Voici le compte-rendu de ma douzième partie de Monostatos, jouée le 22 août en famille dans la cour de la maison de vacances mes grands-parents dans le Doubs. J’ai fait jouer une des intrigues (=scénario) de l’histoire (=campagne) Les cendres Zakkat la Magnifique.
Pour vous donner une idée du contexte, cette histoire se passe à Zakkat l’Industrieuse, une des grandes villes du Royaume Fauve, dirigée par des mages-forgerons ayant créé des sceaux qui fondent leur pouvoir. En effet, appliqué sur un objet, ce sceau le rend « magiquement » plus désirable et plus précieux, et le propriétaire de l’objet avec. La ville est divisée en trois grands quartiers : le Pyroxène où vivent les Cyclopes, les maîtres de la ville, qui conçoivent les sceaux et organisent leur exploitation ; les Tephras où vit la population miséreuse et subjuguée qui produit les objets marqués d’un sceau ; le Lahar où les marchandises sont achetées avec un enthousiasme religieux. Je précise (c’est important pour comprendre le rapport) que la vieille ville a été presque entièrement ensevelie sous la lave il y a longtemps. Une petite lecture critique pour expliciter le symbole : No Logo de Naomi Klein. J’envoie l’histoire complète (20 pages word) à qui en fait la demande à dworkin.barimen(AT)hotmail.fr (remplacez (AT) par @). C’est cette histoire que j’utiliserai pour mes tests de l’automne, je me dois donc de préciser :
Attention SPOILER pour ceux et celles qui souhaiteraient tester Monostatos cet automne ! Néanmoins vous pouvez lire l’analyse du CR, il n'y a pas de spoiler dedans.
Les seuls changements récents au système de jeu sont l’utilisation de 2d10 plutôt que 1d20 (merci Bichette !) et le fait que les Carcans s’appellent à présent des Idoles, terme plus dans l’esprit du « Crépuscule des idoles »…
Les joueurs (en fait joueuses) étaient :
Guy (mon père) interprétant le Morholt, croquemitaine passionné
Bérengère (ma sœur) interprétant Amerolqis, artiste fabuleux et orgueilleux
Dominique (ma mère) interprétant Aletheia, médecin révoltée
Alice (ma compagne) interprétant Ninmah, danseuse et musicienne dompteuse du désert
Je commence par l’exposition du monde, du rôle des personnages, la distribution des personnages pré-créés et l’explication des règles. 40 minutes. Guy finit par quitter la table pour faire la sieste.
Je commence par décrire l’arrivée des personnages dans le Lahar et je demande aux joueuses ce que font leurs personnages. Moments de flottement. Alice part avec une idée : Les personnages achètent un pot en terre portant un sceau, puis s’éloignent pour gratter le sceau. L’objet redevient laid et quelconque. Les joueuses abandonnent l’idée. J’avoue que je n’ai vraiment pas su quoi inventer. J’aurais peut-être dû leur demander ce qu’elles espéraient.
Nouveau moment de flottement. Je décris les Tephras (pauvres hameaux disséminés dans un immense champ de lave refroidi et stérile, parcouru de rivières de lave). Dominique décide que les personnages ont faim, soif et sommeil. Amerolqis façonne donc une cavité où dormir dans la lave. J’en profite pour embrayer sur une des intrigues prévues. Au fond de la cavité, Amerolqis découvre le sommet d’une tour magnifique, prise dans la lave.
Arrivent cinq prêtres de la Secte du Fer (l’armée de Monostatos) qui viennent voir ce que font les personnages. Il s’agit d’une Idole 2 / Ardue. Ninmah entame un air de musique pour les apaiser. Echec : Ninmah prend un niveau d’Epuisement. Aletheia « remarque » qu’un soldat est blessé et propose de le soigner. Réussite : Dominique fait baisser l’Idole d’un point et raconte comment Aletheia administre un médicament-drogue au jeune prêtre et instaure ainsi une atmosphère plus détendue. Sur une suggestion de Bérengère, Alice raconte (jet de dé réussi cette fois-ci, l’Idole disparaît) comment Ninmah entame un nouvel air de flûte et commence à faire danser les prêtres et les dirige, joyeux et dansant, vers une rivière de lave où ils disparaissent. Je demande si le prêtre soigné par Aletheia y part aussi, elles précisent que ce n’est pas le cas, il est trop ivre pour y parvenir ; il ne sera pas réutilisé par la suite, mais c’est un personnage intéressant quand même. Pour l’action subversive et élégante, je distribue à Alice et Bérengère une marque chacune.
