Gaël, Mélanie et moi avons joué une partie de la dernière version en date de Monostatos.
La partie s'est bien déroulée :
- Le jeu tournait grave, la partie était fluide, personne n'a éprouvé de difficultés à improviser ;
- on s'est régalé, la partie était super cool, il s'est passé des événements vraiment beaux et palpitants ;
- on a relevé un certain nombre de choses qui mériteraient amélioration de nos points de vue, je vais développer tout ça.
En tant que MJ, j'ai potassé le magnifique univers et le système de jeu d'une redoutable efficacité, je me suis fait un pense-bête pour les règles du jeu (elles tiennent sur 5 pages dans le bouquin, mon pense-bête me permettait juste d'avoir plus rapidement accès aux informations importantes).
J'ai préparé un lieu pour la partie, que voici : http://www.limbicsystemsjdr.com/PDF/Lieu1-la%20cit%C3%A9%20de%20Cronos.pdf
L'une de particularités du jeu, c'est que le MJ doit lire l'intégralité de sa préparation aux joueurs. Exit donc les secrets dont il a la réponse. J'en ai profité pour y mettre des rumeurs afin que chacun puisse s'en emparer pendant la partie.
Nous avons préparé les PJ que voici :
Gaël joue Pharmouti
- Souffrance : j'ai été bannie de la secte de l'Ether pour avoir créé une nouvelle danse
- Vertu : je défends la liberté d'expression (note : j'ai décidé de simplifier la création de vertu, chaque joueur choisit une vertu qui lui plait, ce peut être l'altruisme, la compassion ou quoi que ce soit, tant qu'il ne s'agit pas de soumission.)
- quand je danse, tout le monde autour de moi danse à mes côtés
- je possède une tiare de l'empire du Scarabée qui appartenait à une noble de mon peuple
- je suis opportuniste (bon, c'est résumé, mais il y a l'idée de tirer parti des situations avec une certaine facilité avec assez peu de scrupules)
Mélanie joue Geb (ancien fidèle de Monostatos banni pour son homosexualité)
- Souffrance : le Culte a torturé mon amant
- Vertu : je ne défends que la vie
- Je vois la vérité
- Je suis sensuel
- Parmi les fidèles de Monostatos, beaucoup me sont encore dévoués
Déroulement de la partie
Nous n'avons en tout et pour tout joué que quatre scènes, mais elles étaient très riches en événements et nous avons pris notre temps pour les développer convenablement.
A – Tableau du MJ
Je cadre la scène : Des silhouettes évoluent dans un dédale parfaitement noir, éclairé par un cristal que l'un d'entre-eux tient dans les mains.
Ils aboutissent dans une salle au centre de laquelle se trouve un lac extrêmement profond et où l'on entend des voix sur la berge.
Alors que les silhouettes s'approchent, on voit à la lueur du lichen phosphorescent plusieurs hommes tenir quelqu'un et l'accusant de les espionner et d'être à la solde du Culte de Monostatos.
Gaël décide que la personne interrogée est son héroïne : Pharmouti. Elle leur dit qu'ils lui prêtent des intentions qui ne sont pas les siennes.
Comme Pharmouti est une ancienne prêtresse de Monostatos, je propose à Gaël qu'elle porte un tatouage en forme de Panopticon (le symbole de Monostatos).
Djia, le doyen montre le tatouage sur son épaule et lui dit : il s'agit du symbole des prêtres du Culte, ce qui confirme nos soupçons.
À ce stade-là on ne joue pas d'affrontement (mécanique de résolution), décidant de jouer le conflit librement.
Mélanie intègre son personnage qui somnolait dans une cavité non loin. Geb vivant dans le dédale depuis de nombreuses années, est connu pour pouvoir déceler la vérité.
Mélanie demande à Gaël si Pharmouti est sincère. Celui-ci lui dit que oui.
Geb s'approche et touche Pharmouti et déclare qu'elle dit la vérité.
B – Tableau de Mélanie
Geb se trouve dans un lieu de détente en compagnie d'un jeune homme d'une grande beauté nommé Khaleb. Ils s'éclipsent tous deux dans une salle retirée pour faire l'amour (ce qui a bien entendu valu un point de Puissance à Mélanie).
Je prends le relais, j'ajoute que dans le dédale, il y a bien plus d'hommes que de femmes. Puis je lui explique que lorsqu'ils sortent du lieu, un homme étrange suit Khaleb. Mélanie décide de les suivre. Dans une ruelle, l'homme étrange déploie comme une grande cape dans laquelle il attrape Khaleb et disparaît dans un nuage de poussière ocre.
