Intro
J'ai créé ce petit système en développement, pour jouer des parties dans l'univers de Harry Potter qui ne s'attacheraient plus à la gestion technique des actions (contrairement au BaSIC avec lequel je jouais jusqu'à maintenant), mais plutôt à une résolution se basant davantage sur l'importance dramatique des scènes et épreuves diverses.
Je me suis inspiré en grande partie de The Pool, qui est estampillé (sans doute hâtivement) "narrativiste".
Je m'attendais donc, malgré quelques modifications subtiles mais substantielles, à conserver le même mode GNS.
Et là, surprise, je ne suis pas sûr du tout du mode GNS dans lequel la partie que nous avons jouée hier soir se situait.
D'une certaine façon, ce n'est pas bien grave, mais cela a piqué ma curiosité, vous vous en doutez bien.
Globalement, que s'est-il passé dans cette partie (il ne nous manque plus que le 3e acte à jouer) ?
Le rapport
4 joueurs : Benjamin, Éric, Jennifer et Jérémie
4 élèves en deuxième année à l'école de sorcellerie Poudlard.
3 sur 4 sont très studieux et mettent beaucoup de soins à étudier et à apprendre correctement les sorts à travailler en classe. (ça c'était un peu la coïncidence : 3 joueurs voulant jouer des Serdaigle, c'est la première fois que ça m'arrive, mais ça n'a pas gêné du tout, simplement, ç'aurait été drôle de voir des élèves employer des moyens détournés pour apprendre leurs sorts et passer leurs exams...)
On raconte qu'un élève de 4e année à Serdaigle a été humilié par le professeur Rogue, qui lui a fait boire sa propre potion lors d'un cours. L'élève est à l'infirmerie. Il était devenu violet et baignait dans son vomi.
La honte sur lui s'est répandue dans l'école et j'ai donc véhiculé l'info aux PJ via un PNJ.
Puis, des objets appartenant à des élèves ont commencé à disparaître, dont, le retourneur de temps d'un des PJ.
***
Parenthèse : le retourneur de temps est un médaillon qui sert à voyager dans le temps. C'est exceptionnel qu'un élève en possède un. À la création, Benjamin, ayant joué ma campagne "Intrigues à Poudlard" et ayant vu quelques uns des films m'a demandé s'il pouvait prendre ça comme équipement. Je me suis dit : aïe !
Oh, et puis après tout, j'ai confiance en mon système, ça va être fun. Je l'ai juste prévenu que la plupart du temps quand il l'utiliserait, j'imposerai une épreuve pour vérifier s'il ne cause pas de problème en modifiant les évènements du passé.
Il était ok, donc c'est parti.
Et je ne suis pas du tout mécontent de l'avoir laissé faire, parce que cela a transfiguré le scénario. Ils ont déclenché des scènes d'une certaine complexité pour résoudre des épreuves et des portions d'enquête, par l'utilisation de cet objet. Une certaine jubilation de la part d'Éric quant au fait de jouer avec les théories des paradoxes temporels pour élaborer des hypothèses quant aux conséquences de ses actes.
Comme le système de résolution leur pendait au nez à chaque utilisation du retourneur de temps, il savait de toutes façons qu'il était inutile de trop se prendre la tête pour élaborer un plan d'action hyper précis, sans failles pour ne pas causer de paradoxes temporels. Il cherchait donc essentiellement à éviter une perte de cohérence et une prise de risques en plongeant sans y réfléchir dans le passé. Ça collait plutôt bien à son personnage, érudit, consciencieux...
On a aussi dans le groupe un familier-chat capable de prédire l'avenir (donc soumis aux mêmes conditions que le retourneur de temps), sous exploité à mon avis, mais Jennifer à qui appartient le perso possédant le chat fait son baptême du JDR, ne soyons pas trop exigeant.
Le résultat de ces objets hyper puissants, c'est que le scénario "canevas"-"bac à sable" ou comme vous voulez permet à ses objets de revêtir une importance narrative énorme dans l'histoire et la rend véritablement unique, car modifiée en substance par les choix des joueurs lors de la création des personnages.