Les personnages dorment. Au matin, ils trouvent des offrandes à l’entrée de la cavité. Un peu plus loin des habitants des Tephras les observent, avec un mélange de respect et de crainte. Après une courte discussion, les personnages sont conduits dans un hameau où ils rencontrent un homme appelé Joas qui leur explique comment Zakkat la Magnifique fut enfouie sous la lave, et parvint à rester intact grâce à la puissance des Artisans (les mages-forgerons) qui l’avaient élevée. D’habitude les habitants des Tephras vivent en travaillant dans les ateliers du Pyroxène et en creusant dans le sol en espérant tomber sur un ancien bâtiment de Zakkat : la revente des morceaux de l’un d’entre eux peut nourrir une génération entière. Récemment, un hameau a déterré la tour d’un temple au dieu Souffle (dieu des arts, de la technique et de la domination de l’homme sur le désert) ; rapidement, la Secte du Fer a fait évacuer la zone et a recouvert le site de lave. Ca paraît long à lire comme ça, mais c’est très rapide en jeu, moins d’une minute.
Jonas était celui qui a découvert le site et compte bien le découvrir à nouveau pour restaurer le culte du dieu Souffle. Il a besoin de l’aide des personnages pour ramener une statue du dieu Souffle à la surface, il a besoin qu’ils protègent le chantier et détournent l’attention des prêtres de la Secte du Fer et de la Poussière. Avec cette statue, il veut détourner les Tephras de Monostatos pour les rallier au dieu Souffle. Les personnages acceptent.
Ninmah se met alors à jouer de la flûte. Elle attire les animaux des environs pour envahir Zakkat et occuper les prêtres de la Secte du Fer. Pas de jet de dés, je demande juste à Alice de beaucoup développer. Amerolqis aide à excaver la tour en utilisant ses techniques d’Artisan. Là non plus, je ne demande pas de jet de dés, je demande seulement à Bérengère de décrire en lui fournissant quelques impulsions : les fidèles du dieu Souffle et Amerolqis descendent le long de la tour dorée, aux formes géométriques pures et nettes, jusqu’à arriver à une fenêtre qu’ils parviennent à ouvrir. L’intérieur est complètement brûlé, l’air est plein de cendres, ils retrouvent des cadavres de prêtres calcinés. Au fond, une immense pièce ovale, dont les portes sont fermées par endroit. Au font de la pièce une statue gigantesque d’un homme debout, portant un masque en triangle vers le bas et au corps ruisselant d’or. Les fidèles du dieu Souffle se prosternent devant elle.
J’inclus Aletheia à l’histoire, Dominique trouvait (un peu à juste titre) que son personnage manquait de capacités agressives. Je précise que toute Idole peut être éliminée par n’importe quel moyen, pourvu que ce soit crédible ; ça marche, comme on va le voir. D’autres prêtres de la Secte du Fer s’approchent du « chantier », accompagnés cette fois en plus d’un homme entièrement couvert de voiles, de tissus, y compris le visage enveloppé dans un turban, les mains cachées dans des manches longues, les traces de pas balayés par sa tunique (un prêtre de la Secte de la Poussière non dissimulé sous une fausse identité). A nouveau Idole 2 / Ardue, j’aurais peut-être dû faire 2 /Extraordinaire, mais ça me semblait un peu excessif. Aletheia affirme qu’elle est prêtresse de la Secte de l’Ether (presque vrai) et le convainc qu’elle peut le soigner. Dominique réussit son jet de dés, diminue la valeur de l’Idole de 1 et raconte la suite : elle parvient à pousser le prêtre de la Secte de la Poussière à découvrir ses mains : il se cache parce qu’il a la lèpre, ses mains ne sont que des moignons. Elle décide de le soigner. Jet à nouveau réussit, l’Idole disparaît : Le prêtre se laisse soigner et s’en va, plein de gratitude, et Aletheia en a profité pour lui inoculer un poison qui le tuera le lendemain. Alice me confie après qu’elle aurait aimé que les prêtres restent pour protéger les personnages, mais qu’elle n’a pas osé le suggérer, en partie parce qu’elle ne pensait pas avoir le droit de le faire. Ici on fait une pause.
