CR de ma première partie de Prosopopée, datant de hier après-midi. J’ai utilisé la version du 30/04/2009 parce que je n’ai pas eu le temps d’imprimer et d’étudier l’ashcan. J’espère néanmoins que le rapport de partie pourra t’être utile, Frédéric.
Les joueurs étaient : Guillaume, Julien et moi.
J’ai commencé par expliquer le principe du jeu puis le système et enfin la création de personnage. Ca a accroché au moment de l’attribut étrange du personnage, peut-être parce que je l’ai aussi présenté l’attribut étrange comme ce qui fait l’identité du personnage. Guillaume « Le miroir de l’âme » et Julien voulait jouer « L’homme-goret », j’ai insisté pour qu’ils reformulent leurs attributs sous la forme « Celui qui… » en insistant sur le fait que ce devait rester un attribut relativement discret. Finalement on est arrivé à : Guillaume jouant « Celui qui lit les âmes », Julien jouant « Celui qui a une tête de sanglier » et moi jouant « Celui dont le sang est de sable ». (Je mets les noms en couleur pour aider à suivre chaque joueur et chaque personnage. Je ne me mets en couleur que quand je suis joueur.)
Julien a commencé à raconter en partant d’une image d'une pièce de théâtre japonaise (actuellement à Paris, j’ai totalement oublié le nom) recouvert de poussière ocre.
Celui qui a une tête de sanglier marche dans une plaine déserte lisse de poussière ocre. Il ramasse un peu d’argile. Les arbres et la végétation ont l’air d’avoir disparu. Il rencontre une caravane de trois personnes portant du bois sur leur dos. J’interviens pour placer un déséquilibre à 2 sur Végétaux, pour signifier que le bois est devenu très rare et très recherché, je décris la réaction agressive et apeurée des porteurs de bois face à un étranger [au début, j’avais établi que c’était à ceux qui écoutaient de poser les déséquilibres et pas à celui qui décrit ; finalement après discussion on a préféré faire que chaque personne puisse poser un déséquilibre quand elle le souhaite]. Celui qui a une tête de sanglier suit la petite caravane de loin qui finit par arriver à une immense ville ; les caravaniers signalent Celui qui a une tête de sanglier aux gardes de la ville qui lui en interdisent l’accès.
Celui qui lit les âmes se promènent dans cette ville qu’il vient de découvrir. Il y ressent un grand malaise parce que malgré les gens qu’ils voient tout autour de lui, il ne voit aucune âme vraie. Guillaume place un déséquilibre à 4 sur Vide. Il apprend que demain aura lieu le mariage du gouverneur de la ville avec Dame Aurelle, noble dame de l’Empire qui délaisse cette ville depuis une dizaine d’années.
Celui dont le sang est de sable intervient auprès des gardes (il vit dans cette ville depuis longtemps) pour permettre à Celui qui a une tête de sanglier d’entrer. Julien prend très vite la parole pour indiquer qu’un incendie a pris feu dans la ville et qu’il faut s’y rendre au plus vite (déséquilibre à 3 sur Eléments) [ça m’a un peu frustré de ne pas avoir le temps de me présenter et d’échanger un peu avec son personnage pour faire vivre la chose]. Celui dont le sang est de sable et Celui qui a une tête de sanglier courent vers l’incendie. En passant à côté des gardes, Guillaume ajoutent que les miliciens refusent de bouger parce qu’ils en ont reçu l’ordre par Dame Aurelle. Arrivés dans les beaux quartiers où a lieu l’incendie, ils se rendent compte qu’a brûlé un entrepôt de bois très rare qui devait être le cadeau de mariage de Dame Aurelle au gouverneur. Celui qui a une tête de sanglier en courant dans la ville constate le décalage entre la haute et la basse ville et le mépris et le ressentiment qui s’échangent de haut en bas (Julien place un déséquilibre à 3 sur Abstractions). En arrivant sur l’incendie, il le contemple un moment, des gardes du gouverneur en armure dorée arrivent. En contemplant la glaise qu’il a emporté, Celui qui a une tête de sanglier en vient à une conclusion qu’il faut isoler le feu, il commence à ordonner à tous le monde d’amener de la glaise pour isoler le feu, dans une ville composée essentiellement de bâtiments en bois. Celui dont le sang est de sable l’aide en relayant ses ordres et en haranguant la foule de la ville. Echec : le gens ne comprennent pas pourquoi un étranger donne ainsi des ordres, la foule gronde, l’incendie brûle l’entrepôt à ras, le cadeau de Dame Aurelle disparu, le mariage est mis en péril, les gens ont peur (je raconte et je déplace le déséquilibre vers Abstraction).
