[Nouvelle][BFO] La chute de Trédayn

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[Nouvelle][BFO] La chute de Trédayn

Message par nemesis » 12 Oct 2005, 03:59

Une Aube Sanglante.

27 avril 1440 Ere du Renouveau.

C’était un matin comme tant d’autres en Absalon. Une aube nouvelle se levait sur Valorn, le cœur d’Absalon. Une aube qui allait bouleverser bien des choses… Une aube qui allait révéler des ténèbres insoupçonnées… Mais ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort.

Un vieil homme se promenait dans le Quartier de la Lumière. Sa démarche boitillante et chaloupée semblait des plus pittoresque alors qu’il se dirigeait vers l’Allée des Olys. Son visage chaleureux et espiègle accompagna les cabrioles qui vinrent taquiner les passants. Ces derniers, fort affairés de si bonne heure, accueillirent avec le sourire les fantaisies de leur étrange rencontre matinale, laissant la Flamme inonder leur être et emplir leur cœur. En d’autres contrées, on se serait gaussé d’un vieil homme à l’esprit perturbé ou tout du moins on l’aurait ignoré. Mais en Absalon, son statut était particulier… touché par la Flamme… et il s’en délectait.
Cahin-caha, le vieil homme parvint à destination. Il pénétra dans l’allée principale de ce grand jardin tenant lieu de rue. Entouré par les olys, ces grandes fleurs souples comme le roseau dont les fleurs mauves se balancent à deux mètres d’altitude et dont le parfum apaisant inondait les allées, le vieil homme soupira d’aise. Il s’assit sur un banc et resta pensif en observant un colibri voletant autour des olys.
Soudain, son attention fut détournée par un phénomène étrange. Un groupe d’oiseau prit son envol à la verticale. Alors qu’il atteignait son paroxysme, le groupe s’éparpilla et la figure joviale du vieil homme se rembrunit. Puis, après un temps, le groupe d’oiseau se reforma aussi soudainement qu’il s’était éparpillé. Il se dirigea vers l’est et le vieil homme se mit à rire de bon cœur. Il riait comme on rirait à une blague d’un vieil ami, une blague qu’eux seuls pouvaient comprendre. Il secoua la tête et, le sourire aux lèvres, se dirigea vers la porte de la Lumière.

Trédayn Arkensyr s’était levé tôt ce matin. La mort violente de son père et sa succession sur le trône d’Absalon pesait au jeune souverain. C’est ainsi qu’il lui arrivait par moment de voir la nostalgie étreindre sa Flamme.
La Tour Solaire dominait toute la cité et les alentours. Au dessus du Dôme des Justes, elle se dressait fièrement dans sa forme de flamme. Incrustée de mica, elle étincelait sous les rayons de l’aube et ce joyau protégeait ses occupants des regards indiscrets. Le sommet de la tour, plongée dans l’ombre, contrastait avec ses flancs.
Trédayn s’y était rendu avant l’aube comme à l’accoutumée depuis la mort de son père. Dès que l’empoignait cette nostalgie, il allait s’y retrouver et faire face à son passé afin de pouvoir affronter l’avenir. Au sommet il huma l’air matinal et en savoura les saveurs dictées par les caprices du vent. D’ici on pouvait capter toutes sortes d’odeurs. Les parfums émanant des jardins laissaient place aux embruns de l’océan alors qu’avec force commençait à souffler le vent. Les nombreuses forêts proches laissaient découvrir ici le parfum de l’humus lorsque les odeurs de la ville ne lui en volaient pas la primeur. Mais de cette haute tour, son royaume apparaissait sous ses yeux et, avec lui, la réalité de son devoir. Il pouvait ici se remémorer les discussions qu’il avait eu avec son père autrefois, du haut de cette même tour. Et alors que son cœur s’emplissait à nouveau de Flamme, sa nostalgie laissait place à une farouche détermination.
Trédayn était un jeune souverain, mais ceux qui le connaissaient bien présentaient en lui potentiellement l’un des plus grands monarques de l’Ere du Renouveau. Et à en croire les tensions qui s’accentuaient chaque jour, sa valeur risquait d’être mise à rude épreuve. Alors qu’à l’est, une ombre se dessinait…
Ses premières mesures avaient été d’asseoir son autorité en réaffirmant les anciennes alliances de son père. Le Gardien de la Flamme veillait bien sûr sur lui. Que cet être immortel montra sa désapprobation envers un prétendant au trône et le peuple se détournerait de lui. Mais ce n’était pas ses seuls appuis. Korak Stormheart, l’empereur de Kerahn, le plus vieil ami de son père s’était empressé de confirmer son soutien au fils de son ami. De plus, fait surprenant, une des Sages de la Mangrove d’Oflolyn s’était déplacée en personne à son couronnement pour renouveler l’Alliance. Peut être les sages d’Oflolyn voyaient ils plus précisément la menace qui se fait plus oppressante chaque jour mais le peuple d’Absalon vit en cette présence exceptionnelle l’expression du soutien d’Oflolyn pour Trédayn. D’un autre côté ces deux choses pouvaient s’avérer être les deux facettes d’un même plan. Mais le premier véritable coup de maître qu’employa Trédayn resta secret pour la plupart des gens. Un coup pourtant tout aussi important que ses autres alliances. Trédayn conclut une alliance avec la Salamandre, une organisation criminelle impressionnante. Aujourd’hui, avec le soutien de Trédayn, le développement de la Salamandre s’accélérait et cette dernière devint prospère. Mais la Salamandre maintint également un ordre en Absalon et servit d’œil et de main armée à Trédayn en dehors du pays.
Cependant, en ce matin de printemps, quelque chose n’allait pas et Trédayn ne parvint pas à retrouver sa tranquillité d’esprit au sommet de la Tour Solaire. Un sombre pressentiment obscurcissait son humeur. Il y avait dans l’air un goût métallique qu’il appréciait peu. Redescendant, il alla se restaurer avant de devoir présider les audiences du matin. Il alla voir la vieille Zalxia, responsable des cuisines depuis aussi longtemps que sa mémoire lui permettait de se souvenir. La vieille Zalxia l’avait vu grandir et avait toujours tendance à le considérer comme l’enfant qu’il était autrefois. Son repas fut simple et consistant mais ce n’était pas l’unique but de sa démarche. Entre différentes nations, la guerre de l’information passe par toute une panoplie d’armées de l’ombre. Mais Trédayn était toujours surpris de se rendre compte que dans ce palais, la responsable des cuisines en savait parfois plus que son service de renseignements. Il appris de la sorte que son impression était plus que partagée. De nombreux nobles présents à la cour semblaient nerveux et parfois grossiers ou méprisants. Une attitude qui ne seyait guère aux nobles d’Absalon où régnait chaleur et joie de vivre.
Intrigué, Trédayn remercia la vieille Zalxia et la taquina sur la propreté excessive de sa cuisine. Il quitta la cuisine en esquivant une casserole lancée plutôt habilement et se rendit au Dôme des Justes sous lequel se trouvait la salle d’audience.

Quelque chose n’allait vraiment pas. La tension qui régnait dans cette salle emplie de monde était presque palpable. Même ses conseillers étaient distants. Donarès, le prêtre du Gardien attaché au souverain, qui aujourd’hui ne disait mot ou Alshaïn, son homme de confiance et secrètement membre de la Salamandre, qui ne s’était même pas montré étaient de parfait exemples du trouble qui régnait dans le Dôme des Justes. La liste des gens ayant sollicité une audience publique lui révéla un indice sur la cause du trouble ambiant… ou du moins une partie de cette cause : Un envoyé du Gardien y était inscrit en troisième position. Un envoyé qui de plus s’était vu affublé du surnom de Corbeau, l’oiseau de mauvaise augure. Au fil du temps il avait fini par annoncer ce surnom et personne ne se souvenait du nom qu’il aurait pu avoir. Trédayn sentit son sang bouillir en lui. Il se demanda pourquoi l’intendant ne l’avait il pas prévenu plus tôt. Il avait été négligent et se demandait maintenant à quel point il payerait les pots cassés.

Au fur et à mesure qu’avançait le temps les pièces d’une machination apparaissaient devant ses yeux et il y assistait impuissant. Son cruel manque d’expérience lui riait au nez. Sa confiance et son audace venaient à présent de trouver leurs limites. Il jeta un œil autour de lui pour observer les nobles présents. Le dôme était empli de monde mais il y avait proportionnellement peu de nobles de la famille Arkensyr, sa propre famille. Il y avait encore moins de Félanyns qui l’auraient soutenu. En revanche la salle semblait regorger de nobles des familles Vérasyn et Markenbar. Le jeune souverain reconnu parmi eux certains de ses plus farouches opposants. Il avait vraiment été négligent. Sa popularité lui avait tourné la tête et il était allé de l’avant sans assurer correctement ses arrières.

Corbeau fut annoncé, il n’y avait à présent plus rien à faire pour stopper les rouages du destin. Cependant, il restait en alerte, prêt à sauver ce qui pouvait encore l’être. Il ferma les yeux afin de voir la tristesse de son père et sa déception. Pourtant, l’image qu’il reçut de lui était affectueuse, confiante et fière. Il n’en compris pas la raison mais il y avait sûrement encore de l’espoir. Le temps s’était dilaté à l’extrême lorsque Corbeau parcourut lentement le chemin menant au trône. Il sentit que la main de Donarès, posée sur le dossier du trône, se crispait de plus en plus. Des mouvements presque imperceptibles dans l’assistance étaient semblables à des mouvements de troupes lors d’une bataille. Les mâchoires du piège étaient en train de se refermer sur lui. Trédayn fit signe au capitaine de la garde royale et certains soldats se rapprochèrent du trône pour stopper la progression des nobles et de leurs gardes personnels. Corbeau s’exprima enfin. Ses paroles ne furent que quelques mots. Quelques paroles à l’effet dévastateur.

« Seigneur, le Gardien vous retire son appui »

A ce moment le Torque du Gardien et Yénidryl, la rapière royale, tombèrent à terre, inerte. La Flamme qui les animait disparut. Et leur Flamme qui soutenait le jeune souverain lui fut brutalement arrachée. Il resta un moment les yeux écarquillés et le souffle coupé, tant par ce vide et cette perte que par la nouvelle apportée par Corbeau. Donarès, sourit et se retira. Impossible de connaître la signification de ce sourire mais Trédayn refusait de croire à la trahison de Donarès qui été resté aux côtés de son père toute sa vie. La salle resta un temps sans réaction, sans un seul bruit comme vient le calme avant la tempête… Et le monde sombra dans le chaos.

La salle fut soudainement divisée en deux types de personnes, ceux qui, éberlués, ne savaient vraiment comment réagir et ceux qui savaient parfaitement ce qu’ils avaient à faire. Malheureusement pour Trédayn, les premiers étaient majoritairement ses partisans, au contraire des seconds. Et les mailles du filet furent sur le point de se refermer sur lui pour mettre un terme au règne de la famille Arkensyr.
Les lames furent tirées hors de leur fourreau et dans la confusion la plus totale se dirigèrent vers leur cible. Les rares à s’interposer furent écartés. Les lames se dirigeaient implacablement vers son cœur afin de sceller son destin. Trédayn tira sa dague, Saryst, encore emplie de Flamme et liée à son sang. Son maniement était aisé et sa Flamme permettait des mouvements vifs et précis. Il scruta les alentours et ne vit aucune façon d’échapper à la multitude de ses assaillants. Cependant, il ne rendrait pas les armes sans combattre. Son sang rugit dans ses veines et sa détermination commença à se muer en rage. Sa Flamme le parcourut afin d’embraser son être. Il ne serait pas le seul à verser son sang aujourd’hui.
Alors que le cercle se refermait, il prit appui sur le trône pour se propulser sur un adversaire sur son flanc gauche. Le trône se renversa sur quelques gardes estampillés au blason des Markenbars qui s’étaient un peu trop vivement jetés sur Trédayn. Ce dernier, agile comme le vent entre les roseaux, se retourna en l’air afin d’éviter la lame plongeant vers lui. Il agrippa son adversaire pour atterrir derrière lui et lui enfonça son poignard dans la gorge, entre les mâchoires, pour atteindre le cerveau. L’afflux de Flamme exacerbait ses sens et amplifiait la rapidité et la force de ses mouvements.
Mais déjà arrivaient d’autres adversaires, toujours plus nombreux. Il ne tiendrait pas longtemps contre de tels ennemis. Il utilisa un pilier pour se protéger d’un premier coup et un assaillant pour parer le second avant d’éventrer un autre adversaire. Il dévia une lame pour passer sur le flanc d’un ennemi, afin de l’interposer entre lui et d’autres assaillants, avant plonger Saryst entre ses côtes tandis que sa lame avait changé de sens entre ses doigts. Projetant l’homme blessé sur les adversaires qui affluaient vers lui, il dévia une lame sur sa gauche d’un grand mouvement circulaire du bras en se tournant légèrement sur lui même afin d’avoir son adversaire sur sa droite. Ce mouvement ramenant la lame adverse vers le bas, Trédayn releva brusquement le bras, redressa ses genoux et la lame trouva à nouveau la gorge. Celui qui lui faisait face à présent n’était pas un combattant aguerri car il avait tiré une épée longue hors de son fourreau. Néanmoins, il était venu pour le tuer et Trédayn devait sauver sa peau. Vif comme le vent, Trédayn, d’un bond, fut collé à son adversaire, le rendant ainsi inoffensif et lui ôta prestement la vie. Pourtant, malgré le sang déjà versé, toujours plus d’adversaires venaient lui faire face, l’encerclaient et sa marge de manœuvre devenait de plus en plus étroite. Impossible de se battre dans si peu d’espace. Cinq autres gardes tentèrent ensemble de se jeter sur le souverain avant de s’écrouler, terrassés d’un carreau dans la poitrine. La scène resta figée durant un court laps de temps. Mais brusquement Trédayn se sentit être brusquement maintenu et il fut projeté dans les airs. Des tireurs embusqués sur les arches de pierre. Trédayn regarda avec stupéfaction l’homme qui le maintenait sur cette arche.

« - Al… Alshaïn ?
- La Salamandre toujours veille, jeune souverain.
- Tu savais ?
- Pas le temps, suivez-moi ! »


Quelques flèches volèrent en direction de Trédayn mais bien peu d’entre elles les frôlèrent. Des cris retentissaient en contrebas. La plupart des gens avaient commencés à réagir. Certains prenaient la fuite, d’autres avaient commencé à défendre leur roi, d’autres encore s’étaient retournés contre lui. Il semblait que l’assassinat avait miraculeusement échoué, mais le coup d’état restait encore à réaliser. Beaucoup de sang allait être versé au pied du trône. Un bon nombre d’hommes tentaient encore de l’abattre et de le poursuivre mais il était maintenant clair que c’était avant tout le trône qu’ils souhaitaient prendre. Trédayn, comme toute la cour, avait entendu les paroles de Corbeau. En soi, elles n’opposaient pas le Gardien à Trédayn. Mais pour beaucoup de gens, cela signifiait que les Arkensyrs avaient perdu leur légitimité sur le trône d’Absalon. Les félons ne manqueraient pas, il en était certain, de propager cette deuxième version.
Alshaïn le conduisit en dehors du Dôme des Justes. Il envoya deux de ses hommes égarer leurs poursuivant et poursuivit sa route. Trédayn était traîné derrière lui. La rage s’en était allée, la Flamme avait refluée et seule la force qui bouillait en lui permettait au roi déchu de tenir encore debout. Au cours des derniers mois, Alshaïn et quelques membres de la Salamandre avaient émis le souhait de « visiter » le palais. Maintenant, Trédayn en voyait tout le fondement. Alshaïn le conduisit au travers de passages que nuls aujourd’hui ne connaissaient, des passages anciens. Lorsque cinq hommes sortirent du palais, ils n’étaient plus au dessus du sol mais dans les canaux souterrains, le territoire de la Salamandre. Ils parcoururent plus de trois centaines de mètres dans les galeries avant qu’il fût permis à Trédayn de reprendre son souffle. Il s’affala contre la pierre humide, rejeta la tête en arrière et versa quelques larmes. Les hommes de mains écoutaient les bruits des galeries d’un air nerveux. Alshaïn fixait Trédayn d’un air compatissant. Ce dernier regarda Alshaïn dans les yeux avec un sourire cynique et lui dit en respirant bruyamment.

« - Aujourd’hui j’ai failli à mon devoir, j’ai trahi les miens et manqué à ma parole envers la Salamandre. Cela fait beaucoup pour une seule demi-journée, non ?
- Cessez de vous tourmenter ! Cela devait être, à n’en point douter. Vous ne pouviez l’éviter. Aujourd’hui vous devez vivre afin de vous battre demain. Pour votre peuple.
- Sûrement… Je suis trop las maintenant pour argumenter avec vous… Et je suis sur votre territoire qui plus est.
- Et quant à votre parole envers la Salamandre… eh bien… Nous vous forcerons à la respecter… Par tous les moyens… Un jour ou l’autre. »


Cette feinte menace, prononcée par un Alshaïn souriant, apportait l’espoir et Trédayn sentit un peu d’énergie lui revenir avec cette lueur d’espoir. Alshaïn tendit la main et agrippa celle de Trédayn afin de l’aider à se relever.

« - Tu penses qu’ils essayeront de nous poursuivre ici.
- Ils essayeront… Ils essayeront où que vous soyez… Mais nous sommes sur le territoire de la Salamandre, je leur souhaite bien du plaisir. Néanmoins nous devront vous faire quitter la ville rapidement et vous devrez vous fondre dans la nature. D’après ce que je sais de vous, ça ne sera qu’un retour aux sources insouciantes de votre jeunesse, bien que l’enjeu soit votre vie cette fois. Partons à présent… »


Ils repartirent en silence au travers des canaux humides. Ils croisaient également des galeries qui ne furent pas creusées afin d’évacuer les eaux usées ou les eaux de pluies, des galeries creusées par la Salamandre en un réseau inextricable qui formait aujourd’hui son domaine incontesté. Ils achevèrent leur expédition souterraine dans un « bastion » de la Salamandre et Alshaïn laissa Trédayn aux bons soins de ses trois acolytes avant de disparaître dans l’obscurité. Exténué par les rudes événements de la matinée, le roi déchu sombra dans le sommeil.
Dernière édition par nemesis le 12 Oct 2005, 06:10, édité 1 fois.
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Message par nemesis » 12 Oct 2005, 05:36

Fuir à destination de nulle part.

Trédayn fut réveillé par le retour d’Alshaïn, bien des heures plus tard. Dans l’obscurité des profondeurs, il était incapable de savoir combien de temps s’était écoulé. Mais la situation à la surface le préoccupait davantage à vrai dire. Il fallait qu’il comprenne exactement ce qui s’était passé et il commença à se remémorer les souvenirs afférant à ce complot.

