Essentialisme et Existentialisme

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Essentialisme et Existentialisme

Message par elbj » 01 Mars 2012, 11:04

Bonjour

Je ne peux m'empêcher de poser mon humble prose sur ce forum et le thème que je vais aborder est : Essentialisme et Existentialisme.

Petite défintion assez simple et grossière, les philosophes me pardonneront, peut être. La théorie de l'Essentialisme est fondée sur le postulat que l'Essence précède l'Existence. En gros le "ce pour quoi vous existez" est déterminé avant que vous existiez. Un exemple simple : lorsque je décide de réaliser un dessin je conceptualise, j'imagine celui-ci. Son Essence existe donc alors que je n'ai pas commencé à le créer. D'un point de vue religieux des notions comme le Destin ou "Dieu a un plan" sont Essentialistes. La théorie de l'Existentialisme est le contrainre (argh, quel raccourcis). L'Existence précède l'Essence. Ainsi, lorsqu'un individu naît il n'a pas de Destin, rien n'est immuablement déterminé. C'est la liberté de devenir. Nietzsche est essentiellement Existentialiste. Pour lui seuls les actes d'une personne définissent ce qu'elle est. Par opposition aux pensées et paroles qui ne sont que du vent. Un homme est ce qu'il fait, pas ce qu'il dit. Personnellement je partage pleinement cette vision des choses.

Au sein de Sens maintenant j'y vois une résurgence de l'opposition entre ces deux théories. En effet, le Déterminisme tel qu'il y est décrit est une conséquence d'une vision Essentialiste du monde. Lorsque Sens Détermine un personnage de son histoire, il y pense, il façonne son Essence puis le crée par le même biais. C'est ce même principe qui s'applique lorsqu'un romancier écrit un livre ou un scénariste un film : tel personnage sera comme ça, il pensera comme ça et agira comme ça. Or les Bugs sont les seuls personnages de l'histoire qui ne sont pas controlés par Sens. Tout comme les personnages des joueurs ne sont pas contrôlés par le MJ. Certes, dans un premier temps leur Essence précède leur Existence, lors du processus de création de personnage. On pense à celui-ci, on l'imagine, on le Détermine, on le crée en en ayant une vision. Puis dès que le jeu commence tout bascule. Partant du principe qu'un être est ce qu'il fait, le personnage deviendra ce que son joueur lui fera faire. Il évoluera et pourra même prendre une direction qui n'avait pas été prévue par son créateur. On se place alors dans une vision Existentialiste du personnage.

Un phénomène se produit alors, que l'on retrouve dans Sens, celui de la divergence. Même si Sens a prévu mot pour mot (comme dans les épreuves de Sens : Renaissance) ce qui doit se passer, à travers une vision Essentialiste des choses, l'absence de détermination des personnages des joueurs va devenir contagieux. A ce moment là le MJ se retrouve dans une situation où il doit constamment redéfinir le déroulement des choses en fonction des paramètres changeants. Tel personnage non joueur devait faire telle chose or les personnages joueurs ont rendu l'action impossible, comment le personnage va réagir ? Peut-il toujours réaliser ce pour quoi il est destiné ? Le Meneur de Jeu va devoir, à partir de ce qu'il a initialement déterminé de son personnage et des nouveaux facteurs, redéterminer celui-ci.

Cela dit une certaine inertie est toujours présente. Dans un podcast le terme avait été utilisé : inertie de l'Histoire. Ici nous parlerons d'inertie de l'histoire, celle que MJ et Joueurs sont en train de faire vivre à leurs personnages. Sens a déjà Déterminé la fin de l'histoire. Certes les Bugs sont là, ils vont influencer celle-ci, mais globalement elle arrivera à sa fin. Si tel événement ne se produit pas comme Sens l'avait prévu ou si tel personnage ne meurt pas au moment prévu, cela lui arrivera de toute façon à un autre moment et l'histoire reprendra son cours. Je vais faire un paralèle avec la Seconde Guerre Mondiale et le Nazisme. Attention on marche sur des oeufs. En gros la théorie est que si l'on pouvait revenir dans le temps pour tuer Hitler et qu'on le faisait cela changerait certainement l'Histoire que nous connaissons mais de toute façon les événements se dérouleraient. Certainement plus tard, sous une autre forme, mais certainement car ils sont issus d'un système complexe. Les causes étaient présentes, peu importe la forme que prendraient les conséquences, celles-ci surviendraient à un moment ou un autre.

