu'adviendrait-il si, à l'image de la civilisation sétantras, nous étions capables de saisir d'autres éléments de l'univers ? Comment peux-tu nous assurer qu'il n'y a pas un autre logique qui apparaîtrait alors ?
Pourtant, il m'a semblé un moment que tu l'avais compris, lorsque tu disais que « Lorsque l'image d'une proposition coïncide avec l'image produite par un fait, alors cette proposition est vraie. » Je pensais que tu parviendrais encore à te raccrocher à cette ultime limite définissant la réalité au "r" minuscule comme l'ensemble des images produites par les esprits humains... Mais ce concept de réalité t'échappe, déjà il court, il mord, il infecte ton esprit et devient Réalité universelle et extérieure aux cadres de pensée humains. Ce concept te séduit et te fait céder à la tentation positiviste, qui insidieusement mais inéluctablement, conduit à la métaphysique parce qu'elle présuppose toujours l'existence d'un monde extérieur aux perceptions humaines. Ce sont les derniers morceaux du cadavre pourrissant de Dieu, dont tu ne parviens à te débarrasser. Je manque de temps pour tout dire, j'entends déjà ta police qui arrive...
Mais aucune philosophie ne peut parler de la Réalité, car les philosophies sont construites par des êtres humains nécessairement limités et empêtrés dans les interprétations et constructions sociales dont ils se servent pour traduire ce que leur disent leurs sens. Ta philosophie n'échappe pas à la règle, elle ne peut prétendre parler de la Réalité, elle ne parle que de nos visions du monde, elle montre ce que ces visions du monde ont en commun - et encore, ceci même pourra être discuté, car nous ne connaissons pas toute l'humanité, éloignée dans le temps et dans l'espace... Tu ne peux parler de la Réalité parce que tu es humain, Myphos, comme moi, comme ces philosophes bourgeois qui nous écoutent, humain, trop humain. Ton enfermement dans ta subjectivité ne te permet pas de dire ce qu'est la Réalité. Sur ce dont tu ne peux parler, il faut te taire !
Cela dit, ta philosophie n'a pas besoin de parler de la Réalité. Elle peut être un outil à l'échelle des humains effrayés par l'extérieur du logique et ce sera son plus grand honneur - je le dis sans ironie, pour une fois. Nous ne pouvons hélas exiger l'héroïsme de chacun. Je voudrais avoir le temps de parler de la place souveraine de la poésie dans ta philosophie. Viens en discuter dans la cellule où on va bientôt m'enfermer.
Mais si tu persistes à vouloir cette métaphysique, tu tomberas dans la même Erreur qui a rendu tant d'êtres humains malheureux, violents, haineux, faibles, stériles. Myphos, tu ne veux pas ressusciter Dieu, crois-moi ! Trop de métaphysiques religieuses, politiques, économiques ou scientifiques ont empoisonné l'humanité durant des millénaires. Car toute métaphysique nuit à l'humain, car la métaphysique méprise le concret, elle croit à une Réalité qui dépasse la réalité, qui dépasse l'être humain et l'écrase. Aucune métaphysique n'est innocente ou inoffensive, aucune. Sur ces métaphysiques se bâtissent toujours des Empires, des Eglises et des Marchés qui broient de l'humain ou qui l'élèvent en cage plutôt de lui permette de s'épanouir souverainement. Reste fidèle à la terre, Myphos mon frère, de toute la force de ta vertu ! Que ton amour généreux, que ton intelligence soient au service du sens de la terre. Je t'en prie, je t'en conjure.
On entend plusieurs pas lourds qui montent l'estrade.
PSILOCYBINE
La philosophie de ces conférences aura un jour des conséquences politiques funestes que vous ne pouvez ignorer ! Si tu refuses cet état de fait, ta responsabilité devant l'humanité sera phénoménale ! Vous n'avez pas le droit de me toucher ! Eloignez-vous !
Il semble que le micro lui est arraché et qu'elle est éloignée de la scène de force. Un moment de confusion où on peut supposer qu'elle échappe aux agents de sécurité pour se précipiter vers le micro.