La veille avait été témoin d’une aube sanglante, témoin de la chute du souverain d’Absalon et de la honte qui s’était abattue sur l’ancienne famille royale des Arkensyrs. Trédayn avait pourtant œuvré avec une rare efficacité à construire un avenir flamboyant pour le pays dont il était le souverain. Au sein du royaume régnait la paix car Trédayn avait passé outre son propre désir de vengeance afin de ne pas placer Absalon dans une guerre destructrice et ouverte. L’assassinat de son père serait vengé, un jour et non par une violence aveugle. Pour le moment avait jugé le jeune souverain, la meilleur façon d’honorer la mémoire de son père serait de perpétuer ses bienfaits envers la terre d’Absalon et de tenter d’aller bien au-delà. Et le peuple qui avait aimé le vieux roi avait ainsi commencé à faire de même pour son fils qui dirigeait cette contrée en digne successeur de son père. Le même sang coulait dans ses veines, embrasant tout son être d’une Flamme intense. Sa présence elle même pouvait devenir flamboyante, ses décisions se révélaient sages, ses discours embrasaient le cœur de la population et sa générosité était connue de tous.
Il savait que tout ce sang versé laisserait sa marque au sein de son âme. Cependant, il y avait une vérité qui importait davantage, il était Absalon. L’avenir d’Absalon était lié à sa destinée et dans son âme était gravée la détermination de tout faire pour préserver ce qui était cher au cœur des absaloniens. Oui, il était non seulement aimé du peuple, mais ce dernier avait également entièrement confiance en lui.
Pourtant il se remémora les derniers événements. Et une seule et amère conclusion lui vint à l’esprit, il avait été négligent. Il s’était élancé comme un étalon fougueux sans le moindre effort pour assurer ses pas. Il avait cru que ses succès en faveur d’Absalon maintiendrait l’unité de son pays en toute occasion. Il aurait dû savoir que les vieilles rancoeurs étaient tenaces. Il aurait dû savoir que le sang appelait le sang et que la vengeance ne s’était jamais endormie. Encore et toujours, certaines personnes, au sein de certaines familles, complotaient. Et l’annonce de Corbeau était l’occasion plus qu’idéale pour un tel coup d’état… c’était la seule occasion.
Il ne restait plus que trois questions à présent : comment, pourquoi et quoi.
Comment. Comment ces Vérasyns et ces Markenbars avaient ils réussi après tant de siècles à réaliser ce que jamais aucun de ses ancêtres n’avait eu à subir. Trédayn se doutait que les membres de la famille Markenbar impliqués n’avaient certainement fait que suivre. Les meneurs de l’opposition avaient toujours été membres de la famille Vérasyn. Mais même sous cet angle cela ne collait pas. Cependant en observant globalement ce qui avait dû se passer, en observant le schéma que dessinait ce complot, l’échelon supérieur sautait aux yeux. Trop de monde avait été impliqué, trop de monde avait du être très gracieusement arrosé en monnaie d’or ou de redoutables pressions. Trop de secrets avaient dû être dissimulés ou utilisés. Trop de faux semblants et de véritables faces obscures. Trop de choses complètement hors de portée de ceux qui ouvertement menaient ce coup d’état. Ce jeu subtil avait été mené d’une main de maître, orchestré sans aucun risque dans une mode complètement étrangère aux absaloniens. Cette façon de faire et cette maîtrise portait la griffe de la Varynie. Cette façon de faire portait les traces du Masque, cet affrontement politique utilisé dans toutes les sphères varyniennes, ce jeu subtil développé et affiné par toute la perversité, la corruption et la folie dont faisait preuve siècle après siècle ce peuple étrange.
Cependant, le peuple restait attaché à son véritable souverain. Gagner l’aval du peuple ne serait pas une tâche aisée. Même aidés par la Varynie, ils ne pourraient soumettre par les armes les absaloniens. Si ces derniers étaient l’opposés d’un esprit conquérant, s’ils étaient de chaleureux bon vivant, ils n’en restaient pas moins un peuple fier qui se battraient jusqu’à ce que le dernier d’entre eux tombe devant l’oppresseur. C’était dans la nature absalonienne. Nul ne pouvait devenir souverain d’Absalon si le peuple s’y opposait. Cependant la Varynie avait déjà du prévoir tout cela. Trédayn supposait que l’argent allait couler à flot pour que l’avènement d’un nouveau souverain sonne comme une nouvelle ère d’opulence dans l’esprit du peuple. Avec beaucoup de finesse cela était peut être possible. Pour cela Trédayn ne doutait pas une seconde que le message de Corbeau allait être interprété à tort et à travers. En effet, si le Gardien avait signifié le retrait de son appui, il n’avait par contre signifié en aucune manière ni que le gardien se dressait contre le jeune souverain, ni qu’il se prononçait en faveur d’un souverain Vérasyn. Pour rendre le peuple plus malléable, il allait falloir que ses adversaires détournent et déforment le message de Corbeau. Beaucoup ne seraient pas dupes. Trédayn voyait déjà les ménestrels si respectés et leurs compositions ironiques traqués discrètement mais sans relâche par le nouveau régime. Trédayn voyait aussi les méandres de l’opposition à ses propres opposant. Les temps à venir allaient décidément être très mouvementés, en espérant qu’ils ne soient pas funestes.
Le moyen apparaissait clairement à présent. Toute la science varynienne avait été mise à contribution dans toute sa splendeur pour que Trédayn soit pris dans les méandres torturées de ce piège. Ce piège dont il n’avait réalisé la présence que trop tard, bien trop tard. Et ce moyen répondait à une autre question.
Pourquoi. Pourquoi, tout d’abord, la Varynie. La réponse était contenue dans la question. La Varynie avait abandonné l’idée de s’emparer de tout Sandorfell par les armes et les conquêtes avant même d’y avoir pensé. Mais depuis que le commerce et la politique avaient pris une considérable ampleur dans leur contrée, ils en avaient réalisé toute la puissance. Les sinueux parcours de leurs manœuvres commerciales avaient rendu plusieurs régions dépendantes du commerce varynien et disposée à répondre à leurs moindres désirs. Leurs conquêtes étaient bien plus subtiles et au moins aussi efficaces qu’une conquête par l’acier et le sang. Mais Absalon avait toujours bien résisté à ces attaques. Certes, la présence varynienne était inévitable et grignotait toujours un peu plus de pouvoir. Certes, certaines villes étaient virtuellement tombées sous contrôle varynien. Mais dans l’ensemble, la Varynie enrageait de la lenteur de leur progression commerciale. L’intérêt de la manœuvre varynienne ne faisait aucun doute et Trédayn savait d’or et déjà que des accords solides liaient le futur souverain d’Absalon et la Varynie. Mais d’autres questions restaient plus énigmatiques.
Pourquoi la Salamandre ne l’avait elle pas prévenue. Il était impossible qu’elle fût corrompue par la Guilde du Commerce. Les membres de la Salamandres se seraient tranchés la gorge plutôt que de s’allier à la Varynie pour détruire tout ce qu’ils défendaient. Il était également impossible que la Salamandre n’ait rien su du complot. Trédayn avait aidé la Salamandre à s’infiltrer dans tout Sandorfell mais, même sans son aide, la Salamandre disposait d’un réseau de renseignement redoutable, certainement un des meilleurs qui soit aux mains des hommes. De plus ils avaient prévus de lui sauver la vie lors du coup d’état. Mais alors pourquoi n’avait il pas été prévenu ? Cela restait une énigme. Une énigme qu’il lui faudrait percer. Et il savait que les membres qu’il interrogerait n’en saurait rien et ceux qui sauraient n’en diraient rien. Et le dernier pourquoi était encore plus énigmatique.
Pourquoi le gardien avait il retiré son appui. Trédayn lui avait personnellement parlé une fois. Le Gardien connaissait son éternelle et indéfectible loyauté. Et Trédayn avait cru percevoir de l’espoir dans son regard chaleureux. Non, Trédayn ne pouvait croire que le Gardien ait pu vouloir lui nuire. Et pourtant la seule autre explication serait une trahison de Corbeau. Cependant, cela était également impossible, le messager du gardien n’aurait pas survécu à son annonce pour une telle trahison. Un imposteur ? Non, il portait des signes inimitables et d’autres émissaires seraient intervenus dans l’intervalle. De plus, Donarès ne se serait certainement pas laissé abuser. Il devait y avoir une autre raison. Il devait y avoir un facteur qui mettait de l’ordre dans tout ça. Le jeune souverain était persuadé que tout était lié dans cette affaire et qu’un seul détail, une seule hypothèse permettrait de tout expliquer. Malheureusement il ne parvenait pas pour le moment à la saisir.

Il fut tiré de ses pensées par Alshaïn dont les gestes pressant indiquait qu’il fallait se remettre en route sans perdre de temps. Tout en marchant à une allure soutenue dans le dédale des souterrains, Trédayn questionna Alshaïn au sujet de la situation actuelle à Valorn, de la situation actuelle en Absalon. Alshaïn sourit de façon énigmatique. Il reconnaissait là son souverain.

« - Et bien… C’est justement la raison pour laquelle nous devons nous hâter, précipiter votre fuite. Les temps à venir vont s’avérer difficiles pour tous et nul endroit ne sera sûr, pas même ces souterrains.
- Pourquoi donc ? Mais que se passe-t-il enfin !
- Le coup d’état n’a pas réussi aussi bien qu’ils l’escomptaient, vous êtes toujours en vie. Ils sembleraient qu’ils se soient aperçus que vous étiez plus dur à abattre que la mauvaise herbe…
- Il semblerait que la Salamandre ait été mon engrais.
- En vous coule le sang des Arkensyrs, c’est avant tout ce fait auquel vous devez la vie.
- Je sais, je sais… Et je serais digne de ce sang.
- Plus sérieusement, la situation est mitigée à la surface. Beaucoup de sang a coulé hier. Votre mort a officiellement été déclarée. Certain l’ont réfuté et ont été arrêtés. Mes sincères condoléances. Ce point vous servira moins que cela ne vous gênera. Vous pourrez vous dissimuler plus facilement mais vous aurez plus de difficultés à prouver votre identité le moment venu. Et ils ne cesseront jamais de vous traquer pour rendre véridique la déclaration de votre mort.
- Bien, je m’en sortirais, quoi d’autre ?
- Par où commencer ? Le peuple est resté perplexe.
Certaines rebellions ont été violement matées.
Votre déchéance a été présentée encore et encore à toute la population et il commence à être de notoriété publique que le Gardien a changé de choix quand à la famille régnante.
Beaucoup doutent mais gardent le silence et d’autres complotent en secret contre l’usurpateur.
Les ménestrels se sont pour la plupart levés contre l’usurpateur et chantent des chansons peu reluisantes. Il ont été déclaré hors la loi et une prime généreuse est offerte pour leur arrestation. Tout comme l’arrestation de tout opposant médisant contre le futur souverain.
Le nouveau gouvernement a commencé à récompenser gracieusement la loyauté et la délation. Il a également oppressé certaines figures emblématiques et les fortes têtes. D’une manière ou d’une autre il doit dépenser beaucoup d’argent pour maintenir son gouvernement et ses succès sont mitigés.
Vous voyez, la situation pourrait être pire.
- Je la trouvais meilleure la semaine dernière personnellement…
- hm… Vous allez rire alors, j’ai gardé le meilleur pour la fin. Trop de troubles, un pays trop instable, leurs généreux mécènes ont dû envoyer des détachements de mercenaires… La Guilde des Lames entre en jeu.
- Je crois que la Varynie doit commencer à regretter d’avoir choisi un pion si loyal mais si éloigné dans l’estimation des affaires absaloniennes.
- Sûrement… Mais je pense surtout qu’ils veulent vraiment votre peau. Ils veulent avant tout pouvoir vous débusquer où que vous puissiez être. Même ici. C’est pourquoi que vous devez fuir avant que la compagnie de l’Araignée et la compagnie du Crépuscule ne prennent possession de la ville. Ensuite, il sera très difficile pour quiconque d’entrer et de sortir de Valorn. Même maintenant, vous ne pourrez utiliser nos sorties externes qui sont dans une zone étroitement surveillée. Cependant, tous leurs efforts pour surveiller l’extérieur sont autant d’efforts qui ne leur permettent pas de regarder vers l’intérieur. C’est ainsi qu’une solution nous apparaît, vous allez sortir avec la bénédiction de vos adversaires… »


Alshaïn et Trédayn avaient sourit à cette dernière remarque. L’un et l’autre s’étaient parfaitement compris. Seules les faiblesses de ses ennemis pourraient aujourd’hui lui permettre de vivre. Que ce soit le ‘souverain’ Vérasyn ou ses mécènes varyniens, quelques soient les fonds qu’ils pourraient engager, les richesses commerciales ne cesseraient pas de circuler, bien au contraire, jusqu’à ce qu’un commandant mercenaire ne l’interdise. Se cacher ou s’infiltrer au sein d’une de ces caravanes était désormais le seul moyen de sortir de l’enceinte de Valorn… avec la bénédiction de leurs adversaires ainsi que le soulignait si ironiquement Alshaïn. Et Trédayn ne doutait point que le plan d’évasion avait été pensé et prévu depuis longtemps déjà.
Il avait une dernière et douloureuse question à poser. Il voulait savoir si comme il le craignait, bien des membres de sa maisonnée avait été achetés ou mis sous pressions afin de réaliser ce complot… et la réponse fut malheureusement positive. Néanmoins, Alshaïn tenta de réconforter le jeune souverain déchu en lui signifiant que d’après ses sources, les serviteurs de tous rangs avaient été majoritairement mis sous pressions, leurs familles capturées et leurs secrets en passe d’être révélés. Mais cela ne lui apporta que peu de réconfort.

Le plan d’évasion allait être mis en œuvre dès la fin d’après midi. Durant le temps qui séparait Trédayn de son évasion, Alshaïn s’entretint avec lui sur les détails de son avenir. Il devrait se mêler aux absaloniens afin d’échapper aux regards scrutateurs des agents des tous bords. Trédayn avait déjà vécu dans la peau d’un absalonien lambda par jeu. Aujourd’hui il devrait répéter ce même jeu, à la différence que les enjeux avaient changé. Et le masque de l’insouciance allait être plus difficile à arborer. Il ne devrait pas se réfugier directement sur les terres des Arkensyrs, ni sur celles des Félanyns leurs alliés. Ces endroits semblaient logiques et sécurisants pour un fugitif et seraient étroitement surveillés. Bien des gens parmi la population pourraient être des alliés de choix, mais parmi eux se cacheront certainement des traîtres qui rendait périlleuse toute démarche. Le secret devrait absolument être conservé. C’est ainsi qu’il était illusoire de vouloir faire figure locale en restant le plus longtemps possible au même endroit. Mieux valait ne pas s’attarder trop au sein d’un village. En Absalon, les voyageurs étaient chose courante et Trédayn ne serait pas plus suspect qu’aucun autre voyageur. Enfin, les contacts avec la Salamandre devaient être réduit au minimum. Non seulement elle devrait lutter pour s’en sortir mais les membres que connaissait Trédayn seraient sûrement surveillés. Non, pour un temps il faudrait faire fi de tout ce qu’il savait, mettre de côté son passé et entrer dans la peau d’homme qui n’était pas souverain d’Absalon. Mais il faudrait penser, il faudrait construire, il faudrait savoir guetter le moment. Et lorsque les forces convergeraient, lorsque l’occasion se présenterait, il faudrait frapper un coup un seul et reprendre la place qui lui était échue. Il n’y avait plus à présent qu’à se dire au revoir. Alshaïn n’avait plus qu’à octroyer ses derniers conseils.

« Prend cela comme un jeu, mais n’en oublie jamais les enjeux. Prend la peau de qui tu souhaites, mais n’oublie jamais qui tu es. Trouve la paix, trouve tes racines, trouve la source de ta détermination au fond de ton esprit, mais n’oublie jamais tes devoirs. Va à présent, sois le pire adversaire qu’ils puissent imaginer, tout rentrera dans l’ordre un jour… »

Trédayn fut conduit à la surface, dans une masure qui semblait abandonnée vue de l’extérieur. En son sein, des coffres dissimulés dans les parois creuses renfermaient toutes sortes de vêtements, d’armes et d’objets de toutes sortes. Il était temps pour Trédayn de choisir l’identité qui serait sienne désormais. Il pensa tout d’abord à toutes les choses les plus humbles et les plus discrètes mais ses adversaires n’attendaient que cela. Personne ne s’attendrait véritablement à ce qu’il prenne l’identité d’un marchand mais la Guilde du Commerce ferait rapidement la part du bon grain et de l’ivraie. Et tôt ou tard au sein de l’ivraie ils le trouverait, facilement qui plus est. Puis Trédayn sourit. La dernière identité que ses adversaires s’attendraient à le voir prendre était exactement celle qui lui procurerait le plus de plaisir, celle qu’il avait déjà pris autrefois. De plus, certaines personnes connaissaient déjà Selmonn le ménestrel et toutes les personnes qui savaient qui était véritablement Selmonn étaient mortes aujourd’hui. Seul Alshaïn savait qu’il avait été ménestrel autrefois. Et il serait mort avant d’avoir révélé quoique ce soit à l’ennemi. La décision n’était désormais plus à prendre, Trédayn était mort hier matin et Selmonn allait renaître.

Alors qu’un chariot lourdement chargé approchait cahin-caha sur les pavés, les agents à ses côtés lui intimèrent de garder le silence. L’une d’entre eux ne portait pas les vêtements qui permettaient aux autres de conserver leur anonymat. Les cris de deux adolescents qui jouaient résonnaient dans la rue, de plus en plus proches. Trédayn ne voyait rien de la scène et tenta de l’imaginer à partir des bruits qui parvenaient jusqu’à lui. Les bruits qu’il recherchait étaient nets et il n’eut aucun mal à exécuter cet exercice. Les deux adolescents chahutaient sur la chaussée. Le premier conducteur de l’énorme chariot tiré par six bœufs les héla afin qu’ils libèrent le passage. Mais les adolescents chamailleurs se disputèrent. L’un d’eux tomba à terre et se blessa la jambe. Le convoi s’arrêta et le conducteur grommela. Alors que les gardes du convoi se dirigeaient vers les deux adolescents, la femme à côté de Trédayn sortit en trombe pour aller récupérer ‘ses enfants’. Elle s’excusa auprès des gardes et vint soutenir l’adolescent blessé avec difficulté. Elle gronda le second adolescent avec un peu trop de hargne et celui ci disparu en courant et en pleurant. Pendant ce temps, les agents firent signe à Trédayn de les suivre. Prestement, ils quittèrent la masure et, trompant la vigilance des gardes affairés à l’avant, firent pénétrer Trédayn au sein des étoffes de soie déjà bousculées et dépliées par de précédents incidents. Un garde vint aider la ‘mère’ de l’adolescent blessé mais fut rapidement et furieusement rappelé à l’ordre par son supérieur. Les gardes retournèrent à leur poste et le convoi poursuivit sa route en cahotant sur la voie abîmée.