Reprise : Joas remercie les personnages et leur demande de continuer à les aider en faisant du prosélytisme dans les Tephras pour les rallier au culte du dieu Souffle. Les joueurs cherchent en quoi leurs personnages croient (Amerolqis : rien sauf en son propre génie ; Aletheia : rapport très conflictuel avec Monostatos ; Ninmah : dédain considérable envers tous les dieux) et concluent que leurs personnages n’ont aucune envie de les aider. Entre parenthèses, j’aime bien cette manière de choisir, très en cohérence avec l’univers, même si elle me pose problème pour la suite de la partie.
Alors que les personnages discutent de la question un soir, ils voient des formes sombres se déplacer à la lisière du hameau. Ils s’en approchent et distinguent trois masses bouffies couvertes de papillons nocturnes. Lorsque les papillons s’en écartent des rayons d’une puissante lumière s’en échappe. Les formes expriment que le Maître est très satisfait de la tournure des évènements et qu’il veut en remercier les personnages (Pour l’histoire, le dieu Souffle estropié suite à son combat avec Monostatos a disparu, sa dépouille n’a jamais été retrouvée. Plusieurs décennies après, des rumeurs d’un « Maître Souffle » sont apparues dans les Monts Ciselés) Elles proposent aux personnages d’adorer le Maître Souffle pour gagner grands pouvoirs en échange. En termes techniques, c’est le gain d’une Cicatrice en échange de grandes ressources. Les personnages refusent tout net, les formes sombres, avant de disparaître dans le sol, leur expriment néanmoins qu’ils peuvent faire appel à la gratitude du Maître Souffle. J'ai trouvé ce moment plutôt réussi, malgré sa rapidité.
On arrête la partie là : l’intrigue patine un peu et les signes de lassitude des joueuses sont plus qu’évidents : la gratitude du Maître Souffle est comparée à des bons de réduction pour les pizzas et les personnages quand ils se déplacent font « pompompom » (bruit de Nounours dans Bonne nuit les petits). Je ne l’ai pas mal pris, mais je n’ai pas voulu charger la mule.
La partie a duré environ 2 heures.
***
Fin du SPOILER
Critiques générales sur Monostatos
Cette partie illustre bien les deux gros reproches que j’ai pour mon propre jeu : il est très long à exposer et la structure des scénarios est très loin d’être au point. Ca, avant les présentations en convention de cet automne, ça pose vraiment problème.
Pour le côté très long à exposer, je peux atténuer un peu la difficulté : je ne parlerai plus que du Culte et de ses Sectes, ainsi que des fantômes du désert et des Ogres ; le reste se trouve dans la description des personnages pré-créés et sinon les joueurs me poseront la question. Pour les règles, je me limiterai au rôle des personnages, au don de dés et à la résolution d’action de base. Mais ça fait encore beaucoup.
Pour la structure des scénarios, là c’est plus complexe. Ici, c’est surtout le début du scénario qui a beaucoup merdé : trop de liberté ça tue le jeu. Je commencerai par des scènes d’ambiance fortes en gueule pour mettre les joueurs dans le bain. Mais pour ne pas trop forcer les joueurs à prendre une décision… j’ai du mal à savoir comment faire. Mon problème central pour les structures de scénario de Monostatos, c’est que chaque Idole est souvent le symbole de quelque chose dans la réalité, je ne peux donc pas la laisser à la créativité des joueurs. De plus, j’ai beaucoup développé cet univers intérieurement et j’ai un peu de mal à le laisser dans les mains d’autres (même si j’ai plusieurs fois eu de bonnes surprises venant des joueurs qui connaissaient également bien l’univers).
