Je profite de l'occasion pour vous montrer très concrètement comment je développe un jeu. Ce rapport de partie sert avant tout à exposer ma méthode, posez plutôt vos questions dans ce sens. Org sera présenté plus longuement dans d'autres rapport de partie, inutile de se précipiter tout de suite, même si toute question sur le jeu lui-même sera accueillie avec plaisir. Je partage mon expérience toujours dans la démarche de promouvoir l'indépendance, c'est-à-dire l'autonomie des auteurs de jeux de rôle. J'ai essayé d'être exhaustif, d'où la longueur de ce message.
Cette méthode provient de nombreux échanges avec Frédéric, Romaric et Christoph et de lecture sur ce forum et sur divers blogs, notamment celui de Frédéric et celui de Troy Costisic que je recommande chaudement à tous les auteurs de jdr, jeunes ou expérimentés.
Au départ: votre vision d'auteur
Je commence le développement d'un jeu parce que j'ai une vision, j'entrevoie les éléments (type de personnages, structure de l'histoire, esthétique, relations sociales entre les joueurs) d'un jdr potentiel qui n'existe pas encore. Cela vient souvent d'un événement que j'ai vue par hasard durant une partie et que j'aimerais voir répété. Cela peut venir aussi, durant le test d'un jeu, d'une faiblesse du jeu ou d'un choix de l'auteur que je n'aime pas beaucoup et qu'il me semblerait intéressant de développer différemment. Parfois, enfin, ce sont des thèmes ou une esthétique que j'ai trouvé dans des lectures (poésie, sociologie...) et que j'aimerais amener au jeu de rôle en général, pour l'aider à grandir et à conquérir ses lettres de noblesse.
C'est votre vision qui donnera sa cohérence à votre jdr, c'est elle qui va vous permettre de créer un jeu qui se tient et qui est clair sur ses intentions. J'entends parfois dire - comme un compliment - qu'un jeu est plein de "bonnes idées", de bonnes petites règles à reprendre. Je crois que cela trahit une incompréhension profonde de la cohérence de ce jeu de la part de celui qui fait le « compliment »: on s'attarde sur ce qui est secondaire (les règles) et on oublie l'essentiel (la vision).
Développement de ma vision pour Org
Les premières apparitions de ma vision pour Org viennent d'une partie d'Innommable où j'étais meneur et où j'avais choisi de faire de l'horreur corporelle (les dérèglements du corps). Les règles du jeu nous obligeaient à raconter le désir fou, incontrôlable des personnages et à raconter leurs expériences sexuelles (sans aller au-delà de ce que nous jugions acceptable) et c'était assez agréable et excitant d'avoir l'excuse des règles pour le faire. J'avais aussi aimé l'esthétique organique de la partie.
Dès que j'en ai pris conscience, j'ai commencé à creuser cette vision. J'ai lu, j'y ai prêté attention durant des tests de jeu, je l'ai exploré en rédigeant trois fois différentes règles avant d'arriver à la version que vous allez lire (voir le troisième essai par exemple, ainsi que la revue de littérature rôliste du début).
Il y a eu d'autres parties qui ont nourri cette envie initiale: des parties de Breaking the Ice d'Emily Care Boss où j'ai aimé raconter le désir amoureux et souvent joyeux des personnages, mais où j'ai regretté le fait d'être concentré exclusivement sur la relation amoureuse; des parties de Bliss Stage de Ben Lehman, où j'ai trouvé à la fois ce développement des relations amoureuses et une histoire forte, mais où j'ai regretté que la sexualité apparaisse dans un contexte aussi sombre et triste.
J'ai eu une discussion particulièrement intéressante avec des amis sur le type de groupe social que le jdr traditionnel (et surtout ses règles) présuppose. J'ai l'intuition qu'il s'agit d'hommes, exclusivement amis et dans des rapports de compétition virile. Je me suis mis à imaginer ce que pourrait être un jdr destiné à des groupes mixtes, pouvant reconnaître la tension sexuelle entre eux et dans des relations de séduction, de coopération et d'aide réciproque.