Alors qu’il devait s’enjoindre au calme lors d’un trajet semblant durer une éternité, Trédayn sentit que le convoi ralentissait. Les sons qui l’entouraient lui laissaient penser qu’ils étaient sur le point de franchir la Porte des Marchands au Nord-ouest de Valorn. L’un des gardes aux portes observa le sauf conduit et jeta négligemment un coup d’œil à la cargaison. Ce n’était pas un garde royal comme à l’accoutumée mais un membre d’une quelconque milice privée. Puis le convoi se remit en branle et sortit de Valorn. La route menait vers d’autres horizons, une autre contrée. Mais Trédayn n’irait pas jusque là, son pays avait besoin de lui et il ne pouvait quitter sa terre. Ceux qui avaient affrété le convoi n’avaient pas lésiné sur le nombre de gardes et Trédayn savait que ses chances de pouvoir quitter le convoi la nuit sans être remarqué étaient mince. Certes, les gardes ne pouvaient voir rien qu’une ombre mais le lien serait aisé à faire avec quelqu’un enfui de Valorn. Cet incident ferait connaître bien trop vite sa position aux oreilles des gens qu’il fuyait. Il allait attendre d’arriver dans une bourgade d’une taille respectable où l’animation lui donnerait les clés de sa fuite. Il fallu attendre deux jours avant que l’occasion ne se présente. Le convoi qui n’avait pris que bien peu de repos arriva dans le village d’Eldarf. Les récents événements avaient échauffé les sangs des habitants de ce village et cette position de conflit gagna rapidement son apogée lorsqu’un incendie se déclara. La panique gagna les cœurs encore hébétés de la rage qui les avait occupé. Cette occasion était à saisir et Trédayn quitta son refuge sans que personne ne puisse en prendre conscience. C’est véritablement à ce moment qu’il rompit toute connexion avec le souverain légitime d’Absalon. Il se dirigea alors rapidement vers le nord-ouest en direction de la Varynie. Une direction risquée ? Pas tant que ça. Ce n’était point aux alentours des frontières varyniennes que le chercheraient ses ennemis. Il avait avant toute chose besoin de se rendre à la ville de Gurvyn pour que s’opère une renaissance.
Dernière édition par nemesis le 12 Oct 2005, 06:10, édité 1 fois.
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Message par nemesis » 12 Oct 2005, 05:38

La renaissance de Selmonn

Velryn astiquait ses verres en soupirant. Certes il avait beaucoup de clients, ce qui allait se traduire par de substantiels revenus. Mais la majeure partie ses clients, aujourd’hui, lui faisaient l’effet de vautours se repaissant de tragiques nouvelles. Un coup d’état venait de se produire. Le souverain légitime n’était plus selon les sources officielles ou serait bientôt exécuté le cas échéant. Et les rapaces, que le royaume et le souverain avait maintenu à distance, avaient reçu la permission de plonger sur les restes brisés du royaume. Alors que les poches de résistance affrontaient des mercenaires, dans l’ombre le peuple murmurait. Certains avaient murmuré trop fort et n’étaient plus aujourd’hui. Mais bien des autres serraient les dents et laissaient faire. Quelle triste époque. Velryn regarda en soupirant les marchands varyniens qui riaient aux éclats de l’infortune d’Absalon et de leur fortune propre qui allait s’ensuivre. Ces derniers commandèrent à nouveau des bières que Velryn servit lui même, sans broncher et de manière sèche. Cela lui valut des regards noirs et méprisants. Toutefois, ce mépris lui rendait quelque peu sa fierté et il dut réprimer un sourire. Un sourire que ne purent réprimer certains autres clients. Ce regain d’espoir faisait du bien, mais ne changerait rien à la situation actuelle. La Varynie allait dévorer Absalon, et, si près de la frontière, il aurait fallu être aveugle pour ne pas le voir. Quelle triste époque…

Un autre client entra dans l’auberge ‘Au Repos du Voyageur’. Ce dernier respira profondément l’air ambiant et soupira alors qu’affluaient les souvenirs. Certains habitués reconnurent rapidement le nouveau venu. Même si l’individu n’avait pas mis les pieds à Gurvyn depuis des années, il avait laissé sa marque dans les esprits et serait certainement toujours bien reçu ici. Presque tous sourirent en reconnaissant un ménestrel. Ces derniers étaient habituellement bien accueillis partout en Absalon mais les temps troublés avaient quelque peu restreint la chaleur de cet accueil partout dans le pays. L’individu adressa en souriant une révérence très appuyée à l’assemblée et se dirigea vers le comptoir. Il fit un signe de tête et Velryn lui servit un olymern. Le breuvage n’était pas inhabituel pour un ménestrel, seulement peu commun. Il ne contenait qu’assez peu d’alcool mais les extraits d’olys qu’il contenait principalement donnait au breuvage sa douceur et son effet apaisant… ainsi qu’un prix assez élevé. Il n’était prisé que par les ménestrels ayant un peu le trac et les personnes quelque peu tourmentées qui recherchaient la paix que l’olymern apportait. Les marchands varyniens avaient placé le visiteur dans la première catégorie, Velryn, intuitivement, le plaçait dans la seconde. Le ménestrel déposa une poignée de zéryns sur le comptoir et échangea quelques mots avec Velryn.

« - Je suis heureux de pouvoir à nouveau revoir Gurvyn…
- Et Gurvyn salue ton retour en ces lieux. Par la Flamme, où étais tu passé ces dernières années ?
- J’étais… J’ai perdu un proche et des affaires m’ont ensuite tenu éloigné de vous. J’ai enfin pu revenir et je ne sais combien de temps je pourrais rester. La vie d’un ménestrel est au travers des routes et des chemins.
- Bien, laisse moi au moins t’offrir le gîte pour le temps que tu passeras en notre compagnie. Et pour le couvert, auras tu besoin de pain frais ?
- Non merci, ne te dérange pas, ton pain me suffira amplement. Il devra me suffire.
- Si c’est ce que tu souhaites… N’hésite pas à utiliser la scène. Certains clients se souviendront avec nostalgie de tes ballades. »


Selmonn le ménestrel sourit aux paroles de Velryn. Leur dialogue semblait anodin mais Velryn savait parfaitement qui était réellement le boulanger de Gurvyn et Selmonn partageait cette connaissance. Mais Selmonn devrait se passer de la Salamandre pour régler ses problèmes et il avait décidé de n’en impliquer le moins possible les membres. Avant de s’en aller prendre du repos dans sa chambre, Selmonn prit d’assaut l’estrade pour déclamer quelques vers. Un poème dont le thème respirait la mélancolie. Un poème dont les références firent sourires les clients qui prièrent pour que les varyniens n’en saisissent pas tout le sens. C’était un poème qui ne cachait en rien la déchéance d’Absalon mais qui laissait entrevoir une aurore flamboyante dans le lointain. Un coup de folie ? Peut être… Mais pas tant que ça. Les risques qu’il allait prendre étaient bels et bien calculés. Il prit une profonde inspiration, concentra la Flamme en lui et la libéra au travers de ses mots qui prirent une force inégalée sur la vague de son inspiration.

« Jamais, jamais plus un jour ne se passe,
Sans que l'un des nôtres ne trépasse.
Comment en est on arrivé ainsi?
Quand nous ont elles dévoré les souris.

Jamais, jamais plus la Flamme sacrée,
Notre pays ne vient illuminer.
Comment a-t-elle bien pu disparaître?
Quand a-t-elle été rongée par les traîtres?

Jamais, jamais plus les gens ne sourient,
Car ils contemplent l'étendue du drame.
Quand les fourmis nourrissent les souris,
Et se servent grassement dans nos âmes.

Mais toujours, toujours veille le gardien,
Lui qui n'a encore décidé de rien.
Et les braises ardentes au fond de nos coeurs,
S'embraseront à la moindre lueur.

Aucune nuit ne dure éternellement.
Déjà nous pouvons voir percer l'aurore.
Et nous triompherons finalement,
Tant que dans nos coeurs, brûle ce trésor... »


Un instant, Selmonn craignit d’avoir été trop loin. Les cœurs avaient été conquis et la Flamme se propageait. Cependant, les marchands avaient sans nul doute saisit le caractère désormais illégal de ces vers. Sous peu, une semaine au plus, ses adversaires seraient au courant et viendraient arrêter un ménestrel renégat. Néanmoins, ils ne chercheraient qu’un ménestrel parmi tant d’autres, rien de plus. Cependant, il ne doutait pas que ses quelques vers feraient le tour des murmures et des rumeurs d’Absalon. Cela aurait pour double effet de brouiller sa propre piste et de propager l’espoir et la révolte dans le cœur du peuple. La renaissance était désormais achevée. Selmonn avait en ce jour plus de substance que le souverain déchu d’Absalon. Il jeta un dernier regard à l’assemblée avant d’aller prendre du repos dans sa chambre.

Pouvoir se reposer confortablement et sans crainte lui fit plus de bien qu’il ne s’y attendait. A son réveil, il pensa à son futur. Ce qu’il avait dit à Velryn devenait on ne peut plus véridique. Il ne pourrait rester bien longtemps à Gurvyn. Entre le chaos et la confusion qui régnait à la capitale et les ressources qui étaient employées pour trouver dans quel trou se terrait logiquement le souverain d’Absalon, Selmonn savait que deux semaines se passeraient avant de voir débarquer ceux qui viendrait arrêter un ménestrel selon le rapport des marchands. Alors, il aurait déjà quitté Gurvyn et sans même un nom, il souhaitait bien du courage à la poignée d’agents chargés de suivre sa piste et celle de tant d’autres de ses confrères.

Il songea ensuite à sa renaissance et s’aperçut que, c’était uniquement depuis que sa renaissance fut complète, qu’il était remis du choc des derniers événements. C’est ainsi que ses moyens lui étaient revenus. Mais il réalisa que le plus grand changement venait de son rapport à la Flamme. En effet, il pouvait désormais à nouveau en ressentir son flux et accueilli avec délice cette sensation. Selmonn savait que sur Sandorfell, la maîtrise de la Flamme donnait souvent un indicateur de la puissance d’un adversaire. Ceux qui avaient fomenté le coup d’état avait dû prévoir ce point. Cependant, cette donnée nouvelle embrouillait la vision claire qu’il avait auparavant et remettait en question ses théories. En effet, il ne doutait plus que l’on avait orchestré les événements afin de le priver de ce lien pour l’abattre. Mais la Varynie ayant officiellement qualifiée la Flamme d’hérésie, cela donnait peu de crédit à la thèse qui la déclarait comme cerveau de l’opération. Il y réfléchit un moment, sans succès, et se résolut à ne pas se laisser tracasser par cela pour le moment. Néanmoins, il prit la résolution de ne jamais plus perdre ce contact avec la Flamme.

Selmonn ne redescendit que bien tard dans l’après midi. La salle commençait déjà à se remplir mais, comme il s’y était attendu, les marchands varyniens étaient déjà repartis. Plus étrange cependant, les rires emplissaient la pièce. Un sourire s’affichait sur le visage de Velryn devant ce fait si simple et pourtant devenu si rare. Profitant de la bonne ambiance qui régnait dans la salle, Selmonn regagna une fois de plus l’estrade. Cette fois ci, il sortit une lyre afin d’interpréter une ballade bien plus classique que sa prestation de la veille. Elle était intitulée « Trois rois n’en étaient pas » et contait la gloire passée. Tous connaissaient ou reconnurent les trois rois qui n’en étaient pas. Un noble Arkensyr, une Sage de la Mangrove et un porte parole des clans du centre unis pour repousser une menace extrême. Rappeler ainsi la gloire du passé ne pouvait que suggérer que même l’impossible pouvait devenir possible. Des applaudissements chaleureux récompensèrent sa prestation.

Il se joignit, à leur demande, aux gens attablés et choisit une table en particulier. Le choix s’était soigneusement porté sur des voyageurs. Ils semblaient regorger de la fierté absalonienne mais semblaient véritablement malins néanmoins. La discussion commença sur des platitudes mais, bien vite, une certaine confiance s’installa et le talent de Selmonn délia quelque peu les langues. A les entendre, ces forestiers et éclaireurs avaient tous quittés le service royal lorsque l’infamie avait été perpétrée. C’était peut être vrai, Absalon n’avait pas d’armée mais ses éclaireurs étaient une force avec laquelle il fallait compter. Qu’une armée tente de pénétrer dans une région boisée comme Absalon et chaque mètre de terrain gagné coûterait beaucoup de sang. Mais leurs qualifications semblaient dépasser le simple terme de « forestier » et certains d’entre eux avaient du commettre quelques exactions mineures. Ils auraient eu des raisons de se réjouir car le changement de régime effaçait virtuellement leurs éventuels méfaits. Pourtant, et bien que le contraire eut été plus sûr ces derniers temps, ils refusaient ouvertement de servir le gouvernement d’un usurpateur.

Ces quatre curieux personnages comprenaient tout d’abord Droln. Son aspect était plus sérieux que celui de ses camarades. Il prenait peu souvent la parole mais ses rares paroles avaient plus de pertinence que toutes celles de ses compagnons. Ses gestes étaient sûrs et calculés et sa voix avait un ton dans lequel perçait l’habitude de donner des ordres. Il avait très certainement été un officier éclaireur. Et au vu des regards entendus qu’il échangeait avec Arlne, ce dernier devait être le sous officier qui l’avait suivi. Toutefois, le lien qui les liait avec leurs deux autres compagnons tenait du mystère pour Selmonn. Lyann lui posait un problème de jugement. Elle pouvait aussi bien avoir été danseuse que cambrioleuse, aussi bien courtisane que trancheuse de gorges. Sous ses sourires désarmants était dissimulé un masque de glace derrière lequel rien ne transparaissait. Elle avait remarqué la perplexité de Selmonn et s’en amusait en jouant avec ses nerfs. Quant au très jeune Ternys, ce dernier semblait très enthousiasmé par Selmonn mais n’avait pas le profil d’un forestier. En dépit de sa grande taille, il devait être en réalité suffisamment jeune pour ne pas avoir de fonction réellement déterminée. Selmonn essaya de s’arracher à son analyse. Il pourrait peut être en apprendre plus par la suite mais, à présent, il risquait d’importuner ses compagnons de table. Son instinct suffirait… pour l’instant.

Ils portèrent un toast aux Arkensyrs. Ce fut un toast un peu trop bruyant au goût de Selmonn, mais, néanmoins, il commença à apprécier ces joyeux drilles. Droln vint à s’enquérir auprès de Selmonn sur un certain poème, prononcé par un ménestrel ici même, que les rumeurs colportait déjà à Gurvyn. Selmonn jeta un rapide regard à Velryn qui aidait au service dans ces moments d’affluences. Ce dernier hocha la tête de manière éloquente. Quelque peu rassuré, Selmonn répondit plus franchement à Droln. Il lui raconta les conditions dans lesquelles cela s’était produit et tous autour de la table le prononcèrent ensemble à voix basse. Selmonn savait que son arme se propagerait. Mais il ne pensait certainement pas que cela se ferait aussi vite et aussi bien. Il ajouta :

« - Un jour les Arkensyrs reprendront le pouvoir et les responsabilités qui leur échoient.
- Il le faut, il le faut, répondit Droln
- Je suis convaincu que le souverain légitime retrouvera sa place pour guérir son peuple des maux dont on l’accablera.
- Bien entendu, notre souverain est en vie et œuvre pour nous, même si ce Vérasyn affirme le contraire. Et comme le dit ta composition, le peuple s’embrasera quand viendra la lueur…
- On voit tout de même que c’est un homme qui était à la tête de ce royaume, ajouta Lyann, une femme n’est pas assez tête en l’air pour se laisser voler son trône. »


Les compagnons à cette table rirent de bon cœur à la boutade de Lyann. Elle l’avait toutefois prononcé avec tant de sérieux que Selmonn se demanda tout de même si elle ne le pensait pas. Puis il se demanda si une femme n’aurait pas en effet mieux veillé sur son trône…

La soirée se poursuivit dans une ambiance qui s’améliorait de minute en minute. Les quatre compères et Selmonn se lièrent rapidement. Droln proposa donc au ménestrel qui devait bientôt quitter Gurvyn de les accompagner. Selmonn su intuitivement qu’il ferait un bon bout de chemin avec ces quatre là. Et, si c’était encore là un moyen de camouflage, Selmonn sentit au travers de la Flamme que de véritables liens se tissaient. Comme les festivités battaient leur plein et que la boisson coulait à flot au milieu des rires, Selmonn pria le Gardien pour qu’aucun ennemi ne s’en prenne à lui au petit matin. Et au petit matin, il pria d’éventuels ennemis hypothétiques de l’achever promptement afin de stopper ce mal de crâne. Il s’était demandé pourquoi il buvait si souvent avec beaucoup de modération et encaissait maintenant la réponse avec douleur. Selmonn remercia mentalement ses nouveaux compagnons de ne repartir que le lendemain matin, il aurait été bien en peine de les suivre dans cet état.
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Message par nemesis » 12 Oct 2005, 05:42

Un nouveau départ

La troupe se rassembla le lendemain au petit matin. Le soleil illuminait étonnement cette nouvelle journée. Ou peut être que les cieux qui s’ouvraient à eux devenaient plus bleus. Sa situation restait la même mais l’espoir avait repris sa place dans le cœur de Selmonn. Après bien des jours dans l’ombre pour échapper à l’œil de la Varynie, le départ fut une petite révolution dans ses habitudes récentes. L’aube était levée depuis peu mais déjà retentissaient les rires alors que les derniers préparatifs s’organisaient. Il était bon de voir qu’aussi sombres soient les événements, quelque soit la menace, beaucoup d’absaloniens se raccrocheraient toujours à leur joie de vivre comme à l’égide devant le glaive.

Le ventre remplis et les affaires rangées, les compagnons se regroupèrent dehors pour reprendre leur marche. Eux même n’ayant pas décidé d’une destination, la discussion s’engagea sur ce thème. Selmonn sourit devant cette complète désorganisation. Encore un trait de caractère absalonien que certains méprisaient mais qui restait néanmoins gravé avec chaleur dans son cœur. Il pensa à ses adversaires qui devaient se torturer l’esprit à tenter de retrouver sa trace et de prévoir les coups qu’il allait jouer et ne put réprimer un gloussement qui fit sourire l’ensemble des compagnons. Qu’il semblait ardu de prévoir des réactions dont lui même ne savait rien et ne prenait aucune part. Il s’arracha à ses pensées et essaya de suivre à nouveau la conversation. Cette dernière était monopolisée sans espoir de libération par Lyann qui se riait de la volonté de Droln de piquer vers le sud en arguant que l’on avait bien le temps de passer dans des terres un minimum civilisées avant de s’exiler au beau milieu du royaume des écureuils. Droln soupira, se massa la tempe gauche et finit par hausser les épaules. Il semblait d’ors et déjà savoir que c’était là une bataille qu’il ne pourrait gagner et rendit les armes en obtenant habilement la promesse que ce détour serait des plus courts.

Ils partirent donc vers l’est, en direction des terres Félanyns et des plus proches grandes villes. Cela inquiéta Selmonn. Si certains nobles prêtaient moins d’attention aux ménestrels qu’aux divertissements qu’ils procuraient, les Félanyns avaient un caractère sauvage et imprévisible. Et si Selmonn semblait penser qu’il y avait plus de chances d’être trahi par un membre de sa propre famille que par un membre de la famille Félanyn, il ne pouvait prévoir leur réaction en un tel cas. Et même avec le soutien de toute cette valeureuse famille, il ne pourrait changer les choses en se découvrant aujourd’hui. La seule chose certaine était que le sang coulerait, que le sang coulerait à flot. Le sang des innocents avait déjà été versé de trop nombreuses fois pour permettre qu’il ne coule en vain. Toutefois, il orienta habilement les désirs de Lyann vers quelques échoppes proposant de fabuleux produits. Il eu le droit à une moue sceptique de Droln mais, si Lyann avait remarqué la supercherie, elle ne le fit point savoir. Tous savaient que le spectacle flamboyant qu’avait procuré Selmonn était une arme puissante mais à double tranchant cependant… Pour Selmonn et ceux qui l’accompagnaient.

Au cours du trajet, Selmonn appris que la petite bande se surnommait pompeusement la « Compagnie du Renard » et il composa de petits air rendant de taquins hommages à la petite troupe. L’inspiration coulait dans ses veines et les mots naquirent en dansant sur ces flots. L’un d’eux concerna tout spécialement Lyann dont il essayait de cerner en vain le caractère. Ses efforts furent récompensés par des moues contrariées, espiègles et amusées… Tant de secrets et pourtant tant d’amitié entre les membres de cette fort petite compagnie. Cela fascina Selmonn bien qu’il se douta fort que ces liens cachaient de profondes blessures.

Le voyage jusqu’à Lomyr ne dura que trois jours. Mais il n’en fallu que deux pour que surviennent les complications. Les gens tirant les ficelles du pouvoir avaient certaines priorités qui ne convenaient que fort peu avec la prospérité du pays. Les choses partaient à vau-l’eau et faisaient le bonheur de gens assez peu recommandables. Une flèche atterrit brusquement sur le chemin. Les rires suivirent bien vite et une silhouette fit son apparition au milieu du chemin.

« - Salutations mes seigneurs, oserais-je vous demander l’aumône pour une armée de pauvres ? Vous aurez notre bénédiction et une vie rallongée d’autant plus…
- Je donne volontiers l’aumône, répondit Droln, mais jamais ne serait-ce qu’une seule piécette sous la menace.
- C’est très indélicat et très dangereux de votre part, dit l’homme au milieu du chemin, votre cruauté pourrait choquer mes fébriles compagnons qui pourraient par inadvertance lâcher ces cordes si durement tendues. »


Un moment de tension régna sur le chemin durant lesquels les compagnons calculèrent rapidement les possibilités qui s’offraient à eux. Tous étaient derrière Droln, meneur de la Compagnie du Renard, mais leurs chances en cas d’affrontement étaient plutôt minces. Selmonn sentait sa Flamme rugir dans ses veines et se concentra pour la canaliser et la contrôler, son attention fut un moment focaliser sur sa propre personne avant de relever les yeux sur la scène. Personne ne vint contredire les paroles de Droln, cependant, Selmonn souffla « Que le spectacle commence » et prit la parole.

