C'est à peu près de cette manière que j'ai tendance à procéder.
Mais voilà :
Dans une partie de Démiurges, grâce au canevas, les choix des joueurs ont une importance énorme et un faisceau de potentialités extrêmement large (est-ce que je tue le voleur ? Est-ce que je lui propose un pacte s'il me rend ce qu'il a volé ? Est-ce que je le menace de le dénoncer s'il ne me donne pas le fruit de son vol ? etc. etc. etc.)
Quand on explore un lieu, que se passe-t-il ? Le MJ décrit beaucoup, les joueurs font des micro-choix. Ces micro-choix vont amener au bout d'un moment les joueurs à déclencher des conséquences importantes.
J'appelle ça micro choix, parce que globalement, il s'agit d'observations (passif), de fouilles (actives, mais avec pour seules conséquences de trouver ou non ce que le MJ a caché, bref, il s'agit d'énigmes si on en fait un enjeu et je fuie les énigmes en JDR) et de choix de directions, souvent à l'aveugle, puisque tant qu'on n'a pas ouvert la porte de droite, on ne sait pas ce qu'il y a derrière, alors que frapper un PNJ, on se doute qu'il va répondre ou s'enfuir par exemple. Faire des joueurs les maîtres de l'histoire (j'emploie pour ça le néologisme "actance" en référence à la dramaturgie et aux réflexions dans la conception de jeux vidéos narratifs), c'est leur offrir des choix qui ont une forte incidence sur l'histoire, mais pour cela, il est indispensable que les joueurs puissent anticiper avec une marge d'erreur les résultats de leurs choix.
Et tout cela est absent de ces formes d'explorations de lieux.
Mais en somme, tant que ça fonctionne, ce n'est pas un problème. Mais de la même manière que Christoph a trouvé une manière de structurer une préparation de parties qui offre une "révélation" dynamique des indices (autrement dit, qui ne peuvent pas être éludés durant la partie si les joueurs ne font pas de choix valables), je cherche une façon de rendre l'exploration de lieux "dynamique" pour le MJ.
Autrement dit, ce qui me pose problème, c'est l'immuabilité des lieux et des indices qu'on y trouve pour avancer vers l'objet de l'exploration : le mystère présent.
Quand on prépare un lieu, il est rare qu'on crée au pied levé nos descriptions en tant que MJ : on se contente de répéter ce qu'on a écrit avant la partie et de boucher les trous.
Ce qui m'intéresse, c'est que les lieux deviennent un matériau aussi malléable pour le MJ qu'un PNJ.
Dans Démiurges, ce qui fait le fonctionnement du canevas, c'est qu'il tourne principalement autour de personnages. Un personnage peut se déplacer si les PJ ne vont pas à lui, il peut changer d'avis pour garantir une meilleure cohérence de l'histoire ou pour appuyer les choix et les actes des PJ, il peut combattre ou s'en tenir à la discussion. On peut s'allier avec lui plutôt que lui défoncer la gueule sans sommation. À partir du moment où le MJ connaît les objectifs et les motivations des PNJ et qu'il accepte inconditionnellement les choix des joueurs (en générant des conflits quand ça s'impose), la création au pied levé est aisée, facilitée par ces PNJ. J'appelle ça du contenu dynamique.
Dès lors qu'on prépare un lieu, on fige tout. Surtout si l'on veut centrer l'exploration sur ce lieu. Mais comme nous l'a montré Christoph, il est possible de rendre les révélations d'une partie de JDR, préparées à l'avance, en cohérence avec ce principe de dynamisme. Je me demande donc si c'est possible avec un lieu.
Dans l'avant dernière partie avec ce groupe, j'avais donné un indice de taille à Mélanie (joueuse de Claudia) : sur un article de journal, elle découvre qu'un Démiurge qui a commis un acte hautement répréhensible par l'Agora (et censé exercer une certaine fascination sur les joueurs), est décédé.
À chaque fois que j'ai fait jouer ça, mes joueurs ont creusé l'histoire, ils ont trouvé son appartement, l'ont fouillé, ont découvert de terribles révélations etc.