J'ai aussi profité des lectures que je dois faire pour ma thèse, en particulier Trouble dans le genre de Judith Butler (accompagné de Humain, inhumain), ainsi que L'ennemi principal de Christine Delphy.
J'ai vu les films de David Cronenberg sur la thématique du corps, en particulier M. Butterfly sur la question de l'identité sexuelle. J'ai revu La Planète Sauvage, film d'animation culte de René Laloux (générique), ainsi que ses deux autres films (Gandahar et Les Maîtres du Temps), pour me nourrir de science-fiction à l'esthétique organique.
Ca a demandé beaucoup de temps: la partie d'Innommable ci-dessus date de juin 2010, la deuxième version du jeu de mai 2011 (premier test) et nous sommes aujourd'hui en avril 2012. C'est normal que ça prenne du temps, c'est nécessaire à la maturation du jeu et c'est important pour savoir où je vais, ce que je veux faire et m'assurer que j'aurais l'envie suffisante pour mener le projet jusqu'au bout - par exemple, mes projets trop intellectuels de jdr ne sont pas allés bien loin, je n'avais pas l'envie « aux tripes ».
J'ai gardé toutes mes réflexions sous forme de notes dans des fichiers texte sur mon ordinateur et j'y reviens régulièrement pour reprendre mes avancées précédentes.
Ce n'est pas un travail très attentif, plutôt une attention en veille permanente en arrière-plan.
Pendant longtemps, j'ai professé qu'il fallait tester rapidement son jeu. Je crois que j'ai eu tort. Les tests de jeu sont essentiels pour faire avancer le développement d'un jeu (merci silentdrift !), mais il faut se donner le temps de réfléchir à ce qu'on veut et à maturer l'ensemble, quitte à faire durer les choses. Une envie forte et sincère ne s'éteindra pas.
Voilà comment je définis ma vision pour Org aujourd'hui.
Le thème central de mon jeu est le corps désirant et ses conséquences.
Je veux un jeu de rôle qui puisse aborder pleinement les questions de sexualité:
- par leur aspect érotique, c'est-à-dire en mettant en scène le désir des personnages les uns pour les autres; notamment, je veux que mon jeu mette en scène une sexualité joyeuse et heureuse (ce qui ne veut pas dire sans questionnement ou sans difficulté), par opposition à un jeu comme Bliss Stage, très sombre
- par leur aspect social et politique, c'est-à-dire en mettant en scène comment le désir d'une personne pour une autre peut bouleverser les tabous sociaux, spécifiquement la domination de genre, la domination de race et la domination de classe
Décrire le corps des personnages est un espace de créativité essentiel du jeu pour les joueurs.
Exprimer le désir des personnages les uns pour les autres sans nuir à leurs relations est un enjeu majeur pour les joueurs.
Parenthèse: jouez pour vous faire une culture ludique
On ne peut pas développer un jdr sans jouer à beaucoup, beaucoup d'autres jeux de rôle (y compris forgéens comme beaucoup de ceux qui sont développés sur ce forum ou traduits par la Boîte à Heuhh). C'est nécessaire pour creuser la vision mais aussi pour savoir ce qui existe en termes de règles. Cet investissement en temps paiera énormément durant tout le développement du jeu parce que cette culture ludique ainsi acquise vous permettra de savoir ce qui se fait et de vous en inspirer. Développer un jeu sans jouer à ce qui existe déjà, c'est comme un écrivain qui ne lirait pas ou un réalisateur qui n'irait pas voir les films des autres. Vous risquez fortement de faire de l'art naïf, c'est-à-dire de rester sans le vouloir prisonnier des visions les plus courantes du jdr, sans avoir les outils critiques pour pouvoir exprimer votre vision et sans pouvoir bénéficier de son plein potentiel. Ca me semble vraiment dommage. Comment veux-tu prendre ta propre voie si tu ne connais pas les alternatives à l'autoroute ?