« - Depuis quand les Ménestrels deviennent ils de riches seigneurs en des temps si sombres ?
- Depuis que les varyniens peuplent de si sombres temps, répliqua le détrousseur.
- Vous courrez donc langue pendue derrière l’or de ces chiens ? Qu’est ce qui vous fait croire qu’il emplit nos bourses ?
- Or varynien ou autre ne fait aucune différence à nos yeux et quel que soit celui qui emplit ta bourse, nous t’en délesterons avec joie, répondit le détrousseur.
- Ah ? Cette bourse ? Demanda Selmonn en la décrochant sous les yeux avides des bandits.
- En effet, celle ci et les autres.
- Et bien, tenez donc en ce cas ! »


Selmonn abaissa le haut de son corps et bougea les lèvres dans l’illusion d’un murmure. « Puisse le Gardien me venir en aide, puisse la Flamme me dissimuler ». Il lança sa bourse en direction du détrousseur en lui faisant parcourir une large courbe. Sous le geste incongru et vif qui font les talents du prestidigitateur, les regards passèrent un moment sur la bourse avant de retourner sur… du vide. Selmonn n’était plus là. La perplexité qui se propagea fut le signe annonciateur d’une panique d’une semblable envergure. L’homme au milieu du chemin s’exclama les yeux exorbités.

« - Mais ! Ou est… »
L’acier froid s’enfonça d’un demi centimètre entre son menton et sa pomme d’Adam lorsqu’un corps se plaqua contre le sien et qu’une voix lui répondit.
« - Mais ici bien sûr.
- Mais ! Comment ?
- Mauvaise question. Et ne te demande plus combien d’or contient cette bourse, demande toi plutôt à combien de ces pièces estimes-tu ta vie. Car elle ne semble plus tenir qu’à un fil des plus minces.
- Que…
- tss tss… Demande à tes hommes de jeter leurs armes sur le chemin et de sortir ou tu n’auras plus d’ordres à leur donner.
- Faites ce qu’il dit, beugla le détrousseur et ses hommes, hésitants, s’exécutèrent.
- Voilà qui est mieux, peut être n’aurais je pas à goûter de ta molle cervelle aujourd’hui finalement. Dis leur de se coucher, ventre à terre et mains dans le dos. Lorsque mes amis et moi nous serons quelque peu éloignés nous te relâcherons. »


Alors que se pliaient aux ordres les bandits, la troupe se rendit propriétaire des armes. Peu d’entre elles resteraient en leurs mains bien longtemps mais l’essentiel était qu’elle ne reste pas entre les mains des bandits pour un temps. Ils s’éloignèrent prudemment en gardant l’œil sur la situation. Lorsqu’ils se furent suffisamment éloignés, Selmonn glissa quelques mots à l’oreille du détrousseur.

« Si tu aimes tant l’or de ces chiens, veille dorénavant à choisir tes cibles parmi les leurs ou je ne serais pas aussi clément la prochaine fois. »

Le détrousseur n’eut pas le temps de répondre que le pommeau d’une dague frappa sa nuque, le plongeant dans les ténèbres de l’inconscience. La Compagnie du Renard quant à elle s’éloigna rapidement.

Les compagnons reprirent leur route mais regardèrent Selmonn d’un air intrigué. Cette prestation leur avait bien entendu sauvé la mise mais son côté impressionnant avait de quoi soulever des questions. Toutefois les absaloniens vivaient au milieu des concepts de magie et de Flamme et cette crainte fut bien rapidement remplacée par toutes sortes de taquineries. Selmonn sourit et s’en sortit d’une autre pirouette. Les ménestrels étaient des artistes et leurs talents étaient multiples. Ceux qui utilisaient la prestidigitation ne révélaient pas le secret de leurs tours sous peine de voir son côté merveilleux s’évanouir dans un voile de fumée.

La cité de Lomyr se situait à l’écart de la route marchande principale. Toutefois, sa taille et son allure tentaculaire faisait d’elle un avant poste commercial de choix pour ceux qui voulaient commercer sur les terres des Félanyns. La troupe arriva en vue des faubourgs de Lomyr dans le début de soirée du troisième jour. Celle ci n’avait étonnamment pas changée et restait telle que Selmonn la conservait dans sa mémoire. Si la tension qui régnait dans le pays se sentait même ici, les rires sur ces terres sauvages semblaient résonner de façon plus franche que dans le reste du pays. Les terres félanyns avaient toujours été les plus sauvages de toutes. Presque à l’écart de la vie du royaume, les félanyns défendaient farouchement leur mode de vie d’un autre temps et en eux résidait une Flamme primitive et ardente. Après la tour du Gardien, les terres félanyns seraient certainement les dernières à tomber sous la coupe de l’usurpateur et de ses puissants alliés.

Selmonn huma profondément cet air immaculé qui ne semblait pas avoir été altéré par les récents événements. Les marchands varyniens étaient présents, comme partout où les possibilités de gains existaient, mais leur arrogance se faisaient moins sentir… pour le moment. Beaucoup de ménestrels semblaient encore prendre en ces lieux un bref moment de répit. L’influence du trône n’avait pas encore atteint ces terres, pas plus que les légions de mercenaires s’écoulant en flot continu, compagnies après compagnies, sur le royaume. Mais tous savaient que cette halte n’était que provisoire. Nul n’empêcherait désormais la main de la Varynie de s’étendre jusque ici. Pas même les poches de résistance qui s’étaient formées et luttaient de ci de là sous le couvert des bois. Quelques unes se rassemblaient hors des frontières vers Kerahn ou Oflolyn. Ces derniers avaient coupé leurs relations politiques avec Absalon après l’annonce du coup d’état. L’Alliance était brisée pour la première fois depuis si longtemps. La première fois depuis l’avènement de la famille Arkensyr sur le trône d’Absalon. Trédayn avait donc été le premier souverain à échouer dans leur tâche sacrée. Les poings de Selmonn se serrèrent à cette pensée et Lyann lui adressa un regard interrogateur. Il s’esquiva alors en secouant la tête et en souriant.

Ils apprirent également le nom du nouveau souverain qui avait été couronné roi une semaine après l’Aube Sanglante qui avait vu périr tant d’hommes et femmes de valeur, tant des siens. Olryk Vérasyn avait reçu le titre de roi d’Absalon. Selmonn ne put réprimer un rictus. Olryk était un jeune loup carnassier qui lui avait toujours fait l’effet d’un roquet. Mais il faut croire qu’il était là l’instrument rêvé pour les Varyniens. Cependant Olryk avait été « nommé » roi par l’argent et le sang, jamais il n’avait été sacré roi par le peuple ou le Gardien. Lyann porta à nouveau son regard sur lui et, alors qu’il tentait à nouveau d’esquiver ses interrogations, elle lui rappela ses promesses sur les parures de nacre qu’ils pouvaient trouver à Lomyr. Quelque peu soulagé, Selmonn prévint ses compagnons et accompagna Lyann au travers des méandres de la ville pour atteindre des boutiques qu’il savait emplies de trésors rares.

Lorsque ils entrèrent dans la boutique d’Ylmath, Lyann s’extasia tant à la vue des merveilles qui peuplaient les étagères qu’elle oublia de demander comment de si belles choses pouvaient se trouver dans une boutique si reculée. Outre les parures de nacre, toutes sortes d’objets étaient en vente et tous provenaient de l’océan. Ylmath n’était pas absalonien de naissance mais venait d’îles plus au sud, les plus au sud que détenait le monde connu… Les Iles de l’Ours, patrie d’un peuple à jamais lié à l’océan, un repaire de pillards des mers vivant pour la flibuste. Ils n’étaient guère des artisans de renom, mais leur affinité avec l’océan permettait à certain d’entre eux de ramener à la surface des merveilles reposant à jamais dans les abymes. Des peuples y vivaient, il y a une éternité, des peuples qui ne virent jamais l’Ere des Légendes. Lyann laissait son regard passer d’une merveille à une autre sans savoir où laisser s’attarder son regard. Selmonn contempla cette fraîcheur avec un regard attendrit. Il y avait bien longtemps que son devoir avait étouffé cette innocence en lui, mais s’y laisser aujourd’hui entraîner lui redonnait des forces. Lyann le prit à témoin pour s’assurer qu’un bracelet était du plus bel effet sur elle et qu’un bijou formant des arabesques autour de son bras en faisait ressortir toute la délicatesse. Selmonn sourit et lui assura que ces nobles objets parvenaient à grand peine à faire l’éloge de sa beauté. Ylmath ricana mais garda ses commentaires pour lui même. Selmonn laissa son regard s’imprégner de ces splendeurs mais s’arrêta devant une étagère. Il ferma les yeux. La Flamme ici brûlait avec intensité, bien plus qu’elle ne l’aurait due. Il saisit un pendentif finement ouvragé et sentit la Flamme affluer en lui. C’était une sensation étrange mais familière, le souvenir d’une vie passée, d’une vie brisée. Il stoppa net ses macabres pensées et sourit. Le prix du pendentif était rédhibitoire comme celui de tous les objets ici. Mais pour un tel objet, il était loin d’être excessif. Soit Ylmath n’était pas capable d’en percevoir la valeur, soit il réservait cette vente à celui qui serait en mesure de l’apprécier. Connaissant Ylmath, la seconde possibilité lui paraissait probable. Toujours fascinée, Lyann ne s’occupait guère de ce que pouvait faire Selmonn. Ce dernier s’approcha du comptoir et sortit des pièces de sa bourse. Quatre dragons d’or pour le pendentif, quatre autres pour le silence. C’était de quoi nourrir une famille pendant plusieurs années et leur tintement ne manquerait pas d’alerter les oreilles varyniennes. Le silence s’achetait donc aussi cher que l’objet en lui même et Ylmath le savait parfaitement, inutile de lui préciser à quel usage elles étaient destinées.

Selmonn et Lyann sortirent de la boutique pour rejoindre leurs compagnons. Mais il avait une impression désagréable. Les murs semblaient se rapprocher, son souffle était court et un frisson lui parcourut la nuque. Ils étaient observés, il aurait pu le jurer. Il proposa à Lyann tout d’abord de visiter Lomyr et l’entraîna au travers des rues vers les artères principales. Il arriva rapidement à la conclusion qu’il n’y avait qu’une personne qui observait et qu’il n’était pas le seul à l’être. Des yeux cherchaient quelqu’un, mais qui ? Un ménestrel ? Un opposant ? Un rebelle ? Selmonn ? Trédayn ? Les deux à la fois peut être… Cette dernière éventualité le fit frissonner. Sa couverture tombée, ses chances de survie diminueraient d’un coup… et d’un sérieux coup. Mais s’il avait été identifié, pourquoi était il encore en vie ? Selmonn secoua la tête comme riant aux paroles de Lyann et garda son sang froid. Ce qu’il savait devait être ignoré par eux.

Ils retrouvèrent leurs compagnons attablés dans une auberge un peu à l’écart de la grand-place. Selmonn leur fit comprendre que demain serait un bon jour pour quitter l’auberge. Meilleur que le jour d’après et bien meilleur que le suivant. Quitter la ville le lendemain aurait attiré l’attention, mais il fallait disparaître dans la ville quelques jours. Ils allèrent se coucher tôt et Selmonn profita d’un instant de calme pour sortir le pendentif de l’océan.

« Voici un présent qui remportera je pense ton approbation »
Lyann, étonnée, chercha mais ne trouva pour le coup aucune réponse cinglante.
« - Mais…
- Il y avait peu de choses en cette boutique qui étaient dignes de ta beauté, laisse moi t’offrir ce présent. Il me semble que vous avez quelque chose en commun, sa beauté comme la tienne n’est pas qu’apparence mais referme bien plus en son sein, fais moi confiance.
- Tu es à la fois quelqu’un de mystérieux et plein de surprises, dit-elle en le laissant accrocher le pendentif à son cou.
- C’est ce qui fait mon charme inexorable…
- Je te trouve bien sûr de toi.
- Je suis un irrésistible chenapan, selon une femme pleine de sagesse tout du moins.
- Qui donc ?
- Mais ma grand mère pardi ! »
Lyann gloussa avant d’affirmer d’un qui se voulait sérieux :
« - Je percerais néanmoins tes mystères, chenapan…
- C’est la première fois qu’une dame se lasse si vite de mes charmes, affirma Selmonn affublé d’une moue contrariée, mais tu n’es pas au bout de tes surprises, je suis un artiste moi, madame ! »


Selmonn eut droit à un dernier sourire malicieux de Lyann avant de se retrouver promptement hors de sa chambre. Il alla donc se coucher, un sourire aux lèvres. Il se réveilla cependant quelques heures plus tard alors que dans l’auberge les chants n’avaient pas cessé. Il écouta un poème familier, un poème dangereux qui avait pris naissance récemment à Gurvyn, « Jamais plus » ! Un sourire se dessina sur ses lèvres avant qu’il ne se souvienne du lieu où il était, une grande ville, non pas un petit village perdu. Il se leva et se prépara, angoissé par ce qu’il pouvait advenir… et le futur ne le détrompa point.

Des bruits dans les chambres avoisinantes confirmèrent qu’il n’était pas le seul à avoir entendu ces paroles familières. Il commençait juste à descendre pour observer la scène que les sons portés à son ouie changèrent. Le ton commençait à monter de toutes parts. Un coup d’œil à la salle lui suffit pour comprendre l’ensemble de la scène. Des festivités arrosées de beaucoup de vin et d’un soupçon de trahison, il n’en fallait guère davantage pour attirer les troupes varyniennes. Des troupes oui, mais des troupes portant le tabard de la Compagnie du Crépuscule aux couleurs d’Absalon. Ils étaient en eux même un affront pour le pays et il n’en fallait guère plus pour que des gens fiers et passablement avinés se laissent emporter. Et il ne fallait pas d’autres prétextes à ces mercenaires pour se faire justice en épanchant leur soif de sang. L’affrontement semblait inévitable et Selmonn remonta précipitamment. Le sang allait couler et il ne doutait pas de la position avantageuse des mercenaires. Mais il ne pouvait rien faire… pas ici… pas maintenant. Le coeur serré, il faillit renverser Droln qui s’engageait dans le couloir suivit de près par Ternys.

Quelques mots froids et abrupts durent suffire à résumer la situation car déjà des mercenaires s’engageaient dans l’escalier… comme s’ils cherchaient quelque chose ou quelqu’un de précis, laissant le soin à leurs compagnons de s’occuper d’une salle de gens sans grands moyens de défense. Ternys alla chercher Lyann tandis que Droln et Selmonn tentaient de ralentir leurs assaillants. Les portes adjacentes à l’escalier furent brutalement enfoncées, évitant des couteaux habilement projetés dans leur direction. Mais en réponse un tonneau d’eau dévala les marches pour s’écraser sur des mercenaires quelque peu sonnés. Tentant péniblement de se relever, ils essuyèrent quelques tabourets, deux coffres et le tout agrémenté de quelques torches. Lyann et Ternys étaient maintenant sortis de ce traquenard. Les mercenaires ralentis le temps de se ressaisir et d’éteindre les flammes qui semblaient être affamées de tabards varyniens, d’un coup d’œil, Selmonn et Droln décidèrent de sortir chacun par la fenêtre des chambres opposées.

Selmonn atterrit dans une ruelle attenante à l’auberge. Bien malheureusement pour lui, il n’y était pas seul. Deux hommes bloquant la ruelle en avant, deux hommes se rapprochant en arrière. Mais ceux ci n’arboraient pas le tabard des mercenaires, leurs habits étaient communs et leurs couteaux luisaient d’un liquide étrange. « Ménestrel, tu ne survivras pas à ton œuvre ». Les couteaux volèrent, mais leur trajectoire semblait trop dispersée. Connaissant les méthodes varyniennes il savait que cela n’avait pour but que d’entraver ses mouvements. La véritable attaque viendrait de dos et serait fatale. Il s’écarta légèrement de manière à ne pas subir les premiers projectiles, laissa sa Flamme embraser son corps et murmura quelques paroles. Deux couteaux plongèrent légèrement dans sa chair, suffisamment pour faire couler dans ses veine la mortelle substance. La Flamme libérée se concentra dans ses veines et consuma la main de la mort. Il s’écroula sur un genou, mit une main à terre et baissa la tête. Confiants, ses opposants approchèrent pour coup de grâce. Bien mal leur en prit. Lorsque Selmonn bondit pour saisir le poignet du premier et, d’un mouvement rotatif, s’enrouler dans son dos, les os craquèrent et le spadassin hurla. Sa poigne se relâcha instantanément et la fin du mouvement de Selmonn conduisit le couteau dans le dos de l’homme à ses côtés. Les deux autres adversaires reculèrent, méfiants. Selmonn raffermit sa prise et chargea vers ses adversaires. Sa poigne se libéra peu avant la collision pour envoyer un spadassin à terre avec son bouclier humain alors qu’il fonçait vers le second. Il écarta le couteau pointé vers lui d’une torsion du poignet et plongea le sien dans le torse offert devant lui. Le spadassin fit encore quelque pas trébuchants vers l’arrière avant de s’écrouler. Le dernier spadassin, dégagea son couteau du corps de son compagnon au bras brisé et prit alors la fuite. Selmonn en avait assez de tous ces morts mais il ne pouvait laisser un si dangereux adversaire rapporter ce qu’il avait vu. Une lueur aux arabesques bleutées apparue alors qu’il mobilisait sa Flamme une fois de plus. « Puisse le Gardien me venir en aide, puisse la Flamme abattre mes ennemis ». Un trait d’énergie parcouru la ruelle en y répandant sa lumière avant de frapper mortellement l’échine de l’homme fuyant. Ce dernier s’abattit, trop étonné pour pousser le moindre cri. Selmonn ramena son bras, l’incrédulité des varyniens les protégeait… mais pas suffisamment pour quelqu’un de bien entraîné. Selmonn crispa son poing, encore le sang coulait, encore les morts tombaient. Il saisit une fiole sur l’un des spadassins et disparut dans la nuit.

Droln, Ternys et Lyann se trouvaient dans la maison d’une habitante de Lomyr. Ils avaient du fuir précipitamment les lieux et l’exécution de l’auberge s’était étendue à une bagarre de rue. Tiarna avait perdu son mari et son fils aîné dans ce genre de luttes et vouait une haine farouche envers ces envahisseurs. Elle avait recueilli ces voyageurs pourchassés comme un défi aux mercenaires. Ils mangeaient un repas simple autour d’une table sous la chiche lumière d’une bougie posée en son centre. Et elle ne finissait pas de cracher son venin. Les compagnons l’écoutaient d’une oreille distraite. Ils n’avaient pas de nouvelles de Selmonn, il n’était pas réapparu dans la rue comme Droln. Il avait du lui arriver quelque chose. Selmonn n’était pas dans la troupe depuis très longtemps, mais chacun se préoccupait des autres dans ces temps de crise. La nuit semblait interminable et se poursuivit, languissante. La cire fondait lentement devant eux sans qu’ils puissent s’arracher à cette langueur ou trouver le sommeil.

Selmonn était assis dans un coin, la tête entre les genoux et restait pensif. Ses mains étaient froides et des frissons lui parcouraient l’échine. Il se sentait vide. Le peuple versait un lourd tribut de sang. Le sang semblait couler à flot sur la terre de ses ancêtres. La terre dont il avait la charge, le peuple dont il était responsable. Son peuple. Et de par sa main le sang avait coulé encore et encore. Et de par son nom le sang avait coulé. Et de par son verbe le sang encore avait coulé. Selmonn laissa échapper un sanglot, bien vite remplacé par un grincement de dent. Il y avait d’autres responsables, et eux aussi payeraient le prix de leurs actes, ils le payeraient amèrement. Un sentiment de rage remplaça la tristesse mais, bien vite, Selmonn le maîtrisa. Il n’était que trop éprouvé par les événements. La rage le soutiendrait un moment mais elle finirait par le consumer complètement et il ne pouvait pas se le permettre. Il était la dernière chance de son peuple et faillir n’était pas une option envisageable. Le prêtre qui l’avait dissimulé dans la chapelle le regarda d’un regard apaisant. Selmonn sentit l’espoir regagner sa Flamme. Il partit de la chapelle avant les premières lueurs de l’aube et s’enfonça dans les rues.
Au long de mes paupières amères,
S'écoulent des larmes glacées,
Qui dérivent au fil de mes vers,
Vers le ruisseau de mes pensées...

