Comme ce genre de titre fait fureur en ce momment, je cède à la tendance... =D
Je n'ai pas la prétention de pouvoir expliquer les tenants et aboutissants du GNS, ni de lire dans l'esprit de Ron Edwards. Je vais donc me centrer sur ce qui me paraît le plus proche de mes préoccupations de rôliste et de créateur, une bonne partie sera issue de ma propre interprétation.
1 - Les propositions créatives
Je pense qu'il est nécessaire au départ de se poser une question de fond : une partie où les joueurs n'ont aucun espace de création peut-il encore être appelé du Jeu de Rôle ?
Par espace de création, j'entend la possibilité pour les joueurs de s'approprier de pans de la narration ou de la fiction plus ou moins importants sur lesquels ils auront une prise et sur lesquels leurs décisions auront des conséquences.
Ces espaces de création peuvent être l'interprétation des personnages, l'élaboration de tactiques, des choix narratifs, un partage de la description de l'univers, la description de l'effet d'un pouvoir, l'imposition d'une scène imprévue... La liste est impossible à établir, car chaque élément rôlistique pourrait être soumis à proposition créative.
L'important, c'est de pouvoir créer. Certains parleront de liberté, je préfère l'idée d'espace de création renvoyant davantage à la nature même du jeu de rôle : un espace d'imagination collaboratif.
Aussi, si les joueurs n'ont plus aucun choix, plus aucune possibilité d'invention ou d'imagination, prennent-ils vraiment part au jeu ?
Imaginons un pseudo-JDR où le MJ a écrit un scénario dans lequel il a déterminé toutes les choses qui lui paraissent nécessaires. Bien que les joueurs puissent faire autant de propositions qu'ils le veulent, les résolutions sont prévues à l'avance, ils finiront par s'y plier plus ou moins consciemment, à la façon d'un jeu vidéo "point and click" (Monkey Island, Syberia etc.).
Les seules décisions qui auront une conséquence sur le récit sont celles que le MJ aura choisies. Il arrive souvent dans ce genre de parties que le MJ empêche strictement les joueurs de sortir de son scénario, ou qu'il les remette tout le temps sur les rails. On peut dire que seul le MJ a une part de création à l'intérieur de ce type de parties.
Certains joueurs auront tendance à se recentrer sur autre chose. Enfermés dans une cave, ils vont jouer des problèmes relationnels entre leurs personnages alors que rien ne les y engageait. Ils vont s'approprier un espace de création malgré la tyrannie du MJ (revolucion). Car je le crois profondément, ce qui est passionnant dans le JDR, c'est d'y prendre une part créative en tant que joueur.
Les forgiens nomment "participationnisme" cette façon de raconter une histoire avec un public de spectateurs déguisés en rôlistes. Toutes les techniques visant à faire croire aux joueurs qu'ils ont un espace de liberté qui est en fait totalement brigué et sclérosé par le MJ sont nommées "Illusionnisme".
Il semble que beaucoup de rôlistes s'adonnent à cette activité. Cela peut correspondre à une idéologie, une vision métaphysique du monde réel ou a un besoin pathologique du MJ d'avoir un contrôle total sur la partie, il en reste qu'à mon sens, ce n'est plus du JDR.
Toute possibilité pour un joueur d'inventer, d'improviser ou de créer durant la partie est nommée : Proposition créative.
2 - Les Démarches créatives
En analysant ces propositions créatives, et suite à une pratique longue et intense du JDR, Ron Edwards finit par se rendre compte qu'une partie de JDR dans laquelle les propositions créatives ont certaines constantes sont beaucoup plus riches, plaisantes, intéressantes que celles où cela part dans tous les sens.
Il énonce trois grands types de propositions créatives :
- Les propositions Ludistes (Gamist en anglais)
- Les propositions Simulationnistes
- Les propositions Narrativistes
Les premières consistent à mettre en avant la performance et donc la compétition entre joueurs. Par exemple, tenter de résoudre des énigmes, d'élaborer la meilleure tactique pour vaincre un ennemi etc.
Les secondes consistent à explorer et éprouver les composantes de la fiction : par exemple, créer un comportement adapté en fonction d'une situation (par exemple, comment un Simérien réagit à une déclaration d'amour ou à l'attaque d'un homme serpent), le principe de la réification fait également partie des propositions créatives simulationnistes (cf. http://www.silentdrift.net/forum/viewtopic.php?t=1430 ). Il en existe certainement bien d'autres...
Les dernières consistent à faire des choix narratifs. Plonger dans un dilemme cornélien et en éprouver les conséquences. Commettre un acte immoral et récolter ce que l'on sème...
Ces exemples ne se veulent pas exhaustifs et votre participation est la bienvenue pour tenter d'allonger la liste de ces propositions créatives.