Je précise que quand je dis ça, je ne dis pas qu'il faut impérativement que vous crééiez un jdr forgéen, à autorité narrative partagée (même si c'est ma préférence). Sens de Romaric Briand, par exemple est un très bon exemple de jdr traditionnel qui marche pleinement. Mais il fonctionne pleinement parce que Romaric a beaucoup testé et à compris en profondeur ce qu'impliquent les règles d'un jdr traditionnel. Romaric les a utilisées pour faire vivre sa vision, ce ne sont pas elles qui se sont imposées à lui, parce qu'il a acquis le recul critique suffisant pour le faire.
Donc, comme le dit John Wick, jouez à des tas de jeux !
Notez que mettre votre vision d'auteur au coeur de la méthode de création est déjà une démarche particulière, puisqu'il s'agit de créer une oeuvre issue de votre réflexion personnelle, plutôt que de partir de ce qu'un supposé public rôliste attend et qu'il faudrait satisfaire (ce qui est une contrainte inutile: si votre jdr est bon, et je suis sûr qu'il le sera, les gens viendront naturellement le lire et le jouer).
Si vous avez besoin de tester ce qui a déjà été fait, ce n'est pas pour vous assurez de trouver une niche commerciale encore inoccupée, mais pour vous demander comment vous pouvez contribuer au jdr en général, comment vous pouvez aborder à votre manière une problématique sans doute déjà abordée par d'autres auteurs.
Des règles pour concrétiser la vision
Le travail pour creuser la vision décrit ci-dessus est important parce que c'est à partir d'elle que sont ensuite développées les règles. Les règles doivent servir à réaliser cette vision. Attention, quand je parle de règles, j'en parle au sens large, ce que les théories de The Forge nomment précisément le "système" (voir l'excellente synthèse de Christoph) et qui est composé
- des personnages (qui sont-ils ? comment sont-ils créés ? que doivent-ils faire ?),
- du contexte à partir duquel se créent les situations (l'environnement immédiat de l'action, issu de l'"univers"),
- de la manière dont on crée les histoires (qui crée une situation et comment ? qui a le droit de dire quoi ? qui a la responsabilité de dire quoi ? voir cet article par exemple comment résout-on les conflits entre les joueurs ? quels sont les comportements encouragés/interdits ? quels sont les choix possibles des joueurs ?)
- et de la couleur du jeu (tout ce qui n'a pas d'incidence directe sur les mécaniques de résolutions mais inspire les joueurs pour inventer).
Dans cette optique, je vous invite en particulier à vous débarrasser de toute recherche de "réalisme" ou de "simulation de la réalité", c'est un piège inutile et stérile.
Pour vous lancer, en particulier si vous ne vous sentez pas sûr de vous, je vous invite à essayer de résumer comment les règles permettent d'accomplir cette vision et d'ensuite les développer progressivement. Pour mieux comprendre cette manière de résumer des règles, lire absolument cet article de Fred, qui permet de tout exprimer à partir d'un schéma simple. Autre exemple, ce résumé des règles de Monostatos.
Explication par l'exemple d'Org:
Je pars donc de mon envie de pousser les joueurs à raconter des moments où leurs personnages expriment leurs désirs pour un autre personnage (par exemple en essayant de le séduire, en exprimant son affection...). Il faut donner une justification à ce genre d'événements, à la fois pour les joueurs et pour les personnages (à cause du principe de synesthésie). Pour les personnages, je décide donc qu'il y a des moments où les personnages font avancer une cause commune, s'entraident et se protègent, ce qui crée de la proximité entre eux et donc finit par les amener à exprimer leurs désirs les uns pour les autres. Pour les joueurs, chaque fois qu'il demande et reçoit de l'aide d'un autre joueur qui lui cède alors de ses ressources, il accumule des points de Désir dont il doit se débarrasser en décrivant le Désir de son personnage sous peine de voir l'efficacité de son personnage amoindrie (et inversement: exprimer son Désir permet de se rendre plus fort).
Comment est-ce que j'arrive à ces règles et à cette manière de faire ? Ca ne tombe pas du ciel: je reprends et j'adapte en m'appropriant des mécaniques que j'ai testées dans d'autres jeux, en l'occurrence Bliss Stage de Ben Lehman, où les scènes d'intimité permettent de réparer les relations mises en danger durant les scènes de combat.
