Je lui ai proposé soit de créer un PJ de toutes pièces, soit de jouer Ménélas, un PNJ psychomètre faisant partie des Grigoris (les dissidents) et ayant sympathisé avec Donovan, le PJ de Fred avec qui ils ont affronté des dangers et fait quelques découvertes importantes.
Pour rappel, Donovan était envoyé par l'Agora (grande instance démiurgique) pour surveiller 4 dissidents qui ont notamment commis un meurtre et qui semblaient chercher quelque chose dans la région de Chartres.
Nous avons joué deux séances de 9-10h chacune environ et sur ces deux séances, la plupart des actes des PJ et des scènes jouées l'ont été en fonction de leurs objectifs personnels dans lesquels sont venus se greffer les éléments scénarisés.
Ce qui m'a frappé, c'est à quel point l'histoire qui s'est construite est fondamentalement différente de celle que j'ai jouée avec mes autres tables.
Voici un petit comparatif entre deux parties différentes autour d'un même scénario :
Nos deux PJ ont découvert un sanctuaire : lieu bâti et protégé par des pouvoirs démiurgiques (ce qui est plutôt précieux pour les démiurges) dans lequel un miroir leur fait voir des images d'une scène du futur dans laquelle un homme étrange vêtu d'une cape et armé d'une rapière semble connaître le moyen d'entrer dans le sanctuaire, combat les deux PJ, les vainc, puis s'empare du miroir et d'un livre vierge qu'ils ont découvert dans une salle secrète de la cathédrale de Chartres.
Je vais vous détailler la suite selon ce que Fred et Nico ont fait et selon ce que mon autre table de Poitiers a fait :
Fred et Nico :
- Ménélas est parti cacher les deux objets dans son appartement personnel.
- Donovan a truffé le sanctuaire de relais pour sa foudre afin de piéger l'intrus.
- Seulement, l'intrus étant connecté au miroir en réalité, il s'est rendu directement chez Ménélas.
- Ménélas l'a laissé prendre son butin en essayant en vain de discuter avec lui. Il n'y a pas eu de combat.
- Ménélas a décidé de suivre discrètement cet homme qui portait un masque en bois.
- Celui-ci met les objets dans un fourgon et monte à la place du passager.
- Ménélas s'accroche discrètement au camion et arrive donc au repère des voleurs.
- Il appelle son comparse pour qu'il le rejoigne.
- Donovan vient au plus vite, là ils font le tour de la maison au sommet de laquelle, un homme vétu d'une cape ancienne se tient immobile depuis deux heures sur le toit.
- Les PJ s'introduisent dans la maison, crochètent une serrure, se rendent dans une salle de type salle de représentation théâtrale où des marionnettes gisent. Sur la mezzanine, un pantin articulé se déplace. Donovan lui balance un kunaï (poignard de jet japonais) chargé d'électricité et lui fait sa fête. Les marionnettes se mettent en marche vers les PJ qui grimpent les escaliers, le pantin a pris feu sous l'effet de la foudre et la pièce commence à cramer. Les deux gus montent rapidement à l'étage et croisent un homme d'une cinquantaine d'années. Donovan le menace et le tient en joue avec ses armes, l'homme se jette à terre et ne bouge plus. Ménélas se rend dans la chambre d'où sortait l'homme, il y découvre son miroir, son livre vierge et une réplique identique du miroir (ils sont ornés de corneilles en étain tous les deux, les motifs sont similaires). Sur un lit, un homme sans bras ni jambes, ni yeux, ni oreilles. Et l'homme à l'épée qui est en fait un pantin de bois contrôlé par l'homme-tronc (un golem). Ménélas lui lance son kunaï que Donovan lui a prêté, tandis que le pantin lui assène un coup d'épée qui lui tranche le bras. L'homme tronc meurt sous le coup du Kunaï.
- Donovan entendant les hurlements lance sans sommation son kunaï dans la tête de l'homme qu'il tenait en joue. Il empoigne son acolyte, et le place dans le fourgon dont il avait préalablement récupéré les clefs, il utilise son pouvoir de l'eau pour éteindre l'incendie dans la maison et amène Ménélas à l'hôpital.
- Puis il revient, l'homme qu'il a blessé à la tête et l'homme-tronc ont disparu. Les miroirs et le livre sont toujours là, il s'en empare et les rapporte dans le sanctuaire.
(...)
