Dimanche, Julien, Lionel et moi nous nous sommes retrouvés pour jouer. Lionel a proposé Jeu de dupes et Journal Intime, et nous avons décidé d'essayer Jdd.
Préparation
Nous avons parcouru les règles et un peu discuté de ce qu'on pourrait faire. J'ai proposé de jouer dans un pays africain où l'on aurait trouvé de nouveaux gisements de pétrole. L'un jouerait le dictateur du pays tentant d'accaparer les ressources pour lui-même, un autre jouerait un prospecteur d'une grande compagnie tentant d'obtenir un deal juteux et un dernier jouerait des rebelles voulant profiter de la situation pour susciter un mouvement de révolte en démontrant l'abus des puissants.
A ce stade, nous avons arrêté l'objectif principal: imposer sa vision concernant l'emploi du pétrole.
Nous avons affiné le concept des personnages tout en se les répartissant, suite à quoi la procédure de création de personnage est devenue privée. Je donne tout de suite les objectifs secondaires, dont nous avons le fixé le nombre à deux pour faire une partie rapide, tout en précisant que nous avions bien compris leur nature secrète.
Lionel: Rachid Boulavan
Directeur de Tamoil pour la région sub-saharienne, sa motivation est de devenir directeur général de la compagnie. Issu de la grande famille Boulavan, proche des Kadhafi, c'est l'espoir de ses proches pour gravir les échelons du pouvoir politique et économique.
Objectifs secondaires:
- épouser une femme de bon statut du pays où il prospecte
- [je n 'arrive pas à lire le deuxième]
Julien: Jean-Paul N'gou
Motivé à devenir ministre, ce délégué spécial du ministère du pétrole pour la région [où allait se dérouler la partie, non-spécifiée, sinon qu'elle était francophone], fils d'un proche du « président », a étudié à Lyon. Il a actuellement 37 ans, est marié et a quatre enfants.
Objectifs secondaires:
- Organiser une soirée d'information pour les habitants de la région
- Obtenir la collaboration de la mafia locale pour lutter contre l'ONG et Tamoil (présenter la région comme instable)
Christoph: Shalula Kaoré
Militante de l'ONG « Femmes pour la nation », cette militante des droits démocratiques et de l'égalité des sexes [motivation, donc] a passé beaucoup de sa vie en prison. Le reste du temps, elle le consacre aux manifestations, à ses trois enfants de pères différents et à diriger le mouvement.
Objectifs secondaires:
- Etre reconnue d'utilité publique
- Inscrire l'égalité des sexes dans la constitution
Le document actuel est incomplet et impossible à comprendre sans téléphoner à Frédéric. Que ceux qui veulent tester le jeu le fassent après avoir extorqué un pdf mis à jour.
- La première chose présentée est le matériel de jeu nécessaire (appelé étrangement « Préparation), puis on nous propose de créer des personnages. Stop! Comment peut-on créer des personnages si on ne connaît pas déjà l'objectif principal? Pire, le texte nous explique même pas le but du jeu avant de nous plonger dans la création de perso! Comme nous l'avons naturellement fait, il me semble qu'il serait beaucoup plus judicieux de commencer par réfléchir à une situation, avec un contexte et des idées de personnages que l'on peut affiner dans un second temps. Le document devrait refléter cela pour faciliter la compréhension du jeu.
- Je suis personnellement un peu sceptique sur l'utilité d'une histoire pour le personnage, mais pourquoi pas.
- Nous avons eu pas mal de soucis à nous décider sur ce que pourraient être de bons objectifs secondaires pour ce jeu. Le texte ne nous aide pas vraiment, il faut même aller fouiller pour savoir exactement ce qu'ils représentent. C'est très dangereux, dans un jeu ludiste, de laisser les joueurs décider de leurs propres objectifs dans le but de gagner. Dans la discipline athlétique du saut en hauteur (ou à la perche) on décide effectivement de la hauteur à tenter, mais en fin de compte, c'est quand même celui qui saute le plus haut qui gagne. Or, je peux très bien placer la barre très bas, il n'y a dans Jeu de dupes aucun moyen de récompenser la difficulté objectifs secondaires.
- Comment choisit-on un bon nombre d'objectifs secondaires (en fonction de la durée de la partie désirée, notamment)?
- Et, quelles sont les caractéristiques essentielles à un bon objectif principal? Il me semble comprendre qu'il doit exclure toute possibilité de réussite à plusieurs. Notre objectif principal était peut-être un peu limite à ce niveau-là, on aurait très bien pu être tentés de s'arrêter à un compromis, or le jeu ne nous le permets pas.