Je terminerai par un clin d'oeil à l'oeuvre d'Azimov : Fondation. Dans celle-ci un mathématicien de génie met au point un algorithme qui est capable de prédire le futur de l'humanité dans son ensemble. Et effectivement tout se passe comme il l'a prévu jusqu'à ce qu'un Bug apparaisse et vienne tout perturber : un événement imprévisible. Plus tard on se rendra compte que l'algorithme n'est pas terminé et qu'il est constamment affiné par une société secrète (j'essaye d'éviter de spoiler cette magnifique oeuvre). En gros, comme je le disais ci-dessus, à l'instar de Sens, les chercheurs de cette société secrète font évoluer leurs prévisions en adaptant les paramètres.

Voilà, c'est déjà pas mal pour aujourd'hui.

Bonne journée

Ludiquement

BJ
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Re: Essentialisme et Existentialisme

Message par Romaric Briand » 01 Mars 2012, 12:57

Que de superbes réflexions ! Je prends beaucoup de plaisir à te lire ! Voilà ! C'est exactement ce genre de questionnements et de réflexions que j'ai souhaité encourager en écrivant ce jeu ! Si tu te poses déjà toutes ces questions, tes joueurs vont se les poser ! Super, BJ !
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Re: Essentialisme et Existentialisme

Message par elbj » 01 Mars 2012, 18:27

elbj a écrit :Nietzsche est essentiellement Existentialiste. Pour lui seuls les actes d'une personne définissent ce qu'elle est. Par opposition aux pensées et paroles qui ne sont que du vent. Un homme est ce qu'il fait, pas ce qu'il dit.

Petite rectification, je pensais à Sartre (ooooh Huis Clos, que du bonheur, si je puis dire) et non à Nietzsche en écrivant ces lignes. Cela dit, ce dernier a aussi contribué à cette philosophie.

BJ
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Re: Essentialisme et Existentialisme

Message par paragon » 03 Mars 2012, 23:45

Intéressant, mais je me pose plus du côté de ce que me semble dire Wittgenstein qui dit qu'une chose ne peut pas être indépendantes de son essence, en claire que toute les possibilités d'existence sont dans la logique et ce sont les rapports qu'elles tissent entre elles qui font "exister" les choses ou pas.

Pour expliquer cet exemple je me réfère à l'opinion de la FSF (free software fondation) qui critique les "créateurs" de logiciel qui disent "inventer" des choses. Hors selon l'avis de la FSF ces firme n'invente rien, car les codes qu'elles produisent existent déjà en tant que forme logique au même titre que 2+2=4 et que jamais l'on ne devrait pouvoir breveter cela...

Autre exemple en physique, ou les physicien cherchent à unifier les trois théorie de description de l'univers. En fait il sont désormais à peu près certain que l'univers à une cause et que les objets ont une définition et c'est là que tous s'effondre...

La liberté comme on l'entends n'existe pas, nous sommes définis, en rapport avec d'autre objets définis et donc contrains. En effet la logique dit clairement que selon les règles de la physique du monde dans lequel je me trouve si j'arrête de respirer je meurt étouffé. La liberté totale existe, c'est l'absence de rapports avec autre-chose, l'absence d'altérité en clair l'autodétermination absolue mais aussi le destin le plus tragique qui puisse advenir, celui qu'on décris à Sens au début de "mort". Mais si la liberté n'existe pas je ne pense pas qu'il en aille de même de la volonté, nous ne sommes pas déterminés par des runes, nous "sommes" ces runes, nous sommes ce qui est déterminant, nous ne sommes pas définis mais nous sommes des définitions. On retrouve cette nuance en POO (programmation orientée objet) ou les objets sont une pure forme logique décrite par des maths, on s'interroge toujours si les objets doivent "être un" (hériter...) ou "avoir un" (disposer d'une variable de type...).
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Re: Essentialisme et Existentialisme

Message par edophoenix » 20 Mars 2012, 17:48

paragon + Spinoza = ?

