La partie a été courte (j'aurais aimé atteindre un stade où les jauges d'émotion débordent) mais très agréable.
J'ai utilisé la version la plus récente des règles, en y ajoutant deux éléments:
- les figures valaient double dans le calcul des retombées
- on devait décrire les actions de son personnage à la troisième personne (pour insister sur leurs gestes et attitudes et pas seulement sur leurs paroles).
Problème: Mon affiliation UMP m'empêche de développer mes idées PS
Croyance: Je me mens à moi-même
Croyance: Je vis pour mes proches
Adèle: nous sommes d'anciens amants
Je me sens responsable de la difficulté qu'éprouve Adèle à penser que l'on peut concilier convictions et amitiés.
Adèle ne prend pas conscience qu'elle s'impose elle-même son psychodrame [pour signifier qu'Adèle ne fait pas d'effort envers ses proches selon lui]
Je jouais Adèle Chantière, militante écologiste âgée
Problème: Mes convictions me coupent de mes proches
Croyance: Les gens sont aveugles aux problèmes écologiques
Croyance: Mes convictions me permettent de rester honnête
Jean-Pierre: très bons amis
Je trouve triste que Jean-Pierre n'assume pas plus ses idées
Sans ma famille, ma vie n'aurait pas de sens
En cours de création de personnage, nous avons beaucoup discuté de la raison pour laquelle nos personnages étaient liés. Edouard a d'abord suggéré que son personnage soit le parrain du mien, mais ça ne m'inspirait pas et j'ai proposé d'inverser les positions: que mon personnage soit le mentor du sien. Ca lui a plu, ce qui m'a poussé à vieillir mon personnage et à le faire changer de nom (d'Eleanor à Adèle). Edouard a suggéré que son personnage, plus jeune d'une vingtaine d'années, ait connu sa première expérience sexuelle avec le mien, à une époque où la libération sexuelle était une réalité. Par ailleurs, on a décidé qu'Adèle et lui étaient devenus adversaires politiques au sein de la municipalité de leur ville du Nord.
Je n'indique pas les jauges d'émotions et leur évolution, puisqu'elles n'ont jamais "débordé".
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Déroulement
Scène d'exposition (Edouard): Jean-Pierre revient chez lui en hiver après un conseil municipal long et difficile et pense à sa famille et surtout sa belle-famille. Il se rappelle qu'il doit sa place et sa fortune à sa femme et surtout à son beau-père dirigeant l'industrie régionale de clés à molette. C'est en grande partie à cause d'eux qu'il a dû accepter des idées conservatrices et un mode de vie traditionnel. [Edouard a voulu partir vers un accrochage avec la belle-famille de son personnage, mais comme il ne peut y avoir de Conflit dans une scène d'exposition, la scène a été requalifiée en pensées intérieures.]
Scène d'exposition (Fabien): Adèle rentre également chez elle après ledit conseil municipal. Elle nourrit son chat et se fait à manger. Il y a une lettre arrivée par la Poste. Il s'agit d'une carte postale de la fille d'Adèle partie en vacances avec sa femme (couple homoparental, donc) et leurs enfants au Pérou. Adèle se fâche devant une telle pollution par le voyage en avion et jette la lettre au loin sans la terminer. Elle lit le journal sur la table de la cuisine. Finalement elle se lève pour aller se coucher et reprend la lecture, qui est une reprise de contact après un long silence et qui annonce que sa fille voudrait lui rendre visite bientôt avec sa femme et leurs enfants.
Scène problématique (que, forcément, j'ai mise en place, en m'appuyant fortement sur ce que Edouard souhaitait amener dans la scène précédente) : Jean-Pierre rentre chez lui: visite surprise de sa belle-famille! Alors que les femmes débarrassent la table, Jean-Pierre et son beau-père discute autour d'une bière. Le beau-père a besoin de lui: une usine de la concurrence (chinoise) va s'installer à proximité et risque de détruire complètement l'usine familiale. Edouard décrit le beau-père comme un petit dictateur de sa famille et de son entreprise. Finalement, on va vers le Conflit: Jean-Pierre parvient à ne rien promettre inconsidérément (et donc, enjeu, de ne pas se soumettre à son beau-père), mais il est par conséquence en froid avec sa femme. Edouard a choisi d'emporter l'enjeu tout en acceptant le risque: je décide de diminuer de 1 la valeur du Trait "Je vis pour ma famille". [Je trouve intéressant qu'au fond, on puisse utiliser un Trait contre lui-même comme ici, mais avec le risque de le voir être affaibli ensuite. C'est une mécanique subtile mais très efficace au fond.]
