Comme vous le savez peut-être Romance érotique, mon jeu de rôle pour les couples, avait une destinée indépendante, j'ai développé une bonne partie du jeu sur Silentdrift, voici quelques rapports de partie :
[Romance érotique] Partie avec les rubans
[Romance érotique] Histoire de vampires
J'avais également fait des recherches préliminaires pour une autoédition :
[Romance érotique]Expériences de démonstration
[Romance érotique] Prémice à l'auto-édition
D'ailleurs, j'avais une section d'auteur indépendant sur Silentdrift qui retrace en partie les différentes étapes du développement du jeu. J'avais d'ailleurs imprimé un certain nombre d'Ashcan du jeu que j'avais présenté et vendu sur des stands de Silentdrift aux Joutes du Téméraire, à Ludesco et à Orc'Idée.
Ma détermination de faire sortir Romance érotique de manière indépendante était complète.
Etles Écuries d'Augias sont arrivés. Un de leurs membres avait acheté un Ashcan de mon jeu à Orc'Idée et il avait testé le jeu (c'est un détail important car les testeurs n'étaient pas nombreux et le sens du jeu est mal compris jusqu’au moment où on le teste). Ils m'ont contacté et proposé d'éditer mon jeu dans leur nouvelle collection In-Vitro.
Attention, cette proposition ne tombait pas totalement du ciel non plus. Les Écuries d'Augias et moi nous connaissions bien. Nous avons étroitement collaboré pour l'organisation des Démiurges en herbe 4 et je dirigeais (et dirige encore) le développement du jeu "Billet Rouge", gagnant du concours des Démiurges, destiné à cette même collection In-Vitro.
J'ai donc discuté avec eux et nous sommes tombés d'accord sur quelque chose. C'est ainsi que j'ai trahi ma fibre indépendante.
Je vais expliquer ici ce qui m'a poussé à le faire et je pense que mon expérience peut être intéressante pour les autres auteurs indépendants.
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Tout d'abord, il est important d'expliciter ce qu'apporte l'indépendance. Je suis quelqu'un de pragmatique, je ne voulais pas être Indie pour être indie, l'indépendance n'a pas de valeur en soi, c'est ce qu'elle apporte qui a une valeur. Je souhaitais que Romance érotique (ou d'autres de mes jeux qui auront une valeur créative particulière à mes yeux) soit indépendant pour ces raisons :
1) Créer mon jeu seul. Ne pas devoir arrondir les angles pour un éditeur au détriment de ma liberté de création.
2) Garder le contrôle de sa création, notamment au niveau du suivi de gamme, etc.
3) Avoir un produit à ma convenance au niveau du format, au niveau du matériel, etc.
4) Le fait de gagner la totalité du prix d'un jeu en économisant les intermédiaires, en assurant tous les rôles.
5) Suivre le jeu durant toutes les étapes de sa production, suivre la vie du jeu après sa sortie, vendre le jeu de manière directe, avoir une relation avec les lecteurs, les joueurs. Eventuellement fédérer autour de soi une communauté de fan.
Il ne me semble pas qu'il existe d'autres avantages découlant directement de l'indépendance. Je ne vais pas m'étendre dans les inconvénients de l'indépendance (car ils existent), je l'aborderai en filigrane dans les lignes qui suivent.
A présent, je vais traiter point par point ces éléments en montrant ce qui m'a poussé à collaborer avec les Ecuries d'Augias.
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1) Dès le départ, les Ecuries d'Augias m'ont donné toutes les garanties pour créer totalement librement mon jeu. Il faut dire que le jeu était quasiment parachevé au moment de leur proposition.
Mais malgré tout, j'ai opéré des changements entre la version ashcan et la version définitive : ils ne m'ont pas bridé. Certes, il y avait une relecture éditoriale par le chef de la collection In-Vitro (Jérémie Rueff) mais elle avait valeur de relecture de style et orthographe, comme pour mes autres relecteurs. Elle avait également valeur technique car pour une impression, il faut faire une relecture particulière pour homogénéisé le document (par exemple des accents sur les majuscules ou d'autres trucs de mise en page). C'est donc bienvenu.
Je considère donc que sur ce point, l'indépendance et l'édition chez les Ecuries d'Augias n'a rien changé.
Attention, il faut également dire que ce n'est pas forcément toujours évident. Ce qui a rendu cela possible, c'est la confiance qu'il y avait entre eux et moi. Ce n'est pas tombé du ciel et il s'agit d'une intense collaboration sur d'autres projets qui a permis aux Ecuries d'Augias d'avoir confiance. C'est aussi sans doute l'effet "In-Vitro", la collection dans laquelle Romance érotique s'inscrit. C'est une collection qui a justement pour but de laisser l'auteur maître de sa création.