Toujours faire vos choix pour le jeu en fonction de votre vision
Je ne peux développer tous les choix que j'ai fait dans le développement de ces règles à partir de cette idée générale des règles pour Org, mais pour montrer ce que je veux dire par le fait de réaliser sa vision à travers les règles, je vais en développer trois centraux.
1. L'univers d'Org doit servir la vision. Je n'ai donc pas créé un univers sur lequel je plaque des règles, mais je développe l'univers et les autres règles en parallèle. Durant le développement d'Org, je veux que l'univers soit aussi flexible et modifiable que le reste des règles. J'ai fixé l'univers de Monostatos avant de m'attaquer au reste et cette contrainte a été très lourde dans la suite de son développement.
Donc, pour le résumer, de quoi est fait l'univers d'Org ?
- un univers chaud et humide (jungles, marais, mers chaudes...) pour deux raisons: d'abord parce que cela permet de mettre en avant le corps, plus facile à dénuder que dans des climats plus tempérés (par ex. les personnages n'auront pas besoin d'excuses pour être nus ou à demi-nus), ensuite pour être un univers doux et agréable, où la vie pourrait être douce si les êtres humains n'y apportaient pas des contraintes sociales
- ses sociétés exercent des contraintes sociales fortes pour mettre en avant la dimension sociale et politique du désir: tous les peuples respectent une Tradition patriarcale (sexisme et homophobie), raciste (impérialisme) et de castes (comme il s'agit d'un univers préindustriel, la notion de domination de classe appuyée sur le capitale est absurde)
- un univers où le niveau technologique est particulièrement bas pour que le corps, à nouveau, soit mis en avant; de plus, un univers avec un faible niveau technologique permet une plus grande liberté de mouvement et d'action de la part des personnages qu'un univers où la police peut intervenir à tout moment et où une chasse à l'homme est particulièrement facile - je veux que mes histoires puissent être des aventures !
- enfin, il n'était pas évident qu'il s'agisse d'un univers imaginaire et inspiré fortement de la fantasy, même si je suis nourri d'une culture particulière dans laquelle s'inscrit historiquement le jdr. J'ai beaucoup hésité à le placer dans le monde contemporain réel et à éviter toute référence au fantastique. J'ai préféré un monde imaginaire pour plusieurs raisons. D'abord parce que cela me donne une plus grande liberté en tant qu'auteur, je peux introduire les éléments que je souhaite, l'univers reste flexible. Ensuite je ne veux pas aborder certains éléments réels mais trop douloureux des dominations présentées ci-dessus (viols, chirurgie normalisante, massacres ethniques, eugénisme, écrasement de révoltes sociales...), je veux garder une distance que me permet ce monde imaginaire. Enfin, je porte la conviction que la fantasy peut transmettre des idées fortes de philo et de socio, par les chocs esthétiques qu'elle peut apporter.
2. Org sera un jeu sans meneur, mais pas gratuitement, ni pour faire « cool ». Org sera un jeu sans meneur parce que ça permet d'aborder des sujets intimes, comme la sexualité. En effet, parler d'intimité, c'est comme se mettre à poil: tant que tout le monde le fait en même temps, ça passe; si ne serait-ce qu'une personne ne le fait pas, ça devient très inconfortable. Ceux qui ne se révèlent pas se mettent en position de voyeurs.
Donc Org a n'aura pas de meneur pour une bonne raison, de la même manière qu'il y a un meneur dans Monostatos pour une bonne raison (nécessité d'une adversité forte et unique, et mise en scène de l'esthétique du jeu).
3. Je crois que la sexualité ne doit pas être réduite aux pratiques sexuelles. Le désir, les échanges amoureux, les conséquences sociales, le couple, les relations humaines... tout ceci fait partie de la sexualité sans toucher aux pratiques sexuelles.
