Salut Fabien "de Footbridge" et merci pour ton rapport !
D'abord il y a eu effectivement une
nouvelle version entretemps, qui est disponible
ici. C'est une refonte du système de jeu suite à ma réflexion
Le système structure la parole, qui me permet d'aborder la fameuse question "Qui dit quoi ?". Différents détails d'importance sont modifiés : 2d10 au lieu de 1d20, les Carcans sont séparés entre l'Idole (la force oppressive majeure de l'endroit) et les Fidèles (ses serviteurs) et quelques autres modifications. Je devrai mettre prochainement la version 1.4 en ligne, qui est le résultat des nombreux tests en convention (très très fertiles !) et des différents retours de parties chez moi.
Concernant
la gestion de la parole, Vincent Baker (dont l'oeuvre la plus connue est
Dogs in the Vineyards (
GROG), même si je n'en suis pas un très grand fan) écrit dans son jeu Apocalypse World :
You probably know this already: roleplaying is a conversation. You and the other players go back and forth, talking about these fictional characters in their fictional circumstances doing whatever it is that they do. Like any conversation, you take turns, but it’s not like taking turns, right? Sometimes you talk over each other, interrupt, build on each others’ ideas, monopolize. All fine.
Traduction personnelle et approximative en français :
Vous le savez probablement déjà : le jeu de rôle est une conversation. Vous et les autres joueurs allez et venez, en parlant de ces personnages de fiction dans des circonstances fictionnelles agissant comme ils agissent. Comme toute conversation, c'est chacun son tour, mais ce n'est pas comme prendre un tour, n'est-ce pas ? Parfois vous parlez à plusieurs en même temps, vous vous interrompez, vous construisez à partir des idées des autres, vous monopolisez la parole. Tout se passe bien.
Évidemment, j'aime beaucoup ce texte parce que j'y retrouve mes idées de "Le système structure la parole". Le temps de parole est donc le même que dans une conversation "normale" : chacun parle, écoute, veille à ce que l'autre dit... Comme dans la vraie vie, j'essaye en jdr de faire parler ceux qui ne parlent pas, pour avoir leur opinion et leur apport dans la situation, par exemple. Je ne crois pas qu'on ait besoin de règles, donc, il suffit de laisser les gens libres de parler et d'intervenir quand on sent qu'ils vont trop loin, qu'on voudrait dire quelque chose, etc. Il suffit de se faire confiance les uns aux autres.
Pour la situation particulière de savoir jusqu'où un joueur peut décrire l'univers, c'est un peu pareil, le meneur laisse filer jusqu'à ce qu'il ait le sentiment que ça va trop loin. A nouveau, je fais comme dans la vie courante : tant que je trouve intéressant ce que l'autre raconte et qu'on ne marche pas trop sur mes platebandes, j'écoute et je fais des suggestions.
Pour la situation particulière du joueur 1 racontant les actions d'un personnage du joueur 2, deux situations :
- soit c'est une suggestion (ou une description libre équivalent à une longue suggestion), auquel cas le joueur 2 peut accepter mais aussi refuser librement ce qui lui est proposé
- soit il y a franchement conflit, auquel cas la dernière version des règles propose une mécanique de résolution dans laquelle on parie des marques (ce qui s'applique surtout une fois que les personnages ont brisé l'Idole et qu'ils peuvent entrer en conflit sur leur utilisation du lieu)
Dans la dernière version des règles, j'ai défini clairement les propriétés de chaque participant (voir aussi
ce message, avec les ajustements théoriques de Christoph à prendre en compte) :
- Le meneur de jeu incarne l'oppression et l'Idole. Il a donc le droit de raconter ce que fait l'Idole (jusqu'à ce qu'elle soit brisée), ce que font les Fidèles (jusqu'à ce qu'ils soient subvertis) et comment est l'environnement et les humains soumis à l'Idole (jusqu'à ce qu'ils soient libérés)
- Les joueurs incarnent la liberté et leurs personnages. Ils ont donc le droit de raconter ce que font leurs personnages et ce qu'est l'environnement et les humains libérés.
Par conséquent, à mesure que le jeu avance, les joueurs peuvent s'emparer de la "charpente" de l'univers et en faire ce qu'ils veulent, ce qui me permet de répondre à l'objection du joueur expérimenté. Le "décor" est créé par les suggestions des différents participants (meneur + joueurs) et selon qui emporte la parole grâce aux jets de dés.
Concernant
la création du scénario et son utilisation en cours de jeu, je suis arrivé à la même conclusion que toi : le scénario au sens classique du terme (succession de scènes prévues à l'avance par le meneur de jeu) est un modèle inutile et dysfonctionnel. D'une part, c'est beaucoup trop difficile et long à préparer. D'autre part, il y a un paradoxe à ce que les joueurs doivent se soumettre à un scénario, alors qu'on prétend que leurs personnages sont libres de leur action (c'est que The Forge appelle
Le Truc Impossible avant le Petit-Déjeuner). Il vaut bien mieux des scénarios ouverts comme celui que tu décris, avec une toile de fond et des éléments modulables. La construction de l'histoire doit effectivement se faire à plusieurs, dans une interaction entre tous les participants et pas seulement de haut en bas, du meneur vers les joueurs.
Finalement, dans la version la plus récente des règles, j'arrive à une méthode de création proche de celle que tu as utilisée. Le meneur de jeu dispose de ses propres « jouets », les Fidèles et les Idoles. Il peut donc relancer la partie en mettant en scène un Fidèle pour susciter la révolte des personnages. Mais ni le meneur de jeu, ni les joueurs ne peuvent dire à l'avance comment sera l'histoire racontée, et il n'y a plus à avoir peur que les joueurs déraillent ou à les pousser à revenir dans le scénario prévu. Je remercie en particulier Fred, grand apôtre du "no-scénario", de m'avoir poussé à ça, ça donne de très bonnes parties (si j'en crois mes expériences du Monde du Jeu et d'OctoGônes).
A terme, je vais rajouter d'autres jouets au meneur de jeu, les Tentateurs (forces oppressives prêtes à s'allier aux personnages... mais avec un certains coût !), les Compagnons (des alliés potentiels des personnages à libérer) et des Dévoilements (permettant de montrer le passé d'un personnage, le meneur et le joueur s'affrontant pour savoir qui pourra décrire ce qu'il en est réellement). Ca permettra d'avoir des histoires plus variées. Par ailleurs, le meneur et le joueur ayant le moins de marques pourront alternativement planter le décor d'une scène, pour pousser à la variété des points de vue et des scènes (scènes d'opposition pour le meneur, scène de repos et de fête pour regagner des marques pour le joueur en position de faiblesse).
Tu fais bien de me rappeler la question de la
fascination, que j'ai abandonnée dans cette nouvelle monture des règles. Je ne sais pas si c'est nécessaire. Ce sera peut-être un mode d'entrée dans certains lieux intéressants, mais je ne sais pas si je la réutiliserai.
Enfin, n'hésite pas à décrire d'autres moments où tu as eu du mal durant la partie, ça me permettrait de savoir où je peux encore améliorer
Monostatos.
Si tu pouvais aussi décrire ton histoire en elle-même, ce serait super ! Le titre est alléchant et semble bien correspondre à la couleur de l'univers.