Les faits dans Sens ne donnent pas de bonus lorsqu'ils sont joués pour réussir une action. Donc, de prime abord, je me suis dit que c'était une règle limitative : si tu ne les joues pas, ça n'a pas d'incidence sur le système de la partie. (Bien sûr, ça détermine les runes du PJ, mais ça n'a plus d'incidence pendant la partie).
Quelques uns de mes faits : "On m'appelle Sprite", "Je suis très impulsif", "Je suis très impatient", "je me fais peur parfois"...
On arrive sur l'ancienne base revêtant l'apparence d'un parc d'attraction.
L'hélico se pose, je commence à jouer mon perso : les autres tergiversent, je dis à Rom (oui, c'était bien lui le MJ) : "ok, le pont qui mène au phare est intact ?" Il me répond "oui". Je lui dis : "je fonce au phare".
Là, un autre joueur dit : "j'y vais aussi".
Chose intéressante, notre capitaine (un autre PJ) détestait les comportements impulsifs, ça a donné un peu de tension entre nos persos. Jusque là, on est dans du classique.
J'actionne des leviers pour ouvrir le phare, la porte s'ouvre, puis les manèges du parc d'attraction se mettent en route. En haut du phare, des bruits, quelqu'un s'enfuit, je fais le tour pour le prendre à revers...
Bref, j'allais de l'avant, j'ai tiré tout le monde. À la première pause, Romaric me donne beaucoup de points d'immersion. Et là, dans ma tête, ça fait tilt : jouer mes faits, ça me donne des points d'immersion. À partir de là, j'ai mis ma feuille de faits de simulacres devant moi et j'ai passé mon temps à me dire : ok, lequel vais-je utiliser ?
Voilà comment une règle que je pensais limitatives : si tu sors de ce que tu as décidé à l'avance, tu fais du mauvais roleplay
s'est avérée pleinement incitative : si tu joues ce que tu as décidé à l'avance, tu auras une récompense qui agira directement sur ta faculté à réussir tes actions : les points d'immersion.
Voilà une forme de synesthésie.
Le système que j'ai décrit venait se confronter aux situations en permanence.
Au niveau sympathique : j'essayais de coller au mieux à ce que devrait être mon personnage.
Au niveau utilitaire : j'essayais de renforcer la cohérence de mon personnage, d'apporter ma contribution à l'espace imaginé et partagé (grosso modo la fiction) en enrichissant le canon.
La reconnaissance par le MJ (via certaines attitudes de satisfaction face à nos choix) et des autres joueurs était sans doute la preuve qu'une démarche créative efficace était à l'œuvre.
Je pense que les mécaniques incitatives produisent une synesthésie bien plus solide que les mécaniques limitatives, car ces dernières demandent un effort constant dont la reconnaissance n'est pas régulée par le système et est donc bien plus incertaine. Ici, l règle est claire : le MJ doit récompenser le fait de jouer son personnage. Si ce n'était pas le cas, je pense que j'aurais pris ça bien plus à la légère.
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La synesthésie dans l'utilisation des faits de Cellulis est particulière également :
Coincés dans la salle finale du scénar, une peinture représentant "la Cellule" s'effaçait en coulures étranges.
J'ai donc claqué mes points d'immersion pour utiliser mon fait de Cellulis "j'ai fait des études d'art" : "soudain, un pinceau apparaît dans ma main et je donne des coups sur le tableau, et je le restaure, les visages réapparaissent les uns après les autres..."
Là Rom m'a donné un indice supplémentaire pour résoudre l'énigme.
- Niveau sympathique : perte de connexion avec le personnage, mais grosse mise à l'épreuve de la cohérence de l'espace imaginé et partagé. Ici, la synesthésie est complètement centrée sur la métaphysique du jeu, ou pour ceux qui ne l'interprètent pas de cette façon, sur une espèce de brèche dans la logique apparente du jeu, un deus ex machina.
- Niveau utilitaire : faire avancer la partie, prendre plaisir à faire un truc qui semble proscrit, mais qui nous donne du pouvoir sur l'espace imaginé et partagé. Le deus ex machina se justifie par l'apport esthétique à l'espace imaginé et partagé qu'effectue le joueur.
Il y a une ambiguïté concernant cette règle, c'est que pour certains joueurs, c'est considéré comme de la triche. Du coup, la règle perd de son pouvoir incitatif. Mais vu la particularité du truc, cette espèce de jouissance de prendre l'autorité du MJ pendant un laps de temps, cela compense aisément à mon avis.
C'est justement tellement puissant que sans limitations ce ne serait plus amusant.
Comme beaucoup de règles de ce type (par exemple les points de destin ou d'héroïsme dans d'autres jeux) c'est la question : vais-je l'utiliser ? Le prix a payer n'est-il pas trop fort ? qui fait en grande partie son intérêt.