Par conséquent, il faut réfléchir à la manière de la représenter en jdr et - étant donné qu'il s'agit d'intime - d'aider les joueurs à en parler sans que cela soit trop difficile pour eux. Plusieurs règles vont donc dans ce sens. D'abord, tous les personnages doivent être séduisants ou charmants au moins aux yeux de leur propre joueur, de manière à ce qu'exprimer le désir du personnage pour un autre soit relativement facile pour les joueurs. Ensuite, si le désir est bien exprimé, les actes sexuels eux-mêmes ne le sont jamais, même si on reconnaît tout à fait leur existence (ce qu'on appelle un Voile en théorie forgéenne); cette règle a une deuxième raison d'être: il faut qu'un joueur puisse jouer un personnage dont l'identité sexuelle reste ambiguëe, sans que l'on puisse acquérir une fausse certitude en se basant sur des caractéristiques biologiques (le sexe physique, donc). Enfin, les joueurs peuvent toujours refouler le désir accumulé par leur personnage pour un autre personnage, de manière à ce que si un joueur ne se sent pas de décrire un tel désir (ou plus simplement, il ne veut pas que son personnage le fasse), il puisse repousser cette expression, en échange de contreparties dans la suite de l'histoire.
Description du jeu
Donc, dans Org vous jouez des personnages exclus de leur peuple pour avoir enfreint certaines tabous, de manière générale pour avoir refusé de rentrer dans le rôle social qu'on leur a assigné (femme obéissante, macho virile, esclave docile, objet sexuel...). Ils ont tous un objectif commun, des relations communes qui les guident et les poussent à voyager ensemble et à entreprendre des actions pour y parvenir.
L'univers lui-même est donc un univers chaud, humide et doux: des jungles, un océan d'eau douce, des fleuves... Cinq peuples se le partagent: Ceux du Ciel qui vivent en hauteur et dans des îles flottantes (impérialiste et racistes), Ceux en Sève qui vivent dans les forêts (exploitation des femmes), Ceux du Sang qui suivent les troupeaux d'animaux (femmes réduites à des porteuses d'enfants), Ceux des Eaux qui vivent dans les mers et sur les fleuves (marchandisation du corps des femmes), Ceux sous le Sol qui vivent dans des cavernes et manipulent les métaux (société de caste extrêmement dure). Au même titre que les règles, l'univers est loin d'être achevé.
Un personnage est décrit par une série de phrases:
- quel est le tabou qu'il a enfreint
- quels sont les deux tabous qu'il respecte (je trouve intéressant que les personnages soient complexes)
- quelles sont les relations qu'il entretient avec chacun des autres personnages
- quelles sont ses autres caractéristiques (physiques, sociales, magiques...), ce qui passerait pour des compétences et de l'équipement dans un jdr traditionnel, hormis le fait qu'un joueur peut en rajouter autant qu'il le souhaite quand il le souhaite durant la partie
Au début de la partie, les joueurs choisissent ensemble un lieu et y ajoute des éléments. Le joueur assis à la gauche d'un autre joueur est responsable de l'adversité pour lui.
En termes de mécaniques de jeu, les joueurs peuvent faire trois choses:
- soit mener des actions pour s'approcher du but commun de leurs personnages, en s'aidant éventuellement de leurs caractéristiques; les autres joueurs peuvent alors aider celui qui mène l'action s'il demande de l'aide, auquel cas, celui qui est aidé reçoit un point de Désir pour celui qui aide
- soit créer une situation mettant le personnage du joueur à sa droite dans une mauvaise posture (son agressivité est régulée) ; les autres joueurs peuvent alors aider celui qui se défend comme précédemment
- soit exprimer/refouler le désir de leur personnage (plus il y a de points de Désir accumulés, plus le désir exprimé est fort), ce qui donne des bonus et des malus pour les actions futures
Durant des scènes d'action (1 & 2), chaque personnage possède une réserve de trois dés qu'il peut utiliser soit pour faire avancer ses buts, soit pour se défendre, soit pour aider les autres. Voilà le choix au centre du jeu, qui est jugé par les autres joueurs lorsqu'ils expriment comment cela change la réaction de leur personnage.