- Les miroirs contiennent l'âme d'une ancienne déesse Celte : Cassi, en les réunissant, celle-ci recouvre ses esprits, la séparation la mettait dans un véritable état de folie. Elle demande aux PJ de lui trouver un corps de démiurge dans lequel elle pourra s'incarner. S'ils ne le font pas, elle s'incarnera dans celui de Ménélas, elle y a déjà créé un lien démiurgique.
- Donovan et Ménélas acceptent, ils décident de piéger un Grigori, ancien camarade de Ménélas que Donovan avait combattu.
- Cassi s'incarne donc et propose aux Pj de cohabiter avec elle dans le Sanctuaire, de s'entraider dans leurs quêtes respectives...
Anthony, Cédric et Jérémie (qui est arrivé vers le début de cette partie de la campagne) :
- François (personnage d'Anthony) a sympathisé avec Ménélas, ils ont donc découvert ensemble l'accès au sanctuaire.
- Au retour d'hospitalisation de Jacques (perso de Cédric), ils découvrent dans le sanctuaire le miroir de Cassi qui leur prédit l'arrivée d'un homme étrange encapuchonné, qui vient se battre contre eux et s'empare du miroir et du livre vierge.
- François utilise ses pouvoirs d'arithmancie pour observer la venue du personnage et le laisse entrer dans le sanctuaire pour le prendre en sandwich. L'homme à la rapière descend et se dirige vers le miroir. Benjamin, (le PJ de Jérémie) transmute une barre de métal à partir du sol et l'attaque, sans trop de succès. Jacques tente de l'influencer par psychométrie, mais le golem est comme immunisé à l'influence et se défend en lui perforant le ventre de son épée.
- François arrive et foudroie le golem à distance.
- Jacques va faire un tour à l'hôpital (encore, il en est coutumier)
- À son retour, par psychométrie, il découvre d'où vient le golem et qu'il a été conduit dans un fourgon par un homme que les PJ ont déjà rencontré à l'Agora : Armando Chiaro (c'est lui que Fred avait sauvagement attaqué à coup de Kunaï dans la tête dans la partie que j'ai décrite juste avant).
- En touchant le miroir, les PJ voient que cet Armando Chiaro va se suicider. (réactions entre : ah, zut, peut être subit-il toute cette affaire ? Ou : C'est qu'un enfoiré, qu'il crève ! ^^)
- Les PJ acquièrent l'adresse des Chiaro grâce au miroir, ils s'y rendent, passent par l'entrée après avoir aperçu la sentinelle, se rendent dans l'atelier d'Armando où ils le voit prêt à se tailler les veines. Ils entament une discussion qui sera troublée par l'attaque de golems dans l'atelier.
- Ils buttent les Golems, empêchent Armando de se suicider (en discutant, je crois) et mettent un plan à exécution : le frère d'Armando se trouve dans la salle au dessus, ils barricadent les fenêtres grâce à l'alchimie, et font tomber le lit de l'homme-tronc dans la pièce du dessous où ils se trouvent, encore grâce à l'alchimie. Et là, François assomme Giacomo (l'homme-tronc).
- Mais Jacques ressent quelque chose de bizarre, quelque chose ou quelqu'un tente de prendre possession de son esprit, c'est Cassi, qui depuis son miroir utilise sa psychométrie pour prendre possession de l'esprit et du corps de Jacques. Jacques lutte, mais fini par sombrer. Cassi demande alors aux PJ de lui amener le corps d'un démiurge pour qu'elle puisse se réincarner, sans quoi elle s'emparera de celui de leur ami.
- Les PJ lui demandent un peu de temps pour réfléchir.
- Ils en débattent et finissent par se mettre d'accord : c'est hors de question, on lui fait sa fête à cette garce !
- Ils ont réuni les deux miroirs comme convenu, mais ont pénétré dans l'univers mental de l'esprit de Cassi (contenu dans ses miroirs). Quand celle-ci a compris qu'ils n'allaient pas accéder à sa « requête », un combat s'en est suivi : les 3 PJ + Armando et Giacomo Chiaro (qui n'était pas un homme tronc dans l'univers mental) contre Cassi.
- Les 3 PJ se sont fait battre, Armando aussi et Giacomo s'est sacrifié pour mettre fin à l'existence de cette pouffiasse qui a dominé son esprit pendant 10 ans pour créer cette armée de golems en sacrifiant une à une chaque partie de son corps.
***
Voici donc avec le même scénario en canevas les deux histoires que nous avons joué sur deux tables différentes.
Un grand panard et je pense que ce sont Fred et Nico, qui en adoptant des attitudes inhabituelles ce sont le plus rendus compte de leur emprise sur l'histoire.