(J'ai volontairement semé l'ambiguïté : est-ce un membre de la secte de la poussière ou autre chose?)
Mélanie décide de le poursuivre. J'en ai profité pour tenter quelque chose : j'ai proposé à Mélanie de jouer un Conflit sur la poursuite du kidnappeur.
Comme les personnages ne sont pas en opposition, j'ai proposé à Mélanie de lancer le dé sans que je narre de réaction (comme ça pourrait se passer lors d'une action en douce). Elle entraîne les gens du lieu de détente dans une véritable battue à la poursuite du kidnappeur.
Comme elle a réussi le jet de dés, j'ai décidé qu'ils avaient retrouvé leur cible.
Après réflexion, je me suis dit que si elle avait échoué, on aurait passé notre temps à chercher et ça aurait été chiant.
Néanmoins, pour les coups en douce, ça me paraît un bon moyen de régler ce genre d'actions :
Celui qui agit lance le dé, l'autre ne réagit pas immédiatement. En cas d'échec, celui qui est visé par l'action prend l'avantage (je propose lancer les dés sans dépenser de points de puissance ou d'options pour le lancer de dés, gagner une relance automatique lorsque l'action en douce de l'adversaire échoue). En cas de victoire, on fait comme d'habitude en prenant bien en compte les circonstances de l'action.
Geb et une poignée d'hommes entendent du bruit quelques étages plus haut et d'un escalier sculpté dans la roche, un de ses accolytes est projeté et s'effondre au sol, le crâne ouvert en deux. Il est couvert d'une boue ocre. Geb monte l'escalier et se retrouve face à une silhouette humanoïde qui se liquéfie et montre sa constitution d'argile liquide.
Geb pose sa main sur le front de la chose et tente de lire ses pensées pour savoir où se trouve Khaleb. Il découvre que son amant se trouve dans le corps même de la créature.
La créature contrattaque en engloutissant la main et le bras de Geb qui en profite pour attraper Khaleb. Geb remporte l'affrontement par abandon de ma part.
Geb pousse la créature dans une étendue d'eau non loin, celle-ci se délite laissant Khaleb revenir à la surface.
C – Tableau de Gaël
Pharmouti va voir Geb qui travaille à la récolte des champignons des profondeurs, champignons stratifiés semblable à des stalactites et des stalagmites parfois colossaux.
Geb ayant aidé Pharmouti, elle lui fait confiance et va la trouver, afin de lui demander pourquoi elle n'a entendu aucune musique depuis son arrivée (il y a quelques jours).
Geb lui explique que dans ces cavernes, les gens perdent leur espoir et avec, l'envie de danser et de jouer de la musique.
Pharmouti et Geb se mettent en tête de leur redonner goût à ces choses. Ils se rendent dans une grande pièce de grande circulation et Geb se met à jouer de la percussion et Pharmouti danse (Geb n'avait aucune singularité disant qu'il sait jouer de la musique, j'ai laissé Mélanie décider qu'il savait le faire). Les passants les ignorent, seuls quelques uns sont captivés par leur spectacle.
On déclare un affrontement. Pharmouti et Geb renchérissent d'énergie et de sensualité, des gens les insultent et quittent les lieux, des musiciens se joignent à Geb et Pharmouti, tandis que des ascètes viennent les défier en priant juste en face. Au final, j'abandonne l'affrontement à court d'idées, la fête augmente en intensité, les passants dansent dans une sorte de transe collective...
D – Tableau du MJ
Une foule monte à la surface, à l'entrée principale de la caverne, à flanc de montagne. Un défilé de prêtres de Monostatos, protégés de l'ardeur du soleil par une grande carapace de verre.
Sur un grand char, des prêtres du granit, entourés de prêtres de fer, avançant lentement au son monotone d'un tambour. Ils viennent emmener avec eux les reclus du dédale que l'ascèse a conduit à l'adoration de Monostatos.
Des dissidents les assaillent avec des armes de fortune, ne voulant pas les laisser entrer dans les cavernes, mais ils se font maîtriser par les soldats de la secte du fer.
Geb entreprend de défier les prêtres. Son amant Khaleb voit son épaule perforée par une flèche de la secte du fer. Mélanie décide que parmi eux se trouve un des anciens amants de Geb et cherche à l'inciter à se ranger de son côté. Le prêtre supérieur enferme Geb dans un socle de granit et le fait rejoindre par son ami ainsi dénoncé.
Geb (pouvant encore parler) exhorte le peuple du dédale à se révolter, mais la rébellion est rapidement étouffée et les prêtres de Monostatos ramènent Khaleb, blessé et le leste également dans un socle de granit, les laissant tous les trois à l'extérieur du tunnel, leur promettant que lorsque le soleil sera au zénith, il brûlera leurs chairs.