8D

Bon, hop, je rejoins la discussion plus sérieusement. Je ne reprends pas la question d'Asimov puisque j'en ai parlé dans d'autres fils (mais tu as vu, Rom', hein : il n'y a pas que Lionel et moi qui t'en parlent ;-) !)

J'adhère carrément à l'explication d'elbj concernant l'inertie de l'Histoire. La disparition d'Hitler (pour reprendre cet exemple) n'aurait pas empêché l'éclatement d'une nouvelle guerre entre la France et l'Allemagne. Les conditions y étaient.
Le parallèle fait avec Sens est intéressant, mais s'arrête t-il seulement à Sens ? Je pense qu'on peut l'appliquer à tout autre jeu "à campagne". Les joueurs "vivent" l'histoire (ou l'Histoire ?) plutôt qu'ils ne la font. C'est une impression que j'ai souvent et ce mode de jeu peut suffire à me faire passer une bonne soirée (même si j'aime encore d'autres manières de jouer !)

Je reviens à Sens :
Il y a quelque chose dont je n'ai pas parlé beaucoup sur la forme de Sens : Mort ;
j'ai eu l'impression qu'il y avait, quelque part une triche de la part de l'auteur : ce n'est pas le dirigisme, que je remets ici en cause, mais le fait que Rom', en nous offrant des scénarii sous forme théâtral, nous raconte en fait ses propres parties, il nous raconte la campagne telle que lui et ses joueurs l'ont jouée. Du point de vue de la description de l'univers, c'est génial, parce que ça nous fait découvrir cette univers de façon ultra-vivante, à travers les yeux des PJ, et donc, nous, MJ, nous sommes immergés dans l'Univers presque au même titre que les joueurs.

...Du point de vue rôlistique, est-ce honnête ? Cela veut dire que nous avons sous les yeux des parties anciennes (même si, évidemment, les textes ont été remaniés, corrigés et complétés pour nous présenter une version exploitable de l'univers et de l'intrigue.)
Signifie-ce que nous devons reproduire la partie jouée à l'origine par Romaric ? Il est spécifié dans chaque livre que le MJ se doit d'adapter sa campagne aux (ré)actions des PJ : donc normalement cela ne devrait pas être le cas.
Néanmoins, il est également spécifié qu'un certain nombre d'évènements doivent se dérouler d'une façon identique à celle prescrite dans les scénarii. Par exemple, certains personnages ne PEUVENT pas mourir : ils doivent survivre, car on les retrouve plus tard dans la Campagne.
Certaines rencontres sont inéluctables.

Certains visiteurs fidèles du forum nous ont offert des scenarii supplémentaires (dont plusieurs d'Adrien (Chemize) ici, ou ou encore un exemple de mini-campagne ici !), ce qui montre bien qu'une certaine liberté (ou plutôt une liberté certaine dirais-je même) est laissé au MJ.
Mais ces scénarii ne doivent pas troubler les événements essentiels de la Campagne principale.

Donc, un certain mimétisme est de mise, certains schémas doivent être reproduits à travers les générations successives de MJ.

En me reposant la question posée plus haut : est-ce honnête de procéder ainsi ?
Eh bien, je réponds oui pour ma part, mais uniquement à cause de la nature et de l'objet spécifique de Sens. Parce que Sens explore des questions comme le déterminisme, alors cette manière de procéder peut s'inscrire dans sa logique propre.
Après tout, avant l'arrivée du judaïsme et de sa conception linéaire du temps, toutes les civilisations antiques concevaient le temps comme un cycle (les saisons, tout ça...) se répétant à l'infini. C'est là aussi une forme de déterminisme, et là, je sens que ma dissertation commence à partir dans tous les sens, et revenez donc au sujet, je vous prie !