Mais la dernière fois, Mélanie a dit : "ok". Elle a dû se dire bon débarras, mais on a d'autres choses sur le feu. Résultat, j'ai dû réfléchir longuement à déplacer les révélations qui s'y trouvaient. Je me suis plutôt bien débrouillé, mais si j'avais dû créer au pied levé pendant la partie, j'aurais été mal. Là, j'ai eu plusieurs mois pour réfléchir, ce qui m'a été salutaire.
Gaël a raison sur un point : tous les lieux de mes parties de JDR qui sont avant tout le théâtre de conflits entre personnages fonctionnent très bien.
Mais dans Démiurges, on peut créer des lieux qui apportent des révélations sur l'univers et la métaphysique du jeu (ainsi qu'un certain matériau pour les joueurs, car ils peuvent essayer de s'en emparer ou de s'inspirer de leur fonctionnement pour créer leurs propres sanctuaires...) que le reste ne peut pourvoir.
Donc grosso modo, je pense qu'il est extrêmement difficile de créer au pied levé des lieux capables de provoquer cette fascination, donc on les prépare hardiment pour générer une cohérence forte entre la plupart des découvertes des joueurs, mais ça les pose en figurants.
Pour les révélations en soi, je n'ai pas de problème à les rendre dynamiques, sauf quand elles sont liées à des lieux.
Il y a aussi le problème suivant : quand tous les PJ ne sont pas présents dans des lieux préparés à l'avance, il est souvent très difficile d'intégrer celui qui n'était pas là et la séparation peut durer longtemps.
ça me fait du bien de discuter de tout ça, ma compréhension du truc avance vivement, voici mes premières conclusions :
- Si je crée les lieux à l'avance dans une forte cohérence, les joueurs deviennent figurants.
- Je peux décider de laisser ce type d'exploration à la poubelle pour me concentrer sur d'autres aspects du jeu, mais ce serait dommage. (éventuellement, simplement amener des personnages au cœur des enjeux, dans des lieux facilement interchangeables).
- Je peux accepter que les joueurs soient épisodiquement figurants, mais alors je veux faire ça bien et c'est hors de question qu'ils aient des micro-choix à effectuer. Mais pour le moment, ce n'est pas évident pour moi et reste le problème des joueurs qui passent à côté de lieux importants.
- Ou je peux créer une aide à la création à la volée de lieux importants aidant à leur dynamisme.
- En énonçant, par exemple une idée vague mais globale du lieu, par exemple : un bungalow bourgeois sur la plage
- Puis en développant un concept amenant l'exploration du lieu par les joueurs à jouer avec les potentialités qu'offrent le lieu, par exemple : le bungalow a été construit par alchimie, ses murs changent de place discrètement.
- l'histoire du lieu me semble importante pour ce qu'elle offre de compréhension de l'histoire de personnages, par exemple : de toute évidence, c'est dans ce bungalow que Max entrepose ses larcins (car découverte des objets volés). Ou bien : ce lieu était occupé par un nazi il y a une cinquantaine d'années (au vu des lettres et des photos découvertes dans une boite).
- déterminer un enjeu dans ce jeu qui ne soit pas forcément lié à des personnages, par exemple : les PJ sont piégés dans le lieu, comment en sortiront-ils ?
- une description "d'entrée en matière du lieu" après quoi les joueurs seront placés face à des choix importants (et non "micro") - Amener un élément dans le jeu qui justifie par la magie la gestion de certains lieux comme des personnages.
- Laisser aux joueurs une responsabilité de description des lieux (je ne suis pas pour, ça ne collerait pas à la logique de Démiurges)
- Ou bien faire comme dans Gloria (voir plus bas)
Je pense que les enjeux ne sont pas évidents à amener, mais l'exploration d'un lieu n'est-elle pas en fait qu'une affaire de révélation ?
Je fuis les énigmes (je trouve que c'est une véritable rupture du jeu de rôle, sauf peut-être quand les joueurs peuvent la résoudre par des actes dans la fiction. Donc en réalité je fuis les énigmes que les joueurs doivent résoudre uniquement avec leur jugeote), donc comment puis-je gérer un enjeu tel que : "les PJ sont piégés dans le lieu, comment en sortiront-ils ?".
Soit en ayant structuré la logique du lieu de telle façon que la solution est prévue à l'avance, ce qui devient d'un degré de contrainte alarmant (cf. mon dernier article :
http://froudounich.free.fr/?p=829), soit en se disant : en laissant les joueurs trouver une solution viable (ce qui peut être un vrai traquenard pour certains joueurs, selon l'humeur de leur MJ), ou encore, si les joueurs gagnent un conflit, ils trouvent la sortie du lieu.
