par Frédéric » 19 Jan 2009, 00:24
Cette question est en plein dans l'intérêt de ma proposition de discuter GNS à partir de mes jeux, elle est donc parfaitement la bienvenue !
Tout d'abord, j'entends par "système" : "un moyen par lequel on détermine le déroulement des événements dans le jeu" (Ron Edwards)
Donc, l'articulation des moments de parole, la détermination des autorités etc. font partie pour moi du système.
Prosopopée définit une couleur, un univers, des personnages assez malléables et propose aux joueurs de se concentrer sur la fiction.
Comment ?
- Parce que les espaces de créativité sont suffisamment larges pour que chacun ajoute sa pierre à l'exploration (explorer = faire des propositions, des choix, créer des éléments de fiction. L'exploration est indissociable du JDR quel que soit le mode GNS ou même hors GNS) et à la création en temps réel du monde, des situations et de leur résolution.
- Les dés de récompense doivent être donnés quand un joueur "aime ce que dit un autre". Ce qui signifie : séduisez les autres joueurs par le contenu de ce que vous narrez et décrivez, ce qui est selon moi l'une des principales transactions simulationnistes entre joueurs (et non entre personnages).
- Ces transactions par dés peuvent se faire de façon parfaitement silencieuse, ce qui évite de rompre la fiction, c'est quelque chose qui aide à la cohésion sim.
- Les techniques de résolution centrent les joueurs dans les "phases de narration" sur l'esthétique de la fiction et non sur la dimension dramatique. Pourquoi ? Parce que les choix dévolus aux joueurs sont centrés sur la fiction (qui est une construction imaginaire qui pourrait être fixe) : quelle substance vais-je guérir, par quel moyen ? Qu'est ce qui sera le plus "beau" ? plutôt que sur la narration (qui est la temporalité de cette fiction) ou la dramaturgie (la structure émotionnante des échanges entre les composantes de la fiction).
Narration et dramaturgie sont présents, mais au second plan, ils ne constituent pas le point de focalisation des joueurs.
A noter qu'avec Prosopopée, je pense être allé loin dans le désamorçage de la dramaturgie pour en faire un jeu contemplatif. Mais bien souvent, les jeux à tendance plus ou moins réussie vers le simulationnisme tendent à des techniques de jeu peu intéressantes d'un point de vue dramatique et narratif (compétences, avantages/désavantages, choix tactiques...).
Quelqu'un qui voudrait relever des défis dans Prosopopée serait extrêmement frustré, car rien ne récompense cette attitude et les techniques de jeu en stimulent d'autres (d'attitudes).
Quelqu'un qui voudrait jouer la dramaturgie à fond se retrouverait avec le même problème, car il est incité à décrire des éléments de fiction pour être récompensé par les autres plus qu'à dresser des situations riches en potentiel dramatique, et les résolutions ne constituent pas des choix dramatiques porteurs de jugement moral, car l'adversité dans ce jeu est extrêmement diluée.
L'adversité est sans doute l'un des axes primordiaux du ludisme et du narrativisme, mais en simulationnisme, on peut l'anesthésier. Or dans Prosopopée, n'importe quel joueur peut proposer de valider la proposition d'un autre joueur comme étant un problème à résoudre. Chacun participe donc à la composition des éléments d'adversité, c'est collaboratif, mais pas consensuel (ça se vérifie pendant les parties). Et ça consolide la nécessité de "séduire" les autres joueurs.
On pourrait jouer à Prosopopée en décrivant un voyage où il n'arrive jamais aucun problème. Mais bon, personnellement, ça me gonflerait, donc j'ai quand même proposé des mécaniques qui visent à intégrer des problèmes et à les résoudre.
- Enfin, la façon dont les caractéristiques des PJ structurent le jeu est essentiel : il s'agit de "Médiations avec le monde" qui sont dépendantes des "Substances" du monde, autrement dit la structure cosmologique de celui-ci. Ces caractéristiques amènent à faire parler les arbres, à décrire les émotions du vent, à donner des intentions à un caillou... Et le jeu focalise les joueurs là dessus.
Et tout ça, c'est super important dans ce jeu et dans l'appropriation de la fiction qu'en font les joueurs.
Enfin, la présentation du jeu et les conseils mettent l'accent sur l'esthétique, et cela joue un rôle non négligeable.
Tout cela cumulé produit une attitude simple : les joueurs cherchent ensemble à construire une belle fiction, un bel univers, de beaux personnages, de belles situations... C'est "the right to dream" à fond.
Je veux bien approfondir n'importe quel point.