Ces règles ne réalisent pas encore entièrement la vision et ne sont pas complètes, j'en suis parfaitement conscient. Mais je préfère avancer par étape, en vérifiant déjà que j'arrive à créer des histoires qui se tiennent ainsi avant d'avancer plus loin et de raffiner ensuite les règles. Voilà aussi pourquoi je fais mes premières parties avec des personnes de confiance et qui connaissent ma manière de fonctionner. La première partie de test peut se limiter à la création de personnage et à une scène de l'histoire. Ce que je cherche à savoir est: est-ce que l'histoire arrive à se construire aisément dès le début ? J'irai chercher les dynamiques sociales complexes plus tard.
Et on arrive au rapport de partie !
Donc, Flavie et moi avons testé Org la semaine dernière. On a créé nos personnages:
Flavie a créé Axian, une femme du peuple de Ceux du Sang
Tabou brisé: Je refuse que mon corps ne serve qu'à enfanter.
Tabou respecté (on a décidé de n'en attribuer qu'un seul): Je ne laisserai jamais une femme toucher mon corps. (homophobie, donc)
Relation à Olphonde: Olphonde est la seule personne que j'ai laissé me toucher, afin de nous enfuir ensemble [Flavie et moi nous sommes mis d'accord sur le fait que son personnage et le mien ont été réunis pour être forcés de s'unir pour fournir des enfants à la tribus, mais se sont enfuis d'un commun accord.]
Caractéristiques:
J'ai la grâce et l'agilité des félins.
Mon fouet est comme l'extension de mon bras: beau mais mortel s'il le faut.
Mes yeux d'ébène rendent grâce à la blancheur diaphane de ma peau.
Mes lèvres délicates révèlent un caractère ferme et fonceur.
J'ai créé Olphonde également du peuple de Ceux du Sang
Tabou brisé: Ma stature, ma poitrine et mon visage laissent planer le doute sur mon identité sexuelle.
Tabou respecté: Aucun de Ceux du Ciel ne doit me toucher (racisme).
Relation à Axian: Axian m'a libéré en me faisant accepter mon corps.
Caractéristiques:
J'ai la rapidité et la minceur des léopards.
Mes bras musclés tiennent une lance à la point en fer.
Ma voix apaise les esprits, je sais faire la paix.
J'ai la peau sombre.
Les violences faites aux femmes remplissent mon coeur de fureur et fait bouillir mon sang.
On décide d'un objectif commun: Nous voulons conquérir notre domaine.
Motivation d'Axian: Je veux enfin être maîtresse de mes choix.
Motivation d'Olphonde: Je veux un lieu où on ne me juge plus.
On décide que nos personnages parviennent à une forêt luxuriante. Elle est remplie de fruits délicieux (ajout de Flavie). C'est une forêt qui appartient à une tribu de Ceux de la Sève (mon ajout). On devait ajouter à chacun une adversité, mais Flavie a proposé qu'on joue un peu avant de créer de l'adversité (même si elle n'intervient pas tout de suite).
Nos personnages grimpent dans les arbres pour chasser des singes (étant de Ceux du Sang, ils sont majoritairement carnivores). Axian attrape un oiseau avec son fouet mais Olphonde est mal à l'aise avec l'idée de manger un être du ciel. Finalement, ils cueillent des fruits et se régalent. Ils s'endorment sur place, autour d'un feu de camp.
Le lendemain, Axian et Olphonde se réveillent. Ils sentent une activité humaine intense à proximité et s'avancent : il s'agit d'une tribu errante qui a campé ici, du peuple de Ceux en Sève, qui a la particularité d'avoir un fort taux de naissance de femmes, qui sont ensuite réduites en quasi-esclavage et dont le travail permet aux hommes d'acquérir une grande richesse. Olphonde s'avance donc vers elles, bien conscient qu'Axian et lui/elle (puisqu'il/elle est androgyne) sont sur leur territoire et demande à pouvoir rester. Les femmes les conduisent au chef de leur tribu assis sur son trône.