Au stade actuel, les PJ de Fred et Nico sont en train de s'allier à Cassi, Alba (la meurtrière de l'épisode précédent à Chartres), peut être Armando et de créer un ordre démiurgique neutre, et Ménélas réunit des fidèles autour de sa propre religion.
Les PJ d'Anthony, Jérémie et Cédric sont devenus assez proches de Ménélas et d'Armando, mais sont restés fidèles à l'Agora, cependant, leurs accointances avec un Grigori tel que Ménélas (je rappelle qu'il est joué par Nico dans l'autre partie) a commencé à leur causer quelques problèmes avec leur camp.
J'ai mis en place un principe qui marche du tonnerre :
A la création des PJ, les joueurs choisissent un objectif pour leur personnage, selon un filtre : quête de pouvoir ou quête de remède (que les joueurs définissent librement dans ce cadre précis : devenir le maître du monde, devenir immortel, soigner les maladies incurables, sauver un ami au bord de la folie, ce qu'ils veulent...). Après, tout ce qui est mis en place dans mes scénars et dans le monde sont des quêtes de pouvoir et des quêtes de remède ou y sont liés étroitement, ce qui fait que les scénarios s'imbriquent naturellement dans les objectifs des personnages et vice versa.
Le sanctuaire est pour Fred et Nico un enjeu super important, car il leur permet de vaquer à leurs activités illicites en toute sécurité : fonder un clan autonome et une secte. Dans d'autres cas, si le sanctuaire avait moins d'importance, d'autres éléments du scénar prendraient le relai.
Une histoire d'amour est née entre Alba la meurtrière manipulatrice et Ménélas. Du fait qu'à force d'en venir à des méthodes un peu radicales, ils se sont sentis plus proches d'elle. ^^
(ils ont quand même offert en sacrifice à Cassi l'ancien pote d'Alba et de Ménélas).
J'ai particulièrement apprécié le fait que ce qui était central dans ces parties était le positionnement des PJ dans l'univers et ses turpitudes politiques. Bien souvent, quand mes scénarios étaient torp fermés, j'ai vécu cette violence comme un échec, alors que là, elle devient une problématique du jeu dans la quête de pouvoir.
Le groupe Anthony, Cédric et Jérémie avait choisi une voie plutôt héroïque, bien que des dissensions se faisaient sentir vers la fin, alors que Fred et Nico ont choisi la voie du pouvoir, de la dissidence et fréquemment, les évènements les dépassent et du coup ils prennent des mesures radicales. Le jeu est fait pour ça (entre autres), ils peuvent finir par prendre le contrôle de l'Agora s'ils le désirent.
On a également joué des scènes où le PJ de Nico : Ménélas, hospitalisé après avoir perdu son bras gauche a convoqué ses fidèles pour leur demander de faire des trucs pour lui et en envoyer une partie dans le sanctuaire, en guise de serviteurs qui auront un statut particulier de géniteurs d'un nouveau peuple d'une plus grande pureté.
Fred m'a dit après sur MSN :
Fred a écrit :- l'impression que mon personnage influe totalement sur l'univers est jouissif
- on pourrait continuer a jouer des heures sans suivre la trame principale
Je pense que le système de résolution de conflits que j'ai affiné depuis le temps y est pour beaucoup, je pense qu'il produit vraiment une synesthésie intense, car les possibilités créatives, la résistance du monde et les conséquences palpables sont vraiment prégnantes et permettent au joueur d'envisager de persuader un ennemi de se joindre à lui plutôt que de se bastonner (bien que cette dernière option soit courante chez certains joueurs) et le fait que le système se joue sur une transparence totale, y compris dans les conflits sociaux, incite les joueurs à prendre des initiatives pour s'approprier le monde.
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Et on a enfin testé le système de bonus donnés par les joueurs :
Quand le MJ récompense une narration par un jeton, le joueur peut l'utiliser pour l'action en cours (ça lui donne un bonus), ou le garder pour le donner plus tard dans un conflit auquel son PJ ne participe pas, à un autre joueur ou au MJ, cela confère également un bonus à l'action.
Ça a très bien fonctionné, ils s'en sont donné à cœur joie.
On a rectifié certains paramètres de l'évolution des personnages et j'ai affiné certains points de règles, bref, ça devient costaud, je suis de plus en plus fier de ce jeu (que j'avais abandonné deux ou trois fois depuis ses débuts, tout de même).
Mon seul doute se situe sur la question de l'évolution des PJ et de la gestion de leurs ressources, mais bon, je verrai ça à la longue.