Je me suis lancé dans une partie de Conspirations sur Google Wave. C'est le même principe que de jouer par courriel ou forum. Il s'agit de jeu en ligne en mode textuel asynchrone c'est-à-dire que j'adresse aux joueurs/contributeurs un texte (qui est une proposition) et ces derniers écrivent à la suite leur réponse. Les personnages sont définis par des traits auquel on donne une valeur (en nombre de dés à six faces). Cette valeur est purement indicative car je joue sans utiliser les dés. J'appelle cela des outils d'aide à la décision. A cela on ajoute un défaut, un secret, des motivations, une histoire et même un dessin... Les joueurs sont totalement libres de créer le personnage qu'ils veulent. Cette étape est primordiale car les joueurs/contributeurs vont de la sorte me fournir des amorces dont je vais me servir, des potentialités que je vais exploiter. Ce sont les personnages qui vont m'inspirer des histoires alors que dans le jeu de rôle classique ce sont les personnages qui s'adaptent aux scénarios, à l'univers. D'ailleurs les joueurs s'auto-censurent et cherchent systématiquement à créer un groupe hétérogène avec un érudit, un "guerrier", un "tchatcheur" alors qu'un groupe d'érudit est totalement viable. L'important est d'être satisfait de son personnage et pas de chercher l'optimisation dès le départ. Question scénario, au départ, j'écrivais des scènes pivot mais je me suis rapidement rendu compte que les contributions des joueurs allaient régulièrement dans un autre sens que celui que j'avais décidé. J'ai donc décidé de ne pas les censurer dans la mesure où les textes étaient de vrais apports et enrichissaient l'histoire. A partir de ce constat il fallait que je réfléchisse à ma fonction de modérateur. J'ai découvert le site Limbic systems (http://froudounich.free.fr/) et d'autres liens. Bref, j'ai trouvé toute une théorie rôliste et une pratique qui était pour moi le chaînon manquant... Voici donc ma contribution qui mêle théorie et pratique. J'ai recours aux concepts développés dans la catégorie "théorie rôliste" du site déjà cité ainsi qu'à des notions que l'on retrouve dans les ateliers d'écriture. Louis Aragon, dans "Blanche ou l'Oubli" écrit : "Jusqu'ici, les romanciers se sont contentés de parodier le monde. Il s'agit maintenant de l'inventer". Et je me prends à rêver que les rôlistes ont cette capacité d'invention en eux. Dans le jeu de rôle classique le côté ludique est mis en avant. Ce que je me propose de débattre ici repose sur cette interrogation : quels sont les critères qui permettent de développer un jeu de rôle inventif (créatif) ? Les critères essentiels seraient l'absence de scénario stricto sensu, l'absence de dès et le rôle du modérateur. J'aborderai ces aspects sous l'angle théorique puis pratique en commentant les extraits de la partie en cours.
Pour ce qui est du rôle du modérateur, j'ai retrouvé un texte de Robin Laws intégré dans "Conspirations", un jeu de rôle de Jonathan Tweet, livre de base ISBN 2-910529-09-6, 1995, édition originale "Atlas Games, éd. française Halloween concept (tred. Tristan Lhomme) pages 121 et 122. Voici les passages qui me semblent intéressants : "Les MJ pourront tenter d'agir comme un artiste qui crée en collaboration avec ses joueurs. (...) L'idée de collaboration est importante. Le MJ n'est pas un "conteur" qui a les joueurs pour public. Il est simplement le "premier parmi les égaux", avec pour seule responsabilité le développement harmonieux de l'histoire." Ma pratique, sur ce point là, se rapproche d'un atelier d'écriture dont je serais l'animateur. La différence réside dans le fait que j'écris, je participe, alors que l'animateur d'atelier ne produit aucun texte. Pour autant, je fais un texte qui est une proposition d'écriture. Ce texte comprend un problème à résoudre (quelqu'un a disparu) ainsi que différentes amorçes qui peuvent éveiller la curiosité des joueurs. A partir de là les joueurs-contributeurs écrivent librement, en fonction de l'historique de leur personnage. C'est ensuite à moi de m'adapter. Le scénario n'est donc pas pré-écrit mais écrit au fur et à mesure. J'en viens donc à la notion de "création au pied levé" que Démiurge décrit dans le site Limbic Systems et notamment dans l'article "Le JDR est potentialité". L'autre idée fondamentale selon moi est celle de "contenu dynamique" que Démiurge définit comme autant "d’éléments préparés dont l’implication dans l’histoire ne présume pas de choix des joueurs". Pour moi ce sont les PNJ non liés à un lieu particulier mais que je peux utiliser quand je sens que c'est le moment et au-delà, les organisations (forces en présence). Il me suffit de "jouer" sur les antagonismes et de lier tout cela avec le "background" des personnages. Le modérateur doit donc agir avec bon sens (je n'ai pas dit réalisme) et "créer au pied levé", autre concept extrêmement important abordé par Démiurge qui dit, je cite : "Je n’aime pas trop le terme d’improvisation qui suppose des talents particuliers et des années de travail, j’utiliserai plutôt celui de création au pied levé : les choses imaginées, inventées et proposées durant la partie. (...) Tout ce qui est préparé et qui contraint ou interdit les choix ou actions du joueur pourtant viables pour la forme d’histoire convenue avec les joueurs est à proscrire. C’est une rupture de l’intérêt fondamental du jeu de rôle : la malléabilité du matériau fictionnel."
