silentdrift.net

1. Moi créateur de jeu, tout le matériel dans mes livres sera directement utile pour le jeu.

2. Moi créateur de jeu, mes jeux resteront abordables pour toutes et tous, y compris si cela signifie un format moins tape-à-l'oeil et si je dois sacrifier le traditionnel 300 pages-papier-glacé-couleurs-cartonnées.

3. Moi créateur de jeu, il n'y aura pas dix-suppléments-indispensables-pour-bien-profiter-du-jeu, il n'y aura pas d'écran du maître dans un jeu qui n'en a pas besoin.

4. Moi créateur de jeu, mes joueurs passeront plus de temps à jouer qu'à préparer les parties.

5. Moi créateur de jeu, les rôlistes ne seront pas infantilisés et j'oserai leur proposer des jeux exigeants aux thématiques adultes.

6. Moi créateur de jeu, j'oserai considérer et présenter le jeu de rôle comme un médium à l'égal du cinéma ou de la littérature.

7. Moi créateur de jeu, je n'aurai pas peur de pousser mes joueurs à se poser des questions complexes, sans craindre que ça ne nuise à leur plaisir - parce que réflexion et fun n'ont jamais été ennemis !

8. Moi créateur de jeu, j'oserai avoir une réflexion poussée sur le jeu de rôle, en incluant philosophie, poésie, sociologie, psychologie et bien d'autres... sans avoir peur d'être taxé d'intellectualisme.

9. Moi créateur de jeu, je m'intéresserai aux théories rôlistes - notamment de The Forge - avec rigueur pour faire progresser la réflexion globale et les pratiques. J'éviterai notamment de jargonner en utilisant des termes dont les définitions sont fluctuantes ou mal maîtrisées - role-play, immersion, jeu « narratifs »... Quand j'utiliserai un terme technique, je le définirai autant que possible.

10. Moi créateur de jeu, je n'aurai pas peur de dire que mes jeux sont des œuvres et qu'ils méritent pleinement ce nom.

11. Moi créateur de jeu, je jouerai à autant de jeux que possible pour découvrir ce qui se fait ailleurs, y compris en non-francophone.

12. Moi créateur de jeu, j'irai voir comment d'autres rôlistes jouent et j'essaierai de comprendre ce que leur pratique peut apporter à mon travail.

13. Moi créateur de jeu, je rendrai mon jeu aussi accessible que possible aux non-rôlistes.

14. Moi créateur de jeu, j'aiderai les autres créateurs de jeu - en particulier ceux qui débutent - parce qu'ils sont mes alliés pour apprendre et développer le jeu de rôle, pas mes concurrents pour des parts de marché.

15. Moi créateur de jeu, je critiquerai les jeux des autres après y avoir joué honnêtement et en essayant de comprendre ce que l'auteur a voulu y mettre plutôt qu'en voulant plaquer mes propres goûts et attentes.

16. Moi créateur de jeu, je resterai accessible à mes joueurs pour les aider à profiter au maximum de mon jeu et pour comprendre ses forces et faiblesses.

17. Moi créateur de jeu, je dévoilerai toutes les informations auxquelles j'ai accès - en respectant la confidentialité de mes collaborateurs - afin d'aider le jeu de rôle à trouver un modèle économique pertinent.

18. Moi créateur de jeu, je partagerai mes compétences afin que les autres fassent de même et que nous apprenions tous, tous ensemble.

19. Moi créateur de jeu, les femmes ne seront pas réifiées et leur corps ne servira pas d'argument de vente.

20. Moi créateur de jeu, je veillerai activement à ce que mes jeux ne soient ni sexistes, ni racistes, ni hétéronormés.

21. Moi créateur de jeu homme, je traiterai les créatrices et joueuses comme mes égales et je m'abstiendrai de toute remarque ou comportement machiste - tout simplement.

22. Moi créateur de jeu, je paierai correctement mes collaborateurs, dans la limite de mes moyens, et je serai aussi transparent que possible avec eux.

