Hier, j'ai mené une partie d'Innommable à la Guilde, pour 3 joueurs connaissant le jeu + 1 joueur néophyte du genre et initié depuis peu au JDR classique.
Le cadre est un Centre Hospitalier Universitaire, disposant de toutes sortes de spécialités : neurologie, oncologie, pédiatrie, psychiatrie, pneumologie, cardiologie etc.
Les protagonistes :
- Nina, infirmière. Attache : son empathie ; jouée par Gaël
- David, patron d'entreprise, ayant fait un nervous breakdown par surmenage, en fin d'hospitalisation. Attache : son entreprise ; joué par Dominique
- Alex, patient en psychiatrie pour dépression, à son jour de sortie. Attache : Élise sa fiancée ; joué par Lionel (Arkel)
- Élodie, pompier escortant les victimes d'accidents. Attache : une enfant qu'elle a secourue et qui est devenue très proche d'elle. ; jouée par Mélanie (Arianne)
Pour chacun d'entre eux, en ce samedi ensoleillé, le nombre de visiteurs et de personnel hospitalier semble restreint.
L'un d'entre eux, voit que la route qui encercle l'hôpital semble avoir disparue, et à la place, le vide jusqu'à perte de vue, encercle le parc de l'hôpital.
Certains joueurs décident d'aller voir ce qu'est ce vide, d'autres cherchent le personnel hospitalier, Alex va sur le parking attendre sa fiancée qui venait le chercher pour sa sortie de cure.
Élodie et Nina rencontrent un infirmier en train de s'affairer dans un bureau, quand il se retourne, à la place de ses yeux, il n'y a rien, de la peau, en somme. Il se saisit d'une seringue pleine d'un liquide sombre et se jète sur elles. Il parvient à blesser Élodie au bras, la plaie devient purulente.
Ils s'enfuient.
Nina a le souvenir d'une scène dans la rue où elle croise un homme aveugle et quand elle s'approche de lui, il la dévisage...
David monte sur le toit du bâtiment principal et observe le vide autour du parc. Il observe une substance organique, entre rouille et moisissure qui recouvre les murs et la terrasse sur laquelle il se trouve. Puis il redescend pour se rendre sur le parking et se perd dans les couloirs, se retrouve dans une impasse, puis dans une salle de radiologie, où il observe une radio d'une main à 6 doigts, un scanner d'une tête sans yeux...
Élodie tente de passer un coup de fil, mais elle entend des voix au combiné répéter : c'est ta faute, c'est toi, c'est à cause de toi... (note, je n'ai pas beaucoup réutilisé l'élément esthétique puisque ça faisait un peu trop redondant).
Élodie se souvient dans un pays en guerre, d'une frappe de bombardier sur un hôpital civil, le mal irradiait dans l'hôpital...
Alex se rend compte que la voiture la plus proche de lui sur le parking est couverte d'une substance semblable à de la rouille. Sa fiancée arrive enfin, les autres voitures du parking ressemblent à des épaves, couvertes de cette rouille, gluante au toucher. Il a un flashback où il voit de la rouille sur sa fiancée. Un homme avec un bouquet de fleur vient voir Alex, fait comme si ils se connaissaient bien, et Alex découvre que sa femme a un trou dans le front et continue de lui parler.
Élodie et Nina trouvent une pharmacie, Nina nettoie la plaie et fait un bandage.
David se rend dans le cabinet de son médecin psychiatre où il le trouve. Il lui demande ce que c'est que ce bordel. Le psychiatre lui dit que tout est normal, qu'il n'y a aucun problème. David va à la fenêtre et lui dit : mais regardez, où est passée la route ?
Le psychiatre l'empoigne et tente de le défenestrer, mais David l'en empêche et l'assomme. Il consulte son dossier et découvre que le visage et le métier ne sont pas les siens, il s'agit du dossier de Samuel Livingstone, l'un de ses comptables qu'il a licenciés...
Élodie et Nina se font poursuivre dans un couloir par un chirurgien armé d'un scalpel et des infirmiers à la démarche saccadée.
Élodie parvient à les distancer, mais pas Nina. Ils la saisissent et lui ouvrent la poitrine à l'aide d'un instrument à lame courbe et dentelée. Elle pisse le sang et Élodie revient à la charge pour la sauver. Elles se retrouvent plus loin, ne sachant pas comment s'y prendre pour suturer l'infirmière.