Ceci m'amène donc à l'absence de jet de dès et je serai bref : le modérateur n'a pas à se protéger derrière un jet de dés. C'est à lui d'assumer ses choix. D'ailleurs, en général, il convenu qu'un MJ traditionnel (Maître de Jeu) décide d'outrepasser le résultat d'un jet pour sauver un personnage ou imposer son désir. Donc soit on joue avec les dès sans tricher soit on ne les utilise pas. Et puis en quoi un maître de jeu est-il un maître si le résultat d'un simple jet de dé peut le mettre en défaut ? C'est, à mon sens, le paradoxe du jeu de rôle traditionnel. Donc, pas de faux semblant, je me débarrasse sans état d'âme des dés et je juge si telle ou telle action doit réussir ou échouer. Je laisse même ce choix à mes joueurs-contributeurs si j'estime que c'est plausible ou dans l'intérêt de l'histoire.
Enfin, concernant le scénario (dont j'ai déjà un peu parlé plus haut), je vais avoir recours une nouvelle fois à Aragon et ensuite à Hitchcock et son concept de Mc Guffin. Voici donc des extraits du livre "Hitchcock/Truffaut", éd. Gallimard, 2001, ISBN 2-07-073574-5 dans lesquels FT signifie François Truffaut et AH Alfred Hitchcock : "FT. Le Mac Guffin, c'est le prétexte, c'est ça ? AH. C'est un biais, un truc, une combine, on appelle cela un "gimmick" (...) Vous savez que Kipling écrivait fréquemment sur les Indes et les Britanniques qui luttaient contre les indigènes sur la frontière de l'Afghanistan. Dans toutes les histoires d'espionnage écrites dans cette atmosphère, il s'agissait invariablement du vol des plans de la forteresse. Cela, c'était le Mac Guffin. Mac Guffin est donc le nom que l'on donne à ce genre d'action : voler... les papiers, voler... les documents, voler... un secret. Cela n'a pas d'importance en réalité et les logiciens ont tort de chercher la vérité dans le Mac Guffin". Peu importe donc le scénario car ce qui compte c'est que l'idée de départ du modérateur génère de l'histoire génère une dynamique. Nous retrouvons là l'idée de contenu dynamique. Dans "Je n'ai jamais appris à écrire ou les incipit" Aragon écrit : "Le romancier, tel qu'on se l'imagine, est une espèce d'ingénieur, qui sait fort bien où il en veut venir, résout des problèmes dont il connaît le but, combine une machine ou un pont, s'étant dit je vais construire un pont comme ci ou une machine comme ça". Plus loin Aragon explique "sa" vision-conception de l'écriture : "Jamais je n'ai écrit une histoire dont je connaissais le déroulement, j'ai toujours été, écrivant, comme un lecteur qui fait la connaissance d'un paysage ou de personnages dont il découvre le caractère, la biographie, la destinée (...) Je comparerais volontiers le romancier à un jongleur, dont la balle envoyée d'une main à l'autre suit la courbe (...) mais arrive dans l'autre main modifiée par l'espace parcouru, jouant son propre jeu en dehors du jongleur, qui ne peut que fermer la main sur elle. Parce que le roman sort de son début comme d'une source, mais l'eau s'en charge avant la mer de toutes les terres rencontrées, jusqu'à la phrase terminale qui est comme l'accumulation".
