Voici le rapport de la partie de Yôkai auquel nous avons joué avec Fred cette nuit, entre 1h et 4h du matin. La partie a duré longtemps parce qu'on a beaucoup inventé, testé et discuté en cours de route.
Voici les description de Yôkai (= fantôme en japonais) ici et ici. A la manière d'une partie de théâtre, la partie se découpe en différents actes où se développent les problèmes des différents personnages. Au dernier acte, on détermine quel est le personnage qui est responsable de la présence des fantômes (ce peut être un fantôme lui-même) et donc de la situation dans son ensemble.
Au début de la partie, on détermine aléatoirement (normalement en tirant des cartes illustrées, mais là on a fait avec les moyens du bord) un lieu général et un personnage pour chaque joueur (au moins un être humain et au moins un yôkai). A terme, on devrait avoir une liste de 36 yôkai et une liste de 36 personnages du théâtre traditionnel japonais. A chaque personnage ou yôkai on rajoute un qualificatif. Cela permet de fertiliser l'imagination et les échanges.
Fred est tombé sur un personnage nommé "le vieillard dansant". Comme le qualificatif était déjà là on en a pas fait plus.
Je suis tombé sur un Hakutaku, démon-lion lié aux apothicairerie, avec 9 yeux, des cornes et le don de dire l'avenir (en fait, j'ai mal traduit "auspicious" qui veut plutôt dire "qui apporte la bonne fortune" que "devin", mais on a gardé ça). J'ai décidé qu'il serait "calme" (pas un qualificatif très fertile, mais bon).
Acte 0 : L'apothicairerie
L'Acte 0 permet de placer le lieu central de l'histoire. Chacun le décrit à tour de rôle. On s'est décidé pour une apothicairerie en accord avec la description de mon yôkai.
C'est une apothicairerie qui sent fort les médicaments et les remèdes.
Elle sent également la maladie, la peur de la mort et les grossesses non-voulues.
Mais on y trouve également l'espoir de la guérison. L'apothicaire est un homme bon mais c'est aussi un marchand.
On décide de clore l'Acte ici.
Acte I (on n'a pas tout de suite décidé de titre pour les Actes)
L'Hakutaku est couché au-dessus d'une armoire, seuls certains peuvent le voir.
Un enfant pointe le doigt vers le Hakutaku "regarde maman, il a un gros chat, le monsieur".
"Attention petit, répond le Hakutaku, si tu parles trop, je te prédis que tu va prendre une mornifle" et effectivement la mère envoie une claque à son fils pour ne plus l'entendre, l'enfant pleure. Le Hakutaku le console "quand on va devenir un grand guerrier comme toi, on ne doit pas connaître les pleurs!"
Un samouraï, bien habillé et sabre au côté, entre. Il dégaine son sabre et, sans le voir, le lance vers le Hakutaku qui se retrouve cloué contre l'armoire (Fred me donne un dé de problème pour mon personnage). "Si tu dis vrai, il y a un démon au-dessus de cette armoire" Il essaie de dégager son sabre mais n'y parvient par. "Hmm, tu dois avoir raison". Fin de l'Acte I.
Acte II
(La numérotation des Actes n'est pas très claire. Fred voulait que l'Acte III soit forcément l'Acte de la résolution de tous les problèmes. En conséquent, on a un peu multiplié les scènes sur l'Acte II.)
Scène 1 Une entrevue difficile (ici c'est moi qui ai décidé à la fois du titre de la scène et de sa mise en place)
Le samouraï revient au château de son seigneur, honteux car il n'a plus son sabre. Un vieillard, jambes arquées et le pas léger, s'approche de lui. "Qu'est-ce qui ne va pas ?" dit-il en penchant la tête. Le samouraï se jette à genoux "Pardon, Monseigneur, je n'ai plus mon sabre, mais c'est pour une bonne cause." (dé de problème pour le personnage du samouraï). FIn de la scène 1.