Il n'en aurait sans doute pas été de même dans une autre situation.
Bilan comparatif : neutre
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2) Ici, effectivement. Il a fallu faire des concessions. C'est logique.
Selon le contrat, j'ai cédé les droits de représentation, de reproduction et de diffusion de l'oeuvre pour trois ans renouvelable et reconductible tacitement. Je conserve les droits d'adaptation, transformation, traduction, etc.
Cela signifie que je ne contrôle plus ma création pour les trois prochaines années, pendant lesquelles mon éditeur est libre de l'exploiter.
Je ne connais pas vraiment ce qui se fait en terme de traduction, mais j'imagine que ce que les droits cédés aux maisons d'éditions pour les traductions de jeux Indie (de la boite à Heuhh par exemple) ne doivent pas être très différents.
Je trouve que les Ecuries d'Augias ont été très arrangeant avec moi et je peux vous assurer qu'il n'en va pas forcément ainsi avec tous les éditeurs avec qui j'ai des contacts.
Encore une fois, je crois que la longue collaboration avec eux a facilité les choses.
Bilan comparatif : légèrement négatif
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3) Je l'ai dit ici même sur le forum, j'avais plusieurs envies :
- Sortir le jeu avec le matériel qui va avec.
- Faire le jeu avec Maud Chalmel en lui laissant une relative liberté dans le graphisme du jeu et ses illustrations.
- Sortir un livret en couleur
J'avais préparé le projet d'édition indépendant sur cette base et j'en étais arrivé à la conclusion suivante :
- Impossible de sortir le jeu avec le matériel. Raison : ça coute cher et je n'ai pas une diffusion suffisante pour ça. Le risque de l'investissement était grand.
- L'impression en livret couleur était possible mais il fallait faire des concessions au niveau du nombre de pages.
J'aurais donc du faire une impression noir/blanc sans matos. J'avais tout de même le concours de Maud, c'était très important à mes yeux. Voici les chiffres approximatif : 2500 € d'investissement total (avance sur droits d'auteur à Maud, impression, promo) pour 200 exemplaires (16 pages A5 couleur et agrafé)
Lorsque les Ecuries d'Augias m'ont contacté, je leur ai demandé si mes envies pouvaient être respectées. Ca n'a pas été évident et j'ai du faire des concessions :
- Le jeu sort avec une version collector : livret + le matériel. Cette version sera vendue sur la boutique minuit-dix.net et en convention. Cela n'a pas posé de problème la collection In-Vitro connait déjà des collectors avec matériel à l'exemple de Montsegur 1244.
- Les Ecuries d'Augias étaient intéressés voir même enthousiastes de travailler avec Maud. On a décidé de conserver l'arrangement que j'avais avec Maud. En réalité, je centralise tous les droits du jeu (Maud est sous contrat avec moi directement).
- Il a été possible d'assurer convenablement le jeu en couleur. J'ai du faire une minuscule concession sur le pourcentage des droits d'auteur mais c'est à mes yeux symboliques pour faire participer aux frais de ce caprice d'auteur.
Le cahier serait de 32 pages, c'est à dire le double de ce que j'avais prévu en indépendant. Je souhaitais à la base faire le plus court possible donc 32, ça me semblait beaucoup. Au final, c'était ce qu'il fallait pour avoir une maquette aérée et agréable, il n'y avait à la fin qu'une seule page en rab que j'ai remplis simplement de situations/scénarios supplémentaires. Avec 16 pages, nous aurions eu quelque chose d'indigeste avec une mise en page trop dense.
Encore deux mots sur une autre de mes craintes, Romance érotique rejoignait une collection qui avait déjà des contraintes techniques et graphiques déterminées. Même si elles sont souvent légères et parfois totalement en accord avec mon projet (le format du livret par exemple), je craignais que l'éditeur bride Maud dans son travail créatif.
Il n'en a rien été. Au final, nous avons pris beaucoup de liberté sans que cela ne pose problème, par exemple sur la mise en page sur une colonne alors que la gamme en prévoie deux. J'ai eu plus crainte sur cet aspect là que sur ma liberté d'auteur, car j'avais moins de garantie là-dessus. Au final tout est bien qui fini bien.
Concernant les fournisseurs, que je voulais de proximité dans la mesure du possible, les Ecuries d'Augias partagent la même philosophie que moi.
