Hello
Le dimanche d'Octogônes j'ai eu le plaisir de jouer à nouveau à Monostatos, avec Fabien en tant que meneur de jeu. À la table il y avait également ma compagne Sylvie et quatre filles qui se connaissaient plus ou moins entre elles et qui avaient plus ou moins d'expérience de jeu de rôle (débutantes à confirmées).
L'idée de la séance était que nos six héros se rendent à Zakkat la Magnifique pour y foutre le boxon. Cette ville est dirigée par trois grands Artisans (les façonneurs de pierre venus des volcans), qui se sont soumis à Monostatos lorsque ses armées ont marché sur la ville.
À, à, à la queue-leu-leu...
Okay, j'ai envie de titiller Fabien ; de le provoquer même ! Je vais choisir la première scène où nous avons subverti le pouvoir des Cyclopes. Un artisan sur une estrade faisait défiler des femmes et des hommes pour leur apposer un sceau grâce à une tige métallique. Ce sceau leur conférait un aspect « canonique » : beaux, mais quelconques, et surtout semblait les affliger d'une apathie terrible. Ce sont des prostitué-e-s désirant augmenter leur attractivité grâce au sceau. Ni une ni deux, la révolte sonne parmi les joueuses (oui oui, moi aussi). Une des filles se lance dans un beau monologue pour critiquer cette pratique inhumaine. Fabien nous octroie à chacun une marque, notre cheffe de file en reçoit en cadeau des autres joueuses, comme signe d'encouragement. J'aime bien ce rituel de lancer un conflit par un petit monologue. Ça renforce le côté épique. On risque le grandiloquent, mais aussi le grandiose. Sonnez le clairon ! Malheureusement, ça n'a plus trop d'effet par la suite (j'y reviendrai).
Ensuite, Fabien nous révèle que l'artisan est un Fidèle de Résistance 6 (comme le nombre de joueurs) et de Puissance 13. Chaque lancer de dé réussi contre lui permet donc de baisser sa résistance. Nous avons chacun notre tour raconté un truc très stylé (dans l'esprit de notre personnage). Y a que moi qui me suis ramassé.
Pendant tout le conflit, les joueuses racontaient leur actions. Ça a commencé avec quelques tirades plutôt inspirées et touchantes : Shamash ponctuant la fin de sa narration en faisant fondre la tige à sceau entre ses propres mains, Kheper jouant sur sa laideur (c'est une momie) pour faire réfléchir les gens sur la beauté intérieur. Edipios se fait passer pour un Prêtre de la Secte du Ver et explique que les Cyclopes sont des hérétiques par rapport à Monostatos (mais pour qui se bat-il ? bordel !), Amerolqis lance un sit-in silencieux avec une partie des prostitué-e-s, puis Ninmah entonne une musique poussant à la révolte. À ce stade, les gens désertent l'estrade et son « esthéticien ». Je raconte qu'une jeune femme bossue reste, hésitante. Elle semble vouloir recevoir un sceau plus que tout. Alors, jouant le beau-gosse Antinoüs, je l'invite à danser sur la musique de Ninmah. Comme je me foire, ceci est interprété par la fille comme une moquerie ! À part cet échec, l'artisan n'a jamais pu répondre, c'était douloureux de voir les six cinq héros et héroïnes faire leur jogging sur sa gueule, pauvre diable. Il est vrai que nous avons réussi 6 jets sur 7 en fin de compte, ce qui est un excellent taux, mais si j'ai raté mon jet, c'est seulement parce que j'ai pris un risque ; j'aurais largement pu brûler une marque (ce que les dames ont fait, bien leur en prit) pour gagner le bonus nécessaire. Fabien est d'accord qu'il faudrait laisser répliquer le Fidèle entre deux tentatives. Je trouverais ça très utile pour savoir où en est la narration (pas forcément pour nous faire mal en retour, ça ça dépend des lancers de dés). Après cinq narrations victorieuses où il n'est pas clair à qui est la responsabilité de décrire où en est le principal adversaire, j'avais une grande impression de flou. D'ailleurs je ne me rappelle plus ni qui a donné le coup de grâce, ni comment. Je vois donc d'un bon œil le renforcement du rôle du MJ pendant le conflit. Reste cette impression qui vaut le titre blasphémateur de cette section de texte : c'est chacun son tour son petit moment de « show ». Ça me fait penser à ces morceaux de hip-hop où la crème des rappeurs se réunissent pour chanter (exemple). C'est un peu du chacun pour soi, j'aimerais bien plus d'interaction entre les héros. Dans ces morceaux de hip-hop, parfois ils chantent le refrain ensemble. Hmm. J'ai fait une comparaison à du hip-hop... qui l'eut cru.