C'est le premier affrontement que je gagne !
Et là, j'ai relu la description de comment infliger un affaiblissement et j'ai trouvé ça assez problématique. Je m'explique :
Tel que l'affaiblissement est présenté, il ne dit pas qu'il doit découler des événements joués pendant l'affrontement. Une liste de conditions me paraît plus contraignante qu'une véritable aide, j'ai du mal à les voir comme des exemples. Il serait sans doute plus efficace de présenter les affaiblissements comme des conséquences directes de l'affrontement de manière à éviter à tout prix qu'ils tombent comme un cheveux sur la soupe, sortis de nulle part et je pense qu'il faut être libre de choisir ce qui, dans l'affrontement, est propice à créer des effets prolongés. Reste à cadrer et à dire ce que l'on peut faire et ce que l'on ne peut pas faire. C'est peut-être comme ça que tu le voies, Fabien, mais ce n'est pas ce qui est expliqué.
Mélanie disait : créer un affaiblissement, c'est créer une nouvelle Souffrance au personnage. Je trouve cette vision très parlante, mais les conséquences d'un affrontement doivent pouvoir être d'importance, d'intensité variables et parler de choses diverses et variées, ne pas être limitées par autre chose que les événements joués.
On a arrêté la partie là pour cause d'horaire.
Voici d'autres remarques collectives :
Je commence par les points négatifs :
- Durant les tableaux, il est arrivé souvent que l'on se trouve dans la configuration : MJ + 1 joueur, l'autre joueur faisant de la figuration, voire se taisant. Nos scènes pouvaient durer jusqu'à une demi heure. C'était cool et plaisant, mais surtout pour ceux qui jouaient.
Je te conseillerai vivement d'opter soit pour que les autres joueurs aient une forte responsabilité sur la fiction quand ils ne « brossent » pas le tableau, voire qu'ils puissent participer plus facilement à la scène en tant que collaborateurs du joueur principal du tableau. Pour le deuxième cas, ça passe par la possibilité de gagner des points de puissance et par la possibilité de participer pleinement aux affrontements en permettant aux joueurs de s'allier comme ils le souhaitent. - Pendant les affrontements, c'est encore pire : c'est un duel, point ! Si un autre joueur intervient, il ne le fait qu'une fois et de plus, il ne participe pas aux conséquences de l'affrontement et ne peut ni gagner, ni dépenser de ses ressources.
Je comprends que tu souhaites davantage créer des histoires de héros volontaires et solitaires que des groupes qui résolvent les problèmes ensemble, mais il faut choisir entre une dynamique à la Polaris et une dynamique où tous les joueurs peuvent jouer leurs PJ dans les scènes des autres.
Une des incitations majeures de ton jeu à agir, ce sont les carottes « points de Puissance », « points de Désir » et tout ce qu'ils impliquent. Comme les autres joueurs n'y ont pas droit durant les tableaux qui ne sont pas les leurs, ils n'ont aucune incitation à participer effectivement. Et comme ils n'ont pas de propriétés sur la fiction qui ne soit pas déjà partagée entre le MJ et le joueur principal, c'est difficile de prendre la main et de trouver une raison de la prendre. - Autre point : pendant les affrontements, chaque action demande de faire un effort important pour trouver comment faire une relance (singularités, inciter à la rébellion...) et on avait en permanence le nez penché sur nos feuilles pour vérifier ce qu'on pouvait faire pour agir. Ça entraînait une certaine lourdeur à la longue et surtout, on avait l'impression d'être très limités en actions.
Je pense qu'il serait profitable à ton jeu si les actions des personnages durant les affrontements étaient plus libres, si le fait de lancer le dé n'était pas toujours strictement dépendant de l'utilisation d'un trait ou d'un type d'action précis.
Par exemple : imaginons que les points de puissance soient plus nombreux et soient des dés.
À chaque action, le joueur lance librement un de ses dés, mais le dé est défaussé après utilisation. S'il utilise un trait, il peut lancer plus d'un dé, ce qui augmente ses chances de succès, mais réduit sa réserve de dés plus rapidement (enfin, tu peux aussi décider qu'utiliser un trait fournisse des dés bonus gratuits).
Pour récupérer des dés, tu conserves le principe que tu as instauré qui fonctionne très bien. Pour avantager le joueur principal d'une scène, tu permets à tout le monde de gagner des dés, mais les points de désir lui sont réservés et un affrontement ne peut pas être déclaré si le joueur principal de la scène n'y prend pas part (je pense que ça devrait suffire à mettre en avant le joueur principal).