Pendant ce temps, Alex voit sa fiancée décomposée et ouverte comme un mannequin... (hallucination) il s'enfuit vers le bâtiment et s'adresse à une secrétaire qui n'a qu'une bouche au milieu du visage et qui lui fait une liste des services de l'hôpital complètement macabre.
Sa fiancée le rejoint, toujours affublée d'un trou au milieu du front.
David voit apparaître dans la pièce le comptable qu'il a licencié, il a appris que peu de temps après son licenciement, sa femme était partie avec ses enfants et il avait mis fin à ses jours. D'ailleurs, il apparaît avec le haut de la tête explosé et un trou béant dans sa mâchoire. Il accuse David d'être responsable de sa mort, s'ensuit un débat sur sa responsabilité, puis Samuel le touche à l'épaule et David vit le désespoir et le suicide de l'homme.
Élodie tente de soigner Nina, mais est perturbée par l'ouverture béante dans le corps de son amie. Elle trouve ça sexuellement excitant.
Nina fouille dans sa plaie et en sort un clef couverte de sang et de morceaux de chair (Gaël a pioché un d8).
Alex s'enfuit dans un couloir sombre, où il voit en souvenir sa fiancée lisant sur le canapé du salon et une silhouette familière approcher avec une arme et lui tirer dans le front. Sa fiancée morte sort une clef "organique de sa poche et la lui donne. EN sortant de son souvenir, il a bien la clef dans sa main...
Élodie transpose son excitation sexuelle sur sa propre plaie et la trifouille en prenant du plaisir et en sort également une clef...
Un homme est attaché à un radiateur un peu plus loin dans le couloir, il est couvert de plaies et a le pantalon baissé. Il supplie Élodie de le laisser partir, terrorisé. Elle le détache, il la menace de révéler à leur chef ce qu'elle lui a fait.
Nina se lève, la poitrine ouverte, mais elle ne sent plus rien...
David réveille le psychiatre assommé et lui demande ce qui lui arrive. Le psychiatre lui explique qu'il est venu en thérapie, à cause de graves crises. Il lui tend un comprimé grâce auquel il pourra revenir à la réalité.
Alex les rejoint, des infirmières marchant à quatre pattes, les membres et la tête retournés à 180° entrent dans la pièce.
David prend le médicament et lentement, il voit que la pièce couverte de rouille et de moisissure redevient propre et blanche, les infirmières se tiennent debout et ont un visage...
Alex voit des serrures se dessiner dans un des murs de la pièce.
Élodie et Nina poursuivent l'homme qui était attaché au radiateur, il se retrouvent au bord du vide sur l'entrée du parking. Élodie tente de le rattraper pour l'empêcher de se jeter dans le vide, mais c'est elle qui tombe... Et en tombant, elle se revoit violer l'homme attaché au radiateur en lui infligeant divers supplices.
Nina quant à elle parvient à attraper l'homme voyant son amie tomber dans le vide, elle lui mort le bras et en sort une autre clef.
David observe les diplômes et les photos sur le mur du psychiatre, il voit qu'il s'appelle Robert C. David et il voit sur une photo d'un congrès de Psychiatrie que le visage du psychiatre est le sien.
Nina les rejoint et met ses clefs dans les serrures et ouvre une porte dans le mur et elle voit de l'autre côté la même pièce blanche et propre que David. elle y entre et là, sa poitrine est intacte, des infirmiers (normaux) la saisissent et l'enferment dans une cellule capitonnée.
Alex entre sa clef à son tour dans la serrure. il voit une infirmière de l'autre côté à qui il demande ce qu'il fait là. Elle lui explique qu'il est là pour se remettre de sa dépression, mais que sa fiancée n'est pas revenue lui rendre visite depuis sa dernière permission de sortie.
Il voit de l'autre côté du "miroir", le reflet de NIna, la poitrine ouverte, qui lui fait signe de la main en tenant des clefs. Il voit l'homme qui tenait le bouquet de fleurs qui vient le voir et l'accuse du meurtre de sa fiancée (là, Alex vainc son antagoniste, je ne sais plus comment).