PSILOCYBINE
Entends la Psilosibylle, ô Myphos: si tu continues sur cette voie, tu créeras une énième société morbide ! Ouvre-toi à la poésie ! Myphos, fais de la musiq...
Bruit de chocs sourds répétés, de décharges électriques et d'un corps que l'on traîne.
Le silence de Myphos est éloquent.
PHILIBERT COMTINE
Un peu de calme, je vous prie, tout rentre dans l'ordre... Bien, voilà. Ces élucubrations sans rigueur ni fondement sont terminées ; l'Empereur devrait prendre des mesures contre les mouvements anarcho-poétiques. Revenons aux véritables questions philosophiques, je vous prie. Merci Myphos. C'était dense mais assez clair comme toujours.
/Fin de l'enregistrement/
Voici un enregistrement sonore d'un fragment des conférences de Myphos Quadria qui fut effacé et qui tomba dans l'oubli. Je l'ai obtenu grâce à un Quadria de Création à qui j'ai promis l'anonymat. Si je parviens à en obtenir d'autres, je vous les ferai parvenir (si toute fois la police baronienne ne m'a pas exécuté sommairement d'ici-là).
Visiblement, l'enregistrement s'est fait à la fin de la première conférence de Myphos, du 10 janvier 559CSH ; l'intervenante n'était alors pas encore au courant des conférences suivantes.
/Début de l'enregistrement/
MYPHOS
Mais comme toujours, "I might be wrong..."
UNE VOIX venue de l'assistance
Evidemment que tu te trompes !
Remous parmi le public, exclamations indignées. Une personne monte sur l'estrade et arrache le micro à Myphos.
INTERVENANTE
Puisqu'il n'est ici de place que pour la philosophie autorisée, conquérons la parole ! Je suis Psilocybine, philo-punk, bienvenue dans ma poésie !
LA SALLE
Dehors ! Qu'on fasse taire cette hallucinée ! Mademoiselle, respectez le droit de parole !
Myphos reste silencieux parmi les huées scandalisées et les ricanements pontifiants. La voix de l'intervenante au micro parvient à les couvrir.
PSILOCYBINE
Quadria, je n'avais rien à redire à tes développements jusque là. Ta philosophie m'est indifférente tant qu'elle restait ce qu'elle devait être: un abri rassurant pour ceux qui ont peur de la poésie, un temple-bunker étroit où brûle le feu de la Vérité Simple, Limpide et Etriquée.
Mais tu viens de te trahir ! Tu crois toujours en dieu, Myphos et cela corrompt toute ta philosophie ! Tu viens de le dire pour te citer: « Le monde n'est que l'ombre projetée de la réalité logique et formelle » ; je ne peux pas croire que tu crois à une réalité supérieure méprisant ainsi la réalité humaine, concrète ! Tu dis: « Que ce serait-il passé si nous n'avions pas vu le jour ? Rien. Cet espace logique serait identique. » Ah bon ? Myphos tu es allé là où tu n'es pas né et tu l'as vérifié ? Ne te rends-tu pas compte que le logique n'est que le produit de ce que nous sommes, nous êtres humains, et qu'elle ne peut prétendre se débarrasser de nous ou nous surplomber ? Qu'adviendrait-il si, à l'image de la civilisation sétantras, nous étions capables de saisir d'autres éléments de l'univers ? Comment peux-tu nous assurer qu'il n'y a pas un autre logique qui apparaîtrait alors ?
Pourtant, il m'a semblé un moment que tu l'avais compris, lorsque tu disais que « Lorsque l'image d'une proposition coïncide avec l'image produite par un fait, alors cette proposition est vraie. » Je pensais que tu parviendrais encore à te raccrocher à cette ultime limite définissant la réalité au "r" minuscule comme l'ensemble des images produites par les esprits humains... Mais ce concept de réalité t'échappe, déjà il court, il mord, il infecte ton esprit et devient Réalité universelle et extérieure aux cadres de pensée humains. Ce concept te séduit et te fait céder à la tentation positiviste, qui insidieusement mais inéluctablement, conduit à la métaphysique parce qu'elle présuppose toujours l'existence d'un monde extérieur aux perceptions humaines. Ce sont les derniers morceaux du cadavre pourrissant de Dieu, dont tu ne parviens à te débarrasser. Je manque de temps pour tout dire, j'entends déjà ta police qui arrive...