Là j’accélère un peu mon CR : les médiums s’enfuient, se rencontrent, discutent politique de la ville. Finalement les personnages reviennent sur la place de l’incendie. Celui qui a une tête de sanglier fouille les cendres et comprend qu’elles sont porteuses de renouveau et de fertilité et qu’elles pourront refaire pousser des arbres. Réussite parfaite : Celui qui a une tête de sanglier devient Celui qui a une tête de sanglier et dont les mains bourgeonnent. Je me permets d’ajouter à sa description en décrivant les cendres qui s’envolent vers les champs à l’entour (sinon, j’ai du mal à percevoir comment le problème est vraiment résolu).
Guillaume décrit l’arrivée de gardes du gouverneur qui nous prennent à partie et nous demandent si nous avons volé la robe de Dame Aurelle (il place un déséquilibre à 3 sur Objets). Agréable moment où nous échangeons tous les répliques de nos personnages et celles des gardes. Finalement les gardes s’éloignent.
J’essaie de prendre la parole mais je bafouille, je perds ce que je voulais dire et je demande de l’aide aux autres. Guillaume indique alors que Celui dont le sang est de sable sent qu’on lui glisse la main à la poche. C’est un voleur essayant de glisser une statuette dans la poche de Celui dont le sang est de sable. (Guillaume joue le voleur, je joue mon personnage) Il l’attrape par la main pour l’empêcher de s’enfuir, le voleur hurle que Celui dont le sang est de sable a volé la statuette sacrée que c’est sa faute ; ladite statuette tombe au sol et vol en éclat. Les gardes arrivent (Guillaume place un déséquilibre à 2 sur Objets pour signifier le vol de la statuette). Je tente de résoudre la situation en résolvant le déséquilibre de la robe en utilisant Intuition pour montrer que le voleur est aussi celui qui a volé la robe. Echec : Guillaume décrit le comportement injuste des gardes (il déplace le problème vers Abstraction pour signifier le système corrompu de l’endroit) et le fait que les gardes s’emparent des personnages. Là j’interviens en signalant qu’on ne peut pas agir sur le médium de quelqu’un d’autre (j’essaie de respecter ce que je perçois de l’intention du jeu). Discussion animée sur la question et sur l’utilité de cette règle. Finalement Guillaume décide que les médiums s’enfuient sur les toits à la poursuite du voleurs, étant eux-mêmes poursuivis par les gardes du gouverneur.
Celui qui a une tête de sanglier et dont les mains bourgeonnent rattrape le voleur et le menace (avec sa tête de sanglier, forcément !). Celui qui lit les âmes commence à l’interroger. On s’est mis d’accord sur le fait qu’il s’agissait d’une tentative de résolution des trois déséquilibres à 3 alors sur Abstraction (la ville divisée socialement, la peur des habitants avant le mariage, le système juridique corrompu), même si on avait du mal à distinguer celui qui était attaqué exactement. Réussite parfaite : Guillaume décrit que le voleur lui révèle toute la conspiration, le fait que Dame Aurelle cherche à saboter son propre mariage, que depuis qu’elle est arrivée il y a 10 ans la ville va de plus en plus mal. Celui qui lit les âmes devient Celui qui lit les âmes et qui déchire les masques. Je raconte que Celui dont le sang est de sable va répandre la nouvelle dans toute la ville, va prévenir ses contacts et que les conjurés sont chassés par les habitants de la ville qui se réconcilient ainsi (là aussi j’interviens parce que j’ai du mal à comprendre la cohérence de la chose sinon). Celui qui a une tête de sanglier et dont les mains bourgeonnent prend alors le voleur en tête à tête et lui explique qu’il va lui donner une deuxième chance, qu’il va devoir prendre soin de cette ville et qu’il va devoir instaurer le culte du grand blaireau Tanuki-san ; Celui qui a une tête de sanglier et dont les mains bourgeonnent transmet alors son premier attribut étrange au voleur pour l’aider. Celui qui a une tête de sanglier et dont les mains bourgeonnent devient donc Celui dont les mains bourgeonnent. J'ai beaucoup aimé cette intervention, qui enrichissait beaucoup l'univers et était marquée par le joueur, un dé de récompense bien mérité.