Ce qui me permet de revenir au rôle du modérateur et de boucler ma partie théorique le modérateur lance la balle en l'air et elle retombe dans sa main mais, entre les deux, les joueurs-contributeurs sont libres de s'en emparer, de s'amuser avec avant de la poser dans l'autre main du modérateur.
Je n'ai pas retravaillé les textes aussi ils contiennent des fautes d'orthographes et autres coquilles... Les PJ sont Curtis Graham, un professeur d'arts martiaux qui fait des recherches sur le chamanisme et les divers courants mystiques. Il possède un pouvoir étrange qui est en train de découvrir peu à peu. Arnie a également un pouvoir étrange qui est en train de se développer. Il a plutôt le profil du génie de la bricole, un Mac Gyver du XXIe siècle en quelque sorte. Voici mon premier texte :
Paris, 13ème arr. - France. Mardi 19 janvier 2010. Dojo de Curtis Graham, 20H08. Le cour de Curtis était terminé. Le silence régnait maintenant dans le dojo. Les derniers élèves sortaient des vestiaires, des asiatiques pour la plupart. Il y avait aussi Arnie “ le bricoleur ”, qui avait déjà dépanné Curtis. La salle était en effet vétuste, les crédits de la mairie rares et sans aucune visite des techniciens municipaux. Il fallait se débrouiller et Arnie n’avait pas son pareil pour intervenir sur le compteur électrique ou pour réparer une fuite d’eau, sans jamais rien demander en échange. Curtis se demandait pourquoi Arnie, qui avait tellement de capacités, restait à moisir dans ce quartier. A la réflexion, on pouvait dire la même chose de Curtis… Ainsi, le dojo, malgré son apparent délabrement, fonctionnait plutôt bien et Curtis aimait l’atmosphère qui y régnait.
Arnie observait, soucieux, les rampes d’éclairage. Un néon se mit à clignoter. Curtis s’approcha du compteur et coupa l’électricité. “ Nous verrons cela plus tard ” lança-t-il à Arnie. Le dojo était plongé dans la pénombre. Dehors, on pouvait distinguer l’enseigne lumineuse d’une épicerie asiatique. Les deux hommes traversèrent la salle, comme au ralenti. Curtis sentait une présence et jeta un œil sur sa droite. Ce n’était que le portrait de Maître Ueshiba. Il continua d’avancer sous le regard en papier glacé. Dans sa tête résonnait des cliquetis d’armes anciennes et les cris des boshis durant une bataille. Arrivé à la sortie il interrompit sa rêverie. Il sortit les clés de sa veste machinalement. Dans l’entrée du dojo il y avait trois kanjis, aï, ki et do, ainsi que leur traduction : harmonie, énergie, la voie. Sur le mur opposé on pouvait lire : “ Il n’est pas nécessaire d’être violent pour être efficace martialement, l’être est même contre-productif en aïkido ”. Il parcouru le dojo du regard et sortit. Il neigeait. La fraîcheur du soir le ramena quelque peu à la réalité. Arnie l’attendait. Ils se saluèrent. C’est à ce moment qu’arriva Max Ziegler. Curtis fut surpris de voir là son libraire. Max avait la soixantaine passée. Il était petit, portait des lunettes rondes et, comme à son habitude, un vieux costume élimé aux coudes. Il failli tomber en glissant sur le trottoir. Il tremblait. Une enveloppe de papier kraft dépassait de sa veste. Il regarda dans toutes les directions et lança :
- On peut se parler.
Il jeta un œil à Arnie et parla plus bas :
- On peut lui faire confiance ? Je crois que je suis suivi.
Dans ce texte j'ai essayé d'amorcer la partie par une introduction ultra-bateau : un PNJ (contact-allié du PJ) vient demander de l'aide. Voici la contribution du joueur de Curtis, Le joueur d'Arnie passant son tour :
- Hein ? Je ... heu.. Arnie ? Ha, oui, pas de problème avec Arnie...