Pour rendre les scénarios plus souples, je pense que je vais réécrire le système de jeu en précisant que le meneur a la responsabilité des Idoles (les forces oppressantes de l’univers de Monostatos), les joueurs auront la responsabilité de leurs personnages et que les comportements des humains esclaves des Idoles seront une responsabilité partagée entre le meneur et les joueurs. De plus, je vais orienter chaque scénario vers la destruction d’une Idole, et bien faire la différence entre une Idole et ceux qui la servent (par exemple, les prêtres de Monostatos décrits plus hauts ne sont pas vraiment une Idole, ils n’en sont que l’extension physique et idéologique). Il faut que je régule l’utilisation des Idoles et de leurs fidèles par le meneur de jeu. Il faut aussi que je définisse ce que gagnent les personnages à vaincre une Idole, en termes techniques (en termes narratifs c’est plus facile : la reconnaissance de ceux qui ont été libérés par exemple).
Par ailleurs, il faut que j’arrive à rendre inévitable pour les joueurs le fait de raconter des actions héroïques (= élégantes et subversives) pour leurs personnages. Il faut donc que je calibre mon système pour que les marques soient inévitables, qu’on ait en permanence besoin d’elles pour faire avancer l’histoire (de même qu’on a besoin de dés d’Offrande à Prosopopée). Mais il faut également que je donne à mes joueurs les moyens d’inventer ces comportements élégants et subversifs. Et ça c’est plus dur. La partie de Prosopopée « Vitrail » m’a permis de prendre conscience de la conception du système de jeu comme fertilisateur de parole, mais je n’ai pas encore la recette miracle. Le don de dés à la Prosopopée que j’utilise pour le moment ne me satisfait pas vraiment (trop subtil et puis une règle de jeu c’est un peu comme une brosse à dents : on peut utiliser celle des autres, mais c’est quand même meilleur quand c’est la sienne). J’ai quelques idées que j’espère tester prochainement et dont je vous donnerai plus de nouvelles.
Par exemple, le système utilisé pour la partie de St Malo était opaque, mais il forçait au moins les joueurs à rechercher ces actions héroïques tout le temps, parce que les dés étaient précieux. Mais les joueurs étaient suffisamment inventifs pour ne jamais tomber à court d’idées, ce qui n’est pas le cas de la plupart des joueurs lambda.
Encore du travail, donc.
Enfin, je me fais la réflexion que les Singularités doivent être utilisées autrement. Ici, en donnant un bonus au jet de dés, elles ont tendance à remplacer l’utilisation de marques héroïques et donc à permettre aux joueurs de se passer de ces marques. Ce n’est pas du tout ce que je recherche.
Réflexions intéressantes des joueurs
Les joueuses ont eu plusieurs réflexions intéressantes sur le jeu, que je retranscris ici.
Bérengère, quand j’ai parlé des dons de marques (quasiment le même mécanisme que les dons de dés d’Offrande à Prosopopée) a immédiatement dit « c’est des chaudoudoux ! » ; les chaudoudoux symbolisent, dans ce conte pour enfants de Steiner, des échanges affectueux (je ne connais pas le terme technique) entre deux individus dans l’analyse transactionnelle. Ce qui est amusant, c’est que c’est un mécanisme repris de Prosopopée pour exprimer une certaine admiration d’un joueur pour un autre. Je pense que Frédéric le savait déjà, mais je trouve intéressant que ça revienne comme remarque de ma sœur, qui n’a pas de formation en psychologie.
Amerolqis est obnubilé par la recherche du Sculpteur qui a créé la Statue parfaite dont il est tombé amoureux. Bérengère, en parlant de la statue du dieu Souffle : « Elle a été faite par mon Sculpteur, cette statue ? »
Moi : « Je ne sais pas, qu’est-ce que tu en penses ? »
Bérengère : « Nooon, elle n’est pas assez parfaite pour ça ! »
Moi : ^^
J'aime cette manière de raconter : Bérengère aurait pu faire dans la facilité de s'ouvrir une histoire pour elle, mais elle préfère placer la barre plus haut, augmenter la grandeur de son but (retrouver le Sculpteur).
Enfin, ma mère a trouvé agréable de ne pas avoir à atteindre son tour et d’avoir une plus grande liberté de choix et de créativité, par rapport aux quelques parties qu'on avait faites ensemble au par avant (je m’essaie à la Loi de la Monarde : ne jamais dire non). J’aime ce que ça signifie : les efforts théoriques que je fais pour mon jeu se retrouvent dans le plaisir de la partie elle-même, c’est rassurant.