Reste le dernier déséquilibre, l’absence d’âmes à 4 qui pèse sur toute la cité. Je décris le calme électrique qui envahit la ville, les espoirs et les peurs qui pèsent… En discutant à travers nos personnages, nous établissons que Dame Aurelle est quelqu’un de très mystérieux qui ne se montrent jamais et que le mariage doit avoir lieu demain à midi durant une éclipse totale de soleil. Les personnages passent la nuit dans la ville partagée entre la fête et l’angoisse.
Le lendemain au moment du mariage, Dame Aurelle est en retard. Alors que tombe sur le gouverneur et la foule rassemblée l’obscurité de l’éclipse, les trois personnages montent sur l’estrade et encadrent Dame Aurelle au moment où elle arrive. Lorsque la clarté revient, personne n’ose bouger devant l’audace et l’impudence des personnages. Celui dont le sang est de sable s’adresse alors à la foule et tente de leur rappeler comment ils ont perdu progressivement leur âme, comment ils ont accepté la mort de leurs forêts, comment ils en sont venus à se détester, il leur reproche leur lâcheté et finit par leur montrer ce qui a été le départ de tout ceci en arrachant le voile de Dame Aurelle. Réussite totale : il révèle un néant noir comme la nuit qui se détruit lui-même face à tout ces regards, les habitants sont frappés par la grâce et retrouvent leur joie et leur énergie. Celui dont le sang est de sable devient Celui dont le sang est de sable et qui chasse le néant.
Julien raconte l’épilogue, les trois personnages qui quittent la ville discrètement. Le voleur-prêtre à tête de sanglier qui s’adresse à la foule pour le culte du grand blaireau Tanuki-san et qui peu à peu réorganisera la ville pour la faire renaître.
Passons sur les remarques sarcastiques comme quoi le méchant de l’histoire était une femme voilée…
La partie a duré 2 heures au total, incluant présentation du jeu, création des personnages et divers discussions hors-jeu.
Remarques générales sur Prosopopée (par ordre d’importance croissant) :
C’est pas toujours facile de choisir les Médiations qu’on va utiliser. On est tenté de forcer la description pour correspondre aux Méditations dans lesquelles on est les meilleurs. Comme il n’y a pas de meneur pour trancher, ça pousse parfois à l’excès. Intuition est très facile à utiliser je trouve comme Médiation (on peut faire tomber du ciel ses conclusions), je le sais je l’avais à 4.
Le fait qu’une réussite totale élimine également les déséquilibres de difficulté moindre est bien, ça permet non seulement d’aller plus vite, mais également de donner un peu de cohérence à l’ensemble des déséquilibres : ceux ayant des difficultés plus grandes causent ceux qui ont une difficulté plus petite, donc si on élimine les grands, on élimine aussi les petits – logique. Néanmoins, c’est parfois difficile d’expliquer comment se fait cette résolution, comment des déséquilibres n’ayant a priori rien en commun peuvent se résoudre ensemble, comme ça. Comme vous l'avez vu, je suis souvent intervenu pour expliquer grâce à mon personnage des résolutions qui me semblaient un peu bancales.
Les dés de récompense sont donnés presque à chaque description, mais on a réussi à éviter les chantages affectifs implicites que j’avais déjà vu dans d’autres jeux fonctionnant au don (Plury One, si d’autres connaissent). Les belles envolées sont souvent récompensées de deux voire trois dés, les performances médiocres d’une seule. Plus que tout autre, ça oblige à prendre la parole et à ne pas rester en arrière à écouter. Je confirme (si besoin en était encore) que ça marche bien de mon côté aussi.
C’est pas toujours évidemment de prendre la parole, souvent parce que les autres parlent beaucoup. J’ai même eu l’impression qu’il y avait de la course à la prise de parole pour pouvoir gagner des dés de récompense, ce qui n’était pas très agréable. Guillaume et Julien ont proposé d’utiliser un sablier durant les parties, mais il me semble que c’est très castrateur, on en a pas plus besoin que quand on discute entre amis d’un sujet, la parole doit se réguler d’elle-même.
Dans la même idée, c’est parfois difficile de se lancer dans une résolution d’un déséquilibre. D’une part parce que (d’après ce que j’ai compris) seul celui qui raconte est récompensé par une réussite totale, par conséquent on grille la possibilité d’un autre personnage de se mettre en avant. D’autre part parce qu’on peut se lancer dans une action sans avoir suffisamment de dés pour le faire (c’est arrivé plusieurs fois durant notre partie) et qu’on est obligé de demander l’aide d’autres joueurs. Il y a là aussi une vraie interaction entre joueurs.