Curtis était très surpris de l'apparition de Max ici, devant son dojo, et à une heure pareille. Surtout avec cette mine de conspirateur de série Z. Le Max qu'il connaissait respirait le calme et l'odeur du vieux papier, un libraire comme on n'en faisait plus, capable de vous parler de Gutemberg comme s'il l'avait connu ou des codex Mayas - son dada - dont il avait acquis des facs similés d'une rare beauté.
Curtis se tourna vers Arnie, puis fit les présentations :
- Max, voici Arnie, une vieille connaissance, qui nous aide à maintenir le dojo dans un état utilisable.
- Arnie, je te présente Max, qui tient la librairie "La 25ème heure", dont je t'ai déjà parlé. Max est mon fournisseur officiel de nourriture intellectuelle, il...
Devant la mine angoissée de Max, Curtis interrompit sa phrase et regarda le petit homme d'un air grave.
- Max, que t'arrive-t-il, mon ami ?
J'ai enchaîné avec :
- Je vais tout t’expliquer. Allons à ce restaurant... avec ton ami bien entendu. Je vous invite.
Max désignait un petit restaurant chinois que Curtis et Arnie connaissaient bien car ils s’y rendaient de temps en temps en sortant du dojo.
Une fois installé à l’intérieur, les trois hommes commandèrent rapidement. Le restaurant était presque désert. Max prit l’enveloppe de papier kraft et en sortit une sorte de mémoire au format A4. Arnie, qui avait par le passé lui-même rédigé ce type de travaux, reconnut immédiatement ce modèle de reliure thermo-collée. Cependant il lui sembla que le carton sur lequel était imprimé le quatrième de couverture était très épais, ce qui n’était pas ordinaire. Max rompit le silence qui avait accompagné la découverte du document :
- Un soir, je ne me rappelle plus lequel. Max se frottait la tête en essayant de se remémorer la date exacte. Max était vraiment contrarié, lui qui avait une si bonne mémoire.
Il reprit :
- Bref, un homme nommé Chris Long, un eurasien, est venu me voir à la librairie… Max marqua une pause puis un lueur sembla traverser son regard… Oui c’est ça, je me rappelle, j’avais baissé le rideau métallique. Je me suis demandé comment il avait pu entrer. Il a posé ce manuscrit en disant des choses étranges comme “ je ne peux pas l’emmener là où je vais. Conservez-le jusqu’à mon retour. Je n’ai pas d’autre choix que de vous faire confiance ”. Puis il a fait mine de s’en aller. Il s’est retourné et a ajouté “ Parlez-en à Curtis, il vous aidera… Je l’ai vu sur la liste… Lisez le document et attendez mon retour ”. Je lui ai demandé de rester, de m’expliquer mais il a dit “ Je suis suivi, si je reste trop longtemps, ils vous retrouveront, ils me suivent, ils savent, je ne sais pas comment mais ils me suivent à la trace. Lisez, vous comprendrez. D’autres doivent savoir… ”. J’ai penché la tête sur le document et quand j’ai voulu lui poser d’autres questions il avait disparu. Depuis son départ, j’ai gardé le document sur moi, pour le lire notamment, et puis j’ai remarqué qu’on avait visité la librairie, mon appartement. J’ai l’impression d’être épié. Ce matin, une voiture a failli m’écraser et je suis sûr que ce n’était pas à cause de la neige.
Max s'interrompit lorsque le serveur apporta quelques amuses bouches et du thé au jasmin".
Ce texte me permet de préciser le "gimmick" : quelqu'un a disparu en laissant un manuscrit. C'est le moment ou je "jette la balle en l'air". Il faut donc une certaine "densité" d'infos et de potentialités à creuser par la suite. D'ailleurs mes contributions seront plus courtes par la suite. Le manuscrit en question contient pleins d'informations, de pistes à explorer. Curtis lit le manuscrit et Arnie découvre un mouchard Hi-Tech dissimulé dans la couverture du livre. Contribution du joueur de Curtis :
Curtis jeta un air étonné vers Arnie.
- Ok, sortons. Je vous invite, mes amis, laissez moi régler la note et je vous rejoint dehors.