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Message par nemesis » 12 Oct 2005, 05:45

La lutte continue

Les compagnons parvinrent à quitter ensemble Lomyr quelques jours plus tard. La ville s’était embrasée et le message de Selmonn courait dans les rues. Une odeur de rébellion flottait dans l’air et nulle doute qu’elle serait noyée dans le sang. Selmonn ne pouvait rien faire et cela le désolait. Il craignait de ne retrouver que ruines et cadavres la prochaine fois qu’il viendrait en ces lieux. Mais aucun autre choix ne s’offrait à lui. Ils continuèrent leur chemin en plongeant vers le sud-ouest, mettant le plus de distance possible entre Lomyr et eux… entre les mercenaires, les spadassins et eux.

Durant le voyage, aucune question ne fut posée sur ce qui était advenu à Lomyr. Mais l’air était lourd de ces interrogations muettes. Le sang et les cris entachaient encore les esprits et c’est le cœur morne qu’ils poursuivaient leur périple. Droln gardait les yeux fixés sur l’horizon. La mâchoire serrée par la colère, il évaluait la situation pour trouver un chemin sûr. Ternys avait le regard dans le vide et ne semblait avancer que mu par l’inertie de la troupe. Lyann quant à elle semblait réfléchir intensément. De temps à autres elle déposait un regard perçant sur Selmonn qui frissonnait. Il capturait parfois certains de ces regards que Lyann faisait persister un instant avant de détourner les yeux. Un instant durant lequel ses yeux plongeaient dans ceux de Selmonn afin de sonder son âme. Ne dépareillant pas avec le climat ambiant, Selmonn tentait de visualiser le schéma global des événements. Malgré son avance, il avait l’impression que cette avance fondait de jour en jour et qu’une toile mortelle se tissait autour de lui. Quelle ironie si au final il était rattrapé par la Compagnie de l’Araignée… Cette éventualité lui arracha un sourire qui ne manqua pas d’intriguer un peu plus Lyann. Chassant cet interlude de ses pensées, il se remit à penser aux intrigues qui semblaient s’organiser atour de lui. Les yeux de ses ennemis étaient perçants, bien trop perçants. Il fallait trouver une solution pour passer entre les mailles du filet… et vite.

Les non-dits, la méfiance et la suspicion instauraient une tension au sein de la compagnie du renard, une tension menaçant de la faire voler en éclat. Droln était à lui seul le ciment de ce groupe. S’il ne reprenait pas rapidement son rôle, les choses iraient de mal en pire. Il était absalonien et cela se voyait à l’expression de son visage, la sourde colère qui grondait en lui témoignait de sa révolte à voir ses compatriotes écrasés et massacrés. Inconsciemment, et sans savoir pourquoi, il en voulait à Selmonn pour avoir laissé faire. Plusieurs jours plus tard, Selmonn prit Droln à part. Il invoqua l’état mélancolique de Ternys qui, il le savait, inquiétait Droln. En effet, sa Flamme diminuait chaque jour un peu plus et serait bientôt complètement consumée. Mais aucun d’entre eux ne semblait en état de la réanimer… pour les mêmes raisons. Il profita de cette conversation pour parler à Droln de son rôle.

« - Droln, Je sais ce que tu ressens car je le ressens moi aussi. Mais nous n’aurions rien pu faire qui puisse changer le cours de cette nuit, le temps n’était pas venu.
- Et quand ce temps sera-t-il venu ! s’emporta Droln. Quand ! Lorsque tu en auras décidé ainsi ? Lorsque le moindre de nos fils baignera dans son sang ?
- Non, bien entendu, non…
- Nos frères se font massacrer et nous n’aidons pas ceux qui luttent contre cet état de fait… nous les condamnons !
- Ecoute moi Droln, écoute moi ! Aucun de ces petits groupes n’a la moindre chance de vaincre. Leur résistance, au mieux, affaiblit et ralentit notre ennemi. Mais si nous nous soulevons tous, tous en même temps, comme un seul homme, alors la donne changera et nous pourrons vaincre. Mais pour cela nous devons vivre, vivre et répandre nos murmures plus vite que le vent. Mon ami il faut reprendre notre route avec le même sourire qu’auparavant. Si nous ne transportons pas l’espoir en nous même, comment le susciter chez nos frères ? »


Droln ne répondit pas et s’éloigna pour réfléchir. Selmonn sut qu’il avait marqué un point en éloignant son esprit du massacre passé pour l’orienter vers une victoire à venir. Le temps devrait à présent faire le reste. Lyann, adossée à un tronc murmura : « Tu n’es pas celui que tu prétends être. Et tu ne pourra conserver éternellement ton secret » et se détourna pour rejoindre Droln. Selmonn s’assit sur une souche et regarda Lyann s’éloigner en pensant : « Je sais… J’espère juste le conserver suffisamment longtemps. Cela n’aura plus d’importance après… ».

Les quelques mois qui suivirent virent les compagnons sillonner le pays entier. Les quelques grandes villes furent évitées mais il n’y eut que très peu de villages qui ne puissent se targuer de les avoir accueillis. Le climat de la compagnie du renard était redevenu plein de joie. Et plus l’espoir renaissait, plus les tensions semblaient appartenir au passé. D’autres faisaient de même et la légende de Selmonn alla en grandissant. Malheureusement pour eux, il n’y avait pas uniquement des oreilles absaloniennes pour se rendre compte de la menace du murmure qui se répandait partout. Selmonn fut ainsi officiellement recherché et traqué. Ils ne purent dès lors rester plus de deux jours au même endroit de peur d’être rattrapés par les mercenaires… ou pire. Mais quelque soit la forme prise par les répressions, les murmures ne faisaient que croître et croître encore.

En réponse à cette tentative, la Varynie utilisa d’énormes quantités de richesses dont regorgeaient ses coffres pour souiller Absalon. Aussi insignifiantes furent les tâches demandées, ils payèrent toujours grassement. Cela n’enrichit que peu de personnes en définitivement mais ruina tous les autres tant l’argent n’avaient alors plus grande valeur. Ces nouveaux « traîtres » furent alors des cibles de choix pour la colère du peuple. Les Absaloniens déchargeaient leurs rancoeurs et massacrant d’autres Absaloniens, cela allait parfaitement à la Varynie.

Mais la lutte prit définitivement un nouveau visage lors de leur passage dans le village de Harnest. Ce village était situé dans le sud d’Absalon, sur le territoire de la famille des Markenbars. Ces derniers ne conspiraient pas contre la lignée des Arkensyrs. Cependant, leur ressentiment était connu de tous et nul n’ignorait où irait leur allégeance si les Vérasyns prenaient le pouvoir. La répression était donc aussi forte ici que sur le territoire des Vérasyns et la compagnie devait rendre l’espoir aux gens que l’on tentait de soumettre par la force. Heureusement, la Flamme des Absaloniens restait vive même en ces temps de tourments.

Sur la place publique trônait encore les restes d’un bûcher. Selmonn se doutait de l’origine des cendres qui y reposaient. Le Gardien ayant retiré son appui à la lignée des Arkensyrs, ses prêtres n’étaient plus tenus d’interférer dans le conflit. Cependant tous continuaient à venir en aide au peuple. Certains le faisaient avec prudence et discrétion, mais d’autres, dont celui-ci faisait manifestement parti, prenaient une part bien plus active en conséquence de leur révulsion vis-à-vis de ce que le pays subissait. Depuis aussi longtemps que porte la mémoire des hommes, les Varyniens avaient toujours inconsciemment haïs du plus profond de leur être la magie de la Flamme. Officiellement, ils niaient son existence et se riaient ouvertement des « superstitieux barbares ». Le bûcher attendait d’ailleurs tous ceux avançant le contraire. Officieusement, ils détruisaient tout ce qu’ils ne pouvaient nier. Le même sort attendait ceux qui essayaient d’user de magie en leur présence, les « charlatans d’illusionnistes » se faisaient rares en leur contrée et leur carrière était toujours des plus courtes. Cependant, pour le moment, imposer un tel joug aurait unifié le peuple dans la révolte et les Varyniens étaient trop fins pour une telle erreur. Ils laissaient donc tranquille ceux qui ne bronchaient pas trop et réservaient le bûcher à ceux qui trahissaient ouvertement le nouveau souverain. Le prêtre de Harnest avait donc payé son cœur fougueux de sa vie. Selmonn eut une prière pour la Flamme de ce prêtre défunt et soupira.

La matinée était alors bien avancée et l’auberge apparut à point nommé pour y reposer leurs membres fourbus. Leur voyage dangereux ne leur accordait pas toujours des nuits repos et des rythmes réguliers. De plus, tenter de rendre leur Flamme aux habitants dans un tel état de fatigue était trop hasardeux. Au soir, les habitants se rassembleraient dans l’auberge pour une bonne part et il serait alors temps de se dévoiler. Ils entrèrent donc discrètement dans l’auberge pour y demander une chambre. Cependant certaines personnes les saluèrent en reconnaissant tant bien que mal les étrangers malgré les exagérations de la rumeur. Cela rendit nerveux Droln mais ils étaient tous trop fatigués pour y faire quoique ce soit. Le déploiement des garnisons était tel qu’il fallait toujours un minimum de deux jours pour qu’un petit détachement parvienne ici. Quatre si la réponse était plus massive. Droln en dormit que d’une oreille, laissant ses compagnons s’effondrer d’épuisement. Mais leur repos se déroula sans que le moindre incident ne puisse justifier sa méfiance.

Selmonn rêva sans pouvoir se rappeler la nature de ce rêve par la suite. Une voix, une voix l’appelait pour tenter de lui faire parvenir un message. Une voix familière lui arrachant un sentiment de mélancolie. Une voix à la fois inquiète et paisible. Etrange vision, mais tous les rêves ne le sont ils pas un tant soit peu ? Cependant, c’est intrigué qu’il se leva en fin d’après-midi.

Ils descendirent dans la salle principale de l’auberge afin de se préparer à accomplir leur mission au sein de ce village avant de s’en aller vers le suivant. Selmonn salua l’aubergiste qui lui rendit son salut en baissant les yeux. Contrarié, il salua la salle principale qui commençait à se remplir. Son salut lui fut rendu par plusieurs personnes mais il n’était toujours pas satisfait. Quelque chose le contrariait. Les rires. Que les gens puisse rire en ces temps troublés comme ils le faisaient avant que leur souverain ne soit destitué, grand bien leur en fasse. Mais ces rires avaient quelque chose de nerveux, de forcé. Selmonn retourna alors vivement sa tête vers l’aubergiste pour replonger son regard profondément dans ses yeux, jusqu’à y voir sa Flamme. L’aubergiste écarquilla les yeux, se mit à trembler et fondit en larmes.

« Je suis désolé ! Ils torturent ma fille… ma fille ! »

La stupeur n’accapara le temps qu’un court instant. Puis la mort fondit de toutes parts. Droln, sur ces gardes, évita instinctivement la première série de couteaux. Selmonn eût un amer goût de déjà vu, mais cela lui évita d’être surpris par cette manœuvre. Lyann vit avec stupeur plusieurs couteaux atteindre Ternys, avant de voir ces oiseaux de mort se jeter sur elle. Durant l’instant séparant les projectiles de Lyann, un son retentit, un son de conque précédent une explosion invisible emplie des embruns de l’océan. Les oiseux de mort allèrent mourir au sol, comme s’ils avaient traversé plusieurs mètres au fond du grand océan. La lueur bleutée du pendentif de l’océan vint alors s’éteindre aussi vivement qu’elle était apparue. Une pensée traversa l’esprit de Selmonn, ses dragons d’or avaient définitivement été bien investis. Ce dernier fit un point rapide de leur situation. La salle était truffée de spadassins, du sol au plafond. La porte principale était bloquée et les bruits dans les escaliers lui indiquaient que nul espoir n’était à conserver quant à la fuite par les étages. Il s’élança vers une fenêtre mais la vitre fut brisée par une main armée juste avant qu’il ne l’atteigne. Ne brisant pas sa course, il prit son envol pour prendre appui sur le rebord de cette dernière en dégainant ses couteaux. Se propulsant en tournant sur lui-même, il égorgea deux spadassins qui s’étaient lancés à sa poursuite et atterrit brutalement sur une table qu’il renversa dans sa chute. Les lames qui se plantèrent dans la table lui firent considérer ses hématomes avec bénédiction. Saisissant le banc à côté de lui, il appela Droln. Ce dernier fit reculer ses adversaires avant d’aider Selmonn à se servir de son bélier improvisé contre la fenêtre. C’est alors que Ternys hurla. Nul ne sut la raison de ce cri. La douleur de ses blessures, le poison s’instillant rapidement dans ses veines ou encore l’état de fureur dans lequel Selmonn le vit entrer pour la première fois. Il sentit en effet l’énergie intense qui se dégager de Ternys alors que sa Flamme se consumait à vive allure. Surpris par la brutalité de ce revirement, quatre adversaires tombèrent dans l’instant qui suivit, laissant le temps à Selmonn et Droln d’ouvrir une brèche. Droln poussa Lyann dans les bras de Selmonn avant de raffermir sa prise sur son épée.

« - Fuyez, je vais m’occupez de Ternys.
- Mais on ne peut… tenta de répondre Lyann qui avait repris ses esprits.
- FUYEZ ! hurla alors Droln. Les retenir est la seule chance pour que quelques uns d’entre nous s’en sortent, je suis déjà condamné et Ternys aussi. FUYEZ ! »


Sans vraiment réfléchir, Selmonn entraîna vivement Lyann vers la brèche. Ils entendirent le cri de guerre de Droln se mêler à celui de Ternys tandis que tous deux laisser exploser leur rage. Un des deux hommes à terre sous les débris de la fenêtre tenta tout de même d’attraper la jambe de Selmonn. Mais une jambe se rabattant vivement vers le sol lui écrasa le visage du talon et il dut lâcher prise. Selmonn ne dut jamais revoir Droln et Ternys. Mais au son de la fureur du combat et au jugé du faible nombre de spadassins qui se lancèrent à leur poursuite, il eut toujours le réconfort de pouvoir penser que leur mort fut pour le moins épique. Que ces deux hommes aient été réellement ou non au service de la couronne importait peu, comme beaucoup d’absaloniens, ils auraient mérités d’en faire parti et n’avaient pas hésité à sacrifier leur vie pour leurs pairs. Des larmes perlèrent de ses yeux alors qu’il s’enfuyait. Il était sûr qu’il en était de même pour Lyann, comme il était sûr que jamais elle ne l’admettrait.
Au long de mes paupières amères,
S'écoulent des larmes glacées,
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Message par nemesis » 12 Oct 2005, 05:53

Le tombeau des pleurs

Selmonn et Lyann coururent un long moment sans parvenir à fuir leurs poursuivants. Leur seul et unique espoir était la forêt. Non seulement parce que les Absaloniens y étaient plus à l’aise que les Varyniens, mais surtout parce que le terrain dégagé de la plaine ne leur laissait aucune chance, même si la nuit tombait. A l’inverse, une fuite dans une forêt touffue en pleine nuit serait grandement à leur avantage. Mais la course s’éternisait et leur souffle était court. Leur poitrine était en feu et cela faisait un moment que leurs jambes avaient fini de manifester leur mécontentement. Elles menaçaient à présent de céder. Puisant dans leurs ressources et dans la mémoires de leurs compagnons, ils prirent un ultime souffle et s’élancèrent dans la nuit. Ils ne pouvaient être morts en vain, il ne fallaient pas qu’ils le soient ! Se dissimulant soudain dans un buisson, ils s’imposèrent avec force un silence complet. Le Gardien devait veiller sur eux car leurs poursuivants ne purent les retrouver. Au bout d’un moment qui semblait interminable, ils s’affalèrent sur le sol en reprenant bruyamment leur souffle. Ils voulurent se relever mais tombèrent tous deux dans l’inconscience.

Lorsque Selmonn reprit connaissance, le jour ne s’était pas encore levé. Cependant Lyann l’observait avec insistance. Lorsqu’il essaya de se redresser, elle s’adressa à lui avec quelques larmes dans la voix et une colère qu’elle ne parvint pas à dissimuler entièrement.

« - Ils les ont tués ! Droln ! Et Ternys ! Tous les deux ! Ternys a toujours suivi Droln mais il n’aurait jamais fait de mal à quiconque. Quels sont ces monstres qui n’ont pas hésités à le couvrir d’entailles…
- Je sais…
- Et qui es tu ? Toi ! Toi qui peux m’offrir un pendentif doté d’un puissant enchantement ! Toi que tout le monde recherche ! Toi qui est parvenu à rendre espoir aux gens ! Toi autour de qui les gens meurent ou se sacrifient ! Mais qui es tu !
- Je… »


Selmonn sourit quelque peu aux dernières paroles de Lyann. Cette femme était intelligente et avait réuni les bonnes informations. La seule chose qui l’empêchait de découvrir sa véritable identité était elle-même. Soit elle ne voulait pas trouver, soit elle refusait inconsciemment cette éventualité. Ce n’était pas si étonnant. Quelle était la chance d’avoir comme compagnon un souverain qui avait trépassé lors d’un coup d’état ? Selmonn allait répondre quelque chose mais il distingua quelque chose derrière Lyann, ferma sa bouche et leva le bras. Lyann se retourna et ce qu’elle vit lui fit oublier momentanément ses questions.

Un tombeau. Un tombeau ancien datant sûrement de l’Ere des Légende. Datant d’un temps où la Flamme avait une puissance incroyable entre les mains de tout un chacun et durant lequel les plus grandes merveilles ont été réalisées. Ils avaient dormi à côté d’un tombeau ! Tous avaient appris à les craindre, eux et les pouvoirs qu’ils contenaient. Qu’ils soient défensifs, corrupteurs ou tout simplement des maléfices, ces tombeaux étaient un danger bien réel. Aucune personne dotée d’un minimum de bon sens n’irait dormir près de l’un d’eux. Tremblants, ils se levèrent en gardant les yeux sur les ruines d’une construction autrefois magnifique qui s’enfonçait dans les profondeurs de Sandorfell.

Selmonn s’avança vers ce tombeau et Lyann tenta de l’en dissuader. Cependant, il s’approcha inexorablement de cette antique construction. Chassant quelques lichens de la main, il dévoila les symboles d’un langage ancestral. Mai de par son éducation, Selmonn pu déchiffrer quelques symboles : « C’est le Tombeau des Pleurs ». Lyann se moquai à vrai dire du nom du tombeau, le plus urgent était de s’en éloigner rapidement avant qu’un autre événement funeste n’advienne en ce jour. Selmonn restait pourtant inébranlable et la peur commença à l’envahir. Un sentiment impérieux poussait Selmonn à descendre ces marches de pierre, à passer sous l’arche effondrée pour pénétrer dans ce sanctuaire. Ce sentiment était étrange et empli de chaleur. Un rapide examen lui indiqua qu’il ne provenait pas du tombeau. Cette force était pure, si pure. Il sentait que ce n’était pas la première fois qu’il la sentait en lui mais il ne parvenait pas à faire le lien entre ses vies. Paniquée, Lyann courut vers lui et l’enserra dans ses bras pour tenter de le retenir. Doucement Selmonn se retourna et prit Lyann dans ses bras pour lui murmurer d’une voix sereine:

« - Je dois entrer dans ce tombeau.
- Non tu ne le dois pas ! Tu dois vivre et quitter ces lieux ! Droln s’est sacrifié pour que tu puisses vivre, ne déshonore pas sa mémoire en te suicidant maintenant !
- Ce n’est pas tout à fait vrai. Droln s’est sacrifié parce qu’il a vu quelque chose en moi. Il s’est sacrifié pour que je puisse suivre ma destinée. Ceci est la voie de ma destinée. Aussi effrayant que cela puisse être, je dois m’y engager… seul !
- Et tu crois que je vais rester là sans t’empêcher de faire cette bêtise ?
- Ecoutes moi, je ne peux pas t’expliquer maintenant, d’autant que je ne comprends pas encore tout, mais je dois suivre la voie de ma destinée. N’ai craintes, je t’expliquerais tout en ressortant, je te le promets…
- Parce que tu penses réellement que tu vas en ressortir vivant ? Tu n’es donc pas stupide, tu es complètement fou !
- Peut être… Ce que j’ai vécu viendrait à bout de l’esprit de beaucoup et si je ne le suis pas, ce que je rencontrerais dans les entrailles du tombeau finira sûrement le travail. Mais on n’appelle pas les fous : « Ceux qui sont touchés par la Flamme » pour rien. Il y a des choses que je dois voir, des choses que je dois apprendre… et vite. Si je ne le fais pas, tout sera perdu…
- Je ne comprends rien de rien à tes élucubrations.
- Il n’y a rien à comprendre, cela doit être fait. Attends moi une journée, si je ne suis pas revenu lorsque le soleil se lèvera une nouvelle fois, part trouver ta propre voie. Je ne sais pas ce que je vais trouver dans ces profondeurs, mais quelque chose me dit que cela prendra le temps d’un cycle solaire. »


Lyann ne trouva plus rien à répliquer et abdiqua. Elle se retourna et marcha vers le buisson où ils s’étaient reposés tous les deux. Alors que Selmonn s’engouffra dans les ténèbres, elle pleura en silence.