Mais aucune philosophie ne peut parler de la Réalité, car les philosophies sont construites par des êtres humains nécessairement limités et empêtrés dans les interprétations et constructions sociales dont ils se servent pour traduire ce que leur disent leurs sens. Ta philosophie n'échappe pas à la règle, elle ne peut prétendre parler de la Réalité, elle ne parle que de nos visions du monde, elle montre ce que ces visions du monde ont en commun - et encore, ceci même pourra être discuté, car nous ne connaissons pas toute l'humanité, éloignée dans le temps et dans l'espace... Tu ne peux parler de la Réalité parce que tu es humain, Myphos, comme moi, comme ces philosophes bourgeois qui nous écoutent, humain, trop humain. Ton enfermement dans ta subjectivité ne te permet pas de dire ce qu'est la Réalité. Sur ce dont tu ne peux parler, il faut te taire !
Cela dit, ta philosophie n'a pas besoin de parler de la Réalité. Elle peut être un outil à l'échelle des humains effrayés par l'extérieur du logique et ce sera son plus grand honneur - je le dis sans ironie, pour une fois. Nous ne pouvons hélas exiger l'héroïsme de chacun. Je voudrais avoir le temps de parler de la place souveraine de la poésie dans ta philosophie. Viens en discuter dans la cellule où on va bientôt m'enfermer.
Mais si tu persistes à vouloir cette métaphysique, tu tomberas dans la même Erreur qui a rendu tant d'êtres humains malheureux, violents, haineux, faibles, stériles. Myphos, tu ne veux pas ressusciter Dieu, crois-moi ! Trop de métaphysiques religieuses, politiques, économiques ou scientifiques ont empoisonné l'humanité durant des millénaires. Car toute métaphysique nuit à l'humain, car la métaphysique méprise le concret, elle croit à une Réalité qui dépasse la réalité, qui dépasse l'être humain et l'écrase. Aucune métaphysique n'est innocente ou inoffensive, aucune. Sur ces métaphysiques se bâtissent toujours des Empires, des Eglises et des Marchés qui broient de l'humain ou qui l'élèvent en cage plutôt de lui permette de s'épanouir souverainement. Reste fidèle à la terre, Myphos mon frère, de toute la force de ta vertu ! Que ton amour généreux, que ton intelligence soient au service du sens de la terre. Je t'en prie, je t'en conjure.
On entend plusieurs pas lourds qui montent l'estrade.
PSILOCYBINE
La philosophie de ces conférences aura un jour des conséquences politiques funestes que vous ne pouvez ignorer ! Si tu refuses cet état de fait, ta responsabilité devant l'humanité sera phénoménale ! Vous n'avez pas le droit de me toucher ! Eloignez-vous !
Il semble que le micro lui est arraché et qu'elle est éloignée de la scène de force. Un moment de confusion où on peut supposer qu'elle échappe aux agents de sécurité pour se précipiter vers le micro.
PSILOCYBINE
Entends la Psilosibylle, ô Myphos: si tu continues sur cette voie, tu créeras une énième société morbide ! Ouvre-toi à la poésie ! Myphos, fais de la musiq...
Bruit de chocs sourds répétés, de décharges électriques et d'un corps que l'on traîne.
Le silence de Myphos est éloquent.
PHILIBERT COMTINE
Un peu de calme, je vous prie, tout rentre dans l'ordre... Bien, voilà. Ces élucubrations sans rigueur ni fondement sont terminées ; l'Empereur devrait prendre des mesures contre les mouvements anarcho-poétiques. Revenons aux véritables questions philosophiques, je vous prie. Merci Myphos. C'était dense mais assez clair comme toujours.
/Fin de l'enregistrement/