Lors de mon intervention précédente sur Silentdrift, j’ai expliqué que j’avais établi un modèle pour mon activité d’auteur indépendant, le modèle des huit zéros.
J’ai ressenti le besoin de modéliser à la fois pour mieux investir mon rôle d’auteur et pour savoir où aller et comment y aller. Mon absence de stratégie m’a coûté la voie de l’édition par le passé. Je ne souhaite pas faire la même erreur pour la voie de l’indépendance.
Le premier des huit zéros, Zéro Ordinaire, est une manière de justifier mon choix de l’indépendance. Il explique presque à lui tout seul pourquoi j’ai cessé d’envoyer des manuscrits ou des projets aux éditeurs et pourquoi bien des années des plus tard j’autoédite ces mêmes manuscrits et ces mêmes projets.
J’ai reçu une fois un retour détaillé par un éditeur. En 2000 ou 2001, l’éditeur Nestiveqnen, assez connu dans le milieu med-fan, SF, me renvoit le manuscrit de mon roman d’heroïc-fantasy, avec une foultitude de notes au crayon. A cette époque, j’avais 18 ans et j’étais dans une phase très difficile de ma vie, la classe préparatoire aux grandes écoles. J’avais délaissé ce roman depuis deux ans pour écrire dans d’autres genres de la fiction. Les remarques de Nestiveqnen, très justes dans leur ensemble, laissaient tout à fait espérer que moyennant une solide réécriture de ma part, ils étaient intéressés par mon boulot. Las ! J’étais passé à autre chose, je n’ai pas donné suite à leur courrier. C’était sans doute une grande erreur. Mais au regard du contexte de l’époque, c’était compréhensible.
J’ai écrit deux romans depuis, imprimé et envoyé 15 exemplaires de chaque et les ai envoyé à 15 éditeurs différents. Je n’ai jamais eu de réponse depuis, hormis des classiques « ne correspond pas à notre ligne éditoriale ». Ces deux romans, ce sont La Guerre en Silence (thriller conspirationniste / folklore urbain) que j’ai autoédité en novembre 2012, et Hors de la Chair (fantastique contemporain). Ils étaient bizarres, solipsistes, labyrinthiques. En fait, les grands éditeurs à qui je les ai naïvement envoyés n’avaient aucune raison d’être intéressés. J’ai envoyé à des éditeurs très connus (et assez peu spécialisés dans la littérature de genre parce que je pensais que c’était le chemin de moindre résistance. Si mes bouquins étaient bons, ils les publieraient. Point. En réalité, j’aurais dû m’y prendre autrement. Arpenter les salons de France et de Navarre pour rencontrer les petits éditeurs spécialisés et les séduire, envoyer des textes à tous les concours de SF possibles, poster des manuscrits partout, enquiller des lettres et des lettres de refus, utiliser la moindre remarque pour m’améliorer et attendre qu’un jour béni, un texte soit accepté. C’est ce que dicte le bon sens et ce que disent la plupart des auteurs. Mais à mes yeux, c’était tout sauf un chemin de moindre résistance. Je voulais passer ma vie à écrire. Je ne voulais pas passer ma vie dans des boutiques de reprographie chaudes et puantes, à dupliquer des tapuscrits pour les envoyer chez des éditeurs qui les placeraient sur une immense pile de trucs à lire ou plus probablement les enverraient directement au massicot.
J’ai alors abandonné l’idée d’être édité.
J’ai même abandonné la fiction linéaire. Après 2006, je n’écris plus ni roman, ni nouvelles ni poésie. En fait, ma seule activité de création de fiction est le jeu de rôle, en tant que joueur. Je conçois Millevaux, un univers forestier fait de peur et d’obscurité. Je m’y investis si bien que je montre le bébé en convention. De fil en aiguille, je rencontre Johan Scipion qui a la bienveillance de m’encourager à mettre ça par écrit. Millevaux est diffusé en PDF gratuit sur Terres Etranges en 2008. Je m’épanouis dans la fiction non linéaire. Une expérience d’écriture fascinante. Le récit disparaît pour faire place à la potentialité. Je n’imagine pas un instant que Millevaux puisse être édité. Cette désillusion m’a empêché d’abandonner le développement de cet univers.
Guidé par le plaisir de communiquer sur ma passion, je digresse jeu de rôle sur quelques forums. Je signe même deux articles pour le magazine Di6Dent. Je me rends compte qu’il est possible d’avoir un petit nom dans ce petit milieu si on est persévérant et qu’on apporte un service, alors qu’en littérature je n’étais personne.
Je suis spectateur du boom de l’autoédition et de l’impression à la demande, en jeu de rôle et en littérature. Deux sorties m’ont personnellement touché et inspiré. Quand Julien Clément autoédite Terra Incognita sur lulu.com, je réalise que des jeux de qualité professionnelle peuvent shunter la filière de l’édition traditionnelle. Quand j’aide ma sœur Géraldine à autoéditer son recueil de poésie Le Pavillon Mélancolique, je réalise que c’est à la portée de quelques clics.