Curtis avait besoin d'un moment seul pour remettre ses idées en place. Entre le contenu du manuscrit et l'étrange appareillage découvert dans sa couverture, sans compter l'état de Max et ce moment étrange lorsqu'Arnie sauva le manuscrit du thé au jasmin, Curtis se sentait un peu perdu et n'arrivait pas à aligner une idée, sans parler d'un raisonnement construit. Il répondit machinalement aux sempiternelles blagues du patron tout en payant et en essayant de retrouver un équilibre. Lu-Hsin était un petit bonhomme sympa mais il radotait, l'avantage c'est qu'on pouvait le laisser parler...
Il sortit ensuite rejoindre ses amis et inspira une grande goulée d'air frais.
- Voulez-vous prendre un verre quelque part, j'ai besoin d'un remontant ? demanda-t-il. Nous pourrions parler de tout cela tranquillement. Et pour ce ... truc électronique, pour éviter que les signaux dont tu parlais soient brouillés trop longtemps, on pourrait l'extraire de la couverture et le jeter dans un métro, non ?
Contribution du joueur d'Arnie :
- J'aurais bien aimé pouvoir jeter un œil à mon aise sur ce circuit, mais il est peut-être plus prudent de s'en débarrasser tout de suite.
On note que le premier joueur a écrit : "Il répondit machinalement aux sempiternelles blagues du patron tout en payant et en essayant de retrouver un équilibre. Lu-Hsin était un petit bonhomme sympa mais il radotait, l'avantage c'est qu'on pouvait le laisser parler..." Là il se substitut au modérateur et prend le contrôle de l'univers en donnant un nom au PNJ et une description. Je reprends la main et j'écris :
Rue des Près, Paris, 13e arr. Arnie, Curtis et Max sortent du restaurant. Il est tard maintenant. La neige tombe lentement sur la rue des Près, déserte. Lu-Hsin ferme le rideau métallique du restaurant. Sur la gauche on distingue le Square des Peupliers et la rue des peupliers . Immédiatement après, c'est la rue de Tolbiac, plus passante. Sur la droite, la rue des Près s'enfonce dans le quartier chinois et ses ruelles étroites, mystérieuses. La neige renforce cette impression. Les ombres qui s'allongent sur les murs font penser à d'étranges créatures... Les volutes de vapeurs s'échappent du restaurant tels des esprits quittent leur enveloppe mortelle... Elles restent là, suspendues dans l'air et le temps, puis se dissipent lentement. Les trois hommes sortent de leur contemplation et reprennent leur discussion quand soudain.
J'ai repris le nom du PNJ comme si c'était moi qui l'avais inventé mais c'est bien une invention du joueur. Je leur indique ensuite en privé qu'ils ressentent un grand danger. Les PJ ont en effet quasiment le même pouvoir étrange. J'ai prévu en effet de leur envoyer des "bad-guys" armés de tasers... La fermeture du rideau métallique permet de les mettre littéralement au dos du mur. Le seul "échappatoire" ce sont les ruelles du quartier chinois sur leur droite. Mais en privé le joueur de Curtis me demande ce qu'il y a aux abords. Je lui dit qu'il voit un cinéma (invention "au pied levé") alors que je n'avais rien imaginé. Contribution du joueur de Curtis :
Curtis se figea brusquement, surprenant ses amis. Il resta immobile quelques secondes, comme pétrifié, les yeux mi-clos, puis son regard s'anima de nouveau et il jeta un rapide regard circulaire sur la rue, l'air inquiet. Il déclara d'une voix faible, un peu tremblante :
- Je ne me sens étrange, tout d'un coup, comme si un danger imminent nous menaçait. C'est un peu comme si... je voyait une porte qui allait se mettre à claquer et que je voulais l'en empêcher. Ce cinéma là, en face, allons-y ! Vite ! Je vous expliquerai à l'intérieur.
En suivant, contribution du joueur d'Arnie :
Arnie se précipita vers le cinéma presque en même temps que Curtis. Max les suivit un peu à la traîne. À peine les portes se fermaient-elles derrière Max qu'on entendit le bruit d'une grosse cylindrée arrivant à vive allure dans la rue, avant de freiner brusquement non loin de là. Des portières claquèrent.
Le caissier posa son roman et leva les yeux d'un air surpris.
- Bonsoir. Il n'y a pas de séance avant trois quarts d'heure, c'est pour une réservation ?