Aucune lueur ne semblait parvenir à percer la tranquillité du tombeau. Mais le calme intense qui régnait en ces lieux faisait peser sur les épaule de Selmonn une sourde terreur. En son sein, on éprouvait instinctivement un respect vis à vis de la puissance symbolisée en ses lieux. Et cela sans réellement réussir à en déterminer l'origine. L'antique puissance de ses aïeuls, sa façon d'y perdurer jusqu'à nos jours dans les ruines d'un autre temps ou ce que renfermait le tombeau en lui même étaient tous trois parmi les possibilités que son esprit faisait surgir à la surface de ses pensées. Si le jour et le temps ne semblaient pas avoir d'emprise en ces lieux, toutes choses ici étaient perçues comme si l'obscurité dégageait sa propre forme de lumière. Selmonn s'enfonçait toujours plus profondément dans l'abyme du tombeau. Il avait la désagréable impression d'avoir pénétré dans la gueule d'une gigantesque créature et d'y glisser lentement dans la gorge. Il essaya sans succès de chasser cette image de ses pensées. Progressant parmi les sculptures, les arches et les colonnes finement sculptées, il fut trop occupé à observer le changement progressif de thème pour pouvoir admirer le résultat magnifique issu de techniques oubliées. En effet, les gardes de l'entrée laissaient à présent place à des silhouettes torturées, préférant le plus souvent s'ôter la vie qu'affronter leurs souffrances. Il s'arrêta un moment afin de réfléchir sur ce dernier point. Il n'était pas un spécialiste des tombeaux et doutait que personne ne le fut. Cependant les récits que l'on en faisait ne faisaient jamais étal de ces tristes scènes.
Mais tandis que Selmonn s'apprêtait à arpenter d'un pas résolu cet antre macabre, ce dernier entendit un message résonner dans sa tête. La voix était grave mais de cette voix perlait de la compassion qui semblait déplacée dans un tel endroit.

« Trouve qui tu es! Trouve en toi la force de vaincre tes doutes où à jamais tu seras damné. »

Puis le message disparut sans laisser plus d'indices sur son but ou son origine que ce tombeau dans les mémoires. La descente s'arrêta brutalement pour laisser place à une vaste salle en forme de dôme au centre de laquelle trônait une stèle. Les multiples colonnes qui en tapissaient le tour encadraient d'autres statues qui pointaient leur doigt accusateur vers cette stèle. Cette dernière était couverte de symboles gravés dans ce qui semblait être un bloc d'un seul tenant. Stupéfait de pouvoir voir une telle architecture dans cette obscurité, Selmonn s'avança dans la salle en balayant du regard ce spectacle fascinant.

Soudain, Selmonn stoppa sa progression. Un son. Une note. Il n’avait failli pas la percevoir tant elle se fondait avec le silence mais cette vibration constante emplissait l’air autour de lui. Les récits parlant des tombeaux racontaient souvent quels phénoménaux pouvoirs ils renfermaient. Vrai ou faux, Selmonn se méfiait de toute chose inhabituelle. Et aussi insignifiant que soit ce son, il pouvait signifier la mort pour autant que Selmonn en savait. Ses craintes ne tardèrent pas à se justifier. Un frisson glacé lui parcouru l’échine et il sembla entendre un souffle provenant de la stèle. Puis le silence revint, complet et vide de toute vibration. Selmonn aurait dû être rassuré de ne plus entendre ce fond sonore mais il n’en fut rien. Bien au contraire, cette absence totale de son le pétrifia. Et comme tout allait de mal en pire, la voix qui s’éleva, acheva de le conforter dans la pensée qu’une ancienne puissance était à l’œuvre. Un murmure qui emplit la pièce d’un son rauque, glissant comme un souffle.

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Note de l'auteur: Si Quelqu'un arrive là, je peux lui envoyer un enregistrement en MP3 pour qu'il ait une idée de l'ambiance que donne cette voix...
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« Meurtrier ! Traître ! Lâche ! »

Selmonn recula de quelques pas et enjoignit la voix sortie de nulle part à décliner son identité. Cette dernière lui répondit sur un ton similaire.

« Je suis… Le Seigneur des Pleurs… Et tes forfaits… Vont me Libérer ! »

Selmonn eut soudain l’impression d’avoir été frappé au torse d’un rocher de catapulte.

« Passé… Présent… Avenir… Tout en toi n’est que ténèbres et damnation ! »

Lorsque cessa l’impression d’être projeté dans le vide, il était… à Valorn, dans le palais. Ce dernier semblait désert mais il entendit clairement les cris d’une femme. Il se précipita et se retrouva dans une autre pièce. Des bruits de combats se faisaient entendre au loin mais il fut trop captivé par le spectacle qui l’attendait pour s’en préoccuper. Sa mère était allongée sur le lit ensanglanté et accouchait… de lui. Le temps fila et sa lente agonie passa sans qu’il ne puisse réagir pour empêcher son trépas. Lorsque son père arriva, il était trop tard.

« Parricide ! Tu as tué ta mère… alors que tu n’avais… même pas pris… ton… premier souffle… »

Selmonn tourna la tête mais l’image resta gravée devant les yeux sans qu’il ne puisse les fermer. En surimpression, le temps fila encore plus vite et il vit la décrépitude de son père comme il ne l’avait jamais remarqué étant enfant. Année après année, sa Flamme se consumait et son assassinat qui n’aurait jamais été possible autrefois fut chose trop aisée pour n’être qu’horrible devant ses yeux.

« Meurtrier ! Tu as tué ton père… en consumant sa Flamme… et il n’avait plus… la force nécessaire… le moment venu… »

Le temps continua sa course folle sans que ces images ne puissent s’effacer de sa vue. Et l’aube sanglante survint. Sa famille, ses amis, ses proches… des hurlements… et du sang, du sang partout.

« Assassin ! Tu as laissé… Verser le sang… De tous ceux… Dont tu avais la garde… Tous ceux… Qui étaient TES hôtes… En TA maison… Sous TA protection… Sous TON honneur ! »

Puis vint la fuite dans les souterrains de la salamandre alors que faisait rage le combat. Les cris de mourants ne pouvaient quitter ses oreilles et résonnaient encore et encore…

« Lâche ! Tu as joui… De tes privilèges… Et abandonné tes devoirs… Tu as déserté ton trône… Alors que les tiens… Avaient besoin de toi ! »

Puis les images commencèrent à se multiplier en plus de se superposer. Selmonn qui était déjà pétrifié, commença à hurler tandis que ces images détruisaient son esprit et que sa Flamme s’écoulait hors de son corps. Partout il vit son peuple se battre en son nom et être massacré, torturé et humilié. Du sang ! Encore du sang ! Des torrents de sang !

« Traître ! Tu as renié ton peuple… Alors qu’il se sacrifiait… Pour toi… Tu as voilé ton nom… Alors qu’ils n’attendaient… Qu’un mot de toi… Pour être Sauvés ! »

Parmi toutes ces images, en fond, en surgit une plus générale. Les absaloniens décrépissaient. Leur Flamme se consumait sous le joug varynien. Abandonné par leur prince.

« Fléau ! Tu as détruit… L’âme de ton peuple… La Flamme a quitté… Leurs cœurs saignants…Tu as répondu… à leur adoration… en répandant parmi eux… Mort et Destruction ! »

A moitié fou, Selmonn vit autour de ses images une scène ressemblant particulièrement à celle où se trouvait la stèle. Mais les statues étaient les rois de jadis, tous les souverains de la lignée des Arkensyrs. Ils pointaient un doigt accusateur… vers lui. Il était le seul à avoir échoué. Il était le seul à ne pas être de taille, à ne pas avoir la carrure d’un roi, à ne pas avoir l’âme d’un souverain. Il était le seul à avoir perdu son trône.

« Usurpateur ! Jamais ! Jamais… Tu ne reposeras… Dans le tombeau des rois ! »

Les images de Corbeau apparurent alors.

« Même le Gardien… S’est détourné de toi… »

Le futur vint alors à lui, les futurs, tous les futurs possibles. De toutes ses forces, Selmonn chercha le meilleur d’entre eux. Dans ce dernier il avait récupéré son trône et menait un peuple affaiblit à la guerre. Il menait son peuple à la mort. Tout son peuple.

« Tu as commis… un génocide… celui des tiens ! »

Avant de se retrouvé enfin seul, face à une immense et terrible créature.

« Et tu mourras… Seul… Loin du pays… Que tu as trahi ! »

Et les images commencèrent à tourbillonner en lui de plus en vite.

Il sentit ses forces faiblir. Il était environné de sa Flamme qui quittait son corps vacillant. Mais dans ce tourbillon de Flamme, il vit son âme. Et dans son âme il se retrouva. Il sut qui il était et ce qu’il était. Par-dessus tout il trouva la clé de sa nature profonde et ouvrit la porte en grand. La première déflagration ébranla tout le tombeau dont des pans entiers s’écroulèrent. Cela, malgré la protection magique qui les avait maintenu durant des millénaires. La dernière image qu’il vit fut celle de son père et sa voix pleine de fierté emplit le corps de Selmonn, lui apportant une énergie nouvelle.

« Mon fils, tu es un grand souverain et tu me remplis de fierté. Rien de ce que tu es ni de ce que tu fais ne doit te faire rougir car tu es plus que le digne héritier de ta lignée, tu es son accomplissement ! »

Le Seigneur des Pleurs n’avait pas perdu son emprise mais il avait perdu son contrôle absolu. Le lien se retourna contre son initiateur. Une empathie nouvelle lui montrait la voie. Et chaque phrase tonna comme la déflagration qui l’accompagnait.

« Qui es tu pour me juger Seigneur des Pleurs ! Créature maudite et bannie, serviteur de celui qui n’est pas ! »

« Le peuple d’Absalon est MON peuple ! Penses-tu réellement m’intimider avec tes futiles promesses de mort ? Qu’importe la mort et la déchéance si je puis sauver les miens ! »

« Mon devoir et ma vie est de les servir ! Jamais je n’aurais à rougir de moi si je ne renonce pas à les sauver ! Jamais ! Quelque en soit l’issue ! »

« Et si nous devons tous périr, nous serons tous unis dans la mort ! Comme une formidable lance de flammes ! Et la gloire du plus grand des peuples résonnera dans le cœur de tous, pour l’éternité! »

« Que la Flamme nettoie la souillure et délivre Absalon ! »

La dernière déflagration donna l’impression de provoquer un immense silence. Un silence cette fois ci apaisant. Mais un silence une fois encore de courte durée. La structure du tombeau se mit à nouveau à gémir et gémir encore. Il se dirigea vers la sortie sans se soucier des blocs de pierre qui tombait ça et là. Certains tombèrent sur lui mais se consumèrent sans provoquer le moindre mal. Il se dirigea vers l’arche de lumière qui fut bien des heures plus tôt une arche de ténèbres alors qu’il s’y enfonçait. Selmonn traversa l’arche et…

Trédayn leva la tête vers le ciel si bleu. Il fit encore quelques pas et tomba à genoux. Les mains à terre et la face à quelques centimètres du sol, il se sentait vide de toute énergie. La puissance qui s’était déchaînée là-dessous était phénoménale et il s’étonna d’être toujours en vie. Il regarda aux alentours sans apercevoir Lyann. L’aube était venue et il ne pouvait lui reprocher de lui avoir obéi. Cependant, il avait espéré…
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Message par nemesis » 12 Oct 2005, 05:57

Un Nouveau Roi

Un bruit de pas se fit entendre au milieu des ruines et un espoir naquit à nouveau. Dans l’expectative, il chercha du regard l’origine de ces pas. Mais de noires ailes tuèrent dans l’œuf tout espoir. Corbeau vint alors parler au jeune prince affaiblit. Son ton était détaché. Corbeau avait appris au cours des siècles à se détacher émotionnellement de ses messages. Ces derniers portaient trop d’atrocités pour ne pas le rendre fou si des velléités de compassions s’emparaient de lui.

« Le sang va couler… »

Trédayn s’assit et lui répondit d’un air las :

« Tu ne déroges décidément jamais à ta réputation, Corbeau… »

Mais Corbeau ne laissa pas le loisir à Trédayn d’employer d’autres formes d’ironie.

« Ecoute moi jeune Prince, écoute mon message !
Le sang va encore couler.
Le sang va couler à flot pour purger cette contrée du mal qui y sommeille.
Toi seul peux décider d’en limiter le flux.
Toi seul peux libérer ton peuple de ses souffrances.

Mais ne crois pas que ce sang soit versé en vain.
Cette épreuve a un but précis.
Une guerre approche, une guerre qui sera peut être la dernière.

Le Gardien croit en toi.
Il t’a envoyé cette épreuve pour te former, pour former ton peuple et vous lier d’une alliance que rien ne pourra rompre.
La Flamme d’Absalon doit illuminer tout Sandorfell jeune prince. »


Trédayn baissa le regard…

« - Je ne suis plus prince…
- Ne… »


Mais soudain il releva des yeux animés d’une Flamme ardente…

« Je suis le souverain d’Absalon !
Je suis le protecteur de mon peuple !
Et je le guiderais vers son destin ! »


A ces mots, Corbeau sourit et murmura :

« Il avait raison… c’est lui… »

Trédayn se remit debout et demanda à Corbeau :

« - Feras-tu une déclaration publique pour réhabiliter ma légitimité sur le trône ?
- Non mon roi, je ne le ferai pas. Tu es le souverain légitime car tu aimes ton peuple jusqu’à donner ta vie pour lui. Tu es légitime car la Flamme coule dans tes veines avec l’intensité propre à ta lignée… et plus encore. Tu es légitime car ton peuple t’aime et te suivra où que tu ailles si tu peux ranimer la Flamme dans leur cœur. C’est bien toi et non le Gardien qui aujourd’hui guide le peuple d’Absalon.
- En ces heures sombres, un tel symbole aurait pourtant fait ressurgir la gloire du passé et propagé la rumeur plus vite que n’importe quel messager.
- Crois moi, tu n’en as nul besoin. Cependant, tes atours royaux te seront rendus. Cela te fournira la preuve que tu recherches. Une preuve de l’appui du gardien, d’une apparente légitimité. Mais je persiste à dire que tu n’en as nul besoin. Ta légitimité est dans ta Flamme et dans ton peuple.
- Peut être… Corbeau, j’ai une question. Le Seigneur des Pleurs m’a dit que j’étais le seul roi de ma lignée à avoir jamais failli. Que je mourrais loin de chez moi et que jamais je ne reposerais dans le Tombeau des Rois. Est-ce vrai ? Il m’a montré tant de choses vraies, celles-ci l’étaient-elles également ?
- Oui, il ne t’as dit que la stricte vérité car il l’a puisé directement en ton âme. Mais crois en mon expérience accumulée au cours des siècles, ces exceptions ne sont là que pour souligner le caractère unique de ton être et ne peut être en aucun cas un voile de honte. Quelques sombres soient les heures, tu es promis à un glorieux destin. »


Corbeau remis alors à Trédayn le Torque du Gardien qui infusa sa pure énergie dans son corps vidé et lui redonna un peu de contenance. Puis il lui tendit Yénidryl dans son fourreau que Trédayn caressa de la paume avant de relever les yeux vers Corbeau. Ce dernier s’adressa à lui avec un sourire.

« Il me faut maintenant te laisser à ta destinée… Va, et sache que le gardien a placé ses espoirs en toi… »

Puis Corbeau se retourna et s’éloigna sans un regard. Il sembla à Trédayn que Corbeau s’était effacé après seulement quelques pas.

A ce moment il vit Lyann du coin de l’œil. Ses yeux étaient écarquillés. Lorsque Trédayn se retourna, les yeux de Lyann se plissèrent quelque peu. Il ne faisait aucun doute que la stupeur l’emportait. Mais ce sentiment laisserait il place à l’impression d’avoir été trahie ? Trédayn s’attendit à toutes sortes de réactions. La colère, les cris, les accusations, les coups ou le mutisme faisait parti des possibilités qu’il était prêt à encaisser et qui lui laisserait l’occasion de s’expliquer. Cependant, ce qui survint était inattendu et lui fit plus mal qu’il aurait pu l’imaginer. Son aspect serein se brisa lorsque il entendit le ton froid et détaché de Lyann. Il avala de l’air qui sembla rester prisonnier de ses poumons, puis s’en écouler avec une lenteur exagérée. Si les mots de Lyann étaient des plus neutres, ses paroles étaient celle destinée à une personne à laquelle on n’accorde aucun intérêt.

« - Que comptes tu faire maintenant ?
- Il est temps que tout revienne à la normale. Il est temps de réclamer le trône qui m’échoie. Souhaites tu m’accompagner.
- Il ne vaut mieux pas. Même si tu n’y portes pas d’intérêt, les gens meurent autour de toi.
- Je me bats pour que cela change.
- Tu te bats pour ton propre pouvoir. Et tu n’accordes même pas aux gens qui meurent pour toi le droit de savoir pourquoi ils meurent.
- Je… J’ai fais ce qui devais être fait.
- J’aurais pu suivre un ménestrel qui se battait pour ses convictions et pour les siens, pas un prince manipulant les siens pour recouvrer son trône. Adieu, S… qui que tu sois… »


Trédayn baissa les yeux et Lyann s’en fut. Trédayn repensa brièvement à eux deux ces derniers mois et se souvint avoir dit que son aura de mystère faisait son charme. C’était peut-être trop vrai. Il n’avait plus d’intérêt une fois ce voile levé. Mais ses propres problèmes ne devaient pas rentrer en ligne de compte. Il savait que Selmonn devait mourir pour que renaisse Trédayn, tout comme Trédayn était mort pour que vive Selmonn. Et Trédayn avait aujourd’hui une tâche à accomplir, Selmonn n’avait donc plus de raison de vivre. La page était tournée, laissant plus de traces qu’il n’aurait voulu dans son âme.

Trédayn se posa pour réfléchir à la manœuvre qui allait suivre. Il n’aurait qu’une chance et une seule, elle ne devait pas échouer. Il devait frapper vite et fort, sans laisser le temps à ses adversaires de répliquer. Mais dans le même temps, il devait rassembler son peuple. Un véritable casse tête en soi, empli de contradictions. Aller à Valorn ne laisserait pas l’occasion à son peuple de se soulever et il échouerait. Aller répandre la rumeur comme il l’avait fait, prendrait trop de temps et il échouerait. Le seul chemin qu’il entrevoyait était de frapper un grand coup quelque part entre le territoire des Arkensyrs et celui des Félanyns. Un coup d’un impact si violent que tout Absalon se sera soulevé bien avant qu’il n’arrive à Valorn, si rapide fut il. Lomyr était un endroit idéal pour cela. Trédayn espéra cependant que cette dernière n’était pas que cendres à présent. Que le climat fut tendu, cela était plutôt un avantage, mais il fallait que la population ait survécue, plus forte et haineuse que jamais. Mais les gens de Lomyr devaient être étroitement surveillés. La Compagnie du Crépuscule était déjà présente sur les lieux avant l’émeute, nul doute que cette dernière ait renforcé sa vigilance depuis. Pour qu’ils ne soient pas massacrés, il fallait leur donner les moyens de se défendre. Des armes, ils devaient en avoir caché. Mais cela ne suffirait pas. Poussant sa réflexion, il réalisa qu’il connaissait un moyen. Certes, ce moyen détruirait une bonne partie de la ville, mais Trédayn aurait parié que les Félanyns préféreraient voir la ville détruite qu’entre les mains de ces chiens puants. Il restait néanmoins un dernier problème. En temps que souverain, il savait comment embraser la Flamme de son peuple. Cependant, malgré tout ce qu’il avait à dire, il manquait un élément neuf qui révolterait fondamentalement son peuple. Il fallait quelque chose que ses précédents discours ne comportait pas, ne serait qu’évoqué.