23. Moi créateur de jeu - sans agressivité et ouvert au dialogue charitable - je n'aurai pas peur de mes opinions.

24. Moi créateur de jeu, je resterai constamment critique sur ma propre démarche et ma propre pratique.

25. Moi créateur de jeu, je chercherai à mon échelle à permettre au jeu de rôle de s'épanouir pleinement afin de devenir le plus formidable loisir et médium qui soit !

démarche intéressante. Elle résulte d'une démarche personnelle, d'une remarque entendue, d'un truc similaire lu ou vu ? ou autre

Ce sont des engagements que je prends après avoir pratiqué le jdr pendant 12 ans et avoir grenouillé dans les questions de création et de publication de jeu durant les 4 dernières années. C'est aussi un clin d’œil appuyé à la performance de Hollande durant la campagne présidentielle française: « Moi président... » ;-)

mon intervention était un peu courte et pas super explicite je l'avoue.
Le clin d'oeil, ça va, je l'avais vu.
Ma question portait davantage sur le pourquoi ressens-tu le besoin d'afficher cette éthique ? Est-ce que c'est pour toi, pour t'assurer de ne pas te perdre en chemin ? ou est-ce que c'est pour répondre à des remarques que tu as pu entendre en conv ou lire sur des critiques de ton jeu ? ou bien encore (mais ça peut être tout autre, je te présente juste les trucs qui me turlupinent le plus) est-ce en regardant des autres créateurs de jeux et que tu as le sentiment qu'ils te perdent toi, en tant que joueur et consommateur de leur jeu car tu ne saisis pas leur(s) démarche(s) (tout est dans le "s" ou pas "s") ?

UNe manière de reformuler (ou de répondre en fait) serait : que cherches-tu (ou qu'attends-tu) en présentant cette liste ?

J'aimerais pousser les rôlistes en général et les créateurs de jeu en particulier à s'interroger sur leurs pratiques et sur leurs habitudes, qui ne me semblent pas toujours les meilleures si on souhaite permettre au jeu de rôle de développer son plein potentiel et de s'épanouir. Je ne crains pas de me perdre, c'est plutôt une manière d'inviter à la réflexion.

Fabien,

Je suis d'accord avec ton manifeste sur bien des points, hormis celui concernant les gammes. Je me suis déjà exprimé à ce sujet sur le fil consacré à mon planning de publication. En revanche, j'ai à coeur de préciser au lecteur que j'écris une gamme parce que j'ai beaucoup de choses à dire sur un sujet mais que le jeu est jouable dès le premier livre. Ainsi, en introduction du livre source de Millevaux, je précise même qu'on peut jouer à Millevaux... sans lire Millevaux. (puisqu'on peut en effet se contenter du livre de base, qui est le jeu de rôle Sombre). Donc finalement je suis assez d'accord avec toi sur l'essence de l'idée, qui est de limiter le coût d'entrée (en terme de finances, d'engagement, de références, de temps) des jeux de rôles. Je précise (et je suppose que c'est aussi l'esprit de ton manifeste, merci de préciser si c'est le contraire) que ça n'engage que moi et que je ne jette pas la pierre aux auteurs qui préfèrent rédiger des jeux à fort coût d'entrée, d'autant plus qu'ils répondent à la demande d'une partie du public rôliste.

Pour ma part, si les suppléments ne sont qu'un surplus et qu'on peut très bien s'en passer, en tant que potentiel acheteur, ça ne me pose aucun problème. En tant qu'auteur, j'aurais même tendance à mettre les suppléments en PDF gratuit...
Pour une gamme comme Sens, ça me paraît justifié, mais Romaric en revient pas mal.
Les vrais problèmes sont que l'on n'a aucune certitude de finir la gamme, donc pour une campagne par exemple, c'est toujours terrible de découvrir que la fin d'une campagne qu'on adore ne sortira jamais.
Moi je joue et je crée des jeux sans scénars. Donc je ne m'interroge même plus sur le sujet.

C'est amusant parce qu'avec Inflorenza, qui est du jeu sans scénarisation, je m'inscris dans une gamme puisque je sortirai des supplément d'univers. Après, je comprends tout à fait la pertinence des jeux stand-alone, voir des jeux sans univers. Si je dois concevoir d'autres jeux, j'y réfléchirai sans doute comme à des jeux stand-alone. Il est possible que je n'ai pas atteint la maturité nécessaire jusqu'à présent, préférant proposer un "buffet garni" de possibilités ludiques et laissant le joueur faire le tri.