Scène problématique (Edouard): Adèle sort de chez elle un matin et rencontre un jeune, Kevin, dont Adèle connait bien la mère. Il vient d'abandonner des ordures dans la rue, ce qui agace fortement Adèle. Elle se saisit d'une canette de soda et la lui lance à la tête. Le Conflit s'engage rapidement après quelques échanges bien sentis. Ce Conflit a été très intéressant et je voudrais m'y attarder. L'enjeu était que l'adolescent fasse des excuses et ramasse ses ordures. Edouard a posé comme risque qu'Adèle passe pour une vieille sorcière emmerdeuse dans son quartier (ce qui était parfaitement en accord avec son Problème). Il s'est déroulé en deux manches.
A l'issue de la première manche, en regardant mes cartes, l'issue possible la plus intéressante me semblait être perdre l'enjeu mais éviter le risque: après tout, je m'en foutais de ce sale gosse et ça m'importait de ne pas passer pour une vieille acariâtre sans amis. Mais je me suis rendu compte que j'avais une autre possibilités: infliger 4 points de retombée à l'ado (à l'aide de deux figures, des valets), ce qui est énorme, mais en allant vers une égalité, ce qui risquait d'amener une deuxième manche moins favorable. J'ai choisi la deuxième option parce que j'avais terriblement envie de prendre ce personnage secondaire sous mon aile et de voir ce qu'il allait devenir, quitte à risquer mon propre personnage. C'est là que j'ai vraiment senti la puissance "Story Now" (1) de Psychodrame, dans la dimension "explorer les conséquences d'un acte du personnage". Je regrette que la partie n'ait pas duré plus longtemps pour explorer et développer ce personnage de Kevin et sa relation avec Adèle. [Au passage, je salue la manière dont les règles nous ont permis de transformer un stéréotype en personnage plus convaincant.]
Finalement à l'issue de la seconde manche, j'ai emporté l'enjeu en acceptant le risque. Je raconte comment je parviens à convaincre Kevin de changer de comportement et à venir prendre un thé bio chez moi, ce qui nous permet de lier connaissance ; en revanche, je commence à prendre conscience que tout le quartier me voit comme une vieille écolo pénible. Edouard a diminué de 1 mon Trait "Les gens sont aveugles aux problèmes écologiques" et j'ai créé deux nouveaux Traits au personnage secondaire de Kevin: conscience écologiste naissante à 2 et sentiments pour Adèle à 2.
Scène d'exposition (Edouard): Jean-Pierre tôt le matin croise Adèle devant la machine à café. Il engage la conversation sur le fait qu'Adèle semble aller bien ce matin et elle lui raconte sa rencontre avec Kevin. Edouard et moi cabotinons un peu en s'appuyant sur la relation qu'entretiennent nos personnages, notamment leur joyeux passé. Finalement on se dirige implicitement vers le coeur de la scène: Adèle reproche à Jean-Pierre sa politique de droite et Jean-Pierre la défend. Adèle affirme qu'il n'est pas comme ça. Au moment où Adèle le quitte (je fuis le Conflit puisqu'il est interdit), Edouard explique que Jean-Pierre se rend compte qu'il ne croit à aucun des arguments qu'il a avancé.
Nous nous sommes arrêtés là pour des contraintes d'horaire.
En comptant la création de personnage, nous avons joué approximativement une heure et demi.
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Commentaires
En tant que démonstration, je crois que cette séance a été un succès. J'ai été surpris de la rapidité avec laquelle Edouard (dont c'était la première partie de jeu de rôle) a créé son personnage (il allait plus vite que moi) et sa facilité à inventer des scènes. Au-delà de ça, je crois que Psychodrame est un bon jeu pour faire découvrir le jdr, de par son contenu connu de tous (le monde réel, sans changement) et son thème auquel nous sommes tous habitués (les émotions humaines, en particulier si vous aimez les séries télé).
Comme pour la partie Crises de foi, j'ai essayé de sortir du sentier battu des sentiments amoureux et ça a bien réussi à nouveau.