David s'installe au bureau du psychiatre et voit une sorte de trou noir à l'autre bout de la pièce. Il se lève et s'y engouffre. De l'autre côté, il voit un ciel clair et un homme barbu qui lui fait signe d'approcher. Il y va... Un infirmière entre dans le bureau et trouve son corps gisant sur le sol sans vie.
Je considère la victoire de Lionel comme une fin positive. Je leur propose de raconter le dénouement de l'histoire :
- Alex est mis sous camisole chimique est enfermé dans sa chambre.
- Élodie est enfermée dans une cellule haute sécurité, perdue dans ses délires, l'enquête a montré qu'elle était bien l'auteur de viol et de torture sur son camarade de caserne.
- Gaël n'ajoute rien pour la fin de Nina et Dominique voulait que David s'en sorte bien (alors qu'il était censé être mort)... je lui ai expliqué qu'après mon châtiment en ayant coché son 5e nom, il ne pouvait pas bien s'en sortir.
Remarques
Dominique m'a dit plusieurs fois qu'il avait trouvé la partie super, qu'il n'avait jamais joué à un jeu où l'histoire dominait sur le jeu, il était plutôt habitué aux parties où il ouvre une porte, et il combat un monstre...
J'ai toujours une facilité incroyable en tant que MJ à générer des scènes imprévues d'une cruauté et d'un glauque achevés dans Innommable (je me sens plus libre et plus soutenu que dans n'importe quel autre jeu).
Je n'ai pas suffisamment bien révélé les antagonistes, les joueurs étaient un peu perdus à la fin. Après la partie, ils m'ont demandé le vrai fond de la situation mystérieuse (ce qui était un échec pour moi). Quand je leur ai expliqué (en fait, pas grand chose de plus que ce qu'ils ont vécu) ils ont dit qu'ils avaient compris en fait (donc ce n'était pas tant un échec en fin de compte).
À vouloir laisser le doute jusqu'au bout, je n'ai pas su imposer les antagonistes dans leur rôle et les joueurs n'ont pas vraiment su comment finir la partie.
Cela dit, les scènes étaient d'une extraordinaire intensité, la table a éclaté de rire à plusieurs reprises, ont manifesté leur approbation devant l'inventivité de chacun, les situations étaient fortes, prenantes, palpitantes, voilà un jeu qui permet de tirer parti de l'instant présent, plutôt que de "choses du passé" ou de "surprise finale".
Les joueurs ont beaucoup apprécié le mélange de psychiatrie, de Silent Hill, de films de Cronenberg, voire de David Lynch... Bref, une belle réussite, malgré une fin un peu brumeuse.
J'étais tellement absorbé par mon utilisation de la liste du sort et par le recyclage des monologues des joueurs, que j'ai un peu négligé d'autres règles de gestion de la difficulté et de révélation des antagonistes et de la Source.
Les joueurs ont énormément participé au côté : sommes nous fous, ou vivons nous des phénomènes surnaturels ? Pour ma part, je n'ai rien forcé (sauf quand j'ai pu utiliser la liste du sort en exploitant leurs idées). Le fait que David vive un syndrome de personnalités multiples était du fait de Dominique, Mélanie a joué à fond la perversion sexuelle morbide (je savais que ça l'inspirerait), Gaël a lui-même décidé que malgré la poitrine ouverte, son protagoniste continuait à bouger et à parler normalement (troubles de la conscience du corps chez certains psychotiques), Lionel a bien exploité l'idée de la mort de sa fiancée et le fait que son perso puisse en être responsable (dans ses monologues, même si je ne l'ai peut-être pas bien retranscrit, c'était des perches qu'il me tendait).
Je me suis arrêté à une difficulté de 3, alors que j'aurais pu monter plus haut, parce qu'ils n'étaient pas très chanceux aux dés.
Mélanie a dit à un moment qu'elle trouvait que l'idée de supprimer un nom de la liste en cas de scène d'ancrage, ça lui semblait contradictoire avec la position dans laquelle elle se trouvait en tant que joueuse.
Je pense que pour que ce type d'antagonistes abstraits fonctionne, il faut préparer un peu plus la révélation de leur importance dans l'émergence de la source. En plus, ici, j'ai pris cette émergence un peu à l'envers : rapidement le monde devient cauchemardesque, et c'est quand les joueurs entrevoient la réalité qu'ils doivent découvrir ce qu'est la source. C'est périlleux, mais ça me paraît une piste d'ouverture possible pour Innommable.