Et en quelques clics j’autoédite trois livres en trois mois après quinze ans de traversée du désert éditorial.
Où est en ce que je veux en venir ? J’ai choisi l’autoédition parce que c’était mon chemin de moindre résistance. J’ai d’abord vu que c’était matériellement possible et qu’ensuite pour me promouvoir il me suffisait de faire ce que j’aime, c’est-à-dire écrire.
Je dis Zéro ordinaire pour deux choses.
D’abord parce que mon chemin de moindre résistance n’est pas ordinaire. La plupart des auteurs devraient faire ce que je n’ai pas fait. C’est-à-dire persévérer dans le jeu littéraire traditionnel, écrire à de nombreux éditeurs, développer son réseau, placer des nouvelles dans les revues, jusqu’à ce qu’à se faire publier. Romain d’Huissier explique dans le dernier Di6dent qu’il a essuyé des refus d’éditeurs avec son projet d’adaptation en JDR de La Brigade Chimérique. Ce n’était pas faute d’être une grande signature du milieu actuel du jeu de rôle ! Finalement, l’éditeur Sans Détour lui a accordé sa confiance. Pour la réussite que l’on sait. Romain a eu tout à fait raison de procéder ainsi. Il avait une solide bibliographie derrière lui, un concept très abouti, s’appuyant sur une licence de qualité. Il pouvait essuyer des refus mais il ne pouvait pas échouer. Par son réseau, en acceptant les œuvres de commande et par la richesse de son CV, Romain d’Huissier a aussi publié plusieurs romans. Attention, je ne prétends pas lire dans ses pensées ou dire quelle est sa stratégie. En me basant sur son article de Di6Dent n°6, son autobiographie sur le Grog et son bilan de l’année 2012 sur son blog, je dis juste qu’il connaît le succès éditorial dans le jeu de rôle et la littérature de genre en prenant tous les chemins que je n’ai pas empruntés. Je rajouterai qu’il a beaucoup plus de ressources que moi. En talent, en expérience, en persévérance, en humilité. C’est une comparaison toutes proportions mises à part. S’il s’est appuyé sur des licences ou des genres, c’est avant tout par passion mais ça a payé. C’est son parcours de publication qui est ordinaire. Une victoire ordinaire avec son lot de souffrances et de travail ordinaires.
Romain d’Huissier, dont j’admire le parcours, est taillé pour le monde de l’édition. Je lui souhaite de poursuivre dans cette voie, de continuer à rendre hommage aux genres et aux figures qu’il aime tout en y a apportant de plus en plus son univers personnel. En s’y prenant exactement comme il faut pour réussir dans ce milieu, il me démontre que je ne pourrai pas le faire.
Une autre différence notable entre le parcours de Romain d’Huissier et moi : Il connaît parfaitement les genres qu’il explore. Je me suis toujours lancé dans des genres sans en maîtriser les codes sur le bout des doigts. Je préfère offrir une approche fraîche et même naïve des genres, qu’ils soient le médiéval-fantastique, le fantastique, le thriller ou l’horreur. Je sais que j’écris des fictions bizarres. Je ne sais pas et je ne veux pas faire autrement. J’ai compris que ça ne convenait pas aux éditeurs. Ou alors seulement à des éditeurs tout aussi bizarres qui seraient trop difficiles à trouver pour moi qui n’ai pas de réseau. Cette bizarrerie, je continuerai à la cultiver. C’est ma patte. Mais c’est aussi ma croix. Privilégier le folklore à l’histoire, privilégier le doute aux faits, privilégier la quantité à la perfection, c’est un style qui se paie par la marginalité. La bonne nouvelle c’est que vous pouvez être marginal et vous diffuser. Qu’à ce point de marginalité, il devient plus simple d’aller démarcher directement les lecteurs que d’aller démarcher les éditeurs. Car c’est là mon chemin de moindre résistance.
La quantité des textes que j’ai en réserve n’est pas non plus ordinaire. Je me rappelle une discussion en 2001 avec Philippe Claudel. Je vous parle d’une grande plume. Prix Renaudot 2003, Prix Goncourt des Lycéens 2007. Il disait écrire plusieurs romans par an mais n’en publier qu’un seul par an. Il écrivait trop vite pour les éditeurs ! Quelque soit votre renommée, les éditeurs ont du mal à absorber une production prolifique parce que ça contredit le principe des rentrées littéraires. Si je publie un livre par mois pendant un an, je me démarque définitivement de l’ordinaire. Une démarche éditoriale marginale, un style d’écriture marginal, une productivité marginale sont les trois facteurs qui m’ont guidé vers l’indépendance.
Vous me direz que si j’avais un peu plus de plomb dans la cervelle, je pourrais corriger le tir, rentrer à nouveau dans le jeu littéraire et faire éditer en dix ans ce que j’ai dans mes tiroirs. Mais quand vous avez goûté au zéro ordinaire, il est difficile de revenir en arrière.