Bilan comparatif : Positif
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4) On en arrive aux chiffres. C'est ma préférée. On va traiter ici uniquement la version normale car je ne connais pas encore précisément les prix du collector. De plus, c'est le meilleur moyen d'avoir une comparaison avec l’hypothétique version indie (qui n'aurait pas compris de matériel). Je traite également le sujet que de mon point de vue. Celui des Ecuries d’Augias ne regarde qu’eux.
- Version indie :
Cout total/investissement total : ~2500 €
Marchandise : 200 exemplaires de livrets 16 pages A5 couleur
Prix individuel : 15 €
Pour revenir dans mes sous, j'aurais dû vendre 167 exemplaires en vente directe uniquement. J'aurais eu 33 exemplaires supplémentaires pour faire un léger bénéfice.
En imaginant que je suis parvenu à diminuer les couts totaux à 2000 € au prix de beaucoup de recherche et loin de la proximité que je désirais, j'arrivais à 133 exemplaires de vente directe pour ne pas perdre d'argent.
- Version actuelle avec les Ecuries d'Augias. Ici, il faut différencier deux éléments distincts : Jelino l'auteur et Jelino le vendeur.
Données générales :
Impression : 1500 exemplaires (ce n'est pas secret, c'est indiqué sur le livret), 32 pages couleur
Prix individuel : 9.95 €
Jelino l'auteur :
Il faut savoir que la situation des droits d'auteur est compliquée (et c'est de ma faute). A la base, dans la version indie, j'avais prévu de rémunérer Maud 600 €, c'était important pour moi qu'elle gagne autre chose que des clopinettes dans cette histoire. Et même si c'est une amie, elle fait du travaille pro et elle mérite qu'on la rémunère en conséquence. Que l'on soit bien clair, il est de MA propre volonté de faire ainsi et les Ecuries d'Augias s'y sont adaptés. Il est également possible que Maud aurait accepté de faire 50-50 des droits d'auteur sans avance d'argent, mais je ne lui ai même pas proposé.
Au final, on a gardé cet arrangement car elle est sous contrat avec moi, mais on l'a adapté de la manière suivante :
- Je paye 600 € à Maud.
- Je reçois la totalité des droits d'auteur jusqu'à hauteur de 600 € (pour me rembourser).
- A partir de 600 €, on fait 50-50 sur les droits d'auteur.
Pour parvenir à me rembourser, il va falloir que l'éditeur vende un peu moins de 500 exemplaires. Sachant que le jeu est distribué en boutique, que l'éditeur fait de la vente directe en convention, que Romance érotique fait parti d'une collection ET SURTOUT que Jelino le vendeur achète 108 exemplaires direct, cela laisse des chances d'y parvenir.
Jelino le vendeur :
Investissement total : 615 €
Nombre d'exemplaires : 108 exemplaires
Je reviens dans mes frais après 62 exemplaires vendus.
Cet investissement est également uniquement de mon fait (j'en explique les raisons dans le point suivant). A aucun moment l'édition du jeu n'a dépendu d'une quelconque précommande de ma part. Par contre, ma précommande a eu un impact direct : l'éditeur s'est permis de prendre plus de risque et d'imprimer un plus grand nombre d'exemplaires que prévu à la base. Si Romance érotique fait un carton... ce sera fabuleux pour tout le monde.
Remarquez que si Jelino le vendeur vend tous ses exemplaires, Jelino l'auteur rentre dans ses frais si l'éditeur vend 106 exemplaires (il faut savoir qu'il en vend déjà 108 rien qu'à Jelino le vendeur). Donc en vendant mes 108 exemplaires, je serai déjà bénéficiaire.
Conclusion, l'édition indépendante m'aurait demandé au total un investissement 2 fois plus important. De plus le seuil de rentabilité est bien inférieur pour la situation en édition chez les Écuries d'Augias, à peu près du simple au double.
Sans compter que le produit a plus de page et est moins cher donc il est plus facilement vendable.
Bilan : nettement positif
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5) Ici, j'ai dû à nouveau faire des concessions.
J'ai assuré (avec Maud et un peu Jérémie pour la touche finale) la production du PDF envoyé à l'imprimeur de A à Z.
Mais je ne m'occupe pas de tout ce qui est contact avec l'imprimeur ou avec les fournisseurs pour le matériel. Je l'ai un petit peu fait dans la perspective d'une publication indie. J’ai pu constater que ça prend un temps fou et ça n'a rien de créatif : c'est un travail de comparaison et de recherche.