Fin de la parenthèse
***
Après avoir mené l'enquête, d'autres élèves ont perdu des objets chers.
Et (oui, j'ai repris un élément de ma campagne que j'ai développé) des bourres de peluche sont trouvées sur chaque lieu de vol.
Les PJ interrogent le tableau gardant l'entrée du dortoir de Serdaigle (où sont constatés les premiers vols). Le tableau donne la description d'un jeune garçon portant un pyjama-grenouillère en forme de nounours (avec la capuche, comme dans Lain, Amer Béton ou Peter Pan).
Les PJ décident de préparer une potion permettant d'attirer les rats et en glissent une dans la poche d'un Poufsouffle et malheureusement ne parviennent pas à faire de même pour Gryffondor. (Le PJ de Jennifer étant un Serpentard, elle aurait vu si un élève de sa maison possédait un tel pyjama, de même pour les Serdaigle).
Les Poufsouffle sortent du dortoir, aucun ne possède un tel pyjama.
Mais les objets volés reviennent un à un à leur place.
Benjamin décide d'utiliser le retourneur de temps pour voir qui est venu le replacer.
Il découvre le jeune Gryffondor qu'ils soupçonnent d'être somnambule, correspondant à la description du tableau.
Le système
Puis, beaucoup de choses se sont déroulés, je ne vais pas m'éterniser, je voulais juste donner un morceau conséquent de la partie pour se faire une idée.
Les joueurs possèdent chacun un personnage.
Le MJ a un scénario très libre, avec une intrigue, un antagoniste, des PNJ, des lieux, indices et objets éventuellement.
J'ai fait en sorte de révéler de manière dynamique les éléments de l'intrigue de manière à ce qu'on arrive rapidement à la situation où tout dérape : les élèves à qui les objets ont été volés deviennent somnambules, puis sont contrôlés pour attaquer le professeur Rogue pendant le cours du lendemain. Là, ils passent tous au conseil de discipline et sont menacés d'exclusion.
Les PJ peuvent les sauver de ce terrible châtiment s'ils trouvent les preuves de la manipulation.
Lors de la recherche d'indices, la moindre épreuve liée à l'enquête réussie fait avancer l'enquête. La moindre proposition d'un joueur n'étant pas incohérente fait avancer l'enquête. Le MJ peut également faire avancer l'enquête de lui-même de temps en temps.
Lorsqu'il y a épreuve, le joueur explique comment il s'y prend pour résoudre l'épreuve (conflit, confrontation, examens etc. tout cela compte comme "épreuve") en choisissant et en le justifiant, la caractéristique (nommée "valeur") de son choix.
Ainsi, il faut choisir pour chaque action, si la valeur qui anime le PJ est :
- Liens affectifs
- Popularité
- Réussite scolaire
- Bien
- Mal
Et ensuite, intégrer un ou plusieurs traits dans l'action.
Valeur + traits = nombre de dés à lancer.
Un sort offre des dés supplémentaires, selon son niveau d'études.
Plus la marge entre l'adversité et le PJ est grande en terme d'années d'études, plus le conflit sera difficile, car cela modifie le score à obtenir avec les dés.
Enfin, les autres joueurs peuvent gratifier un PJ d'un ou plusieurs "jetons de miracle" qui modifient le score d'un dé en réussite automatiquement. Mais ces jetons sont rares. Il est possible d'en gagner en jouant des scènes dans lesquelles on tente de progresser vers notre objectif personnel (par exemple : devenir chasseur de mages-noirs, devenir populaire, devenir un champion de Quidditch...)
Lorsque ces jetons transforment un échec en succès, ils déclenchent un miracle, un effet inespéré, idéal pour se sortir de situations désespérées.
Les joueurs ont utilisé ces jetons lorsque le professeur Rogue avait été attaqué, pour annuler le sort qui le paralysait partiellement. Les PJ avaient raté leur jet de dés, l'un d'entre eux les a gratifié d'un de ces jetons (il y a eu d'autres moments, mais je ne me souviens plus lesquels).