Il te reste à estimer la puissance de départ du MJ en fonction du nombre de joueurs et la vitesse de récupération de « dés-points de Puissance » et le tour est joué !
On conserve l'idée de devoir gérer ses ressources sur la durée de la partie (qui est même carrément plus forte), mais on est plus libres de nos mouvements. Les singularités et les actions spécifiques deviennent un avantage sous condition (incitatif donc) au lieu d'une contrainte (obligatoire pour poursuivre l'affrontement) et en plus ton IIEE se dote de « dents ». ^^ - Toujours concernant la mécanique de résolution, on a souvent envie de gagner à tout prix les affrontements en tant que joueurs. Avec la contrainte que constituent les conditions pour lancer le dé, les joueurs étaient parfois vraiment dans une situation qui les tentait largement de transgresser la crédibilité de la fiction juste pour pouvoir lancer un dé. Abandonner dans ces conditions est désagréable, car on n'est pas à court d'idées, on n'a juste pas d'idées qui conviennent aux contraintes du jeu. Ma proposition au dessus répond aussi à ce problème, car au lieu de céder un affrontement faute d'avoir des idées, on cède par choix, pour préserver ses ressources pour la suite de la partie.
- Dans le système de résolution actuel, le fait d'avoir très peu de ressources épuisables fait que l'on n'a aucune raison d'abandonner. En effet, si j'ai un point de Puissance, toutes les autres options de relance sont gratuites et je vais les épuiser avant d'être en mesure de me demander si je vais abandonner pour conserver mon point de Puissance ou non.
Encore une fois, le système de résolution que je te propose résout ce problème, car l'ensemble des actions que l'on entreprendra demandera de dépenser quelque chose que l'on pourrait préférer garder pour plus tard d'un point de vue stratégique. - Dernier problème : on ne peut pas demander aux joueurs de décider quand la partie se termine si cela met en jeu la mort de leurs PJ. Tu dois trouver pour Monostatos un moyen de clore une partie qui soit impartiale, ou décider que choisir que la partie se finit n'implique pas la mort d'un ou plusieurs PJ.
À présent, voici les points positifs :
(Je ne me rappelle tout à fait plus qui a dit quoi, donc je les balance en vrac.)
- On joue bien des activistes, rien à redire, le système dans son ensemble nous pousse et nous invite bien à cela. Le jeu incite bien à la rébellion contre l'autorité du Culte, même quand sa présence est en filigrane.
- Les responsabilités sont faciles à respecter et stimulent bien la créativité. En tant que MJ, j'ai adoré développer le décor avec tout ce qui le rendait unique et singulier. Je crois que personne n'a jamais utilisé de véto, il est arrivé que l'on demande de développer une narration qui n'était pas assez claire.
- La liberté de narration au delà des PJ (à la manière de S/Lay w/Me, Prosopopée et tant d'autres jeux) est très agréable, fonctionne très bien avec les enjeux de Monostatos. C'est remarquable, puisque Gaël qui, de son propre aveu, a souvent du mal à créer au pied levé, n'a eu aucun problème lors de cette partie.
- C'est cool de pouvoir faire d'une marginalité une norme pour le PJ ! (Ça je me rappelle que c'est Mélanie qui a dit ça et je la rejoins totalement.)
- Gaël a adoré la scène de danse, qui aborde vraiment un affrontement sous un angle très particulier et c'est vraiment cool.
- Une description, même anecdotique peut devenir quelque chose de très important dans l'histoire (la Couleur devient Système, comme dans Polaris ou Prosopopée, tel que Christoph le décrit ici : http://www.indie-rpgs.com/forge/index.php?topic=28829.0)
- Je pense avoir une grosse préférence à jouer dans des lieux où le Culte et ses fidèles ne sont pas omniprésents, je pense que ça permet plus facilement de se lier à des PNJ et de jouer des affrontements qui ne soient pas des combats.
Je pense également que le fait de toujours réfléchir à des dissidents, quel que soit le lieu que l'on prépare, va dans ce sens. - Pendant les affrontements, on a sacrément envie de gagner et de ne rien lâcher, ce qui est cool ! Reste à adapter le système de résolution pour que l'abandon devienne un choix, plutôt qu'un manque d'idées. ;)
Voilà, parmi les bonnes choses, encore, on a joué des scènes diversifiées, avec de l'intimité, des affrontements épiques, bref, du grand JDR ! La preuve que le ludisme aussi peut être beau, raffiné, passionnant, sensible et intellectuel !