Je n'avais pas imaginé ça, mais il n'y a pas de raisons de ne pas le faire si tu penses que ça sert ton jeu.
L'idée de ne plus penser par suppléments, c'est d'envisager un format de jeux plus facile à produire en terme de volume de livres et de quantité, moins coûteux en somme, donc plus accessible aux créateurs et au public financièrement. J'imagine également que le fait de ne pas travailler en équipe (ou en équipe réduite) joue aussi sur la question du format.
Mais ce n'est pas une obligation, chacun fait ce qu'il veut.

Très intéressant comme démarche mais ça m'a fait réfléchir à mes propres créations.

Ma grande surprise, c'est que tes engagements limitent ta liberté créative et c'est quelque chose que je ne m'imposerais jamais. Au final, c'est un positionnement très radical qui s'interdit des choses.

Donc j'ai réfléchi à cette liste en me demandant ce que je pourrais garder.

Je pourrais adhérer aux 5 à 10, 12, 14, (15), 16, 17, 18, 21 à 25.

Je mets une réserve au 15 car je sais que je ne peux pas jouer à tous les jeux de manière optimale. Je pense que l'on peut critiquer un jeu sans y avoir joué (à condition qu'on le dise). Pour moi, c'est la transparence qui est essentielle dans une critique.

Tout les autres points limiteraient d'une manière ou d'une autre ma liberté créative. Mais ce n'est pas parce que je ne souscrirais pas à certains points que je ferai le contraire. A priori, mes jeux ne seront jamais racistes ou sexistes mais je ne vais pas me policer pour être "orthodoxe" par rapport à une ligne de conduite. A partir du moment que j'affirme être un artiste (point 7 et 10), je me laisse la liberté de choquer ou d'aller avec ou à contre-courant.
Cela concerne également le matériel, je ne vais pas me limiter et m'interdire d'ajouter des seins ou un pénis sur mes livres. Même chose pour un écran qui ne sert à rien. Lorsque l'on est créateur ou artiste, je ne peux pas imaginer que je doive m'interdire de faire quelque chose d'inutile. En tout cas, si les absurdes et les dadas pourraient être de mon avis. C'est la même chose concernant l'accessibilité, je ne vais pas m'interdire de créer un JdR complètement hermétique pour des non-rôlistes, je crois que l'art peut porter un sens complexe et clair lorsqu'il est très codifié.

Enfin bref, je voulais te demander (car c'est ton avis qui m'intéresse) les raisons qui t'ont poussées à limiter ta liberté créative.

Concernant les contraintes (voire les règles) et l'art, Lionel, elles sont généralement associées à un engagement idéologique, cf :
Le Dogme 95 et la Nouvelle Vague rien que pour le cinéma

Le Dogme est un mouvement de cinéastes Danois qui décident de se limiter en terme de moyens pour retrouver les fondamentaux du cinémas. Ce mouvement a été créé en réaction aux superproductions anglo-saxonnes.

La Nouvelle Vague quant à elle cherche à donner au réalisateur un statut d'auteur notamment en estimant que c'est à lui d'écrire le scénario de ses films. De plus, les cinéastes de la Nouvelle Vague poussent dans le sens de la transgression avec les canons du cinéma. Il s'agit moins de règles et davantage d'un état d'esprit, mais ça reste compatible avec la démarche de Fabien sous la forme d'un engagement personnel.

On retrouve ce type d'engagements depuis la renaissance dans l'histoire de l'art allant jusqu'à l'écriture de manifestes (Cubistes, Surréalistes, futuristes etc.).

mais certains auteurs appartiennent à plusieurs mouvements, que ce soit par envie de jouer avec les genre ou que ce soit par un virage dans leur vie d'artiste.

Salut tout le monde, merci de vos retours.

Thomas, tout d'abord, effectivement, ce sont des engagements que je prends, moi et moi seul. Les autres font bien ce qu'ils veulent. Evidemment, un engagement a toujours une charge critique (on ne s'engage pas à faire ce que tout le monde fait et on ne s'engage pas à faire quelque chose qui nous est indifférent) et mais je cherche à faire réfléchir les autres sur leurs pratiques, pas à devenir la police du jeu de rôle ! :)
Sur la question des gammes, la nuance réside dans « indispensable ». Comme tu le soulignes, c'est avant tout une question de coût d'entrée. Je ne pensais pas à toi en t'écrivant, plutôt aux jeux qui rendent nécessaires la possession d'un livre du meneur, d'un livre du joueur ou d'une série de livres de clans ou de lignées...
Je ne crois pas que « il y a une demande pour ça » soit une bonne justification pour une oeuvre, mais c'est sans doute un autre débat (que nous pouvons poursuivre par mail si tu le souhaites).