Un jet de dés décide du résultat d'une épreuve, le joueur doit préciser son but. S'il gagne, il raconte sa réussite avec possibilité de prendre le contrôle sur le décor et les PNJ (le MJ a un droit de véto si certaines choses venaient contrecarrer le scénar ou entamer la cohérence du monde).
S'il échoue, c'est le MJ qui narre le résultat.
Esthétique et crédibilité ?
Les joueurs ont mis une certaine énergie à respecter le canon des fictions d'Harry Potter. Et, chose intéressante, cette dynamique était extrêmement forte, mais portée à mon avis par quelque chose d'important :
- Éric est aussi fan que moi de ces bouquins et films.
- Benjamin connaît plutôt bien l'univers puisqu'il a joué ma campagne et il a vu certains films
- Jennifer connaît pour avoir lu quelques bouquins, mais n'est pas fan
- Jérémie ne connaît rien, mis à part peut être des bandes-annonce
Ainsi, à de nombreuses reprises, il y a eu des discussions hors jeu pour aligner les propositions des non-connaisseurs avec celles des connaisseurs.
Pour ma part, ça ne m'aurait pas gêné, d'avoir une table de non connaisseurs et de dévier de ce que je connais de l'univers. Comme j'apprécierai sans doute une table de connaisseurs à qui rien n'est à expliquer. Mais ce mélange a produit à quelques moments un besoin de réorienter l'esthétique des propositions.
Par exemple, Jennifer essayait de baratiner le professeur Rogue, Benjamin lui a dit que c'était pas le genre du professeur que de se laisser emmerder par une élève de deuxième année.
À d'autres moments, il y a eu ce type d'interventions.
Mais je me dis que l'inégalité des savoirs relatifs à la fiction-référence entre les participants est la cause principale de ces discussions (qui n'étaient pas gênantes et qui étaient plutôt courtes et ponctuelles, mais récurrentes).
Mes questions
Ok donc, voilà :
Est-il possible que l'impression générale de simulationnisme ne soit qu'une importation des habitudes des joueurs ?
Le choix à effectuer du point de vue des valeurs des PJ pour chaque épreuve pourrait-il soulever une prémisse ? Ou les joueurs se contentent-ils de consolider l'image qu'ils ont de leur personnage ?
Tel quel, mon impression très vague, c'est qu'on joue pour endosser l'uniforme des étudiants de Poudlard, mais il n'est pas impossible que cela ne soit en réalité qu'une toile de fond pour juger les actes des PJ, car cela me semblait parfois être le cas.
Rien de discordant dans la démarche créative (mis à part que j'ai parfois dû les freiner dans leur élaboration de plans complexes, les incitant à agir plutôt qu'à tirer des plans sur la comète, ce qu'ils ont fait volontiers).
Donc, cette partie a tous les symptômes de l'exploration prédominante, mais je crois qu'il y a une lacune dans ma compréhension du narrativisme (qui pourrait me faire interpréter de travers la démarche créative de cette partie) : la prémisse
Et je me demande s'il n'y a pas moyen de tirer une prémisse du fait que pour chaque épreuve, les joueurs doivent choisir la valeur sur laquelle s'appuie le personnage.
Ainsi, on pourrait obtenir une prémisse du genre : "les liens affectifs résistent-ils à la pulsion de popularité et le bien et le mal et la studiosité dans tout ça ?"
Mais telle quelle, ma mécanique tend simplement à dire : "hop, une épreuve, comment vous positionnez-vous, de quelle manière le PJ appréhenderait-il cette situation ?"
Mais il est possible que le choix entre deux valeurs puisse apparaître comme un dilemme : "est-ce que j'humilie ce gosse pour être populaire ou est-ce que je le fais juste par méchanceté ?"
ou encore : "Je fais violence à cet élève pour protéger un autre, suis-je dans le bien ou dans le mal ?"
Mais peut être que pour développer ces choix, il faudrait des situations plus porteuses de dilemmes, car là, ce n'est pas trop le cas : amener une opposition entre les valeurs et amener ces choix à produire des conséquences (sur le PJ et sur l'histoire, par exemple).
À moins qu'on puisse faire du narrativisme sans situation à dilemme... mais sur quoi se porte alors le jugement de valeur ?