Scène 2 Aux grands maux, les grands remèdes (ici c'est moi qui ai donné le titre de la scène et c'est Fred qui l'a mise en place)
Le samouraï quitte le château de son seigneur, d'un air décidé. Il entre chez lui. On entend un bruit sourd et une coulée de sang s'écoule par la porte. (Fred voulait sous-entendre que le samouraï s'est suicidé, mais j'ai voulu faire dévier les choses: ) Le samouraï entre et s'approche d'une femme qui accouche difficilement. Il essaie de l'aider et de la conforter, mais reste impuissant. La femme a le visage du vieillard dansant, seigneur du samouraï (don d'un dé de problème pour le vieillard dansant: il a une fille en train d'accoucher difficilement). Fin de la scène, même si on s'est rendu compte qu'on n'avait pas illustré le titre de la scène).
Scène 3 La mauvaise nouvelle (Titre donné par Fred, qui a ensuite mis en place la scène)
La sage femme s'esquive, elle court à l'apothicairerie. Elle voit l'Hakutaku qui lui prédit : "Si tu ne fais pas ce qu'il faut, et l'enfant et la femme vont mourir". Terrorisée, la sage-femme court au chateau et entre en catastrophe dans la chambre du seigneur. Le vieillard est au milieu d'un mouvement de danse qu'il ne quitte pas pour ne pas gâcher sa danse. "Vous savez que vous avez une fille et bientôt un petit-enfant !". Le vieillard continue sa danse et refuse de l'écouter (dé de problème pour la sage-femme). "Et vous savez très bien qui en est le père !" Le vieillard s'arrête et la regarde: "J'hésite entre vous suivre et vous faire découper en morceaux". Vingt gardes en armure complète entrent dans la pièce : "Monseigneur, faut-il la tuer?" Fin de la scène.
Fin de l'Acte
Je voudrais que l'on résolve les problèmes, nous sommes donc passés à l'
Acte III
Nous lançons chaque dé de problème. C'est le dé du Hakutaku qui donne le résultat le plus haut, c'est donc lui qui est responsable. Je dois raconter comment, en lien avec l'Abnégation (un concept de Fred, encore à creuse, je crois). Le Hakutaku s'avance donc sur le devant de la scène et s'adresse au public : "lorsque j'étais jeune, un jeune homme, aujourd'hui vieillard, est venu chercher l'apothicaire avec une femme. Il voulait savoir si l'enfant qu'elle portait était bien de lui. L'apothicaire était absent et par jeu, je lui suis apparu et je lui ai dit que c'était faux, par jeu. Le jeune homme, aujourd'hui vieillard, a abandonné la jeune femme en pleur. J'ai voulu réparer ma faute. J'ai prédis qu'en apparaissant ici, en étant cloué à cette armoire, cela pousserait le jeune samouraï à quitter son sabre et ainsi de suite... J'accepte mon sacrifice si cela peut résoudre ma faute."
Nous votons ensuite chacun pour décider des personnages qui sont sauvés, et de ceux qui doivent affronter leur problème (on a eu une longue discussion là-dessus, voir plus loin). Chacun prend deux dés et, caché, place vers le haut la face dont le n° correspond au personnage qu'il veut sauver. Chaque personnage qui reçoit un vote exactement est sauvé. S'il en reçoit 0 ou 2 et plus, il doit affronter son problème. Les votes sont les suivants (tous les cas possibles):
le Hakutaku : 2 votes
le samouraï : 0 vote
le vieillard dansant : 1 vote
la sage-femme : 1 vote
Le vieux seigneur suit donc la sage-femme et retrouve sa fille. L'enfant nait sans problème et le seigneur le reconnaît.
