La nuit de vendredi à samedi, nous avons joué une seconde séance de Capes, puisque le jeu avait plu. Daniel, moi, Tinkou et Tozo sont donc de retour dans leurs bottes et leurs collants flashy, mais avec un petit nouveau en plus, cette fois, Chams.
Nous avions joué trois scènes, la fois précédente : deux super-héros empêchent le Professeur McFarland et son armée d'hommes-taupes d'enlever la soeur d'un des héros. Le Professeur est arrêté, et la seconde scène est son procès. Un avocat spécialisé en super-vilain vient le défendre, et plusieurs témoins sont présents. Mais surprise, une nouvelle super-vilaine répands le chaos dans le salle, manquant de laisser échapper le professeur, et s'entichant de l'avocat qu'elle trouve à son goût. Enfin, la Justice Brigade, dont faisait partie les deux héros rentre au Justice Hall, mais celui-ci est attaqué par l'armée des hommes-taupes, dirigée à présent par leur seul roi, et bien décidés à reprendre possession de leur drilling machine. Les deux autres membres de la JB les en empêchent et évite à la jeune assistante de The Wizard de se faire tuer.
Je n'avais pas retiré de réflexions particulière de cette séance. Peut-être que le cycle de récompense n'était pas bouclé, ou peut-être que je n'avais pas assez fait attention aux motivations des joueurs.
Nous commençons par bavarder et à raconter les événements de la précédente séance, et là j'apprends que le nouveau joueur n'a pas une expérience très longue du jdr. Je me dis qu'il sera une parfaite expérience de formatage dès l'initiation (car c'est bien plus difficile une fois les habitudes acquises).
Avant de commencer le jeu, je propose d'effectuer un tour de table pour faire un Courrier des Lecteurs. C'est un mécanisme que l'auteur avait inclus dans une version ancienne des règles mais a retiré depuis. Moi je le trouve très pratique pour développer les personnages, et j'avais décidé de leur proposer. Ca consiste à ce que chacun, à tour de rôle, on pose une question sur un des personnages, et le premier qui a une idée qui lui semble valable se dévoue pour y répondre. Le principe est de copier le vrai courrier des lecteurs qui existait dans les comics et de donner des indices alléchants mais pas exhaustifs pour pousser à la curiosité. Ca se passe bien, même s'il n'y a pas de question ou de réponse qui m'inspire vraiment comme je l'avais espéré. (La Couleur n'a pas joué son rôle ?)
Je me lance comme décideur de scène. Je place les joueurs pour que Chams décide de la suivante. Voulant essayer une scène plus sociale et sans super-vilain à combattre, je lance un description : "le Justice Hall est en train d'être reconstruit après les dégâts faits par le combat avec les hommes-taupes, quand la soeur du Baron (un des membres, la même soeur qui a failli se faire enlever) arrive en courant vers eux."
Je prends le contrôle du robot que j'avais créé et joué dans la scène de l'attaque des homems-taupes. En effet, j'ai été frustré de ne l'avoir joué que comme un archétypal robot de comics, logique et froid, et j'aimerais le développer. Chams choisi l'avocat de super-vilains. C'est un humain normal et à ce moment, on a pas pensé à préciser à Chams que les "normaux" n'étaient pas les plus intéressants à jouer au vu des mécanismes (limitations d'action, manque de Dette Morale qui peut s'investir dans les conflits qui tiennent à coeur pour y être plus efficace, etc), mais finalement ça n'a pas été un problème. Tozo reprends son personnage fétiche, Abe the Ape, un gorille intelligent super-fort. Enfin, Tinkou décide de dépenser un point d'Histoire pour jouer deux personnages : la soeur du Baron et le Baron lui-même. Il crée donc la soeur et en fait un délinquante névrosée. Jolie twist auquel personne ne s'attendait.
La scène commence et l'avocat décide de venir accompagné de la maire pour tenter d'expatrier la Justice Brigade selon des lois d'urbanisme et de sécurité urbaine plus ou moins obscures. Les trois héros se tournent contre lui, bien sûr, tandis que la soeur penche en sa faveur. Parallèlement, le robot décide de découvrir le crime caché de la petite soeur. Abe s'y oppose tandis que l'avocat se joint à l'interrogatoire en la menaçant de révéler le crime si elle ne paye pas ses honoraires tout de suite. Mais Tozo pose un événement qui donnera une autre couleur à la scène : un oeil gigantesque apparaitra dans les cieux entouré d'un maelstrom orageux. (Rappellons qu'un événement annonce juste un fait qui se passera lors de la résolution de celui-ci, mais qui laisse ses causes et conséquences ouvertes au narrateur du moment)
Ceci lance une dynamique d'action dans une scène que j'avais désignée comme sociale, mais bon, plions-nous aux préférences des joueurs.
S'ensuit deux dialogues (les deux conflits posés) se croisant sans se mêler (du aux mécanismes des règles et surtout au fait que tout le monde voulait participer aux deux, alors que seule la crédibilité les en empêchait). Ca n'était pas spécialement gênant, mais ça fait un exemple de plus par rapport à l'autre instance d'omniprésence vue plus bas.