Remarques sur le problème majeur de cette partie (me semble-t-il) :
Les déséquilibres sont arrivés très (trop) vite et on a ensuite passé beaucoup de temps à les résoudre. Les déséquilibres que les deux autres joueurs ont amenés étaient souvent des déséquilibres « sociaux » (inégalités sociales, vols). Ca nous a poussé peu à peu vers une intrigue politique (à un moment, on avait trois dés à 3 sur Abstractions, couleur utilisée pour signifier les problèmes sociaux), ce qui a vraiment failli faire partir la partie en vrille (puisque Prosopopée n’est pas fait pour ça, il n’y a pas de meneur pour s’assurer de la cohérence de l’ensemble). Comme il n’y a avait aucune cohérence dans cette intrigue, ça a failli donner n’importe quoi : chacun y venait avec ses petits apports en essayant de comprendre les intentions des autres et de construire à partir de leurs apports. Finalement, la résolution de tous les déséquilibres sociaux en une seule fois par Celui qui lit les âmes a permis de balayer ce problème, mais sinon… J’ai ensuite essayé de tirer les descriptions vers une résolution plus « mystique » et moins rationnelle. C’est peut-être la grande difficulté et la grande force de Prosopopée : favoriser les déséquilibres non-rationnelles, où on ne peut pas toujours expliquer ce qui se passe.
Il me semble qu’il y a une « culture » ou un « comportement » Prosopopée, comme il y a des comportements et des cultures pour les autres. Dans cette culture : prendre son temps pour les descriptions (ce que nous n’avons pas fait), favoriser des résolutions non-rationnelles (magie, mysticisme …), chercher toujours la simplicité, dont le recyclage d’éléments précédents est une forme. C’est une vraie habitude à prendre (ou à trouver en lisant ici des rapports de partie) mais qui est difficile à expliquer aux autres quand on présente le jeu. J’ai rappelé la phrase de Frédéric dans le jeu « Centrez vos problèmes sur les hommes et leurs communautés, et leur difficulté à vivre en harmonie avec les couleurs. » mais je ne pense pas que les deux autres joueurs l’ont comprise comme moi. Peut-être faudrait-il en repréciser la formulation, tant elle est importante pour la dynamique du jeu ?
Finalement, la partie a été assez difficile pour moi, pénible même par moment. J’étais tout le temps en train de penser aux règles, aux mécanismes de jeu, à me demander où allait la partie, à essayer de comprendre ce qui se passait (humainement et ludiquement) autour de la table et à me demander si les autres s’amusaient ; j’ai essayé de faire très attention aux questions de « méta-jeu », suite au CR de Monostatos. J’avais du mal à décider de l'interprétation des règles, et j’ai fini par trancher à partir des intentions du jeu que je sentais plutôt qu’à partir de ce que les deux autres joueurs voulaient ce qui n’a pas rendu la partie très agréable non plus pour moi. J’ai le sentiment que les règles devraient être encore plus précises pour s’éviter des choix comme ceux que j’ai dû faire entre l’objectif du jeu et ce que cherchent les joueurs. Notez que ce n’est pas à cause du jeu que j’ai dû donner beaucoup d’énergie, mais plutôt au fait que c’était très inhabituel et expérimental pour nous trois et que ça a demandé des cadrages. J'étais dans une position intermédiaire, entre joueur et meneur puisque j'étais le seul à avoir lu les règles et j'étais celui qui amenait le jeu, mais que j'ai la même place que les autres autour de la table. A un niveau plus inconscient, j'avais aussi envie que le jeu plaise aux deux autres.
Notez aussi que c’est ma première partie de Prosopopée, donc mes avis et mes conseils valent ce qu’ils valent…
Les deux autres joueurs ont apprécié la partie. Prosopopée a été perçu comme un icebreaker (un jeu pour permettre à chacun de rencontrer les autres et de ne pas avoir peur de parler) ou un jeu apéritif, pas quelque chose qu’on fait plusieurs fois de suite. Ca a aussi été considéré comme un outil de création d’univers à plusieurs, pour ensuite le réutiliser dans du jdr plus « classique », avec la contrainte que l’on doit accepter (même si on n’est pas obligé d’aimer) les créations en direct des autres.
Voilà, voilà.