Rien d'insurmontable pour des roublards, nous avons donc commencé la partie!
Première scène
Lionel est metteur en scène et décide de cadrer sur la rencontre officieuse entre N'gou et Boulavan. Il raconte comment l'accès au bâtiment du ministère est entravé par des manifestantes scandant des slogans progressistes. Après avoir échangé des politesses, Lionel fait sortir Boulavan et entrer Shalula pour un entretien privé avec N'gou. (Lionel ne pouvait pas poursuivre d'enjeux dans cette scène, au mieux a-t-il le droit de se défendre. Ce choix de règles se défend, mais je peux aussi envisager que le tour où l'on cadre correspondrait à un avantage considérable pour se positionner dans le conflit comme celui du service en tennis.)
J'ouvre les hostilités en demandant d'augmenter la part du bénéfice sur le pétrole dévolu à l'éducation, prétextant qu'avec la part actuelle, les écoles ne se construiraient pas avant vingt ans. Julien et Lionel me prient de cesser tout de suite l'accent africain. Je suis d'accord.
Jean-Paul propose plutôt une place dans l'administration, afin que Kaoré puisse elle-même œuvrer à réaliser ses objectifs.
Nous nous regardons, et réalisons que c'est un conflit à régler aux cartes!
En vérité, je m'en foutais d'obtenir plus d'argent pour l'éducation, je visais juste à faire reconnaître les FN (humour douteux, certes), mais je me garde bien de le dire à Julien. Nous tirons cinq cartes chacun, en plaçons cinq au centre. Nous rejouons les échanges verbaux en les appuyant avec des cartes cette fois.
Pour ma part, j'avais tiré trois ou quatre trèfles, ce qui signifiait que je pouvais aisément dominer avec le Mensonge une fois que nous abattrions les cartes. J'ai donc essentiellement cherché à employer des techniques me permettant de piocher trois cartes sans rien montrer à Julien. Du coup, je crois bien que j'ai réussi à le mener en bateau quant à mes aspirations. Prendre une carte à découvert ma servi à bluffer Julien, mais je n'ai fait cela qu'une fois, c'était trop intéressant de tirer trois cartes.
Dans la fiction, je fais mine d'accepter la proposition de N'gou à contre-cœur, puis j'abats cinq trèfles: je mentais! En fait, je coche mon objectif de reconnaissance officielle, car difficile de prétendre maintenant qu'avec une place dans l'administration, les FN n'étaient plus reconnues...
Remarques!
- A un moment, Julien dit: « Mme Kaoré, pourquoi ne rejoignez-vous pas simplement le gouvernement? », j'ai répondu « Parce que les femmes n'y sont pas les bienvenues? », suite à quoi Julien a voulu rétorquer « Mais si, il y en a plusieurs! » On s'est regardé, perplexes, car nous trouvions ces phrases arbitraires et sans fondement, alors que nos personnages auraient dû savoir dès le début ce qu'il en était et orienter leurs discours en conséquence. Lionel a proposé de trancher en faveur de l'absence de femmes (ce qui m'arrangeait bien, sinon le concept même de mon personnage aurait été moins pertinent). Il n'y avait pas de cartes associées à cet échange. En clair, nous ne savions pas qui était responsable de définir le contenu préexistant aux événements de notre partie et nous ne voulions pas trop lâcher le morceau vu la force que cela pouvait donner aux arguments.
- Piocher trois cartes c'est bien. Mais en plus pouvoir garder les cartes peu importe la couleur de la technique employée pour les piocher, c'est méchant.
- Les règles disent que celui qui a le plus de cartes du même type en début de partie a « l'avantage ». Nous n'avons pas trouvé ce que cela signifiait concrètement pour la suite.
- Qu'est-ce que cela implique d'avoir une main gagnante d'une certaine couleur? Nous avons joué en disant que cela contraignait la narration finale, comme dans ce cas où j'ai révélé un mensonge.
- Or, ceci fonctionne certes avec le mensonge, qui permet de révéler que les actions précédentes étaient du bluff, mais pour les autres attitudes, ça me semble plus difficile. Aussi, jouer le mensonge en cours de résolution pour piocher dans la ligne centrale est contre-productif: on révèle à son adversaire sa véritable tactique. Si de surcroît on finit avec un main à majorité de cœur, il devient très difficile de trouver une explication cohérente: mentir pour « présenter les véritables atouts de la proposition » ? C'est absurde. Il me semble en fait que les règles traitent de la même façon des mécanismes psychologiques/rhétoriques qui sont fondamentalement différents dans leur fonctionnement. Le mensonge ne peut être révélé en tant que tel qu'après coup (ce qui pose le problème de l'interprétation des cartes jouées auparavant), l'argumentation et la persuasion sont un travail sur la durée, qui ne peut souffrir d'aucun mensonge sous peine de perdre sa crédibilité. Le mensonge devrait probablement être un « coup spécial » risqué. Ceci dit, le mensonge reste délicat à interpréter dans les cas où l'on vient de discuter d'éléments dont les joueurs ne savent pas eux-mêmes s'ils sont censés être véridiques ou non relativement au contexte des événements joués.