Je ne m'occuperais pas non plus de tout ce qui est administratif et tout ce qui est nécessaire pour faire un travail sérieux. Je suis persuadé que ça doit être très intéressant mais ça comporte au final surtout des obligations parfois pénibles.
De mon point de vue, j'ai plutôt l'impression que j'ai avantageusement délégué le boulot pénible à d'autres sans perdre au final sur la visibilité : je serai mis au courant des ventes (ce sont les chiffres qui intéressent vraiment, les autres intéressent les impôts). J'ai participé et donné mon accord au format exact de mon jeu, je laisse volontiers le travail de comparaison des fournisseurs à d'autres. Car au final, je sais ce qui sera le produit final et qu'il est produit dans la proximité, ce sont mes critères.
Par contre, je perds en liberté sur la communication, la promotion et la diffusion du jeu. Je ne suis plus le seul sur l'affaire et le succès de Romance érotique concernent d'autres que moi. Je ne peux donc pas tout faire à ma manière. Ce n'est pas moi qui rédige tous les communiqués de presse. C'est l'un des aspects que je perds un petit peu par rapport à une autoédition.
Je suis moins souverain mais par contre, il y a d'autres que moi qui sont impliqués et qui communiquent avec moi : présence du jeu sur des conventions où je ne suis pas, vente en ligne sur un site pro, distribution en boutique, etc.
Je perds également un petit peu l’éventuelle exclusivité concernant l'organisation et le soutien des fans... Mais mon jeu est Romance érotique, c'est un jeu où j'ai été le seul à faire des rapports de partie public, les rapports que j'ai reçus ont été transmis discrètement. RE est un jeu qui ne va pas créer de communauté car son expérience est privée. Et personnellement, si une communauté libertine se créait autour du jeu, je ne suis pas sûr de vouloir y participer. :-)
Dernier élément, l'auteur qui vend son jeu directement, celui-ci est directement lié à ma précommande d'une centaine d'exemplaires. Ca me permet, tout comme un auteur indépendant de vendre mon jeu directement au consommateur et de faire un bénéfice dessus. Ca m'oblige également d'être impliqué à ce niveau et c'est un vrai plaisir.
Je crois que c'est le point que je préfère : discuter, échanger avec d'autres sur mon jeu, lui vendre ma création directement, en convention ou ailleurs. Je n'hésiterai pas non plus à faire des démos comme j'ai pu en faire quand le jeu était encore en ashcan.
Et si quelqu'un voudrait acquérir Romance érotique sans me l'acheter en me regardant dans le blanc des yeux parce qu'il est timide, ce n’est pas grave, le jeu est accessible à mille autres endroits.
Bilan : légèrement négatif
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Alors effectivement, avec Romance érotique, je ne suis plus auteur indépendant, mais ce ne sont au final que des mots. Au change, j'ai perdu des choses, j'en ai gagné d'autres. J'ai pesé le tout dans la balance qui se trouve dans ma tête et j'ai fait mon choix.
Mais mes désirs et mes idéaux n'ont pas changé. J'espère encore et toujours autoéditer complètement une de mes créations. Ce n'est pas pour cette fois. Être indépendant n'est pas un but en soi pour moi. Peut-être qu'un autre de mes projets s'adaptera mieux à une édition indépendante. En attendant, j'ai pris des XP (et j'en prendrai encore) sur une grande partie du travail que demande l'autoédition. Il me manque encore 2-3 facettes de ce travail mais j'ai ajouté des cordes importantes à mon arc.
Par ce témoignage, je ne cherche pas à dévaloriser l'édition indépendante en mettant en lumière ses défauts. Ce que je souhaite exprimer, c'est qu'avant de vous lancer réfléchissez et cherchez toutes les options possibles, puis choisissez la meilleure.
Il n'y a pas de dogme ou de recette miracle. Chaque projet est différent et demande des choix différents.
Romance érotique n'est donc pas un JdR indépendant mais il est génétiquement indépendant. Et je suis vraiment très fier malgré tout, que ce soit le deuxième jeu finalisé, après Sens, qui soit issu de la communauté de Silentdrift...
Je tiens à remercier par ces lignes tous ceux qui sur ce forum m'ont aidé à mûrir ma réflexion et à bâtir mon jeu.
Romance érotique sortira pour début février pour la St-Valentin. Je présenterai tout particulièrement le jeu lors de la convention Orc'Idée du 31 mars au 1er avril à Lausanne.
Pour conclure, je vais terminer par un petit lien "nostalgique" : un fil de discussion initié par Marc