Finalement, la gamine garde son secret et la Justice Brigade reste en ville. Tinkou crée un nouveau personnage, un gigantesque colosse roi des Abysses, et le décrit en train d'essayer de forcer un passage entre les dimensions. J'ai trouvé le twist excellent, et l'appropriation de l'événement maligne : l'oeil c'est le sien quand il a réussit à ouvrir un trou dans la frontière dimensionnelle. Finalement Daniel arrive et s'intègre dans la partie, il joue Abysse (la super-vilaine de la scène du tribunal) qui était déguisée en la maire. Chams commence à faire entonner à l'avocat "non maitre, pas encore, je maitrisais la situation !" tout en regardant le maelstrom en formation. Nouveau twist intéressant : l'avocat est un cultiste des Abysses, révérant le colosse dimensionnel. Tinkou explique que Abysse a été créée par ce colosse pour contenter le disciple (puisqu'elle est tombée amoureuse de lui), et il s'est retiré une côte pour ce faire. Mais Abysse a l'air de ne pas apprécier son père. Elle déchire son enveloppe humaine, et grandit pour être de taille à lutter contre l'ouverture dimensionnelle. Elle arrive à repousser son créateur.
J'ai parlé à Daniel après la partie et il a une habitude très narrativiste de réfléchir à moyen terme à ce qu'il veut inclure comme enjeux pour ses personnages. En l'occurence il a été surpris par l'annonce de l'origine d'Abysse, mais a apprécié le challenge et s'est tout de suite rattrapé en créant un nouveau twist. Chams aussi semble lancer des problématiques intéressantes. J'avoue avoir bien moins d'idées que Daniel lorsqu'il s'agit de créer des enjeux intéressants sur des persos. Les deux autres n'ont même pas fait mine de réfléchir à moyen terme, et semblait réagir.
Scène suivante, Chams décrit une île volcanique, où le Professeur McFarland se fend d'un rire démoniaque après avoir mit la touche finale sur une machine. Précisons que lors du Courrier des Lecteurs, la question "pourquoi McFarland voulait-il enlever la soeur", j'ai expliqué que sa puissance psionique avait déclenché un besoin immense de trouver un esprit correspondant, avec lequel il pourrait se lier, et il s'est avéré que la soeur en était un. Une sorte d'amour mental et fusionnel. Le personnage est devenu bien plus dramatique et attachant, grace à cela.
Chams décide de créer un nouveau super-héros, un allié de la Justice Brigade qui ne souhaite pas se contraindre par une telle organisation. Il est venu sur l'île car il recherche l'origine de ses pouvoirs. Perche extrêmement intéressante, selon moi et Daniel. Tozo crée un poulpe spectral mangeur d'intelligence. Ce personnage n'a provoqué que chaos et n'a rien apporté d'intéressant, mais vous verrez ça plus bas. Tinkou décide de tenter une possibilité offerte par Capes : un personnage n'a pas besoin d'être une seule entité pensante, et en fait n'a même pas besoin d'être une entité pensante du tout. Tout ce qui compte, c'est que ce soit une seule entité narrative. Il décide donc de jouer l'île elle-même, mystérieuse et périlleuse. Daniel prends le contrôle de McFarland et je joue The Wizard, un des membres de la JB.
La soeur du Baron est manipulée mentalement par McFarland pour venir sur l'île, et The Wizard part à sa suite pour la protéger. Notons que personne ne joue la soeur, elle n'est que l'instrument de la narration, bien qu'elle soit au centre des attentions. Tinkou lance un objectif de l'île : ensevelir la soeur. Tout le monde sauf Tinkou personnalise l'île et comprend qu'elle est jalouse de cette nouvelle rivale. Bien évidement, tous sauf le poulpe s'opposent à cela. Tinkou sent qu'il va perdre et (par frustration, semble-t-il) lance un nouveau conflit trop similaire pour être intéressant : Noyer The Wizard. Là il n'y a même plus d'explication intéressante, ça semble de la pure méchanceté gratuite de la part de l'île. Parallèlement, Daniel pose un événement : McFarland se retrouve en face à face avec la soeur. Tozo commet l'erreur monumentale de lancer ce conflit : Le Poule veut se repaitre de l'intelligence de tous les humains sur l'île. Comme un tel résultat fait chier tout le monde, on s'est tous rué dessus pour le lui disputer, donc ça nous a pris du temps qu'on aurait pu utiliser sur des conflits qui nous intéressaient vraiment. Mais bien sûr, le pire c'est qu'il a gagné donc il a narré le résultat, qui a rendu tous les héros a l'état de débiles mentaux errant sur l'île. Va jouer un tel perso... Ce fut à peu près le seul rôle du Poulpe dans la scène, ce qui fut bien ridicule (et emmerdant).