Bref. Vous m'avez compris : le déterminisme ne s'applique pas seulement aux personnages des joueurs, mais il s'applique aussi au MJ. On a beaucoup parlé du retour du concept de finalisme dans les milieux scientifiques, il y a de cela quelques temps. Myphos a dû avoir accès à ces archives, et l'auteur de Sens également (mise en abîme, quand tu nous tient...)
Cette chose que je pense plus difficile pour le MJ que pour les joueurs, c'est justement ce finalisme qui lui laisse peu de marges de manœuvre dans la Campagne Principale, car les PJ eux, n'en ont pas nécessairement conscience, alors que le MJ lui, sait.
Heureusement, les jeux de rôle classiques nous ont plus ou moins habitués à cela. Il ne s'agit que de l'exacerbation d'une tendance ancienne dans le jeu de rôle, qui est de suivre des scénarii du commerce déjà programmé. Ca existe dans toutes les gammes de jeux mainstream.

Beaucoup de baratin pour en arriver là, finalement : Sens, à travers les propos de elbj, nous fait réfléchir à l'essentialisme - non pas uniquement en lui-même mais dans le jeu de rôle en général.
L'un des objectifs de Romaric n'était-il pas, après tout, de nous faire réfléchir à nos propres habitudes et pratiques de rôlistes ? De nous faire réfléchir sur le jeu de rôle lui-même ?


paragon a écrit :Autre exemple en physique, ou les physicien cherchent à unifier les trois théorie de description de l'univers. En fait il sont désormais à peu près certain que l'univers à une cause et que les objets ont une définition et c'est là que tous s'effondre...

L'idée que l'Univers ait une cause efficiente date de quelques siècles quand même (je parle de l'idée scientifique, pas de l'idée religieuse, évidemment, qui, elle, remonte à l'Egypte ancienne ce qui nous fait plus que quelques siècles. On en parlait déjà avant la construction de la théorie du big-bang.)
L'idée qui est nouvelle par contre, c'est que l'Univers aurait une cause finale.

Or, c'est la même différence entre Sens et les autres jeux de rôle : dans pratiquement tous les jeux de rôles ont parle de héros à la destinée exceptionnelle. S'interroge-t-on pour autant sur ce que signifie cette notion de Destin ?
Les scénarii ont une cause efficiente - la raison pour laquelle les PJ s'embarquent dans l'aventure, i.e. l'événement déclencheur - mais presque aucun n'exprime de cause finale. Pourtant, la plupart en ont une : la scène finale (le jeu de mots n'est pas involontaire) du triomphe des PJ sur leur adversaire.

Dans Sens, nous ne connaissons pas encore la cause finale, car nous n'avons pas encore lu le sixième tome. Mais nous savons qu'il y en a une, car sinon, pourquoi certains événements "importants" seraient-ils spécifiés comme incontournables ? Pourquoi certaines rencontres seraient-elles inéluctables ? La mort de certains PNJ, impossibles (hop : on retombe sur la prédestination cachée !) ?

En fait, Sens est prisonnier de sa propre logique tout comme l'être est, selon Spinoza, prisonnier de sa propre nature.
De même, le PJ est prisonnier de sa fiche et de ses statistiques - avant même d'être prisonnier des décisions du joueur qui le contrôle.
La question suivante sera logiquement : et le rôliste, lui, de quoi est-il prisonnier ?
"Le Paradis, c'est un roman devant un bon feu ! " - Théophile GAUTHIER.
"Toute notre dignité consiste donc en la pensée " - B. PASCAL, Pensées.
"Si le monde n'a absolument aucun sens, qu'est-ce qui nous empêche d'en inventer un?" - Lewis Caroll, Alice au pays des Merveilles.
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