par Frédéric » 26 Juin 2009, 14:09
Ok, donc pour toi, si je comprends bien, le simple fait de construire de la fiction est le signe qu'il y a immersion ?
Après tout, je peux bien dire : "Je rêverai de rencontrer Fox Mulder" sans rêver une seconde qu'une telle rencontre advienne.
C'est là où intervient l'idée de croyance, mais... quand je joue à Dogs in the vineyard, je ne deviens pas mormon, je n'épouse pas la croyance de mon personnage, tout comme je sais pertinemment de A à Z que tout ce qui se produit dans l'histoire n'arrive pas à des personnes réelles, pas même nous, les joueurs.
Quand je regarde un film dans lequel un personnage est effrayé, la catharsis m'amènera par exemple à ressentir de la peur, mais une peur par empathie, qui me procure du plaisir parce que je sais pertinemment que je suis dans mon canapé devant un écran, parce que la réalité ne s'efface jamais (sauf dans les cas pathologiques de ce qu'on nomme en psychiatrie "dissociation").
La fiction n'occulte jamais complètement la réalité.
Je peux être absorbé dans un bouquin au point d'oublier d'aller pisser, au point d'oublier l'heure, mais si j'entends quelqu'un crier dans la salle d'à côté, je réagis.
Je pense que l'immersion, c'est l'intensité de la concentration et de la projection du joueur/spectateur lecteur dans la fiction et l'importance de son ressenti, qui, cathartique est forcément différent du ressenti éprouvé lors de situations réelles et donc s'affirme en tant que "jeu consenti" avec la fiction : j'accepte ce qui m'est donné dans la fiction de manière projective en le rattachant à mon vécu et à mes émotions par catharsis.
Je le rattacherai à ce que tu disais en lien avec le JDR : "si je faisais ceci, qu'arriverait-il ?" Celui qui emploie son imagination à projeter les différentes potentialités derrière une proposition fictive tend à s'impliquer émotionnellement :
"Si je me jetais du pont, qu'arriverait-il ?"
Imaginer que je tombe, puis que je meure doit sans doute alerter mon cerveau qui va me dire :"ouhlà, attention mon p'tit gars, c'est dangereux ce que tu imagines" Et il m'envoie des informations de peur (ou autres), puis je pense à tout ce que je pourrai perdre si je mourrais, ou aux sensations que cela peut produire de faire une chute de 30 mètres avant de m'écraser sur les rochers...
Ces projections sont traitées par le cerveau pour nous donner un "avant-goût" de ce qui se produirait si nous ou un proche vivions cette hypothèse.
Donc, la fiction actionne en nous ces mécanismes projectifs "d'avant goût" (une forme d'empathie ou de compassion en fait, parfois envers soi-même), nous permettant par la fameuse catharsis de nous enrichir de vécus parallèles.
D'après moi, un joueur peut être "immergé" sans agir dans la fiction, mais bien souvent, cela signifie que la fiction le laisse "mettre de lui" dans ce qu'elle propose, en lui laissant des parts d'interprétation. C'est ce qui pose problème dans le fameux syndrome de l'adaptation d'un bouquin en film qui déçoit les lecteurs (j'imaginais pas le héros comme ça, j'aimais mieux telle scène dans le bouquin etc.)
Mais comme on parle avant tout de JDR, je pense qu'il y a un facteur qui permet de compenser la faiblesse esthétique de la fiction en JDR (les narrations ne seront jamais du Victor Hugo ou du Shakespeare, les mises en scène du Orson Welles, jamais les musiques et répliques ne seront aussi percutants et bien sentis que dans un film et jamais les scénarios ne seront du Charlie Kauffmann), c'est l'implication du joueur dans l'action de l'histoire, on appelle cela "Agency" en anglais (il n'y a pas de traduction en français, mais je pense qu'on peut employer le néologisme "actance", soit le fait d'être actant, autrement dit "agent" du développement de l'histoire).
Qui se rattache à la synesthésie.
C'est dans le système (au sens forgien) que se situe une grande partie de l'intérêt esthétique du JDR, notamment parce qu'un système efficace permet de compenser la faiblesse esthétique de la fiction par le truchement de l'actance... (ouhlà, je m'emballe, demandez-moi si certains trucs ne sont pas clairs).
L'implication du joueur, fonctionne avec deux facteurs, je pense : la tension dramatique et la potentialité. La potentialité, c'est la façon dont les situations et le système permettent d'ouvrir le champ des possibles. Mais cela ne fonctionne que si le joueur peut estimer (ou parier sur) les résultats ou les conséquences de ses actes, sans jamais être certain d'y parvenir, ni que ça corresponde à 100% à son estimation.
La tension dramatique, c'est l'incertitude du devenir des enjeux des personnages.
Ouf ! (Et encore, je n'ai pas abordé la question du fantasme, mais ça viendra peut être selon la tournure de la discussion)