N’ayant pas réfléchit à la situation depuis bien longtemps, il se rendit compte qu’il avait encore une fois commis une erreur. Dans le schéma qu’il s’était tracé, une incohérence persistait et il ne s’en était pas préoccupé. La raison de cette erreur était simple. Ses interrogations au sujet du Gardien avaient occulté cet autre problème. Mais aujourd’hui que aspect là du mystère était tombé, la dernière incohérence lui apparaissait beaucoup plus clairement. Certains aspects du plan varyniens avaient été opérés avec une bonne connaissance de la Flamme. Cela était très peu visible, mais quelqu’un d’expérimenté pouvait le lire dans les événements. Or la Varynie avait une ligne conduite simple avec la magie de la Flamme, ils brûlaient vifs tous ceux qui clamaient son existence. Seule la Compagnie du Faucon Flamboyant l’utilisait sans être inquiété du fait de ses succès, mais cette dernière n’avait pas voulu prendre part au carnage. Ce n’était pas non plus grâce aux prêtres du Gardien ou aux ménestrels, il le savait maintenant. Et quant à l’entourage d’Olryk, ils avaient toujours trop été attirés par les biens matériels et le pouvoir temporel pour s’intéresser aux secrets de ce monde. Les chances, pour que les Vérasyns loyaux à Olryk aient pu avoir cette connaissance, étaient minimes. Cela venait donc d’ailleurs mais d’où ? Cette pensée resta en suspens mais soudain Trédayn écarquilla les yeux, réalisant toute l’ampleur de l’affaire. Il se leva prestement et se mit en route. Il avait des choses à vérifier, des choses à faire et surtout peu de temps pour tout cela. Sa voie était tracée. D’abord le monastère car Trédayn avait besoin de leur savoir et espérait qu’il soit resté imprenable. Ensuite Lomyr où ses talents de metteur en scène seraient plus capitaux dans la bataille que son savoir militaire. Et enfin Valorn où il récupérait son trône ou périrait en essayant.
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Message par nemesis » 12 Oct 2005, 06:03

Un coup de tonnerre

Une ombre glissait dans les rues de Lomyr. Le couvre feu était déclaré mais cette dernière ne semblait pas s’en soucier. Les flambeaux des patrouilles avaient beau transpercer la nuit, elle en esquivait audacieusement les rayons honnis. De temps à autres, une porte s’ouvrait avant de se rabattre prestement. Mais l’ombre ressortait bien rapidement des demeures qui s’ouvraient à elle pour à nouveau arpenter l’obscurité. Elle se dirigea finalement vers le toit d’une bicoque biscornue et s’y hissa. Perché derrière la cheminée, elle attendit patiemment, le regard rivé sur la place. Une demi-heure plus tard, advint un homme qui se tint au milieu de cette même place. Il prit un air penseur puis, quelques minutes plus tard, arbora un grand sourire. Il se concentra longuement et une aura bleutée l’enveloppa comme des flammèches autour d’une poutre en flammes. Des arabesques blanches parcouraient de temps à autres ces flammèches tandis qu’il se concentrait plus intensément. Soudain il tendit les mains et… rien ne se passa. En apparence en tout cas, l’ombre sourit également. Tout était redevenu calme autour de l’homme qui repartit en sautillant d’un pied sur l’autre. Pour la grande majorité des gens, cette place n’avait rien d’anormal. Pour une petite poignée d’entre eux, les flux de la Flamme étaient perturbés d’une manière incompréhensible sans toutefois s’exprimer. L’ombre perchée savait que seul quelqu’un « touché par la Flamme » pouvait obtenir un si étrange résultat. Et la réaction ne se fit pas attendre car trois personnes parvinrent sur les lieux. Scrutant attentivement la scène, elle vit les nouveaux arrivant perplexes étudier le schéma de la Flamme avant de s’en retourner, intrigués. Lorsque il fut clair que plus aucun risque n’était encouru, l’ombre descendit de son toit et s’éloigna dans la nuit, satisfaite. Le piège était en place.

Le lendemain matin, la ville se réveilla sous les même sombres auspices qu’à l’accoutumée. Les patrouilles était rentrer se coucher et la relève gardait les endroits stratégiques. Les habitants vaquaient à leurs occupations en serrant les dents pour ne pas égorger un mercenaire. Cependant, lorsque le soleil fut à son zénith, une rumeur inhabituelle circulait. Un spectacle hors du commun allait avoir lieu sur la place au chêne. Si cette rumeur atteignit les oreilles de ses cibles, elle parvint également à d’autres oreilles plus indiscrètes. Si les spectacles n’étaient pas formellement interdits, tous se doutaient que le ménestrel aurait des problèmes, comme tous savaient que ceux qui assisteraient au spectacle seraient également inquiétés. Mais en dépit de cela, beaucoup iraient… Peut être même à cause de cela, la dernière chose qui pouvait rendre de la dignité à ces gens était ce type de défi. Une telle mort finissait lentement par apparaître très douce à la personnalité humiliée des Félanyns.

Trédayn restait pensif dans sa chambre d’auberge. Si l’aube sanglante l’avait vu déchoir, alors il changerait le cours des choses durant le crépuscule. Au matin, plus aucun Varynien n’arpenterait les rues de la ville et un vent de révolte soufflerait sur le pays d’une manière totalement incontrôlable. Il reposa sa tasse d’une eau chaude et épicée puis fixa le mur. Ou plutôt, il regarda au travers le mur vers le sud pour y voir ses souvenirs de Valorn, sa capitale. Bientôt… Bientôt…

Lorsque un ménestrel apparu en haut du chêne, une immense foule était déjà rassemblée. Le soleil déclinait déjà et plongeait la place dans une lumière rougeâtre des plus étranges. « Rouge pour tout le sang que nous avons versé » pensa Trédayn. Il balaya la foule du regard et sourit. Son plan se passait pour le moment comme il le pensait et les pièces étaient en place. Lorsque sa main se leva, Yénidryl rougeoya à l’instar des prunelles de Trédayn. Un murmure se propagea alors que beaucoup reconnaissaient leur souverain. Sa cape s’envola sous un souffle de vent et retomba en contrebas. Trédayn aurait du frissonner sous le vent de l’hiver mais il était lui-même trop galvaniser pour ressentir la fraîcheur ambiante. Lorsque sa voix retentit, puissante et harmonieuse, le silence vint remplacer les murmures en un instant.

« Peuple d’Absalon !
Pour ceux qui ne peuvent connaître et pour ceux qui ne peuvent pas y croire, sachez tous que je suis Trédayn Arkensyr, de la noble lignée des Arkensyrs, héritier légitime du trône d’Absalon !
Je viens à vous en ce jour pour vous parler de cette terre qui est vôtre et que j’ai longuement parcourue ces derniers mois. Une contrée que j’ai bien du mal à reconnaître je dois l’avouer. Où sont passés les absaloniens, ces gens chaleureux et accueillants, ces gens qui savent vivre et sourire, où sont ils passés ? Aujourd’hui je vois des gens qui ont peur. Aujourd’hui, je vois des gens que l’on asservit. Où est Absalon, la contrée où il fait bon vivre ? Regardez !
Souvenez vous de ce que fut Absalon sous mon règne et sous celui de mon père et du sien avant lui.
Souvenez vous et regardez !
Regardez ce qu’en ont fait les usurpateurs en seulement quelques mois.
Contemplez la trahison d’Olryk qui a vendu sa patrie contre de l’or varynien ! Car derrière ces félons se cache la main de la Varynie. Voilà d’où viennent les richesses qu’il distribue, souillé par le sang de vos frères ! Il a vendu votre terre, il a vendu vos enfants et il a vendu vos âmes !
Et cette voie ne conduit qu’à une seule chose : Absalon se muera en Varynie jusqu’à ne devenir plus qu’une province de cette dernière. Vos croyances et vos coutumes seront bafouées et étouffées dans le sang. Et vos Flammes seront exploitées jusqu’à la dernière parcelle pour enrichir vos nouveaux maîtres jusqu’à ce que vous ne soyez plus que des bêtes de somme !
On vous dit que cela ne sera pas ? C’est peut être que tandis que dans le chaos nous nous entredéchirons, l’ennemi à l’est croît et rassemble ses forces. Tandis que nous achevons notre déchéance, la menace ne fait que grandir jour après jour. Ils nous disent que cela ne sera pas et ils en savent quelque chose car leurs dirigeants sont des esclaves de la Flamme Noire ! »


A ce moment, Trédayn pointa son arme vers la foule et trois espions varyniens s’embrasèrent d’une aura noire. Trédayn sourit, ce coup était essentiel à son discours et il avait fonctionné à merveille. Le piège de la veille avait ferré le poisson tant et si bien que ces derniers n’avaient vu venir la véritable menace. Tandis dans la panique la plus complète, lesdits espions usaient de toute leur Flamme pour échapper à des habitants pris d’une colère soudaine, Trédayn amena le carreau gluant d’une arbalète à sa lame et tira vers le ciel un trait de feu. Puis il continua son discours pour ne pas laisser l’embrasement du peuple retomber après la découverte d’une telle trahison.

« Voilà mes amis d’où provient toute cette corruption répandue autour de vous et en vous. Voilà mes amis pourquoi ils s’acharnent à mettre notre contrée, le Flambeau de Sandorfell, à genoux. Voilà mes amis pourquoi et à qui Olryk nous a vendu !
Que cesse cette folie !
Qu’après les ténèbres arrivent le temps de la lumière et ensemble luttons contre la menace grandissante qui souhaite tant notre déchéance. Ne laissons pas nos vies, nos âmes, notre honneur et nos valeurs être inexorablement détruits sans réagir ! »


Trédayn scruta un instant le ciel, avant de retourner à son discours.

« Peuple d’Absalon !
Ensemble nous vaincrons !
L’heure de notre libération a sonné !
Que tout le pays se dresse comme un seul homme !
Que notre vengeance s’accomplisse !
Que notre rage nous embrase pour qu’enfin ils contemplent ce qu’est la Flamme D’Absalon !
En avant ! »


Au dernier cris, une série d’explosions retentirent aux points stratégiques. Trédayn se mit à rire mais déjà la foule était en marche et ne l’écoutait plus. Les Ailes de Feu du monastère faisaient remarquablement bien leur travail et il savait que cette ville était déjà perdue pour ses adversaires. La véritable bataille pouvait maintenant commencer et embraserait cette nuit. Il faudrait qu’il songe à remercier ces moines qui n’avaient pas hésité à briser l’inviolabilité de leur monastère pour qu’il puisse recouvrer son trône.

Trédayn descendit de l’arbre et se faufila dans les rues pour sortir de la ville et se rendre au plus vite à Valorn. Mais une ville prise n’en est pas plus sûre. Au beau milieu du chaos et des morts, qui se soucie des quelques hommes égarés ? Descendant la voie du sud, il fut confronté à une situation plutôt familière. Deux hommes étaient apparus un peu plus loin dans la rue et il n’avait nul besoin de se retourner pour savoir que derrière lui deux autres hommes lui bloquaient la retraite. Contemplant cette scène du passé, il ne put réprimer un ricanement.

« Vous pourriez innover de temps à autres, cela devient lassant… »

Mais un autre ricanement lui répondit alors que de multiples fenêtres furent brutalement ouvertes, laissant entrevoir six arbalétriers et d’autres hommes d’armes. ‘Effectivement, il y a quelques changements’ pensa Trédayn en cessant soudainement de sourire. Instinctivement, il usa de sa Flamme pour accroître la célérité de ses mouvements mais, à son grand désarroi, quelque chose l’empêcha de la modeler à sa guise et le résultat fut plus que mitigé. L’homme qui lui avait répondu s’adressa à lui. Les paroles qui sortirent de sa bouche furent reçues de manière distraite alors que Trédayn réfléchissait à toute vitesse pour trouver un moyen de se sortir de là.

« Il a fallu que tu t’acharnes. Tout aurait pu se passer en douceur. Tu te serais exilé en Oflolyn ou à Kerahn et tout se serait passé en douceur. Et petit à petit nous aurions ainsi pu rassembler la force nécessaire pour vaincre ce qui nous menace tous. Mais il a fallu que tu restes pour semer le trouble. Aujourd’hui tu dois mourir si l’on veut conserver une chance de sauver tout cela… »

Aucun point de couverture ne pouvait le protéger des deux feux. Certains des leurs s’ingéniaient à perturber sa Flamme. Et pour rajouter au tout, 8 hommes d’armes s’approchaient lentement de lui. Ils étaient tous trop déterminés pour se laisser impressionner et ils se battaient apparemment pour une cause qui excluait toute discussion. C’était plutôt mal parti. Evaluant sa situation, il vit que chaque coup qu’il pouvait jouer se terminerait par une blessure, sûrement fatale. Qu’elle vienne de leurs chefs, des hommes d’arme ou des arbalétriers, cela variait mais ne changeait rien. Il avait bien sûr recouvré son torque et sa lame, mais il avait été séparé de ceux-ci pendant de trop nombreux mois et ils étaient encore en sommeil. Cette piste s’avérerait donc également vaine.

Il s’apprêtait à se résigner à faire face à la mort en déployant toute la rage dont il était capable, lorsque le destin croisa à nouveau sa route. Il n’allait peut être pas mourir aujourd’hui en fin de compte. Trédayn se remémora brièvement, en arborant un ironique sourire, les funestes prédictions du Seigneur des Pleurs : Il mourrait loin de son pays. En effet, une salve de carreaux fut tirée à partir des toits et les arbalétriers stupéfaits s’effondrèrent. Des alliés et 8 hommes d’arme à affronter. Il n’était pas sauf mais la situation lui semblait soudain plus gérable, même sans user de sa Flamme. Mais l’inconnu restait le moment où son adversaire cesserait de le contrer pour passer à l’attaque.

En quelques mouvements rapides, Trédayn tira Yénidryl et Saryst au clair, brisa la fiole ramassée lors de son dernier passage à Lomyr et trempa les extrémités de ses lames dans le liquide qui se répandait au sol. Dans un tel combat, le poison ne lui serait pas nécessairement d’une grande utilité martiale. Cependant, il était convaincu que ses adversaires savaient ce que contenait cette fiole et réfléchiraient à deux fois avant de risquer une égratignure mortelle. D’un autre côté, ses alliés inespérés pousseraient ses hommes à agir vite. Vite et avec une extrême prudence, voilà qui devrait les désorienter quelque peu songea Trédayn. Utilisant Saryst comme une main gauche pour couvrir ses arrières et Yénidryl, pointe en avant et bras presque tendu, pour tenir ses adversaires en respect, il tourna sur lui-même lentement et attendit l’assaut qui ne tarderait pas.

Les deux premiers à monter à l’assaut le payèrent sur le champ de leur vie. D’une estafilade à la gorge du premier avant de retourner sa lame pour atteindre le second venant dans son dos au torse sans avoir à se retourner. Au même moment, deux des plus éloignés périrent sous la deuxième salve. Trédayn se plaqua violement contre le mur d’une demeure pour éviter quatre autres lames menaçant de s’abattre sur lui. Il s’élança alors vers le mur opposé. Au passage, il bloqua de Saryst les deux lames à terre de ses adversaires de droite et, ceux-ci n’ayant pas eu le réflexe de lâcher leurs armes, les égorgea tous deux du même mouvement de Yénidryl avant de continuer son mouvement en roulant. Ses deux derniers adversaires en profitèrent pour tenter de planter leurs lames dans le dos de Trédayn. Ce dernier parvint in extremis à parer leurs lames des siennes par un mouvement rotatif. D’après leurs regards, ils savaient qu’ils venaient de laisser passer leur meilleure chance.

Soudainement une obscurité complète tomba. Le combat se déroulait certes alors que le crépuscule était déjà passé, mais même la flamme des torches ne semblait produire aucune lumière. Des bruits de pas indiqua que les assaillants tentaient de fuir. Les tireurs des toits tentèrent une salve au jugé mais n’atteignirent pas leurs cibles. Trédayn ne se préoccupait nullement de cette fuite, une toute autre chose le préoccupait au plus haut point. Il sentait que sa flamme changeait en son corps et tenta de combattre ce changement de toutes ses forces. Malgré tous ses efforts, il eut l’impression que son corps explosait et chancela. Il parvint à se maintenir debout en s’adossant à un mur. Il entendit vaguement les hommes descendre des toits et tentait d’ériger une défense lorsque la deuxième déflagration survint. Trédayn sombra dans l’inconscience.
Au long de mes paupières amères,
S'écoulent des larmes glacées,
Qui dérivent au fil de mes vers,
Vers le ruisseau de mes pensées...

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Message par nemesis » 12 Oct 2005, 06:08

Un Raz de Marée

Trois hommes discutaient. Leurs mots, leurs sons n’avaient aucun sens mais ils discutaient. Le monde était une brume. Et sur ses courants glissait et tourbillonnait sa conscience. La brume s’illumina soudainement d’une lumière terrible et déchirante qui lui arracha un cri. Des mains se posèrent sur lui et son corps pétrifié par la douleur fut pris de tremblements. Une chaude énergie pénétra son corps et il sombra à nouveau dans l’inconscience.

Des ombres dansaient dans les méandres de ses cauchemars. Elles réanimaient ce qui avait été enterré. Les cadavres qu’il avait laissés dans son sillage volaient autour de lui en le regardant de leurs yeux blancs et inexpressifs. Aucune expression n’apparaissait sur leur visage, aucun mot ne fut prononcé. Cependant il ressentait leur tristesse, une multitude de tristesses qui comportaient tant et tant de différences qu’il s’y noyait. Beaucoup d’entre eux pourtant, portaient en leur tristesse un espoir qui se cristallisait en lui. Les éléments de sa vie également virevoltaient autour de lui. De petits éléments fragmentaires qui n’étaient rien en eux même mais qui transportait chacun une énergie. Ils portaient tous leur lot de souffrances mais comme la première respiration d’un nouveau né ou le dernier pas d’une longue marche. Mais leur tourbillon de fragment semblait néanmoins porter en lui-même une notion d’unité. Cette unité ne prenait pas corps dans son esprit, mais elle existait néanmoins. Ces ombres du passé dansaient ensemble d’une étrange manière, entremêlés les uns aux autres. Et les ombres de l’avenir les encadraient, des ombres d’une imposante taille posant leurs yeux de géants sur la moindre des ombres dansantes. Le monde revint alors avec la brutalité d’un carreau d’arbalète et Trédayn ouvrit brusquement les yeux.

Trois hommes le regardèrent. Un prêtre du Gardien, probablement celui qui l’avait soigné, et deux autres inconnus. La première question fut des plus égoïstes, mais les enjeux étaient trop importants. Il leur demanda combien de temps il était resté inconscient. La réponse qu’il reçut le fit grimacer. La nuit avait passé et la moitié de la journée avec elle. Ses plans prenaient du retard. Il releva le regard sur les deux hommes et leur demanda en détail ce qu’il était advenu. C’est ainsi qu’il apprit que la Salamandre avait été alertée et l’avait fait suivre après sa proclamation. C’était ce qui lui avait sauvé la vie, et causé la mort de quatre hommes de la Salamandre comme à douze de leurs adversaires. Partout où il passait, une ligne ensanglantée le suivait. Un des hommes crut bon d’ajouter que la meilleure façon de rendre hommage à leur sacrifice était de terminer sa tâche. Trédayn n’avait nul besoin que l’on lui rappelle mais il commençait à trouver le velours du trône bien entaché de sang. Il espéra que sa tâche puisse laver le sang de tous ces gens, si une quelconque tâche était capable de cela. Les feux de la révolte brûlaient en tout Absalon et, en cela, sa proclamation était un succès. Mais ils ne tiendraient que si lui-même accomplissait sa part du plan.