Peut-on trouver d'autres types d'enjeux ?
L'exploration de lieu est elle forcément contemplative (dépourvue d'enjeux pouvant amener des conflits ou des résolution par la violence) pour éviter les conflits forcés ou les solutions prévues à l'avance ou soumises à l'arbitraire du MJ ?
Est-ce que l'exploration (au sens forgien, cette fois-ci : faire du JDR) a de l'intérêt dans un jeu comme Démiurges si l'issue des choix et épreuves que rencontrent les joueurs sont binaires : indice gagné/pas d'indice ?
Dans Gloria, j'appréhende ça légèrement différemment : dans mon dernier scénario, les joueurs se retrouvent dans un lieu délimité dans lequel il y a un certain nombre d'éléments importants : des PNJ, des lieux, des objets etc. Mais il y a possibilité d'obtenir plusieurs révélations en lien avec chaque élément. Le bac à sable est construit de façon à ce que les joueur qui n'ont pas creusé assez loin sont amenés à une interprétation erronée de la situation et des faits au sujet de leur enquête. S'ils creusent un peu plus loin, ils découvriront des révélations cachées les désillusionnant à propos de tout ça. Ça me semble coller à l'esprit du jeu.
Est-ce que ça s'inscrirait bien dans un jeu comme Démiurges ? Peut-être, c'est peut-être une solution tant que ça ne biaise pas la démarche créative à l'œuvre... Car du coup, passer à côté d'un lieu amènerait simplement les joueurs dans une direction avec les révélations qu'ils ont en main, alors qu'y aller permettrait d'obtenir des révélations supplémentaires, pas indispensables, mais qui pourraient changer la vision des PJ... Il faut pour cela que les intrigues et les révélations rattachées aux lieux permettent de poursuivre l'histoire si on a raté ces indices. Que les révélations offrent un éclaircissement d'intrigue (par exemple découvrir que le grand méchant n'est pas si méchant, qu'il est infiltré chez les ennemis et donc il est en vérité un allié des PJ) et non un indice capital pour avancer (dans le cas du canevas, ce serait plutôt un indice dont on peut se passer au point que le MJ ne se dira pas "zut, ils vont rater ça". Mais cet indice doit mériter l'exploration d'un lieu quand même).
Encore une remarque importante : dans Démiurges, je ne fais jamais de jet de fouille, de perception etc. j'utilise toujours la
réification pour dévoiler les indices (ou devrais-je plutôt dire les révélations). Et je révèle activement, je ne laisse jamais les joueurs tourner en rond pendant 30 minutes avant de trouver ce qu'il fallait trouver. C'est une méthode qui a fait ses preuves.
Je m'arrête là pour le moment, je suis pris dans un élan irrépressible, mais bientôt il faudra plusieurs semaines pour lire mes posts. :D
N'hésitez pas à poursuivre la discussion, pour questions, suggestions etc.
De mon côté, je vais tenter un mélange des idées 3, 4 et 7 : rendre les lieux préparés secondaires, si on les élude, ça ne nuira pas à l'histoire, mais si on les explore, ça apportera un enrichissement aux PJ, plus ou moins important en fonction de leur curiosité. Du coup, je ne dois pas trop travailler sur ces lieux de façon à éviter que des heures de boulot soient foutues à la poubelle si les joueurs n'y vont pas, et donc préparer une méthode pour créer l'essentiel à l'avance et faciliter la création au pied levé pendant le jeu. Centrer les lieux importants sur de faibles superficies (si les PJ fouillent un immeuble, on peut trouver un moyen de mettre en surbrillance les lieux importants : les douze premiers étages, dans un style blabla ne possèdent rien de particuliers, en revanche, le 13e étage de l'immeuble a explosé, il manque une quarantaine de mètres carrés de plancher...) les joueurs découvriront nécessairement une révélation (parce qu'être bredouille c'est chiant et ça n'apporte rien) et une autre pourra être plus discrète (pas sûr pour ce deuxième point, j'ai peur que ça amène des comportements de fouilles immodérées et chiantes de la part des joueurs pour éviter de passer à côté d'un indice).