Une fois le conflit terminé, chaque joueur a le droit de décrire une conséquence à long terme sur le Fidèle (d'ailleurs, si on le tue, quelles sont nos possibilités ?) Les deux-trois premières, ça va, on a des idées. Après on décrit des conséquences à plus large échelle et on perd de vue le Fidèle. Comme nous étions déjà extrêmement libres de nos narrations lors du conflit, j'ai trouvé que c'était de trop, que l'effort créatif se diluait dans le nombre de descriptions. Je comprends très bien le principe, et je pense qu'il est bon, de symboliser la libération par un transfert de la parole du MJ aux joueurs. Je pense que cet effet se ressentira plus fortement une fois que le MJ parlera de nouveau un peu plus pendant un conflit. J'ai une suggestion ! Pourquoi ne pas calquer la fin du conflit sur la narration de révolte de début de conflit ? Cela permettrait de faire écho à ce moment-là et ainsi donner le sentiment que l'affaire est réglée. Ça pourrait être chouette que le narrateur de fin de conflit soit un autre que celui du début, afin qu'il se « répondent » à travers le conflit en quelques sortes. Ça pourrait aussi être un privilège pour lequel il faut se battre.
Dans tous les cas, il faut relativiser mes critiques. À six joueurs, ça ne pouvait qu'être un chouïa répétitif. L'utilisation des dés est plus fiable que la version précédente, où il était possible de faire des jets exceptionnels (rarement), mais beaucoup de jets moyens (souvent).
Regardez comme je suis stylé
Pour obtenir une marque, il faut faire quelque chose hors-conflit (choix que je soutiens moralement) qu'un autre joueur trouve élégant, subversif, héroïque. Malheureusement dans cette partie nous n'avons pas réussi à lier les scènes de « récolte de marques » aux scènes d'action. Ainsi Anitnoüs est allé dans un hôpital de la Secte de l'Éther pour soulager des souffrants en leur apposant un baiser sur le front, en leur caressant les cheveux, etc. C'était joli (j'ai reçu des marques), mais inerte par rapport au déroulement des événements. Malgré le fait que les gens aient récompensé ma scène mécaniquement, je n'ai pas eu l'impression que c'était validé dans la démarche créative du groupe. Or, à mon avis il faut que les récompenses mécaniques soient représentatives d'une récompense sociale qui correspond à la proposition créative du jeu (pas juste quelque chose de chouette sur le moment et qu'on oublie ensuite), sinon elles ne servent à rien. Dans Prosopopée c'est une bonne chose de récompenser une narration ponctuelle, car chaque élément décrit peut potentiellement venir enrichir (a) le monde, ou (b) le déséquilibre à résoudre. C'est même précisément le but du jeu que de créer ces choses à partir du paradigme. Monostatos est un jeu où les personnages sont flamboyants et baroques, mais est-ce de la couleur ou est-ce le but du jeu que de flamboyer et de baroquer ? Je n'arrive pas à me défaire de l'impression que si Monostatos se concentrait sur le « show », il passerait à côté de quelque chose de plus riche et plus profond.
Réflexion sur Edipios : un point d'accès à l'univers
Sylvie jouait Edipios, ancien haut prêtre de la Secte du Verre, le seul être humain à avoir vu Monostatos en personne. Les héros sont en pleine confrontation avec les Cyclopes de Kazzat. Deux Cyclopes sont morts de manière spectaculaire aux mains de Shamash et Kheper, il n'en reste plus qu'un. Sylvie demande à Fabien si elle peut effectuer des descriptions dépassant les pouvoirs explicitement décris sur la feuille de perso, celui-ci acquiesce (au moins la laisse-t-il commencer en se réservant un droit de veto). Elle décrit donc l'apparition d'une image projetée contre le ciel nocturne, où l'on voit une procession de prêtres avançant avec componction vers le cœur du temple de Monostatos. En entrant dans la salle centrale, seul un prêtre, Edipios évidemment, relève la tête et porte son regard sur un trône majestueux. Ce trône est vide ! Stupéfaction ! Le dernier Cyclope éclate en sanglots et s'incline devant Edipios.
C'était une narration très subtile à mon avis, parce que ça laisse ouvert la possibilité qu'en fait, Monostatos s'était simplement absenté pour une raison obscure à ce moment-là. Sylvie m'a dit avoir été inspirée pour cette narration par la fameuse citation de Nietzsche: « Dieu est mort. » C'était parfaitement dans le ton du jeu, et le pouvoir dont à fait preuve Edipios cadrait bien avec l'esprit du personnage (révélation de la vérité).