Bien que je ne l'ai pas consciemment voulu, je me suis rendu compte que j'ai joué la partie de manière très "intellectuelle", en faisant primer les choix rationnels, alors que d'habitude je joue très "affectivement" en faisant primer mes émotions (pour reprendre la distinction apportée par Bichette dans le sujet Crises de foi). C'était sans doute dû au fait que nous n'étions pas seuls (des membres de la famille passaient à proximité) et que je n'ai pas choisi un Problème qui me travaille en profondeur. Je me suis bien amusé quand même avec cette manière de jouer, voir plus haut le Conflit d'Adèle, même si je continue de croire que la manière que je préfère est l'affective.
En ce qui concerne la règle de la narration à la troisième personne, il nous a été difficile de l'appliquer en permanence, surtout à partir du moment où nous avons utilisé au moins une fois la première personne du singulier (d'ailleurs je me rends compte que j'ai écris tout le rapport de partie en mélangeant les premières personnes des joueurs et des personnages). Sur le papier, j'aime bien cette règle, mais il faut que je la teste encore pour me convaincre de son utilité et de sa capacité à être appliquée.
Edouard a eu des difficultés à mettre en place les scènes problématiques comme le souhaite le jeu, parce qu'il avait tendance à jouer mon personnage à ma place pour arriver directement au conflit. Il est vrai que j'avais appelé les scènes problématiques des scènes de conflit, mais je n'ai pas su bien lui expliquer comment mettre en place efficacement une telle scène. Fred, tu écris dans les règles
Je trouve que c'est encore un peu vague. Tu m'as mis en garde récemment contre les règles qui sont en fait des injonctions aux joueurs, je te retourne la mise en garde ! ;-)Le Protagoniste choisit son premier Metteur en scène qui devra placer une tension, une élément problématique, dans sa mise en scène relative au Problème du Protagoniste ou aux actions jouées plus tôt dans la partie.
Qu'est-ce que ça signifie qu'il y a une tension exactement? Est-ce que ça veut dire que le Metteur en scène doit tout de suite déterminer un enjeu, voire un risque ? Sinon, pourquoi il y a-t-il tension?
Est-ce qu'il ne serait pas plus intéressant de dire que la scène doit illustrer, représenter, concrétiser le Problème (ce qui serait plus facile pour le Metteur en Scène et permettrait une plus grande liberté aux joueurs plutôt que de foncer vers le Conflit)?
Qu'en dis-tu?
Enfin, bien qu'on ne l'ait pas utilisé là, j'ai du mal à comprendre la règle essentielle des coups de théâtre. Sauf si tu es déjà en train de la réécrire, peux-tu en expliquer un peu plus le fonctionnement?
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(1) Puisque les règles du forum exigent d'être le plus clair possible sur les termes techniques employés, explication très rapide sur le "Story Now", terme de théorie forgéenne.
Le "Story Now" est un des trois types de démarches créatives possibles pour une partie de jeu de rôle. Grosso-modo, une démarche créative est la dynamique sociale qui se noue entre les joueurs durant une partie. Dans le "Story Now", l'attention des joueurs est orientée vers le fait d'explorer et de juger (moralement) les actes des personnages et leurs conséquences (plutôt que de chercher à célébrer un canon esthétique ou à relever des défis). Pour soutenir cette démarche, le système de Psychodrame propose aux joueurs des choix difficiles pour leurs personnages (jusqu'où est-on prêt à aller pour emporter l'enjeu ? quels risques et retombées peut-on accepter ? qu'est-on prêt à faire pour les éviter ?). Ici le système m'a poussé dans cette démarche d'une manière supplémentaire en me permettant d'avoir de l'influence sur un personnage secondaire et d'explorer les conséquences de mon influence sur lui, ce que j'ai beaucoup aimé.
Le "Story Now" a longtemps été nommé "narrativism" (aux côtés de "gamism" et "simulationism"), mais le terme a été abandonné devant l'utilisation galvaudée et fausse de ces termes.
Pour en savoir plus, je recommande la lecture de ce texte.
Je ne souhaite pas que ce sujet parte en discussion théorique pure, je préfère qu'il se concentre sur le développement Psychodrame. Donc si vous souhaitez des explications plus poussées ou si vous voulez débattre ou critiquer ma définition (je corrigerai mon texte, en cas de besoin), écrivez-moi directement plutôt, je me ferai un plaisir de vous répondre.