Le Hakutaku sent bien que tout s'est passé comme il le souhaitait. Il meurt, emportant dans l'autre monde le sabre transperçant son coeur. Le samouraï, fasse au seuil, entend son seigneur qui lui tourne le dos: "Je te suis reconnaissant pour ce que tu as fait, pour avoir pris soin de ma fille. Mais tu comprends bien que tu ne seras plus jamais le bienvenu ici." Le samouraï s'en va et commence une nouvelle vie de rônin (samouraï sans maître).
Commentaires
Voilà un jeu qui marche bien et qui a été rapide à mettre en place ! Belle partie, bien dans l'esprit (je craignais à un moment qu'on ne parvienne jamais à tout résoudre). Ma crainte principale est que la qualité de la partie vienne plus de notre imagination et de notre connivence que des règles. Je laisse ça à la conception de Fred.
Tout au long de la partie, on a essayé d'aller toujours vers les situations les plus fertiles, en ne racontant qu'une phrase à la fois (ce que j'ai essayé de rendre dans ce CR) pour laisser de la liberté à l'autre : peut-être à inscrire dans les règles.
On avait commencé à se distribuer des dés, comme dans Prosopopée, pour les descriptions que l'on aime bien. Finalement la mécanique de dons de dés a été abandonnée, puisqu'on ne s'en ait pas donné du tout dans la dernière scène alors qu'on racontait des trucs que l'on trouvait géniaux l'un et l'autre. Fred disait que l'on n'a pas utilisé cette mécanique parce qu'on a changé de démarche créative par rapport à Prosopopée, on est plus dans du Constructive denial (anciennement simulationnisme), on est passés dans du Story Now (anciennement narrativisme) puisque ce qui nous intéresse ce sont les choix déchirants des personnages.
On a beaucoup discuté du mécanisme de vote en fin de partie et plus largement de la manière de décider qui s'en sort et qui doit affronter son problème. On était d'accord sur le fait que chaque joueur a deux dés de problème à distribuer tout au long de la partie. Je proposais que chaque joueur, à la fin, puisse choisir un seul problème, ce qui permet un choix bien Story Now ("mon dieu, qui vais-je sauver ?") mais Fred trouvait que c'était trop certain, qu'il faudrait plus d'incertitudes. On est arrivé à une solution sympa du vote : chacun prend deux dés et les cache. Pour chaque dé, il met sur la face du haut le numéro d'un personnage qu'il veut sauver. On révèle les dés. Si un personnage a exactement un vote, son problème est résolu. S'il n'a aucun vote ou deux ou plus votes, il affronte son problème. C'est sympa parce que ça veut dire qu'on peut toujours sauver tout le monde, mais que si on veut trop qu'un personnage survive, il va y rester ("Ah! comme c'est déchirant !")
Encore à faire
J'ai un vrai questionnement sur la propriété des personnages. J'ai du mal à comprendre pourquoi on a besoin d'avoir chacun son personnage. Ca a une justification dans le drame (on est plus attaché à certains personnages qu'à d'autres), mais ça n'a pas de justification dans la fiction. Je trouve que c'est dommage (mais c'est peut-être parce que je pense en Constructive denial plutôt qu'en Story now, je ne sais pas). Je laisse ça également au jugement de Fred.
Pour la propriété, Fred proposait également qu'un personnage (autre que les personnages des joueurs) appartienne au premier qui s'en saisit durant la scène. J'aime bien ça.
Il faudrait décider qui peut dire comment se termine une scène.
Encore à faire, mais c'est mineur
Il y a quelques travaux de dénomination à faire : appeler les dés de problème des dés de drame (pour des raisons de couleur, ça pousse les joueurs à chercher des problèmes graves et prenant), trouver une dénomination pour les êtres humains aussi.
Il faut aussi trouver un moyen élégant de voter quand on est à plus de 3 (puisque à ce moment-là on a 8 problèmes et que donc on ne peut pas tous les représenter sur un dé à 6 faces).
Je propose maintenant de répondre à vos questions. J'invite aussi Fred à compléter et à réagir.