Lionel, j'ai du mal à voir en quoi tout ceci limite ma liberté créative, justement je n'aborde qu'assez peu le sujet du contenu et plutôt pour ouvrir des portes (ne pas se limiter à certains thèmes par peur d'intellectualisme...). Il est vrai que ça limite ma politique commerciale (pas de livres coûteux, pas d'écran inutile...) mais ça me semble être du simple respect des gens qui me font confiance pour acheter mon travail.
Par ailleurs, le féminisme et l'anti-racisme sont loin d'être l'orthodoxie, y compris dans le jeu de rôle, maintenant et pour un long moment encore. Se soustraire activement au racisme, au sexisme et à l'homophobie n'est pas une limite, mais bien un engagement - à nouveau que je prends et vous faites ce que vous voulez.
Et pour bien préciser jusqu'au bout ma pensée, la nudité n'a rien à voir avec l'hypersexualisation systématique des femmes, qui intervient dans des éléments graphiques complexes, comme les symboles, le contexte, les poses, les parties dévoilées, les mensurations... y compris avec des personnages habillés de la tête aux pieds (quelques exemples de couverture pour appuyer mon propos: 1, 2, 3) et la nudité peut être représentée de manière totalement non-sexualisée (exemple avec des nudistes, exemple avec l'article Wikipedia sur les seins).

Dans tous les cas si j'ai pu vous faire réfléchir à vos propres manières de faire, mon objectif est atteint ! :)

Oui, j'ai bien pensé, je connaissais le Dogme 95 ou la Nouvelle Vague. Il existe même leDogme 99.

Je demandais simplement à Fabien de préciser sa démarche car ce genre d'engagement coûte en liberté créative (mais renforce un message). De plus, ce genre de manifeste est généralement concerté ou développé par un groupe d'artistes. Je m'interroge sur la démarche et les raisons de la publication de cette liste d'engagements.

Est-ce que tu espères que d'autres te rejoignent dans ta démarche ?

Est-ce une opération marketing pour se démarquer ? (ce qui n'est pas un mal à mes yeux)

Ensuite, les différents points sont à mes yeux très divers, il traite d'une vision plutôt personnelle. C'est moins ciblé sur une idée forte comme d'autres manifestes. Donc pourrais-tu m'expliquer la logique qui sous-tend tous ces points ? Car je dois t'avouer qu'elle m'échappe.

Et dernière question, pourquoi avoir choisi ce clin d'oeil "François Hollande" ? Pour ma part, je trouve ça bizarre. C'est très franco-français comme référence et ça ne me parle pas du tout (mais ce n'est pas grave). Et en plus, c'est très "dans l'actualité" et ça donne une consonance partisane (c'est plus une référence à une personne qu'à un courant de penser à mes yeux) qui fait très bizarre.
Enfin voilà, plein de questions.

Edit : J'ai fini de rédiger ces questions après la réponse de Fabien. Tu as répondu à certaines de mes questions mais ce serait cool de répondre aux autres.
Effectivement, ça m'a permis de réfléchir à ma manière de travailler, merci. ;-)

Le premier but de ces engagements, c'est de proposer un autre modèle de fonctionnement et donc de proposer des éléments de réflexion aux autres. S'ils me suivent tant mieux, mais ce n'est pas ce que je recherche fondamentalement.

Il n'y a pas de cohérence globale, sauf à forcer le trait. C'est juste qu'à force de jouer, d'acheter, de créer, de discuter, je me dis parfois « La vache, j'aimerais pas faire les choses comme ça, c'est vraiment nul » ou au contraire « Tiens ça c'est une bonne idée ! ». Et puis ça finit par émerger.
Si je devais chercher une cohérence, elle est dans mon but fondamental en tant qu'acteur du milieu du jdr: faire du jeu de rôle un loisir et un médium à l'égal de la littérature ou du cinéma à la fois en termes de qualité des oeuvres et en termes de portée. Mais je ne peux pas dire que ce soit une cohérence stricte ou que c'est un plan pour y arriver.

La référence à François Hollande, c'est juste que ce texte est parti d'une blague entre amis durant une partie, ça n'a rien d'un symbole politique. Le texte est compréhensible sans saisir la référence, donc je l'ai gardé.