- Julien m'a fait remarquer que si son objectif secondaire avait justement été de placer Kaoré dans le gouvernement (dans le but d'affaiblir sa crédibilité en tant qu'opposante par exemple), alors il y aurait eu deux objectifs cochés. Or on dit que le perdant n'obtient pas son objectif. Comment gérer cette contradiction entre conclusions logiques des événements et application de règles qui permettent d'évaluer ces événements?
Deuxième scène
Tiens, comment décide-t-on du prochain metteur en scène? Nous avons dit que ce serait au vainqueur du conflit précédent de cadrer, afin de ne pas pouvoir obtenir deux objectifs secondaires de suite.
Je fais un cadrage minimaliste, essentiellement basé sur ce qui avait été dit dans la scène précédente: nous jouons les négociations entre le gouvernement et les différentes compagnies pétrolières voulant décrocher un contrat. Je joue les PNJ, donc quand Lionel adresse la parole au ministre du pétrole, je joue pour lui.
Lionel essaie assez rapidement de demander la main de la fille du ministre en mariage, en flattant le mec comme pas possible. Il donne un niveau de 5 à ministre (celui-ci aura-t-il désormais toujours un niveau 5 ou peut-on le changer à chaque conflit?)
Julien veut savoir comment on peut s'allier au ministre. Les règles sont formelles, on ne s'allie qu'avec l'intéressé. Donc pas possible de s'allier au ministre, qui est ici la cible.
J'hésite à accepter la notion que le ministre ait une fille à marier, mais contredire Lionel sur ce point serait ridicule. Je lui dis réponds donc simplement « Mais vous êtes musulman! » (c'était fort probable, mais... qu'est-ce qui me permettait de l'affirmer?)
Ensuite, nous ne savions pas à qui c'était de jouer. Est-ce que Julien jouait après moi? Si oui, qui devait ou pouvait lui répondre (dans le but de choper des cartes)? Et après?
Rapidement, Lionel n'arrive plus à accorder le moindre crédit à ce qu'il est en train de faire. Impossible d'évaluer la pertinence de nos propos en se servant des règles comme guide, tout nous semble arbitraire.
Nous décidons donc de mettre un terme à la partie, ayant bien assez de matière à écrire un rapport!
Je résume:
- Un même PNJ garde-t-il toujours le même niveau de manipulation?
- Quel est l'ordre du tour? Se base-t-on sur un principe abstrait en dépit de la fiction ou est-ce justement la fiction qui nous renseigne sur le tour de jeu (ce qui permettrait aux malins de se positionner avantageusement dans le débat pour jouer plus souvent)?
- Alliances uniquement avec l'intéressé?
Mot de la fin
Vaguement sceptique avant la partie, je me suis vite trouvé tout excité par la situation! Ah, on allait pouvoir s'en mettre plein la tronche! Finalement, des règles qui permettent de déterminer le plus fort dans un jeu d'intrigues et de manipulation, ça peut être chouette! Malheureusement, ce n'est pas au point. Certes, c'était une partie de test et cela n'allait pas nous effrayer, mais j'ai quand même eu l'impression que tu n'aurais pas encore dû diffuser le texte en l'état, car il est tellement lacunaire que nos commentaires risquent tout simplement de manquer de pertinence par rapport à tes intentions. Attention donc pour tes prochains textes! J'aime bien tester, mais je veux que ce soit utile pour l'auteur et pour cela il faut passer un seuil minimal pour que le testeur puisse comprendre les intentions de l'auteur (pour la version du jeu en cours) et jouer jusqu'au bout. S'il faut trop de rustines, on crée de facto un jeu en temps réel, qui risque bien de ne pas être celui que l'auteur vise.
Ça peut sembler un peu sévère, mais sois assuré que je ne t'en tiendrai pas rigueur, Frédéric!
Il est fort probable que Julien et Lionel aient leur propre commentaires à ajouter, si tu veux attendre d'avoir une image aussi complète que possible de notre partie avant de réagir.