J'engage alors une action pour faire avancer notre objectif commun: Olphonde plaide pour qu'il puisse rester sur place. J'engage deux dés (un pour l'action, un pour le fait que j'utilise une de mes caractéristiques), un 1 et un 3. Olphonde jette un regard implorant à Axian. Flavie me donne un dé (un 6, son plus gros résultat) et raconte comment Axian intervient pour soutenir Olphonde. La somme de mes dés est donc de 1+3+6=10 Puis, puisque c'est elle qui joue l'adversité, elle lance deux dés dont la somme fait 9: Flavie raconte comment Olphonde parvient à convaincre le chef de la tribu et qu'Axian et Olphonde ont le droit de rester sur place. Nous avançons d'un pas vers la résolution de notre objectif.
Comme Olphonde a reçu l'aide d'Axian, il gagne un point de Désir, que je choisis d'exprimer directement. La nuit suivante, Olphonde rêve qu'Axian défend le lieu qu'ils ont choisi, qu'elle le dirige. Olphonde est présent dans le rêve et l'assiste dans tous les aspects de sa vie. Olphonde se réveille le lendemain un peu déboussolé, avec des sentiments mitigés.
On a décidé d'arrêter là, la partie était déjà suffisamment riche d'enseignements.
Commentaires sur la partie
Ce premier test me semble concluant. J'ai l'impression d'avoir atteint mes premiers objectifs en rapport avec ma vision et je vois en quoi il va falloir avancer dans le futur.
Flavie a trouvé que la création de personnage était rapide et que le fait de mettre l'accent sur le corps rendait les personnages sensuels. C'est un soulagement pour moi, je craignais au contraire que ces contraintes ne soient trop lourdes et je suis content de voir qu'au contraire elles servent bien le jeu. Les personnages qu'on a créés me plaisent.
L'histoire me semblait intéressante et j'aurais bien aimé voir ce que ça donnerait en la développant; j'aime bien aussi le fait d'avoir un but commun. Je me rends bien compte que c'est encore une manière un peu lourde d'amener les éléments, mais je crois qu'il y a de quoi fonctionner au départ.
Flavie a trouvé que la mécanique de résolution rendait les actions un peu molles, sans doute parce que le découpage de l'action n'est pas assez clair et les choix pas assez forts. A améliorer dans le futur.
J'ai le sentiment que, pour une fois, Org fonctionnera mieux avec beaucoup de joueurs (4 ou 5) plutôt qu'à deux où les relations sont plus simples. A tester aussi.
Enfin, il y a beaucoup de petites mécaniques à fixer pour renforcer la boucle: aide -> expression du désir -> aide -> expression du désir qui fait le coeur des règles du jeu. C'est peut-être la première chose à laquelle il faut que je m'attaque.
Mais ces petits couacs sont normaux au début. L'essentiel c'est que la vision émerge (lentement) des règles.
Conclusion générale
Pour résumer mon propos en quelques mots, je vous invite à ne pas vous tromper de sens. Il s'agit bien d'aller de la vision aux règles et non le contraire. Ne commencez pas en vous disant "j'aimerais faire un jdr sans meneur", "j'aimerais qu'on puisse y jouer à deux seulement" "j'aimerais que les règles soient simples", "j'aimerais utiliser telle règle ou tel type de dé ou de système": tout ceci est secondaire et j'ai souvent été bloqué dans le développement d'un jeu en me bloquant sur une croyance. Il faut commencer par la vue d'ensemble, par ce à quoi vous voulez que votre partie ressemble, et faire vos choix pour les règles en fonction de cela.
J'irai même jusqu'à dire qu'il faut agir en se disant que toute vision, tout comportement que l'on souhaite provoquer dans le jeu, peut être obtenu par les bonnes règles. Vous ne les avez peut-être pas encore trouvée, mais restez convaincu qu'elles existent et continuez à chercher. C'est dans cet état d'esprit que vous parviendrez à avancer et innover.
Bien entendu, votre vision ne sera pas figée et définitive au moment où vous commencerez à écrire les règles, elle continuera à se développer en parallèle et il est possible qu'en cours de route vous abandonniez des aspects ou vous en rajoutiez d'autres (j'ai écrit trois versions d'Org avant d'arriver à celle-là), mais donnez toujours la priorité à votre vision.
Comme d'habitude, j'accueille et je réponds à vos réflexions, questions et critiques avec plaisir !
EDIT (29/05/2012) : quelques corrections pour rendre le texte plus clair.