Ignorant la question, Arnie et Curtis passèrent devant la caisse et se lancèrent dans l'escalier, sans tenir compte des imprécations du caissier. Ils connaissaient tous deux ce cinéma et la direction de la seconde sortie, à l'arrière du bâtiment. Ils s'arrêtèrent une seconde pour attendre Max qui avait un peu de mal à suivre.
- Sensei, comment saviez-vous que ces hommes allaient venir ?
Là on constate que le joueur d'Arnie prend le contrôle total de l'univers. Il joue le caissier, présuppose et invente l'existence d'une porte de service... J'avais imaginé au départ une course poursuite dans les ruelles du quartier chinois et tout cela venait d'être balayé par le joueur. Conformément aux règles que je me suis fixé, j'ai décidé de conserver la scène telle qu'elle sans censurer les joueurs et décide créer "au pied levé" en rebondissant sur la phrase d'un joueur ("Ils s'arrêtèrent une seconde pour attendre Max qui avait un peu de mal à suivre") et en exploitant la fragilité du PNJ pour inventer la suite :
Max était fatigué, à bout de souffle. D'une main tremblante il avala quelques pilules qu'il sortait d'une petite boîte. Il glissa celle-ci dans la poche de sa veste. Il regarda Curtis et Arnie et dit :
- Cela devrait aller. Je pense qu'il serait dangereux de retourner à la librairie. Il est tard. Il faudrait que je loge à l'hôtel... à moins que... Je connais peut-être quelqu'un qui pourrait m'héberger.
Heureusement, les PJ décident d'accompagner le PNJ. Ceci me laisse le temps (en effet chaque contributeur a une semaine pour envoyer son texte) d'inventer un autre PNJ (Pierre Malevaud) et de rechercher comme relancer l'histoire :
Max conduisit Curtis et Arnie chez Pierre Malevaud. Il leur expliqua sur le chemin que Pierre et lui avaient participé à des expéditions en Egypte. Alors que Max avait abandonné l'archéologie, Pierre été devenu enseignant-chercheur. Aujourd'hui il était président du Cercle Archéologique de Paris. Les trois hommes arrivèrent devant une petite maison de ville coincée entre deux blocs de béton, des résidences. Max poussa la petite grille métallique et pénétra dans la courette. Une volée de marches menaient à une solide porte cochère sur laquelle était gravée un hiéroglyphe. Curtis reconnu l'oeil d'Horus, symbole souvent porté en pendentif dans l'antiquité comme talisman protecteur. Sous le symbole égyptien était gravé une citation de Mark Twain : Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait ! Max sonna. On entendit un petit bruit derrière la porte puis celle-ci s'ouvrit. L'homme qui apparut était grand et svelte. Pierre arborait une barbe blanche et courte, taillée avec soin. "Bonsoir messieurs" dit-il d'une voix très calme. Il se recula pour laisser entrer les trois hommes. En passant près de lui Arnie et Curtis remarquèrent que, bien que plus âgé que Max, Pierre semblait dix ans de moins. "Entrez, il fait froid" dit-il. Il referma la porte puis introduisit les visiteurs dans un salon baigné par une lumière tamisée. Il y avait des livres partout. Une échelle en bois finement sculptée permettait d'aller chercher les ouvrages situés en hauteur. Dans un coin se trouvait une vitrine dans laquelle on pouvait voir quelques antiquités, pièces de monnaies et statuettes, peut-être même une rune. Max fit les présentations et demanda à son ami s'il pouvait l'héberger. Pierre accepta volontiers et désigna un canapé et des fauteuils disposés autour d'une table basse. Il ajouta :
- Vous avez bien quelques minutes ?
Voilà, je pourrais continuer ainsi mais je crois que les quelques exemples que je viens de donner illustrent bien le trio absence de scénario et contenu dynamique (gimmick...) - absence de dès et fluidité - rôle du modérateur ("création au pied levé") / rôle des joueurs (rôle étendu au contrôle de l'univers du jeu) qui sont pour moi les fondements du jeu de rôle "inventif"("créatif") que j'expérimente et que je cherche à développer.
L'objectif étant de créer une histoire qui procure du plaisir à tous les participants qu'ils soient joueur ou modérateur.