Il a donc fallu jouer des débiles pour toute la scène. Ca ne plaisait à personne, et chacun a en fait trouvé un moyen (plus ou moins crédible) de jouer son personnage avec son intelligence, parfois même en ignorant tout simplement le résultat du conflit. C'était très insatisfaisant, car d'un côté le respect pousse à laisser le résultat en place puisque c'est ce qu'à voulu Tozo, mais de l'autre la contrainte que ça impose pousse à la violer pour faire des choses intéressantes.
Avant que le Poulpe n'arrive à perpétuer son crime de méta-jeu, Chams inclut un nouveau personnage dans la scène, le robot de la JB. Il était encore tout chargé de points de Dette Morale de la scène précédente et devait donc être dans un état de stress intense. Chams a interprété ça comme suit : comprenant le dessein du poulpe, le robot décide de l'aider, et l'inspiration d'un monde meilleur lui vient, un monde où les humains seraient tous réduits à l'intelligence animale, pour éviter toutes les guerres et les crimes. D'un coup, le robot (membre d'une ligue de super-héros) a semblé bien plus démoniaque que McFarland, qui passait ici pour le romantique désespéré quand le robot avait tout d'un Hitler. C'était intéressant comme twist, mais malheureusement brisait de beaucoup des prémisses qu'on avait fixées (univers manichéen, héros vertueux)
Un autre problème de crédibilité par omniprésence s'est posé :
The Wizard est un magicien extrêmement puissant, et McFarland est un psioniste extrêmement puissant. Nous décrivions chacun des deux personnages agissant à distance sur des conflits très loin d'eux en justifiant de leur pouvoirs. Agir sur ces conflits nous intéressaient et la position physique de nos personnages les en empêchant, il a été très facile de prendre leurs pouvoirs immenses comme explication pour le faire. La crédibilité tendait à devenir très limite, dans ces cas-là. C'est le problème lorsqu'on joue des personnages aux pouvoirs démentiels et que le style de l'univers (Comics Silver Age) permet de justifier à peu près tout et n'importe quoi.
Bon, finalement la scène se déroule. A un moment, elle est prête à se terminer, et Tinkou lance un conflit parce que, je cite, "j'ai une cinématique en tête, alors il faut que je l'exprime". C'est un événement "le volcan entre en éruption. Ca a pris des efforts et du temps, et ça n'a rien apporté de très constructif.
Il aurait fallu qu'ils comprennent qu'un Conflit est là pour pointer quelque chose de significatif, qui nécessite qu'on s'investisse et que les points de vue s'affrontent. S'il avait une cinématique en tête, il n'avait qu'à la narrer, il avait toute crédibilité pour cela.
Les points importants (donc à discuter) :
- Tinkou et Tozo ont lancé beaucoup de conflit "simulationnistes" qui n'avait d'intérêt que de voir ce qu'il se passe. Il n'y avait aucune réflexion méta-jeu derrière, et cela finissait donc souvent en n'importe quoi. Se poser un objectif de discussion était à des kilomètres de leurs intentions.
- Le pire, c'est quand ce "voir ce qu'il se passera" se mêle à un délire. Le Poulpe n'avait vraiment pas sa place ici. La crédibilité était limite, et il n'a rien apporté d'intéressant. Une discussion post-partie avec Tinkou et Tozo a révélé que quand ils jouaient, il voulait qu'il y ai toujours une possibilité de lancer des trucs incongrus dans la partie pour "voir ce qu'il se passe" (je cite texto). Ca a confirmé nos craintes, avec Daniel : ils sont Simulationnistes de délire, et ça collera jamais lorsque les autres veulent faire du sérieux.
- Capes est un jeu qui propose un système à gestion de ressources qui fait Ludiste. Ce système est placé à très haut niveau de méta-jeu, et n'influe aucunement directement sur les actions des personnages (qui eux, normalement ne sont sujet qu'aux motivations narrativistes des joueurs). Or, dans la partie Ludiste, il faut lancer des conflits qui intéressent les autres pour gagner. C'est ce qui provoque la relation Ludiste-Narrativiste. Tozo et Tinkou agissait en Ludiste opportunistes, pas en Ludistes stratégiques. Ils ne pensaient absolument pas à l'intérêt du conflit, mais faisaient faire à leurs personnages les actions qui les faisaient le plus gagner. Jamais ils ne se sont dit "allez, là je vais perdre". Cela a court-circuité la remontée Ludisme vers Narrativisme, les laissant dans le premier.
- Comment éviter les étirements de la crédibilité jusqu'à ce qu'elle soit prête de rompre lorsqu'il s'agit de potentiel de pouvoir, et ce sans enlever son côté flamboyant et high-level ? Pas facile de trouver le bon contrat social.
- Il a par contre été très intéressant d'essayer certaines choses avec Capes. Le Courrier des Lecteurs peut se révéler très inspirant (comme toute couleur) et la possibilité de jouer une île, un mystère ou la loi de Murphy paraissent délicieusement exotique.
- Chams a été tellement content de cette partie qu'il a dit plus tard avoir été "exalté" et que le côté Indie du Jdr l'avait conquis. Il se joint à moi dans la croisade pour l'ouverture des pratiques rolistes.