Il repartit aussi prestement que son corps encore meurtri le lui permit en direction de Valorn. Il était accompagné des deux hommes de la Salamandre. Le prêtre n’avait pas souhaité les accompagner. Sa place était à Lomyr. Si les Ailes de Feu de Trédayn avaient rendu le triomphe possible, finaliser ce triomphe n’avait pas été sans heurts. La population avait besoin de soutien et de soins.

Le voyage commença dans le silence mais se termina quelques jours plus tard dans des discussions poussées sur l’état de la capitale. Le tableau dressé semblait noir, mais ce qui inquiéta véritablement Trédayn fut l’impression qu’ils souhaitaient conserver les détails pour eux. La bataille entre les agents varyniens, quelque soit leur affiliation, et la Salamandre n’avait jamais cessé de faire rage. Certaines parties des souterrains leur avaient été temporairement abandonnées lorsque leur avantage défensif s’était tari. Mais, les agents varyniens avaient fini par comprendre que le véritable souverain ne se trouvait pas dans les souterrains sous la protection de la Salamandre. Du jour au lendemain, ils se sont retirés, se contentant de contrôler les sorties et cessant de perdre du temps et des hommes sur un leurre. Matés dans le sang, les habitants sont rapidement retourné a une attitude beaucoup plus calme. Cependant, cela n’a pas diminué pour autant leur haine vis-à-vis d’Olryk. Et cette haine a rongé l’esprit de ce dernier. Il est devenu dément. Partout où se porte son regard il voit des conspirations et n’a d’autres idées que de faire couler le sang impur. Le nombre de troupes stationnées à Valorn est impressionnant. Il y a plus de mercenaires varyniens à Valorn que de soldats absaloniens en Absalon. Et depuis des mois, son règne de terreur ne cesse de durcir à mesure que son esprit sombre. Trédayn ne poussa pas les deux hommes à révéler ce à quoi ils se refusaient de penser et il passa à la manière de pénétrer dans la ville. La réponse était simple. Le meilleur moyen de rentrer était d’utiliser celui emprunter pour sortir. Les entrées dissimulées n’étaient toujours pas sûres et surtout, Olryk avait beau être devenu paranoïaque, il l’était trop pour croire que ses ‘alliés nécessaires’ tolèrerait que cette peur n’empêche leur argent de fructifier. Trédayn eu un sourire malsain en pensant aux récompenses de l’usurpateur pour ses forfaits, il devait maintenant même avoir peur de pouvoir avoir peur. Durcissant son regard il pensa qu’il lui apporterait une délivrance en lui montrant exactement de quoi il devait avoir peur.

Trouver un convoi varynien entrant à Valorn n’était pas chose difficile. Des légions de ces convois venaient piller les richesses du pays. Mais chose moins aisée était de découvrir le convoi parfait. Beaucoup n’entraient pas à Valorn avec une cargaison dans laquelle on pouvait se dissimuler si cargaison le convoi transportait. Et même ces perles rares ne pouvaient pas toutes être utilisées car il fallait également pouvoir glisser Trédayn en son sein sans éveiller l’attention des marchands et de leurs acolytes. Rongeant son frein, Trédayn dut patienter jusqu’à ce que l’occasion se présente. Celui-ci se présenta lors du passage du convoi d’un vieux drapier dont les gardes buvaient en se gaussant de leur maître. Il s’y faufila discrètement et pénétra dans l’enceinte de la cité. Toute marche arrière était désormais impossible si possible elle l’avait été dans l’esprit de Trédayn. Il sortit du convoi et disparut dans les ruelles.

Il ne déboucha sur des voies plus larges que pour contempler l’ampleur de l’horreur muette que trahissaient les paroles des deux hommes de la Salamandre. Des corps écartelés et désarticulés se balançaient au bout de cordes bercées par la brise. D’autres, lacérés et pourrissants, étaient captifs de cages en fer trop exigus pour y tenir assis, couché ou debout. Du sang avait débordé de ces cages et laissaient des sillons sanglants dont tous semblaient prendre source au palais. Comment ce lieu, qui semblait signifier le bonheur dans le cœur de tous moins d’un an auparavant, pouvait aujourd’hui apparaître comme la source de tous les malheurs. Trédayn serra les poings en sentant la rage s’insinuer dans son esprit. Il força son esprit à la concentration et se rappela… de tout. Le Seigneur des pleurs avait tenté de le détruire en lui octroyant la responsabilité de tout. Mais à présent qu’il était en vue du palais, il savait qu’il était temps qu’un autre en endosse la responsabilité. La responsabilité de chaque absalonien tombé, de chaque absalonien torturé et de chaque absalonien opprimé. Une heure se passa sans qu’il n’eu bougé. Le soleil termina sa course lentement et alors seulement il rouvrit les yeux. Chaque forfait était en lui, chaque forfait serait vengé. Mais plus encore, il avait rassemblé la Flamme qui émanait de son peuple en colère pour que ce ne soit pas sa vengeance mais bien celle d’Absalon toute entier.

L’atmosphère du palais était pesante. Les cris émanant de la salle du trône semblaient démentiels tant leurs tons variaient tout en gardant la marque indubitable de l’hystérie. Serviteurs, gardes et mercenaires jetaient des coups d’œil anxieux aux alentours avant d’avancer le moindre pas. Si auparavant varyniens et absaloniens formaient deux camps dans le palais, aujourd’hui il en était tout autrement. Les gens s’étaient tout d’abord répartis en factions jusqu’à effacer leurs origines tandis que les humeurs apeurées de leur nouveau maître désignaient à chaque faction la faction qui selon lui contenait des traîtres. Puis les factions volèrent en éclat lorsque Olryk finit par voir des traîtres de toutes part. Prétendant que l’inspiration du gardien veillait sur lui, il semblait désigner au hasard les cibles désignées par l’inspiration du moment. Ceux qui quittaient le palais étaient bien sûr des traîtres, tout comme ceux qui restaient trop près du souverain ou pas assez. Mais depuis que la nouvelle du souverain légitime vivant était tombée, le palais n’abritait plus que des cauchemars éveillés. Une rumeur s’était enfui du palais et se répandait dans toute la ville. Une rumeurs qui annonçait que les cauchemars n’étaient pas de simples rêves mais avaient pris corps et forme au sein de ce palais maudit.

Les gardes à l’extérieur du palais quant à eux semblaient plus sereins… semblaient uniquement. Leur regard balayait l’horizon. Néanmoins il arrivait à ces regards de se perdre dans leur dos, plus inquiets des bruits provenant de l’intérieur du palais que de tout bruit provenant de l’extérieur. Ils avaient été avertis comme tout un chacun que le peuple s’était soulevé et que des murmures balayaient la capitale. Mais la vie au palais avait si peu de valeur que l’idée d’un peuple renversant le pouvoir en place ne les bouleversait pas tant. Un homme apparut sur le parvis et avança vers les grilles qui marquaient l’entrée du domaine royal. Instinctivement, les gardes croisèrent leurs lances derrière les grilles pour refuser l’accès au visiteur inopportun. L’homme rabaissa sa capuche et leur demanda depuis quand un homme n’avait plus le droit de regagner sa demeure. Les gardes reculèrent, tant absaloniens que varyniens. Les premiers parce qu’ils avaient reconnus leur souverain légitime et ses atours royaux, les seconds car ce dernier était sensé être morts. Les deux camps se reformèrent et se dévisagèrent. Les gardes absaloniens avaient beau avoir trahi le roi en servant Olryk, ils ne l’avaient fait que croyant ce dernier mort. Les mercenaires varyniens quant à eux n’avaient aucunement ces scrupules et pointèrent leurs lances vers leurs précédents confrères. Mais avant que quiconque n’ait pu esquisser le moindre geste, les grilles s’ouvrirent d’elles même, saluant le retour du souverain. Trédayn marcha d’un pas confiant et noble en direction du palais tandis qu’une aura de Flamme prenait corps autour de lui. Trop décontenancés pour réagir, les gardes restèrent là à regarder marcher cet homme. Il avait presque atteint les marches lorsque les deux camps réagirent, s’affrontant les uns les autres.

L’intérieur glacial du palais était bien différent de la chaleur qui inondait ses souvenirs. Aucun rire ne résonnait dans ses couloirs désormais. Des bruits de pas furtifs, des murmures se propageant, voilà tout ce qu’il en restait. Les murs eux même semblaient porter traces de sa déchéance et les lézardes en leur sein n’étaient que des myriades de bouches qui murmuraient leur agonie. Et les cauchemars qui hantaient les lieux n’étaient pas de vagues rumeurs. En fermant les yeux, il sentait leur présence dans le palais, il les sentait se regrouper, il les sentait se rapprocher. Qu’ils viennent, la colère d’Absalon aurait bientôt tout purifié. A aucun moment il ne ralentit son pas, pas plus qu’il ne l’accéléra. Olryk était dans la salle du trône, c’était la seule chose qui importait. Les lourdes et majestueuses portes de la salle du trône s’ouvrirent également de leur propre gré comme semblaient le faire toutes leurs consoeurs, mais dans un grincement lugubre que jamais Trédayn n’avait entendu auparavant. Secouant légèrement la tête, il continua sa progression sans fléchir.

Un homme rampait dans la salle du trône, tandis qu’Olryk réclamait sa tête à grands cris. Des hommes d’armes avaient tirés leurs lames et sur le trône, Olryk se démenait en pointant sa coupe renversée en direction du pauvre homme. Quelques gouttes d’un vin à la robe foncée s’en échappèrent pour aller s’écraser sur le tapis soyeux qui s’étendait sur le sol. Le reste du liquide avait d’or et déjà trouvé refuge sur les vêtements précieux de griffe varynienne qu’Olryk avait revêtis. Une lueur malsaine animait son regard. On pouvait y lire la peur aussi bien que l’avidité. La peur l’avait frappé comme une hache tandis que le liquide s’était déversé sur lui et sa soif maintenant ne pouvait être étanchée sans le sang du coupable. Cependant, tous se turent un instant alors que s’ouvraient les portes. Et l’hystérie gagna Olryk lorsque tous reconnurent l’homme qui s’avançait.

« Non ! Impossible ! Ce n’est pas toi ! Tu es mort ! Décédé ! Tu n’existes plus ! Pars cauchemar ! Pars ! Il est mort ! Il est mort ! Et je lui succède ! Tuez ! Tuez ! Tuez ce mort ! Mais… Mais… On ne tue pas un mort ! Tant pis, tuez l’intuable ou mourrez chiens ! Tuez le ! Découpez le en morceaux ! En petits morceaux ! Tout piquants et charnus ! En petits morceaux ! Qui dessineront des farandoles de sang ! De sang pour égayer ma divine présence par ses dessins de l’au-delà ! Tranchez le ! Je veux voir voler les petits éclats par milliers ! Les voir voler au milieu des morceaux ! Les morceaux pleins de petits bouts de chairs et retenus par quelques morceaux d’intestins tendus entre eux ! Je veux voir rouler ses yeux ! Les voir rouler autour de l’œuvre ! Les voir rouler ou voir rouler les vôtres ! Je veux voir sa tête manger son cœur en haut du chandelier suspendu par ses cheveux ! Je veux lui voir trois autres bouches souriantes et deux grimaçantes avant que ne brûlent ses cheveux ! Regardez il brûle déjà ! Tuez le ! Tuez le avant qu’il ne finisse de brûler ! Tuez le ou c’est vous qui brûlerez ! Mais si il ne brûle pas, vous serez écartelés ! Tuez le ! Tuez le ! »

Trédayn continua son avancée du même pas sans que quiconque ne fasse le moindre geste. Tous étaient trop sidérés pour penser à ce qu’ils auraient pu tenter. Les formes noires et changeantes des cauchemars choisirent ce moment pour fondre sur lui. Leurs formes étaient familières mais si le Seigneur des Pleurs n’avait pu l’abuser ainsi, eux ne le pourraient pas davantage. Le cercle noir se referma brusquement sur lui au moment où son aura s’anima d’une Flamme intense. Les formes noires se consumèrent à son contact sans que la moindre d’entre elles ne puisse atteindre Trédayn qui continua son approche sur le même pas régulier et s’adressa à Olryk :

« - Olryk ! Traître ! Usurpateur ! Meurtrier ! Assassin !...
- Que… Quoi !!! Tu en aurais fait de même ! Depuis d’innombrables siècles vous vous réservez le trône et tu veux me tuer pour en avoir fait de même !!! »


Trédayn répondit avec un calme lugubre et une voix monocorde :

« Non. J’aurais pu te pardonner d’avoir volé mon trône si tu avais été un bon roi… J’aurais pu te pardonner d’avoir attenté à ma vie si cela avait été fait dans le but d’en sauver des myriades d’autres… J’aurais pu te pardonner d’avoir versé le sang des miens si cela avait préservé celui de notre peuple… »

Puis sa voix se gonfla de rage tandis que l’aura qui l’enveloppait s’animait davantage chaque seconde et que des myriades d’étincelles restaient en suspension dans les airs pour en rejoindre d’autres :

« Mais tu as trahi ton peuple ! Tu as volé son âme et versé son sang ! Tu l’as humilié et mutilé ! Tu as vendu ces terres et les gens qui les foulent depuis l’aube des temps ! Tu as trahi ceux que tu avais juré de protéger… et de servir ! »

Sa voix repris le calme absolu qu’elle incarnait peu de temps auparavant. Cependant, si son aura ne déchaînait plus sa rage, les étincelles continuaient de croître en nombre :

« Mais encore une fois, je ne te tuerais pas pour ça. Je ne t’accorderais pas le privilège de mettre fin à ta misérable existence. Tu as usurpé les droits d’un souverain, il est temps pour toi d’en usurper les devoirs et d’en accepter les conséquences. »

Olryk, oscillant entre rage et panique, avait des mouvements tremblotants et désordonnés. Il rassembla la rage qu’il lui restait pour en investir sa dernière colère. Une courte lame jaillit de ses mains. Incandescente, elle fusait droit vers le cœur de Trédayn avec un sifflement strident. Contrairement à son piètre lancé, elle semblait se diriger d’elle-même selon la courbe la plus profitable pour se nourrir du sang de sa cible. Il devait s’agir d’un héritage familial, que ses ancêtres n’avaient certainement pas destiné à cet usage. Mais, dans un pas léger et fluide, une présence familière s’interposa. A nouveau le son de la conque, la lumière bleue et les embruns de l’océan. La forme poursuivit son mouvement et murmura quelques mots avant de se poster en retrait, fixant Olryk d’un regard haineux :

« Je ne t’ai pas pardonné, mais je n’ai pas réussi à oublier un certain ménestrel… »

Trédayn sourit et, levant les mains, il propulsa toutes ces étincelles sur Olryk qui ne put émettre qu’un cri étranglé tandis qu’il écoutait horrifié les paroles de Trédayn :

« Il est temps pour toi de faire face à la colère du peuple d’Absalon ! »

Les étincelles frappèrent toutes Olryk dans un court laps de temps. Ce dernier fut pris de spasmes pour chacune d’entre elles. Ses cordes vocales cédèrent aux premiers cris et les suivants ne furent que gargouillis immondes. Il donnait de lui-même l’image d’une truite hors de l’eau qui se débat pour survivre. Malheureusement pour lui, il survivrait. Toutes les victimes de ses forfaits hurlaient leur colère en lui et brisaient son esprit. Toutes leurs souffrances, tant physiques qu’émotionnelles, lui étaient appliquées sans ménagement aucun. Trédayn mis un genou à terre. Il n’avait pas besoin de voir pour savoir ce qui était en train de se passer et il imaginait sans mal ce qui se passerait ensuite. Mais la colère de toutes ces victimes l’avait quitté et il s’en sentait à la fois soulagé et exténué, trop exténué pour s’intéresser au sort d’Olryk.

Ce dernier avait les yeux révulsés, le corps tendu à l’extrême et un filet de bave teintée d’écarlate s’écoulait de la commissure de ses lèvres. Il n’avait pas été un bon souverain et il y avait bien peu de chance qu’il en devienne un meilleur aujourd’hui. Le corps semblait inerte mais dans les tréfonds de cette coquille hurlait muettement un esprit en proie à d’éternels tourments. Son corps vivrait longtemps encore avant que ne vienne sa délivrance.

Trédayn savait en sa Flamme qu’il avait réussie ce qu’on attendait de lui. Les dernières pièces du puzzle s’étaient mises en place au moment même où tout finissait. Il eut un dernier sourire quelque peu ironique, puis sombra dans l’inconscience sous l’œil protecteur d’une personne qui lui était cher.

Au dehors, régnaient les cris. Sur la ville régnaient les flammes de la révolte qui illuminaient la ville plongée dans l’obscurité de la nuit. Le sang coulerait encore davantage cette nuit. Ici et partout ailleurs en Absalon. Mais pas autant que l’on pourrait l’imaginer. Les compagnies de mercenaires de la Guilde des Lames ne mettraient que peu de temps avant de comprendre que le vent avait changé. Leur expérience leur avait appris à partir de quel point l’acharnement ne peut apporter que sang et cendres. Ils battraient rapidement en retraite et ne serait pas pourchassé. Cependant le peuple brisé avait soif de vengeance, une soif qui ne peut s’étancher de si peu. Une voix devrait s’élever pour les guider. Une voix de paix qui canaliserait leur fureur ou le sang irait nourrir la terre et la charger de douleur. La vengeance appelle la vengeance sans jamais conduire nulle part. La guerre civile n’avait que trop durée et le cycle de la vengeance devrait être coupée. Absalon était purgée de ses maux, les maux de Sandorfell… étaient encore à venir.
Au long de mes paupières amères,
S'écoulent des larmes glacées,
Qui dérivent au fil de mes vers,
Vers le ruisseau de mes pensées...

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Message par nemesis » 12 Oct 2005, 06:09

Une page se tourne

3 avril 1441, Ere du Renouveau.

Une nouvelle page se tourne au sein de l’Histoire de Sandorfell. Les suivantes sont encore à écrire, peuplées des hommes embrasés qui foulent cette terre. Absalon a retrouvé sa sérénité et sa joie de vivre. Le pays a vacillé mais sa Flamme est forte et il s’en remettra sans mal.

Certains seraient tentés de dire que, bientôt, tout cela sera emporté comme les brumes d’un rêve. Mais cela est inexact. Ces événements ont laissé une marque indélébile aussi bien sur le pays en lui-même que sur ses habitants. Plus encore, la contrée a été purgée du mal qui couvait en son sein et s’en relève plus fort que jamais.

Les flots de sang se sont taris lorsque le souverain légitime a regagné son trône. Les Vérasyns et les Markenbars n’ont pas été massacrés sans discernement puisque le souverain ne l’a pas voulu ainsi. Cependant, dans les ombres, un œil reste ouvert sur ceux qui ont été impliqué. C’est un œil que certains peuvent sentir peser sur leurs épaules, un œil qui jamais ne se ferme.

A Valorn, un curieux personnage parcourait l’allée des olys. La démarche chaloupée et boitillante du vieil homme venait donner corps au paysage sans que les gens s’y promenant n’en prennent ombrage. De sa bouche naissaient des élucubrations à demie étouffées d’une chanson que lui seul semblait entendre. Passant à côté d’une fillette jouant avec les feuilles des olys, il s’arrêta soudain. Celle-ci se retourna pour observer le nouvel arrivant d’un air curieux. Mais d’un mouvement plus preste que quiconque ne l’en aurait cru capable, le vieil homme chatouilla la petite fille qui hurla de rire avant de se dégager et de courir autour de lui. Mais le vieil homme resta pensif et prononça à demi mot quelques paroles intriguées à l’intention de la fleur d’un olys devant lui.

« Une tournure… intéressante, n’est ce pas ? Des myriades d’hommes foulent cette terre et un seul d’entre eux portera le fardeau d’illuminer la prochaine ère. Mais pourra-t-il y parvenir ? Et y aura-t-il une prochaine ère. Un pari ma foi bien dangereux… »

Un courant d’air souffla alors sur les olys dont les fleurs oscillaient et répandaient leur parfum apaisant. Le vieil homme esquissa un sourire avant de hausser les épaules.

« Comme toujours, comme toujours… »

Cela avant de s’en retourner poursuivre la fillette dans cette allée de la paisible Valorn…
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