Ceci rejoint ce que Fabien « Footbridge » Deneuville rapporte concernant la difficulté de savoir qui peut décrire quoi, en particulier qui est-ce qui a droit de toucher à la « charpente ». Ou plutôt, je pense que Edipios propose un excellent modèle d'un personnage qui donne à son joueur un accès au cœur de la définition du monde de Monostatos, un exemple concret d'une possibilité que j'avais tenté de décrire de manière abstraite dans le rapport [Monostatos] Le temple enfoui.
En effet, si chaque personnage a un lien aussi fort avec un des aspect clés du jeu (je pense aux Ogres, je pense à Maître Abyme, je pense à la technologie avancée de la Côte Ponantine, je pense au Soleil, etc.), ça permettrait vraiment des points d'accès vers la « charpente ». Peut-être que ce que Sylvie a fait serait un peu brusque dans une campagne, mais les règles auraient permis une révélation plus absolue encore. Peut-être pourrait-on imaginer que la force des révélations soit liée à l'expérience du personnage (afin de synchroniser montée en puissance des personnages et découverte du monde).
J'ai l'impression que ce serait une technique intéressante pour participer à la mise en place de ce que Fabien Hildwein propose comme principe directeur à la suite de la discussion avec Fabien D. (le MJ joue l'oppression et les opprimés, les joueurs les libérateurs et les libérés.)
Réflexion sur Edipios : un germe de trahison
Toujours Edipios, parce que décidément, c'est le personnage le plus facile à intégrer avec ce que je comprends de la démarche du jeu. Edipios est potentiellement un traître (Sylvie l'a bien montré lors de la scène de la libération des prostitué-e-s). Antinoüs aussi, tant qu'il reste serviteur du Maître Abyme. Shamash n'a aucune raison de trahir sa cause, elle en crèverait aussi sûrement que le Soleil se lève chaque jour (admirez le gag pour connaisseurs). Le Morholt pourrait vouloir devenir Monostatos à la place de Monostatos, à la rigueur, selon comment on interprète ses singularités.
Sans risque de vaciller dans leur quêtes pour des raisons internes, j'ai l'impression que les personnages sont partis pour une croisière jusqu'à Monostatos. C'est faux, puisqu'il y a des tentations et des obstacles externes... mais bon, c'est pas la même chose. Est-ce que des remises en questions entrent dans la vision du héros monostatique ? On pourrait également imaginer de lier un Tentateur spécifique à chaque personnage, si cette idée est maintenue.
Réflexion sur Edipios : un crochet à situations
Dernière idée tirée du personnage d'Edipios, promis ! C'est un peu lié à l'ambiguïté du personnage dans ce cas, mais ça n'a pas forcément besoin de l'être. Edipios est recherché par la Secte de la Poussière (c'est dans son background), ce qui a permis à Fabien de cadrer une scène où nous étions encerclé par ces larrons. La logique était parfaite : Edipios a déclaré que les Cyclopes étaient non-conformes à la volonté de Monostatos, c'est normal qu'ils finissent par nous tomber dessus. Amerolqis pourrait aussi jouer ce rôle, puisque une de ses Singularités est essentiellement identique à celle d'Edipios. À la rigueur Aletheia en tant qu'ancienne prêtresse de la Secte de l'Éther. Le Morholt serait en ordre s'il était plus clair qui sont les gens qui cherchent à l'emprisonner. Shamash quant à elle cherche à échapper à la vengeance de son père le Soleil, ce qui peut donner quelques scènes épiques (mais peut-être un peu trop ?)
Ankh, Antinoüs, Kheper, Ninmah et Mainomenos n'ont par contre rien de tel.
Ce genre de situations où le passé d'un personnage le rattrape pourrait être une manière d'introduire des confrontations avec des Idoles non-scénarisées !
Pour finir
Tout ce que j'ai dit a trait aux responsabilités telles que je les avait exposées abstraitement. La narration dans les conflits et après, c'est évidemment lié à la responsabilité de narration (je parle beaucoup du partage). Les trois points concernant Edipios concernent (1) les responsabilités de contenu et d'intrigue, (2) responsabilité de situation et peut-être de contenu, et (3) les responsabilités de situation et d'intrigue (peut-être).
Il y a aussi la question du cycle de récompense (narrations de victoire sur un fidèle, révélations sur l'univers) et de l'économie du jeu (scène pour obtenir des marques), qui se retrouve un peu dans tout et qui permettrait d'articuler ces responsabilités.