On pourrait y voir une analyse substantielle du JDR adaptant les principes énoncés par Roger Caillois dans son analyse anthropologique des jeux au sens large :
- Agon = compétition
- Mimicry = Simulacre
- (il manquerait le jeu narratif qui serait une sous-partie de la Mimicry, mais qui n'existe peut être que dans le JDR que n'a pas connu Roger et dans des activités plus adultes : écrire un roman...)
- Alea = Hasard
- Ilinx = Vertige
(Ces deux derniers ne font pas partie du GNS pour la simple et bonne raison qu'ils ne suffisent pas à bâtir une partie de JDR plaisante.)
Lorsqu'une partie de JDR possède un ensemble de propositions alignées, on peut dire que la démarche créative est L(G), N ou S.
[IMPORTANT] Il est tout à fait possible de mélanger les démarches créatives, bien qu'il soit plus compliqué d'obtenir un mélange cohérent et harmonieux. Dans son article du GNS, Ron Edwards précise quels mélanges sont heureux et lesquels ne le sont pas.
3 - Le système
Enfin, on considère qu'un système de JDR tend à orienter les parties. Si l'on rétribue les joueurs lorsqu'ils tuent des ennemis, il faut s'attendre à ce que ce soit l'une de leurs activités principales. Nombre de MJ modifient les jeux qu'ils achètent pour leur donner de nouvelles orientations qui leur plaisent davantage. Peut-on alors considérer qu'ils jouent au même jeu ? Pour moi la réponse est non : si on enlève l'argent du monopoly, ce n'est plus du monopoly, mais un jeu qui aussi proche soit-il peut générer des parties très différentes.
Bien que la théorie GNS peut servir aussi bien aux MJ qu'aux joueurs pour prendre plus de plaisir durant leurs parties, il est également un outil extraordinaire pour les créateurs de JDR.
Comme Ron Edwards, je considère que le système est important, pour la simple et bonne raison que je pense qu'un jeu se définit par un ensemble de choses dont le système est l'une des composantes essentielles.
Le système peut se résumer au jugement du MJ qui décidera si oui ou non le PJ réussit son action. Il peut être léger, minimal, très encadrant etc. il aura une influence à chaque fois.
Je considère que le système contient toutes les mécaniques visant à propulser le récit. Il est le temps de la partie de JDR.
Comment intégrer des démarches créatives aux systèmes de jeu ?
Cela est très complexe et nous voyons des créateurs passer des années pour affiner leur game design.
Néanmoins, en identifiant l'orientation des jeux que nous voulons créer, il devient très utile à la cohérence et à la "puissance" du jeu que l'on va créer de choisir quel va être l'espace de création des joueurs et du MJ.
Pour cela, je vous renvoie à l'article de Joseph Young :
http://ptgptb.free.fr/forge/atheory.htm
Toute forme de récompense et de punition tend à orienter le style de jeu. Tout ce qui prend sens dans un système prend sens dans la fiction. Tout ce qui veut avoir du poids dans la fiction, doit être soutenu par le système.
4 - Et le reste ?
Tout est possible, on ne peut pas réduire un type d'univers ou d'ambiance à une démarche créative.
Un jeu comme Vampire ne possède pas de Démarche créative précise, mais un mélange peu cohérent des trois. Il est tout à fait possible de le jouer narrativiste, simulationniste ou ludiste. Pareil pour la plupart des univers que vous affectionnez.
Mais cela devra passer par une entente sur la façon de jouer et sur les modifications du système qui permettront telle ou telle orientation.
On peut se demander pourquoi étriquer le champ de liberté et le type de plaisir que l'on peut prendre durant nos parties, et je dois dire que pour ma part en tant qu'étudiant en art, je considère qu'il s'agit du B-A-BA de toute activité créative.
Le philosophe Alain considère que la création se fait en donnant forme à l'expression de nos émotions et de nos idées par soustraction. Il faut enlever à l'amas de nos envies pour en tirer la substantifique moelle. Une oeuvre, qu'elle soit littéraire, d'artisanat, de musique ou plastique doit élaguer de son contenu et de sa forme tout ce qui ne lui est pas essentiel. Quand la plupart des JDR ont longtemps été un fourre-tout des envies de leurs créateurs, d'autres ont commencé à entrevoir la possibilité de créer des jeux plus précis, plus intenses.
Pour moi, la découverte du GNS et surtout des jeux qui ont découlé de cette théorie ont été révélateur du fait qu'il était extraordinairement enrichissant d'appliquer cette méthode, que dis-je cette doctrine esthétique au JDR.
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N'hésitez pas à commenter, à rectifier et à ajouter tout ce qui vous semble impportant ou intéressant. J'ai volontairement abordé l'ensemble de manière synthétique plutôt que par les détails, afin que l'on puisse développer par la suite.